72-

Hold On - Chord Overstreet

Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

J'avais répété cette question au moins un milliard de fois avant qu'on atteigne l'aéroport de Raleigh un peu plus d'une heure plus tard. Et chaque fois, David avait obstinément refusé d'y répondre.

— On devait partir.

C'était la seule explication qu'il avait daignée me fournir. Si tant est qu'on puisse appeler ça une explication.

— Je m'excuse de t'avoir...

— Trainée ? proposai-je avec humeur.

Il ajusta la lanière du sac sur son épaule et continua d'avancer vers le Terminal d'aviation d'affaire. Par mesure de précaution, on avait abandonné la Lexus et nos téléphones dans une zone industrielle à plusieurs kilomètres et effectué le reste du trajet en taxi.

— Malmenée, préféra-t-il. (Il poussa un long soupir.) Écoute, j'étais hors de moi et... Je n'ai jamais eu l'intention de te faire du mal.

Ses iris avaient retrouvé leur douceur habituelle. Il les braqua sur moi, et je fus bien incapable de maintenir rien qu'une infime dose de colère à son encontre.

— Un peu plus et tu m'empoignais par les cheveux, lui fis-je remarquer avec sarcasme.

Il haussa un sourcil étonné, avant d'esquisser un demi-sourire qui dévoila sa fossette.

— Une si belle voiture, c'est moche quand même, soupirai-je en pensant à la Lexus.

David me prit de court. Toute trace d'amusement avait quitté son visage.

— Ça n'est que du matériel. C'est pour ma mère que je m'inquiète.

Diable, il avait raison. Il en voulait toujours à Cameron d'avoir abandonné Kirsten, et voilà que le forçais à faire la même chose. Qu'allait-elle bien pouvoir imaginer sans nouvelles de notre part ? Le pire, sans doute.

Comme s'il suivait le déroulement de mes pensées, David reprit :

— J'ai demandé à Cameron de s'occuper d'elle.

— Qu'est-ce que tu veux dire ?

Il soupira.

— Il va lui faire un de ces lavages de cerveau surnaturels. Pour elle, nous serons partis en voyage dans un endroit totalement isolé, loin d'internet et des réseaux téléphoniques. L'important étant qu'elle nous croit en sécurité, et qu'elle, le soit vraiment. Cameron m'a promis d'y veiller. La question que je me pose, c'est de savoir si c'est une promesse qu'il peut tenir.

Je me plantai devant lui et pris sa main.

— Il le fera, j'en suis certaine.

La culpabilité me brulant les yeux, je baissai le regard. Je m'en voulais pour Kirsten. Et je ne parlais bien évidemment pas de la voiture. Plus que cet amas de ferraille et d'électronique, c'est son fils que je volais.

— Je suis désolée, David. Pour tout ce qui...

— Ne t'excuse pas, m'interrompit-il doucement. Ce n'est pas ta faute, et ce n'est pas comme si on avait d'autres alternatives...

J'acquiesçai pour m'en convaincre tandis qu'on se remettait en marche. Je savais que David était sincère, pourtant j'avais du mal à le croire.

Mes relents de culpabilité furent éclipsés dès qu'on atteignit les baies vitrées de l'aérogare. Un homme en costume sombre patientait dans le hall feutré, une pancarte portant mon seul nom à la main.

— Tiens donc, commenta David. On m'a oublié on dirait.

Je secouai la tête, roulant des yeux.

— C'est pour notre sécurité. Moins les gens en sauront à ton sujet et plus nous auront de chances de finir l'année en dehors d'un cercueil.

Je n'avais pas prévu d'être aussi directe, et je m'en voulus en voyant David se rembrunir. Ses prunelles se voilèrent. À cet instant, j'aurais voulu connaître ses pensées, mais je n'eus pas le temps de le questionner. Notre escorte vint à notre rencontre, un sourire affable collé sur la figure.

Les présentations effectuées, il nous dirigea à travers le dédale de l'aéroport. Il s'occupa même pour nous des formalités et ne nous quitta que lorsque nous fûmes installés à l'arrière d'une berline grand luxe. Il tapa deux fois sur le capot, et en réponse, la voiture partit comme une fusée, me plaquant dans mon siège. Visiblement conscient des enjeux, le chauffeur roulait sur le tarmac comme s'il s'agissait d'un circuit de F1. La voiture s'éloigna des vols commerciaux pour nous conduire devant un hangar désert, au pied d'un jet étincelant. Aussi étincelante que pouvait être une carlingue d'avion sous un ciel plombé.

Le chauffeur sortit nos bagages du coffre et les chargea à bord de l'appareil, à l'exception du sac en cuir que David avait conservé à l'épaule.

L'un des pilotes nous attendait en bas de l'escalier, une cigarette à la bouche. Manifestement, il n'était pas au courant de la réglementation en vigueur. Ou n'en avait tout bonnement rien à faire. Il nous accueillit avec un accent d'Europe de l'est.

— Bienvenu à bord, dit-il en soulevant sa casquette. Alors où est-ce que je vous dépose ?

Je me tournai vers David, hésitante. Sur le trajet depuis Goldsboro, j'avais bien eu une idée mais j'ignorais si elle était réalisable.

— Il peut voler loin cet avion ? demandai-je en scrutant l'engin d'un air dubitatif.

Le pilote étouffa un rire, laissant échapper de la fumée par les narines.

— La distance n'est pas un problème.

— Même pour rallier l'Europe ?

David m'interrogea du regard et le pilote se contenta de tirer sur sa cigarette.

— Dans le pire des cas on devra faire une escale technique pour l'avitaillement. Alors je vous écoute. À quoi vous pensez ?

— Eh bien...

Un sourire de conspiratrice me gagnait peu à peu. Il y avait des dizaines d'endroits dans le monde que je rêvais de découvrir avec David, mais à ce moment je ne pouvais penser qu'à un seul d'entre eux. Je n'aurais jamais imaginé le faire sous d'aussi sinistres auspices. Toutefois, en dépit des sombres circonstances, du danger qui guettait, je ne pouvais m'empêcher de ressentir une soudaine excitation.

***

Plus tard, une sensation de chute vertigineuse me réveilla. J'entrouvris mes yeux ensommeillés. De la lumière filtrait sous le cache hublot. On avait décollé depuis plusieurs heures, mais le soleil n'avait semble-t-il pas totalement cédé la place à la nuit. La cabine vibrait au son des moteurs et au gré des caprices du ciel. Ciel agité, si j'en croyais les tremblotements et craquements irréguliers de la carlingue.

Je me redressai de la banquette sur laquelle j'étais allongée, cherchant David du regard. Je le trouvai installé sur un fauteuil en face de moi. Ses lèvres trempaient dans un verre d'alcool. Il semblait plongé dans d'obscures pensées.

— Tu ne dors pas ? m'étonnai-je d'une voix rauque.

Il tourna la tête vers moi. Un vague sourire étirait ses lèvres pleines.

— Les turbulences m'ont réveillé il faut croire.

Comme pour corroborer son histoire, une nouvelle secousse se répercuta en cabine. La raison me commandait de ne pas bouger, mais je me levai quand même. Je chancelai jusqu'à David, me laissant tomber sur le siège d'à côté.

— Tu as l'air préoccupé, remarquai-je en bouclant ma ceinture.

— Tu trouves ? esquiva-t-il d'un sourire.

Pourtant, ses yeux ne souriaient pas.

— À quoi tu penses ?

David me contempla sans rien dire pendant un moment, comme s'il hésitait à parler de l'ombre qui planait au-dessus de son verre. Je ne voulus pas le brusquer. J'attendis en silence qu'il se décide.

— Tu fais vraiment confiance à Sat...

Il jeta un coup d'œil à la porte du cockpit qui était restée ouverte.

— À mon père ?

— Évidemment, affirmai-je sur le ton de l'évidence, gardant pour moi les réserves que je pouvais avoir envers Cameron.

David hocha la tête mais je vis bien qu'il ne partageait pas mon avis. Il reposa son verre sur la tablette.

— Je suis sûre qu'il veillera sur Kirsten, assurai-je.

— Je ne parlais pas de ma mère.

— Ah non ? De quoi, alors ?

— Je ne sais pas... J'ai l'intuition qu'il nous aide pour les mauvaises raisons, reprit-il après un temps de réflexion.

— Les mauvaises raisons ?

Il soupira et serra ma main qui pendait mollement sur l'accoudoir. Ses traits étaient crispés.

— Et si je n'étais pas censé vivre ?

J'ouvris la bouche, déstabilisée par l'absurdité d'une telle supposition. Comment pouvais-je seulement imaginer un monde duquel il serait absent ?

— T'es pas sérieux ?

David pencha la tête sur le côté, m'indiquant le contraire.

— C'est ridicule ! m'insurgeai-je en retirant ma main de la sienne.

— Et si j'étais dangereux ?

— Tu n'as rien de dangereux, répliquai-je. Ça n'a même rien à voir avec toi ! C'est une histoire de vengeance ! Tu as entendu Cameron.

Sa voix se raidit, elle aussi.

— C'est sa version.

— Qu'est-ce qui pourrait t'en faire douter ?

David pinça les lèvres, la mâchoire serrée.

— Je n'ai aucune confiance en lui. (Ses yeux s'étaient chargés en électricité et lançaient maintenant des éclairs.) Désolé si je n'arrive pas à croire un homme qui m'a abandonné à la naissance et... qui refuse de renoncer à celle que j'aime.

Mon cœur fit un bond spectaculaire dans ma poitrine. Alors David était au courant ? De tout ?

— C'est... c'est ce qu'il t'a dit ?

— On a eu une discussion à ce sujet en effet, confirma David en finissant son verre d'une traite. Mais je ne suis pas stupide Eléonore, j'avais déjà compris. J'ai bien vu le regard qu'il posait sur toi.

— C'est pour ça que tu étais si énervé ?

David ricana.

— Énervé ? Furieux, plutôt. J'avais envie de lui arracher la tête. Je refuse de t'abandonner entre ses petits bras diaboliques.

Ses bras n'étaient pas si petits que ça, pensai-je. Mais là n'était pas la question.

— Personne ne m'abandonne nulle part.

David soupira une fois de plus comme s'il s'agissait d'un nouveau mode de communication.

— S'il m'arrive quelque chose...

— Il ne t'arrivera rien, coupai-je d'un ton qui ne laissait pas la place à la discussion.

Il se pencha vers moi, son parfum boisé flirtant avec mes narines.

— Je ne veux pas que tu te mettes en danger pour tenter de me sauver.

Les nuages menaçants de son regard s'étaient mués en un océan séduisant, apte à noyer mes plus farouches volontés. Hélas pour lui, j'étais trop remontée pour me laisser affecter.

— Ben désolé, mais à ce sujet, je me fiche de ce que tu veux, rétorquai-je avec acidité.

Il recula comme blessé, une lueur de désespoir au fond des yeux.

— Eléonore !

Il avait prononcé mon nom comme un rappel à l'ordre et son front s'était plissé sous l'effet de l'inquiétude. Mince, il semblait vraiment décidé à me convaincre.

—  J'avais un cancer incurable. Tu as dévié l'ordre naturel des choses mais je n'étais pas censé en réchapper. Ce qu'on vit c'est déjà un miracle inespéré. Et il est hors de question que tu prennes des risques inconsidérés pour déjouer une fin inéluctable. Personne ne fait échec au destin.

— Dieu... (Je fermai les yeux et serrai les dents.) Clarke n'est pas le destin. C'est un enfoiré !

La rage montait en moi comme un feu incontrôlable. Mon aversion pour Clarke était en passe d'atteindre un nouveau record. Et à voir la veine qui pulsait sur le front de David, je n'étais pas la seule à être furieuse.

— C'est ce que Cameron veut te mettre dans le crâne parce qu'il cherche à te récupérer ! C'est un calculateur. Il sait très bien comment cela va se finir, et évidemment il sera là pour jouer les preux chevaliers. Celui qui a tout tenté, en vain. Ça fait partie de son plan.

Refusant d'en entendre davantage, je levai mes deux mains, paumes tournées vers lui.

— Tu te trompes.

— C'est ce qu'on verra.

Je ramenai mes mains sur mes genoux et serrai les poings. Une nouvelle vague de colère déferlait en moi.

— On ne verra rien du tout ! Je ne laisserai rien de mal t'arriver.

— T'es vraiment bornée, tu le sais ça ?!

— Et toi alors ? répliquai-je.

En guise de réponse, il m'adressa un regard de réprimande que ses lèvres très légèrement recourbées contredirent aussitôt.

— Et dire que je pensais que c'était pour ça que tu m'aimais, jugea-t-il opportun d'ajouter.

Je croisai mes bras sur ma poitrine, tachant de garder un air parfaitement exaspéré.

— Pas pour ça précisément, non.

J'avais parlé comme une gamine butée et je m'astreignais à présent à ne pas le regarder. Je fixais avec entêtement un point imaginaire droit devant moi.

— Ah non ?

Sa voix s'était teintée d'une ironie que je ne gouttais guère.

— Non, persistai-je.

— Dans ce cas, il faut absolument que tu m'expliques ce que tu me trouves.

Je lui lançai une œillade meurtrière.

— À ce moment précis, rien du tout.

Il ricana.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top