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Port - OTR

Les jours s'enchainèrent à une vitesse obscène. Et lorsque le samedi arriva, je n'avais toujours pas bouclé ma valise. Je fus toutefois contrainte d'accélérer la cadence quand David débarqua chez moi sur le coup de 7h, s'attendant à me trouver prête et découvrant plutôt mon impréparation. Notre avion décollait moins de deux heures plus tard... Je me retrouvai ainsi à entasser dans ma valise un maximum de vêtements d'été, en un minimum de temps. À la dernière seconde, je pensai à son cadeau et le glissai discrètement dans la poche intérieure tandis qu'il s'impatientait prodigieusement.

— Allez, referme-moi cette valise, ou tu pars sans...

­— C'est bon, je suis prête ! dis-je en me relevant, les joues rendues rouges par l'effort.

Sur le chemin de l'aéroport David roula largement au-dessus de la limite autorisée, de telle sorte qu'on arriva à temps pour l'embarquement. Je n'eus même pas à déclarer une fausse alerte à la bombe comme j'y avais songé...

***

— Alors vous êtes enseignante Eléonore ? me demanda Kirsten en me scrutant dans le rétroviseur.

C'était une belle femme brune d'une cinquantaine d'année, au regard aussi perçant que celui de son fils.

— C'est ça, répondit ce dernier à ma place.

— En fait, j'enseigne aussi le français, ajoutai-je naturellement.

— Vous semblez tellement jeune ! Ça n'est jamais arrivé qu'on vous prenne pour une élève ?!

Je lui accordai mon plus beau sourire et balayai la question d'un haussement d'épaules. À l'avant, David, lui, ne souriait pas.

Quelques kilomètres plus loin, la Lexus grise s'arrêta devant le portail d'une immense propriété baignée par le soleil floridien. J'en restai bouché bée. Kirsten appuya sur une petite télécommande, et le portail s'ouvrit devant nous. La voiture serpenta à travers le parc tropical avant de se stationner devant une villa somptueuse, haute de deux étages.

David se chargea des bagages pendant que je suivais Kirsten à l'intérieur, pantoise. La première chose que je remarquai en entrant fut le large escalier dont les rampes en acajou s'enroulaient jusqu'aux étages supérieurs ; il était majestueux. Quand je reportai mon regard sur la pièce, je plissai les yeux, éblouie par les rayons brulants du soleil qui s'engouffraient à travers les baies vitrées du salon. Fort heureusement, la climatisation nous protégeait de la chaleur lourde et humide de l'extérieur.

En traversant la salle à manger, j'aperçus le jardin derrière les vitres. Piquée par la curiosité, je m'approchai et finis par découvrir la piscine à débordement, ainsi que le ponton privé en contrebas. Un bateau de plaisance y était amarré, ondulant sur les flots calmes.

Des bras protecteurs m'enlacèrent soudain, et un menton se posa sur mon épaule.

— Dire que j'ai bien failli ne jamais voir tout ça...

Il rit doucement.

— Je ne te le fais pas dire...

— En tout cas, je comprends que Kirsten t'ait laissé la bicoque de San Francisco, ajoutai-je en chuchotant.

Cette fois son rire résonna dans toute la villa.

Après avoir monté les affaires dans notre chambre au deuxième étage, et en dépit de la fatigue, nous ne résistâmes pas à l'envie de piquer une tête. De toute façon, Kirsten avait refusé notre aide en cuisine et avait tenu à ce que nous profitions plutôt du soleil. D'après elle, j'étais trop pale. C'était bien la seule qui trouvait quelque chose à redire de mon teint.

Je me pliai à ses ordres, même si je n'avais aucune chance de finir bronzée, ou juste avec des couleurs.

J'enfilai mon bikini mauve et filai au rez-de-chaussée, sans attendre David. Je voulais prendre de l'avance pour m'approprier le matelas gonflable qui dérivait au gré du vent. C'était sans compter le mauvais esprit dudit individu. Vêtu de son short de bain rouge vif, il me rejoignit plus vite que prévu et se mit à soulever le matelas par en dessous, tandis que je m'installai avec difficulté.

— QU'EST-CE QUE TU FAIS ?! m'écriai-je en me cramponnant de toutes mes forces.

— Je m'amuse.

Ah, les mecs...

À la hâte, je balançai mes lunettes de soleil sur le bord de la piscine. Cinq secondes après, mon radeau de fortune se retourna sur lui-même. Je m'enfonçai dans l'eau dans un gros plouf. Le temps que je regagne la surface, David s'était confortablement installé à ma place. Il arborait un sourire taquin, pas peu fier de ses enfantillages.

Autant amusée que revancharde, je me lançai à l'assaut, tentant différentes attaques pour le déloger. Lamentable échec... Sa masse musculaire lui conférait un avantage déloyal. Il me maitrisait sans avoir à mobiliser plus de force que pour se débarrasser d'un moustique. J'étais donc vouée à supporter ses railleries sexistes, poursuivant vainement la bataille.

Ce n'est que lorsque mes doigts se furent transformés en d'immondes saucisses fripées, et qu'il m'apparut improbable que je parvienne un jour à faire chavirer David, que je décidai de sortir de l'eau.

J'avais presque atteint les marches immergées, quand il saisit ma cheville.

— Reste !

Il tira d'un coup et je fus propulsée en arrière. Mon corps vint s'encastrer dans le sien, tout en fermeté.

Je tournoyai dans l'eau, autant pour m'écarter de lui que pour lui faire face.

— Tu me laisses le matelas ? tentai-je.

Il prit le temps de réfléchir, puis me sourit.

— Non.

— Et qu'est-ce que j'y gagne dans ce cas ? À part cet air narquois, j'entends.

Avec la rapidité d'un squale, il bondit sur moi, nous envoyant tous deux valser vers le bord en céramique. Avant que je vienne cogner sa surface, il passa une main dans mon dos pour amortir le choc.

Acculée contre le rebord, entre ses bras, son piège s'était refermé sur moi.

­— Tu gagnes ça...

Il approcha son visage du mien, si près que je sentais son souffle chaud sur ma joue. Ses lèvres glissèrent sur mon cou et l'une de ses mains remonta le long de ma cuisse.

— Arrête, soupirai-je, soudain alanguie.

— Pourquoi ?

— Ta mère pourrait nous voir.

Je regardai par-dessus mon épaule. Les vitres fumées ne dévoilaient rien.

— Tu as vraiment envie de penser à ma mère dans un moment pareil ? demanda-t-il d'une voix ironique.

— Et toi t'as vraiment envie de passer un moment pareil avec une vieille saucisse fripée ? lui dis-je, en dévoilant les boudins ratatinés qui me servaient de doigts.

Il arqua un sourcil.

— Tu sais ce qui ressemble aussi à une vieille saucisse frippée ?

Je le frappai au plexus.

— Pervers !

Il partit d'un grand rire qui le fit renverser la tête en arrière, jusqu'à mouiller ses cheveux.

— Je pensais à Allington, ton prof de bio !

— Oh...

Maintenant qu'il me le faisait adroitement remarquer, la ressemblance me semblait indiscutable : sa silhouette dégingandée, son crâne chauve et ses rides qui lui donnaient cet aspect flétri.

— Entre autres... ajouta David, si bas que j'avais failli ne pas l'entendre.

Il me jaugeait du coin de l'œil, retenant son rire.

Doublement outragée, je me jetai sur lui, et s'ensuivit une bataille mémorable – que je perdis cependant. L'important c'est de remporter la guerre, n'est-ce pas ?

À la fin de nos chamailleries, le soleil se couchait déjà, embrasant le ciel floridien de mille reflets ocres. Ça me rappelait douloureusement l'enfer et... le reste.

Pendant presque une journée entière j'avais réussi à éviter d'y songer, mais à présent, je savais que ces pensées ne me quitteraient plus de la soirée.

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