TW : Suicide. Un nouvelle fois, je réitère cet avertissement : cette histoire ne fait en aucun cas la promotion ni n'encourage le suicide. Si vous souffrez de troubles psychiques, recherchez de l'aide auprès de professionnels de santé.
Meine - Daso
Lorsque je me décidai à regagner la salle principale, le cœur toujours aussi serré, je m'évertuai à la traverser aussi vite que je le pus. J'avais presque quitté les festivités quand une main aux ongles vernis se referma sur mon bras.
— Danse avec nous ! s'égosilla-Cassie, en nage.
Ses cheveux lui collaient au front.
— Non, je rentre, refusai-je trop préoccupée pour feindre l'amusement.
— Allez !
Elle essaya de me retenir, au lieu de quoi elle tituba lamentablement avant de s'effondrer à plat ventre sur le sol. Les élèves autour s'écartèrent, d'abord surpris, puis la désapprobation et le mépris se lurent dans leurs regards.
— Qu'est-ce que tu lui as donné ?! accusai-je Charlie.
Il se chargea de relever Cassie, et je me résignai à lui prêter main forte pour la soutenir jusqu'à l'extérieur. Mieux valait qu'aucun prof ne la découvre dans cet état d'ébriété.
— Rien... enfin, juste un peu de vodka, avoua Charlie après que je lui ai jeté un regard inquisiteur.
J'étais folle de rage. Folle de rage qu'on me fasse ce coup-là, à un moment pareil.
— Combien ? sifflai-je entre mes dents.
Comme pour me répondre, il sortit une flasque en métal de sa poche, l'ouvrit puis la retourna. Pas une goutte n'en tomba. Elle était vide ; ils avaient tout bu.
Mes yeux se plissèrent pour devenir deux petites visières pleines de haine que je pointai en direction du lycéen. M'occuper d'amis bourrés était à l'opposé de mes préoccupations actuelles. Quant à Cassie – qui se conduisait en parfaite poupée de chiffon –, elle me donnait des envies de meurtre. Tout son poids reposait de mon côté, moi qui me tenais sur des talons de dix centimètres. J'aurais hurlé de rage et de douleur si ma fierté ne m'en avait empêchée.
Nous fîmes aussi vite que possible pour la sortir de l'enceinte du lycée, et dès que nous atteignîmes le parking, je la poussai dans les bras de Charlie. Mes orteils étaient en feu. En grimaçant, j'ôtai mes escarpins et continuai pieds nus.
— Où est ce que tu vas ? me lança Charlie tandis que je m'avançais sur la route.
— Je prends un taxi !
À bout de nerfs, je jetai mes chaussures et ma faux sur le trottoir.
— Attends ! Qu'est-ce que je fais... d'elle? m'apostropha-t-il en désignant de la tête Cassie, qu'il tenait péniblement.
Elle était passée par toutes les gammes de couleurs jusqu'à se figer dans un vert des plus improbables.
— Ça c'est ton problème, mon petit père ! Ça n'est pas moi qui aie jugé intelligent de proposer de la vodka à une fille encore très ébranlée par un D-E-C-E-S, m'écriai-je en épelant le dernier mot. (Le visage de Charlie s'affaissa.) Puisque tu as trop bu pour la raccompagner chez elle, appelle ses parents !
J'essayais de rester calme mais la situation m'exaspérait.
— Ou mieux, appelle Ethan ! m'emportai-je depuis le trottoir d'en face. Peut-être qu'il réalisera ce qu'il lui inflige en étant si distant.
Prenant (enfin) conscience d'être l'objet de la discussion, Cassie releva le menton.
— Oh non ! supplia-t-elle. Ne me ramenez pas chez moi ! Mes...
Elle s'interrompit, baissa la tête et fut parcourue d'un frisson. Deux rafales de vomi jaillirent de ses lèvres entrouvertes et vinrent s'écraser sur les baskets de Charlie. La mâchoire lui en tomba de dégoût. J'éclatai d'un rire nerveux tandis que Cassie s'essuyait avec sa manche, sans se démonter.
— Mes parents ne doivent pas me voir dans cet état...
Charlie avait toujours le regard braqué sur ses pieds couverts de ce liquide grumeleux.
— Mes... mes chaussures, hoqueta-t-il en état de choc.
— Je te les rembourserai, bafouilla Cassie.
La tête entre mes mains, j'avais fermé les yeux pour faire disparaitre la scène pathétique qui se jouait devant moi.
— Eléonore ?
Cassie dut m'appeler encore plusieurs fois avant que je daigne enfin lever le regard.
— Est-ce que je peux dormir chez toi ?
NON ! NON et NON ! Merde, alors !
J'avais déjà d'autres projets – surtout un, à vrai dire –, et n'étais pas dans de bonnes dispositions. Sur le point de refuser, je levai les yeux au ciel.
Il était dégagé, les étoiles scintillaient. Je ne sais pas si c'était le fait d'avoir évoqué Sarah, mais en observant l'immensité du cosmos, le souvenir de cette terrible soirée me revint en mémoire – la sensation de vide couplée à la peur lorsque la voiture avait plongée dans le noir, l'explosion dans mes tympans et mon crâne quand elle était retombée en tonneaux, et ces bras frêles qui m'avaient tirée de la carcasse peu après.
La nuit de l'accident, Cassie m'avait sauvée. Sans elle, je serais morte dans cette épave. Même si la situation n'avait rien de comparable, c'était elle qui avait besoin de mon aide, cette fois. Et il était impensable que je la laisse tomber.
Je soufflai avec agacement, pour la forme.
— Règle numéro une, dis-je en levant l'index, interdiction de vomir ailleurs que dans les toilettes. Règle numé...
— Merci, merci, merci !
Cassie m'avait rejointe de l'autre côté de la rue en chancelant. Elle ouvrit les bras pour me serrer contre elle mais je m'écartai afin d'échapper à son étreinte. Je m'armai de ma faux et la brandis avec vigueur.
— NON ! me récriai-je en ignorant sa mine vexée. Tu es dégoutante... Interdiction de m'approcher à moins d'un mètre.
***
Le trajet en taxi avait été un véritable calvaire. Le chauffeur avait dû marquer des arrêts tous les cents mètres afin que Cassie puisse vomir dans la rue.
La grande classe !
Sans parler du monologue qu'elle m'avait tenu dans la voiture pendant qu'elle sanglotait. C'était typique des personnes alcoolisées de s'épancher, mais dans le cas de Cassie, ça m'avait beaucoup attristée.
— J'essaye vraiment de faire de mon mieux pour continuer. Je lutte, tu sais. Tu le sais, pas vrai ? (J'avais acquiescé, la gorge nouée.) Après tout ce par quoi je suis passée avec mon voisin, et puis Sarah, tu crois qu'il pense à moi ?! Qu'il se demande comment j'arrive encore à me lever le matin ?!
En parlant d'Ethan, elle s'était effondrée complètement, et moi, j'avais les larmes aux yeux.
Je crois que le chauffeur nous avait pris en pitié. Il ne me réclama que quelques dollars, alors que la course s'était éternisée. J'insistai pour payer le vrai tarif mais il jugea cela inutile. L'air affligé, il souhaita à Cassie un bon rétablissement, puis nous quittâmes le taxi.
Dans l'ascenseur elle s'endormit à moitié, et une fois dans le couloir, je dus la diriger pour éviter qu'elle ne se cogne contre les murs. La porte d'entrée à peine refermée, Cassie somnolait déjà sur le canapé. Craignant qu'elle ne conserve ce regard d'assassin pour le restant de ses jours – ou qu'elle ne soit victime d'une infection qui la rendrait aveugle – et comme elle n'était plus en mesure de s'en charger, je lui retirai ses lentilles. Elle ne se réveilla même pas au cours de l'opération.
Avant de la laisser dessaouler en paix, je lui glissai l'un de mes coussins sous la tête, et la recouvris d'un plaid.
Dès que je fus seule dans ma chambre, mes pensées se recentrèrent sur ma petite personne – pour changer – et l'angoisse me rattrapa. Les causes étaient multiples et comprenaient bien sûr la fâcheuse irruption de Santos dans la loge, mais la plus préoccupante, c'était ma mort imminente. Ça me terrifiait.
Ma vue s'embua et je retins un sanglot.
Courage, Ingalls !
Me mordant le poing, je ravalai mes larmes. Je n'avais pas le droit de me défiler à ce stade. Je devais aller jusqu'au bout. Sans ça, je continuerais d'imaginer le pire pour Sarah et je me savais incapable de vivre avec cette incertitude au fond de mon cœur. Convaincue par cette idée, j'essuyai mes yeux humides.
J'étais certaine d'être ensuite allée me démaquiller dans la salle de bain, parce que c'est une habitude, mais je n'en gardais aucun souvenir. Allongée sur mon lit, mes pensées étaient déjà loin, accaparées par la seringue remplie de thiopenthal que je tenais entre mes doigts tremblants.
À cet instant, la seule chose qui me permettait de ne pas me raviser était le caractère provisoire de mon décès. J'allais revenir d'entre les morts, renaitre comme le phénix. C'est en tout cas ce qu'avait suggéré Cameron. Mais pouvais-je vraiment accorder ma confiance au diable ? N'essayait-il pas de me piéger ? Et si telle était son intention, à quelles fins ?
Toutes ces interrogations finiraient par me consumer aussi surement que le barbiturique me tuerais.
Lasse de tergiverser, je pinçai la peau de ma cuisse entre mon pouce et mon index. De l'autre main, je plantai l'aiguille d'un geste sec et avant de le regretter – ce qui n'allait pas tarder –, j'injectai la solution.
Je n'avais pas eu mal ; un simple picotement – même pas désagréable. Mais en relâchant le pli de ma cuisse, je sentis ce venin mortel se propager en moi à une vitesse folle. Il gagna mon système nerveux central, plus vite encore que la peur qui me saisissait.
Prise de vertiges, la seringue me glissa des doigts et je l'entendis rouler sur le parquet.
Je reposai ma tête sur l'oreiller, soudain groggy.
À chaque clignement de mes paupières, la pièce vacillait davantage. Elle eut tôt fait de tourner autour de moi, tel un manège infernal, et de m'emporter au cœur d'un univers psychédélique, tantôt vif et tumultueux, tantôt calme et onirique.
Cela ne dura pas.
Les premiers effets éblouissants du shoot passés, ma respiration, devenue lente et superficielle, cessa pour de bon. S'ensuivie alors une cascade de dysfonctionnements.
Je sentis les battements erratiques de mon cœur s'interrompre et toutes les connexions de mon cerveau disjoncter. Le flot bouillonnant de mes pensées se tarit si vite que je n'eus pas conscience des formes et des couleurs qui s'estompaient, unes à unes. Encore moins eus-je conscience que ces dernières secondes marquaient la fin de ma vie.
Mon regard se perdit dans le lointain et les ténèbres m'engloutirent comme un ogre affamé.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top