49-
Fuck Art - The Guidance
Il n'y avait pas qu'avec les élèves que la situation stagnait en eau trouble. Durant les semaines qui s'étaient écoulées, David et moi étions allés d'avancés en reculades. À mon grand désarroi, nos conversations passionnées après les cours dans les couloirs déserts du lycée, n'avaient pas suffi à le faire dévier de sa ligne de conduite. Pas plus d'ailleurs que mes regards et postures équivoques. De quoi blesser mon orgueil.
Après un bref sursis, le taxi finit par ralentir puis s'arrêter sur le parking du lycée, mettant un terme à mes réflexions pitoyables. À regret, je réprimai l'envie de faire demi-tour et me jetai dans l'arène.
J'extirpai péniblement ma faux par le coffre. Si j'avais rêvé d'une arrivée discrète et élégante, c'était à présent fortement compromis. Plusieurs groupes d'élèves disséminés sur le parking s'étaient retournés vers moi. L'avantage, c'est qu'à cette heure, le gros de l'affluence se trouvait déjà dans l'enceinte du lycée. Parfois, le retard avait du bon...
Comme pour réfuter cette pensée sacrilège, Cassie bondit sur moi plus vite qu'un chat affamé sur une souris replète.
— Eh bah, c'est pas trop tôt !
Elle me tira par le bras pour m'entrainer vers le lieu des festivités.
— Désolé, j'ai un peu trainé, marmonnai-je, le regard fuyant.
Le lycée était méconnaissable. Les colonnes grecques de l'entrée, habituellement immaculées, étaient ce soir habillées de plantes grimpantes et de citrouilles illuminées. Un vidéoprojecteur, installé en bas des marches, se chargeait de diffuser sur la façade des extraits de L'exorciste. Pendant que Cassie me remontait sévèrement les bretelles, comme je m'y étais attendue, c'est la scène de l'escalier qui passait. J'adorais ce moment, la manière qu'avait la gamine de dévaler les escaliers sur le dos comme une araignée, je trouvais ça cocasse.
Mon sourire parut agacer Cassie. Elle me considéra de ses deux iris rouges.
— T'es déguisée en quoi au juste ?
Elle avait découvert deux canines plus longues et plus pointues qu'à l'ordinaire. Sa peau était presque aussi blanche que la mienne, et des trainées d'un liquide ressemblant à du sang partaient du coin de ses lèvres pour descendre jusqu'à son menton. Quant à sa robe, elle était... osée. Courte, et d'un rouge écarlate, elle disposait d'un corset noir lacé sur le devant qui faisait saillir sa poitrine. Une collerette en dentelle lui entourait le cou, ce qui n'avait pas franchement l'air confortable.
— Je suis vêtue de noir, j'ai une cape, une faux, je suis je suis... ?
— J'en sais rien moi, une paysanne fêlée ? Genre « Ingalls Psycho » ?
Je secouai la tête, atterrée.
— Regarde, je suis très blanche...
— Comme d'habitude, coupa-t-elle en pouffant cette fois.
Bon, c'est vrai, je n'avais pas eu à forcer le maquillage. C'était l'avantage d'incarner son propre personnage, je suppose.
— Je suis la Mort, m'agaçai-je.
Même avec tout cet attirail, elle n'était pas fichue de me reconnaître. Lasse, je retirai ma capuche.
— Original, concéda-t-elle en tachant de reprendre son sérieux.
Je levai les yeux au ciel pour lui signifier d'aller se faire voir.
— Et toi, arrête avec les vampires, ok ? C'est plus à la mode.
Elle renversa la tête en arrière, faisant virevolter sa chevelure comme dans une pub L'Oréal.
— C'est TOU-JOURS à la mode les vampires.
Je fis mine de réprouver l'idée, par simple esprit de contradiction. En réaction, elle se lança dans un débat auquel je refusai de participer. Pendant qu'elle s'appliquait à me faire une démonstration par A+B, je m'approchai du stand dont semblait provenir l'alléchante odeur de tarte à la citrouille. Installé à l'extrémité du parking, il s'agissait davantage d'une roulotte que d'un stand à proprement parlé. Une élève au visage juvénile, probablement une seconde, s'occupait de servir la succession de créatures qui patientaient. Devant nous, Norman Bates et Jigsaw se disputaient pour une sombre histoire de post Instagram. Chewbacca faisait office de médiateur. Ça n'était pas gagné...
Je passai une main sur mon ventre douloureusement vide. Déjà avant de partir, j'avais l'estomac noué. Je n'étais pas parvenue à avaler quoi que ce soit. Et maintenant que la tension était à son comble, je sentais la nausée remonter dans ma gorge. Il fallait que j'ingurgite quelque chose de toute urgence. Sinon je risquais moi-même de jouer sous peu une autre scène de L'exorciste.
— Un pique-nique sur le parking ?! Quelle excellente idée, soupira Vampirella, les bras croisés. Ce n'est pas comme si on était en train de tout rater...
Je roulai ostensiblement des yeux.
— Rater quoi ? Notre lapidation en place publique ?
— Tu exagères, comme toujours.
— Bah voyons... Aux dernières nouvelles, ce n'est pas toi qu'on regarde de travers dans les couloirs.
Cassie se tourna complètement vers moi. Elle sembla se radoucir, même si cela restait difficile à déterminer à cause de son regard inquiétant.
— Je suis certaine que tu te fais des idées. C'est le syndrome du survivant. Tu te sens coupable, du coup tu imagines des choses.
Ah, Cassie et sa psychologie de magazine féminin... À tous les coups, elle avait lu un article à ce sujet la veille, et pensait désormais détenir la vérité absolue. Je ne lui fis pas le plaisir d'entrer dans son jeu. Je profitai que ça soit mon tour de commander, pour tourner court à la conversation. Je demandai à Cassie si elle voulait quelque chose, mais elle refusa d'un signe de tête. Je m'en tins donc à une part de tarte, un paquet de chips et un coca.
— De toute façon, que je sois folle ou pas, il faut bien qu'on attende les autres, non ?
Je tendis la monnaie, et en échange, je récupérai mon dû.
— Je n'ai pas jamais dit que t'étais cinglée. Tu déformes tout...
Tandis qu'on s'éloignait du stand pour s'installer sur la plus haute marche, près de l'entrée du lycée, Cassie attendit vainement que je rebondisse.
— Charlie, Jenny et Duncan ont du retard, reprit-elle.
— Plus que moi tu veux dire ?
Sans relever ma pique, elle continua :
— Ils sont passés chez Ethan pour tenter de le convaincre de venir.
— Et ?
— Refus catégorique, soupira-t-elle en s'asseyant.
Depuis qu'on avait eu cette discussion dans la classe, Ethan et moi ne nous étions pas reparlés. On ne le voyait plus beaucoup à présent. Il s'était peu à peu mis en retrait, jusqu'à disparaître du paysage. Parfois, il lui arrivait de trainer avec Duncan et Charlie après les cours, mais la plupart du temps il filait directement chez lui. La situation affectait Cassie, même si elle s'évertuait à faire comme si tout allait pour le mieux. Elle se démenait avec un tel entrain, qu'il ne trompait personne... Au fond, sa passion pour la psychologie visait sûrement à rationaliser les comportements incompréhensibles de ses proches.
Pour tout réconfort, j'agitai le paquet de chips sous son nez. Elle en tira une généreuse poignée qu'elle mangea en silence, probablement parce que ses fausses dents lui compliquaient la tâche. Moi non plus, je ne disais rien. Je mâchais par petits bouts, ma gorge était serrée. Dans ce genre de cas, le coca était indispensable. Il aidait en grande partie à fluidifier le passage dans l'œsophage.
Je croquais un bout, mastiquais au maximum puis descendais une gorgée. Et je recommençais. Ma dernière bouchée engloutie, je m'essuyai les mains sur la serviette en papier puis me levai. Le parking s'était vidé, nous étions désormais seules. Les autres tardaient toujours à arriver, si bien que je n'avais plus le choix. Me tournant vers Cassie, je me gonflai du peu d'enthousiasme que j'étais en mesure de simuler.
— On y va ?
Elle sauta vivement sur ses talons.
— Tu vas voir, on va s'amuser ! On en a bien besoin...
J'acquiesçai à sa deuxième affirmation. C'était la seule avec laquelle j'étais en phase. Derrière son dos, je m'autorisai à grimacer tandis que je balançais mes déchets à la poubelle.
En pénétrant dans le lycée, je constatai que la décoration intérieure n'était pas en reste. D'immondes araignées avaient tissé leur toile au plafond, des balais de sorcières poussiéreux étaient fixés au mur, et des ballons orange et noirs voletaient dans le hall sous l'effet des courants d'air.
À mon étonnement, Cassie m'entraina directement vers l'extérieur. Les lueurs vacillantes des citrouilles dansaient dans l'obscurité. Serpentant à travers le parc, elles dessinaient un chemin sinueux. Nous n'eûmes qu'à nous laisser guider, sous les regards indiscrets des chauve-souris perchées dans les arbres. Les feuilles mortes crissaient sous nos pas tandis que l'écho lointain d'une musique nous parvenait, étouffé. Nous contournâmes le gymnase pour arriver vers une zone qui m'était inconnue. Je ne m'étais encore jamais aventurée aussi loin.
Derrière une rangée dense de conifères, apparurent les contours d'un bâtiment cubique qui s'élevait sur deux étages. Les décibels commencèrent à s'affoler à mesure qu'on s'en approchait. Des éclairs de lumières stroboscopiques jaillissaient depuis les baies vitrées. Ça changeait du vieux gymnase et de l'odeur de sueur auxquels j'avais eu le droit lors de ma précédente scolarité.
— Pas mal, hein ?
Même si j'en avais eu envie, je ne voyais pas comment j'aurais pu contredire Cassie. Elle se mit à rire, et sans attendre ma réponse, plongea au cœur de la fête. Je lui emboitai le pas, persuadée de bientôt le regretter.
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