44-
Kiss me - Sixpence None the Richer / Pomplamoose
Après quelques secondes, le claquement de la vieille tuyauterie se fit entendre, presque aussitôt suivi du bruissement de la douche. L'image de David, dans le plus simple appareil, atteignit alors mes pensées. Son corps athlétique se pressant sous le jet d'eau fraiche, la mousse parfumant sa peau, les gouttes ruisselant le long de son corps, ses mains frottant avec sensualité les secrets de son anatomie. Forcément, j'eus très envie de le rejoindre pour lui apporter mon aide, mais j'étais aussi consciente qu'il s'agissait là d'une idée désastreuse. Pour chasser ces pensées impures, je me dirigeai d'un pas timide vers la porte à ma droite. J'avais la sensation de violer l'intimité de David. Mais je me raisonnai, une visite du rez-de-chaussée n'était rien en comparaison d'une intrusion dans la salle de bain...
Quand je m'approchai, je découvris qu'il s'agissait de la cuisine. Elle était moderne, fonctionnelle. De larges plans de travail en bois clair entouraient l'îlot central. J'en profitai pour jeter mon gobelet dans la poubelle. Au passage, je remarquai deux tubes de médicaments posés à côté de l'évier, et j'eus la curiosité d'en lire l'étiquette. Phénitoïne. Dexaméthasone. Des noms qui ne m'évoquaient rien de particulier, mais me rappelaient l'état de David.
Quand je le voyais, je n'avais pas l'impression qu'il était malade. Il semblait si en forme, si fort, si... vivant. Réflexion absurde, bien entendu.
Regagnant l'entrée, je poursuivis ma visite au fond du couloir. J'y trouvai un salon et une salle à manger, toute en longueur. Une bibliothèque débordant d'ouvrages mangeait la moitié d'un mur. La table installée devant était assez grande pour accueillir huit convives. David avait remplacé les chaises par deux bancs, et je pensai qu'en plus de gagner de la place, c'était de bon goût.
De l'autre côté de la pièce, il y avait le salon et, entre les deux espaces, une cheminée. Il avait disposé devant l'âtre deux fauteuils en cuir, une petite table basse et un tapis circulaire. Un canapé en velours rouge était astucieusement glissé dans le bow-window côté rue. Les grandes fenêtres montées tout le long permettait à la lumière du soleil de s'infiltrer pour baigner le séjour.
Je m'assis sur le canapé et m'imprégnai des lieux. Je m'y sentais bien. Une agréable et familière odeur parvenait à mes narines. J'attrapai le coussin qui trainait à côté et plongeai mon nez dedans. Il sentait... David. Ce parfum aux notes boisés. Si je m'étais écoutée, je me serais allongée en le serrant fort contre moi. Mais ça, c'était avant que le proprio ne déboule sans prévenir...
— Tu veux boire quelque chose ?
J'éloignai aussitôt le coussin et fis semblant de m'intéresser à ses coutures. Je n'avais aucune idée, si oui ou non David m'avait vu faire, et je crois qu'au fond, je préférais l'ignorer.
Il n'était pas descendu avec une simple serviette enroulée autour de la taille comme j'avais pu inconsciemment en rêver... Il avait enfilé une chemise en jean et un chino beige.
— Qu'est-ce que vous proposez M.Petterson ?
— Et si tu m'appelais David pour commencer ? C'est très perturbant de te voir assise dans ce canapé en me parlant comme à un vieux prof acariâtre...
— Alors que vous n'êtes pas vieux du tout.
— Et acariâtre non plus, merci !
Ses lèvres esquissèrent un sourire, puis il partit en direction de la cuisine où je le suivis. Il ouvrit le réfrigérateur et me proposa tout un tas de boissons, mais je choisis la première qu'il avait énoncée : un jus de fruit quelconque. Les tubes de médicaments avaient disparu. Rangés hors de ma vue, je suppose.
Pendant qu'il nous remplissait deux grands verres, je m'assis sur l'îlot. Il m'avait dit de faire comme chez moi, et je comptais bien le prendre au mot.
— Ça fait longtemps que tu as emménagé ici ? m'enquis-je en balançant mes pieds.
— En fait, j'y ai toujours habité. (Il m'imita en se hissant sur le meuble et me tendit un verre.) J'ai juste fait quelques travaux de rafraichissement et de la déco.
— Oh, tes parents te l'ont léguée ?
J'avalai plusieurs gorgées, j'avais l'impression d'avoir la gorge sèche.
— Ma mère, oui. C'était trop difficile pour elle de continuer à y habiter. (Il s'interrompit quelques secondes avant de reprendre.) C'est ici qu'elle et mon père se sont installés avant qu'il ne décède. Après des années entre ces murs plein de souvenirs, elle a eu besoin d'aller de l'avant, de recommencer à zéro en Floride.
— Et elle n'a jamais songé à la vendre pendant tout ce temps ?
David répondit par la négative.
— Encore aujourd'hui, elle reste très attachée à la maison. Elle ne voulait pas la voir tomber entre les mains d'un inconnu.
Je reportai mon attention sur mon verre.
— Et pour toi, ça n'est pas compliqué ? Je veux dire... Tu n'as pas eu envie de suivre ta mère en Floride et de laisser ton passé derrière toi ?
Sa réponse fut franche et sans détour.
— Quand mon père est décédé, je n'avais que quelques mois. Donc je n'éprouve pas de nostalgie particulière. Je n'ai que de bons souvenirs ici.
D'un côté, j'imaginais que ça avait dû faciliter les choses pour David de ne pas connaître son père. Ça lui avait épargné la douleur du deuil. De l'autre, je me disais que malgré tout, il avait dû ressentir un manque.
— Et puis, ma vie a toujours été à San Francisco. Je ne me serais pas imaginé vivre ailleurs, excepté, peut-être, à Paris. (Il me sourit mais l'emploi du passé dans sa phrase me désola.) Assez parlé de moi, s'empressa-t-il d'ajouter, comme s'il avait décelé la mélancolie dans mon regard. Alors ? C'est vraiment un hasard si tu es passée devant chez moi ce matin ?
Profondément gênée, je détournai les yeux. Les battements de mon cœur se firent pressants. Une chaleur familière me montait aux joues.
— Pas tout à fait, dis-je en reposant mon verre. Je tenais à te présenter des excuses pour la manière dont j'ai réagi hier. Et puis...
Je levai le regard.
— J'ai commis une erreur.
— Une erreur ?
Une profonde incompréhension noyait ses yeux.
— Comme cette stupide Eugénie, j'ai fait exactement le contraire de ce que j'aurais dû faire...
Il se mit à me dévisager encore davantage.
Faute de trouver les mots, mon corps prit le contrôle : il se pencha de lui-même. J'aurais aimé que le mouvement vienne de David, car j'étais loin d'être entreprenante et me savais maladroite, mais à cet instant, c'était plus fort que moi.
Lui n'avait pas bougé d'un pouce, il s'était figé.
Nos visages n'étaient maintenant plus qu'à quelques centimètres l'un de l'autre. Son souffle effleura ma peau. Puis ce fut comme s'il avait cessé de respirer. Je comblai alors les derniers millimètres. Ma bouche, hésitante, frôla la sienne, gonflant mon cœur d'un sentiment vertigineux ; d'appréhension et d'extase. Si grisant que je ne pus qu'y succomber. J'étendis la nuque au maximum et gouttai pleinement à la chaleur interdite de ses lèvres. La douce pression que je venais d'y apposer s'affermit brusquement... Diable ! Il me rendait mon baiser.
Sa bouche... sa si belle bouche ondoyait, mue par le même désir. Sa main se perdit dans mes cheveux et descendit ensuite sur mon cou ; ma température grimpa subitement. Puis elle glissa lentement jusqu'à mon épaule, y déclenchant de délicieux frissons.
Le souffle court, je haletai contre sa bouche entrouverte. Sa barbe naissante chatouillait ma joue. Il émit un grognement étouffé et, à ma surprise, m'éloigna de lui.
— Ce n'est pas une bonne idée.
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