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Lovefool - Pomplamoose

Fébrile, je changeai de trottoir, grimpai les marches du perron et frappai à la porte. Je reculai d'un pas et attendis un long moment, mais elle resta close. Je frappai encore, avec plus de force. Et encore, personne de vint m'ouvrir.

Ça me faisait craindre le pire. Il y avait une multitude de raisons pour expliquer son absence, mais j'étais effrayée que sa tumeur lui ait causé une autre crise. Une plus grave. Une qui me l'enlèverait à jamais. Le seul fait d'envisager qu'il était peut-être déjà trop tard provoqua un séisme dans ma poitrine. Les failles tectoniques de mon cœur s'ouvrirent, m'écartelant de l'intérieur.

— Eléonore ?

Je tressaillis de surprise et me retournai en lâchant un soupir de soulagement. Au seul son de sa voix, mes blessures intérieures avaient instantanément guéri.

— Tout va bien ?

Il m'observait comme s'il s'attendait à ce que je m'effondre en pleurs.

— Ça va, oui.

Il plissa les yeux, n'en croyant pas un mot. Je soutins son regard avec sérénité et il finit par capituler. Il se baissa en tendant ses bras vers ses pieds pour s'étirer.

— Qu'est-ce que tu fais là ?

Il ruisselait de transpiration dans sa tenue de sport.

— Eh bien...

— Attends, laisse-moi deviner, se ravisa-t-il. Tu viens m'apporter le café ?

Il s'était redressé pour me décocher un de ses sourires taquins. Je constatai qu'il n'était pas fâché, en dépit des horreurs que je lui avais balancé au visage, la veille.

— Pas du tout, répondis-je désolée et presque honteuse en regardant mon gobelet en carton.

Ses traits prirent une expression ironique.

— Donc je présume que tu ne reviendras pas sur ta décision. Tu ne chercheras jamais à te faire pardonner d'avoir renversé ce café brulant sur mon pantalon.

Mes lèvres se tendirent malgré moi.

— Techniquement, je n'ai rien renversé du tout. Au moment fatidique, c'est vous qui l'aviez dans les mains.

— Pour la différence que ça fait, argua-t-il.

Il y eut un blanc pendant lequel nous nous regardâmes, et je me sentis gênée au point que j'enchainai :

— En fait, pour être honnête, si je suis venue les mains vides c'est que je n'avais pas vraiment prévu de passer.

Il haussa un sourcil, intrigué.

— Qu'est-ce qui t'a décidé ?

— J'étais dans le coin, abrégeai-je.

Il me scruta avec intensité mais j'en restai là dans mes explications. Pour faire bonne mesure, je haussai les épaules. Je ne voulais pas mentionner la potentielle existence d'une force surnaturelle ou cosmique qui me poussait vers lui. Pas plus que m'épancher sur mes sentiments. J'avais encore du mal à les appréhender, et j'étais à peu près certaine d'être incapable de les formuler à voix haute sans bégayer.

— Une chance que tu saches où j'habite, alors, fit-il remarquer en esquissant encore un sourire.

Oh non...

Je n'avais pas à connaître son adresse. En rougissant, je bafouillai une excuse inintelligible qu'il eut l'élégance d'ignorer.

— Puisque tu es là, tu veux entrer ?

Il désigna du menton la porte derrière moi.

— Je ne sais pas si ça serait correct vis à vis de votre petite amie, soulignai-je, même si je me fichais éperdument des états d'âmes de Tanya.

Je voulais juste éviter de passer pour la fille désespérée, la stalkeuse. Même si je devais déjà être cataloguée, et ce depuis un bon moment...

Il fronça les sourcils.

— Quelle petite amie ?

WHAT ?!

Avec combien de filles batifolait-il en même temps pour ignorer de qui je voulais parler ?!

Je clignai des yeux, accusant le coup. Entre temps, David avait grimpé les marches et se retrouvait soudain très près de moi. Son regard brillait d'amusement alors que le mien se faisait passablement outré.

— Entendons-nous bien, rectifia-t-il en levant son index, je ne suis pas polygame et je n'ai jamais eu qu'une seule relation à la fois. (Les muscles de mes épaules se détendirent, sans doute de manière trop flagrante, car je vis son sourire s'élargir, faisant ressortir sa fossette.) Ma question visait justement à souligner que je n'ai pas de petite amie. Que je n'en ai plus, en tout cas. Je suis étonné que tu puisses imaginer le contraire.

Son sourire avait flanché et je vis une écume de déception se déposer sur la mer de son regard.

— C'est ce que j'ai... entendu.

Il secoua la tête en signe d'agacement.

— Sally j'imagine... Qu'a-t-elle raconté d'autre ?

— Euh... elle a mentionné une certaine Tanya, je crois, dis-je en faisant semblant d'hésiter sur son prénom.

— C'est de l'histoire ancienne, trancha-t-il.

J'avais donc vu juste. Ils avaient été plus que des amis.

— Pourquoi ça s'est fini ? demandai-je, sans tact.

David passa devant moi, sortit les clés de son jogging et ouvrit la porte. Il la retint pour me laisser entrer, et dès que j'eus franchis le seuil, il la laissa se refermer d'elle-même. Le fond sonore de la ville s'estompa, nous plongeant dans une atmosphère inédite – intime.

— Des tas de petits désaccords accumulés. Et un autre, plus important, sur lequel nous étions irréconciliables, déclara-t-il en posant sa main sur la rampe d'escalier à sa gauche.

— Elle voulait tout repeindre en rose, c'est ça ?! plaisantai-je en regardant autour de moi.

La décoration se voulait sobre et épurée. Dans l'entrée, il n'y avait aucun meuble, les murs étaient blancs et un ancien parquet grinçait sous mes pieds.

— Elle n'acceptait pas ma décision de me passer de traitement. (David parut peiné à ce souvenir.) Grâce à des relations à son travail, elle avait réussi à prendre rendez-vous avec les meilleurs spécialistes de Californie, et chaque fois c'était pareil : des disputes interminables à propos de traitements supposés révolutionnaire ou de chirurgies qui auraient même effrayé le docteur Frankestein...

Je grimaçai.

— Est-ce qu'au moins ça avait des chances de réussir ?

Il soupira.

— D'après tous les médecins, elles étaient très minces. Quasi inexistantes. Et même en cas de succès, le risque de récidive était élevé. (Il secoua la tête.) Par contre, je devais signer une jolie décharge. Comme quoi j'acceptais les risques. (Son sourire se fit sarcastique.) Tu comprends, des fois que ça aurait mal tourné ! Ça disait qu'il était possible que je perde l'usage de la parole, et tout un tas d'autres capacités cognitives. Alors... jouer au cobaye, très peu pour moi !

Je le contemplais en pensant combien lui et moi étions différents. Depuis toujours je m'étais cramponnée à la vie. Et même si, pour moi, elle se résumait à un saut d'obstacles perpétuel, alternant perte d'être chers et désillusions en tout genre, jamais je n'y aurais volontairement renoncé. À la place de David, j'étais persuadée que j'aurais été prête à tout tenter ; à prendre des risques inconsidérés. Sa force de caractère et la capacité qu'il avait à accepter une situation aussi terrible et injuste m'impressionnaient.

— Je comprends, dis-je sans vraiment le penser.

Je me mordis la lèvre et David passa une main dans ses cheveux en regardant ailleurs.

— Bon, je vais me rendre présentable, décréta-t-il soudain comme pour clore le sujet.

Je le vis monter l'escalier, puis je l'entendis me crier depuis l'étage : « Fais comme chez toi ! ».

Je hochai la tête même s'il ne pouvait pas me voir.

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