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Loud Pipes - Ratatat

Ethan et Duncan n'avaient pas été enchantés d'apprendre que quatre étudiants-ingénieurs avaient invité leurs copines à une fête. Non, ils avaient même été passablement... mécontents. Penthouse ou pas. D'ailleurs, Cassie avait eu beau répéter ce mot, encore et encore, comme une formule magique, leur vision des choses n'avait pas varié d'un iota.

— Si vous ne nous aviez pas abandonnées toute la journée, peut-être que ce ne serait pas arrivé, avait sournoisement avancé Sarah.

Elle s'était bien sûr abstenue de préciser qu'on nous avait abordées dans la matinée. Que les garçons aient déjeuné avec nous, n'aurait du coup rien évité du tout. À part, sans doute, cette froide revanche.

— On est crevés ! On a surfé toute la journée.

— Surfé ? Tu veux dire, surfé, comme se tenir debout, les deux pieds sur une planche, dans l'eau ? Laisse-moi rire ! Dans votre cas, c'est la plongée sous-marine qui se rapproche le plus de ce que vous avez fait !

J'avais commencé à rire, mais devant la réaction des garçons, je m'étais corrigée. Comme Sarah plus tôt, j'avais tenté de faire passer ça pour une quinte de toux.

— On n'ira pas !

— Tant pis, avait-elle soupiré. Bonne soirée à vous !

— Quoi ? Vous y allez sans nous ?! s'était étranglé Ethan.

— Jenny, je t'interdis... avait débuté Duncan avec colère, avant de brusquement faire machine arrière face à l'expression courroucée de l'intéressée. Enfin... je ...

— TU QUOI ?!

Depuis que je la connaissais – c'est-à-dire pas longtemps –, Jenny avait toujours gardé un ton mesuré. C'était la première fois que je la voyais hors d'elle.

— J'IRAI SI ÇA ME CHANTE ! PIGÉ ?

— Pigé. Reçu cinq sur cinq, avait sagement battu en retraite Duncan.

Jenny, qui jusque-là ne tenait pas spécialement à cette fête, avait soudain manifesté un intérêt qui rivalisait avec celui de Cassie. C'était dire...

Dans cette histoire, seul Charlie s'était réjoui de la nouvelle. Peut-être, la présence annoncée de filles d'une quelconque sororité avait-elle quelque chose à voir là-dedans. Ou bien la simple perspective d'alcool gratuit suffisait-elle à l'émoustiller... Difficile de trancher.

En tout cas, maintenant que nous étions plantés comme des quilles devant la porte du dernier étage, personne n'osait frapper. Ethan et Duncan, par hostilité, pour ne pas dire, par sabotage ; les filles, par manque de courage ; et Charlie... pour dieu savait quelle raison ! Quant à moi, il y avait un peu de tout ça à la fois.

Chacun se renvoyait la balle à tour de rôle.

— Vous êtes sûrs que c'était vingt-deux heures ? demanda Jenny en regardant sa montre.

— Je ne sais plus trop, se débina Sarah.

On entendait pourtant la musique résonner de l'autre côté.

Ne tenant plus en place, Cassie tapa quelques coups précipités à la porte puis recula derrière les larges épaules de Charlie.

Quelques secondes plus tard, Fraternity Boy nous ouvrit, les yeux vitreux. Suivit un moment de flottement. Puis, lorsqu'il remit nos visages, son regard s'aiguisa et plusieurs émotions défilèrent successivement sur son visage : surprise, incrédulité et... frustration.

— Waouh, regardez-moi ça ! Vous êtes venus avec des amis. C'est... super.

— Petits amis, corrigèrent presque simultanément Ethan et Duncan.

— Encore mieux, grinça F.B entre ses dents, nous invitant d'une main à l'intérieur.

Une forte odeur de cigarette imprégnait l'entrée. Étonnant, dans un hôtel, pensai-je. Qui plus est, de ce standing. Je remarquai alors l'étrange montage au plafond. Les détecteurs de fumée avaient été obstrués avec des tissus et du scotch.

Brillante invention...

— Suivez-moi. Et essayez de ne pas pour perdre. Vous pourriez tomber sur des choses... d'ordre privé, disons.

Perplexe, j'observai la succession de portes fermées le long du couloir, essayant d'imaginer ce qu'elles cachaient.

— Allez, venez !

Sans plus de cérémonie, il se dirigea vers le salon qu'on devinait en arrière-plan, à travers l'atmosphère enfumée. D'un pas prudent, nous le suivîmes. Nous traversâmes ainsi le couloir, dépassant quelques invités qui s'alignaient devant une porte close.

Ils faisaient peur à voir. Pâles comme des linges et trempés de sueur. Certains vacillaient contre le mur, d'autres étaient carrément avachis par terre, attendant pour les toilettes. En voyant leur état, je finis de regretter de m'être tue à la piscine.

Pourquoi n'avais-je pas abondé dans le sens de Jenny ?! Avec un peu de conviction, peut-être aurais-je réussi à convaincre Cassie de renoncer à cette soirée...

« Sérieusement ?! » pouffa ma conscience.

Non, aucune chance, me consolai-je avec lucidité. Rien n'aurait pu l'en dissuader. Pas même une épidémie de lèpre particulièrement contagieuse.

Je pressai le pas en toussotant. L'air me piquait les yeux et me brulait la gorge. Une main couvrant mon nez et ma bouche, les paupières à moitié fermées, je fendis les derniers nuages de fumée, avant d'enfin atteindre le salon. Lui aussi était envahi d'une faune inquiétante, mais au moins, les baies vitrées étaient ouvertes. La perspective d'une mort par asphyxie s'éloignait donc.

Debout sur le piano, dans un coin de la pièce, une jeune rousse à la poitrine généreuse se balançait au rythme de la sono, un verre à la main. Galvanisée par les encouragements surexcités des garçons à ses pieds, elle retira son chemisier qui, pour finir, échoua sur la tête de l'un d'eux. L'exploit fut salué par une explosion de rires gras et d'acclamations.

­— Votre attention tout le monde ! s'écria soudain F.B.

Brandissant une bière qu'il venait d'attraper sur la table basse, jonchée de cadavres d'autres bouteilles, il mit fin au chahut.

— Les amis, j'ai le plaisir de vous annoncer que ce soir, nous recevons Berkeley !

Une salve indistincte de beuglements et de sifflets s'éleva de toute part. Si je n'avais surpris des sourires sur certains visages, je n'aurais su dire s'ils étaient amicaux ou hostiles.

— C'est quoi cette histoire ? souffla Duncan, à voix basse.

— Je vous expliquerai, couina Cassie, mal à l'aise.

Le calme revint rapidement. Enfin, pas le calme, disons... le cours normal de la soirée. Chacun reprit ses activités, ce qui signifiait pour la rousse : son effeuillage. De suite, la majeure partie de l'attention se reporta sur elle.

F.B. nous tendit à tous des bières.

— Vous les avez déjà vu ce matin, les filles, mais je vous présente Aaron, Ed et Connor, dit-il en désignant ses amis, enfoncés dans le grand canapé d'angle.

— Te fatigue pas Lloyd, elles sont prises tu vois bien, se moqua le prénommé Ed.

— Pas toutes, répliqua-t-il. Quatre filles et trois mecs.

Inconsciemment, je me rapprochai de Charlie. Le regard de Lloyd se planta alors sur Cassie.

— T'en fais pas, je plaisante, lui glissa-t-il avec un clin d'œil pour la rassurer, même si elle ne semblait pas particulièrement inquiète.

Les autres garçons se serrèrent pour nous laisser de la place sur le canapé. Je m'assis en bout. Si près du bord, que je faillis tomber à plusieurs reprises tandis que la discussion s'animait peu à peu entre les lycéens et les étudiants.

Étonnamment, Ethan et Duncan parurent bien s'entendre avec Ed et Connor. Tant qu'il était question de sport, et pas de séduire leurs petites amies, bien entendu. Aaron n'étant pas sensible aux charmes de la gent féminine, il n'était pas perçu comme une menace. Son intérêt tournait surtout autour de Charlie, et je ne sais pas si celui-ci en avait conscience ou pas. Quoi qu'il en soit, tous deux avaient bien sympathisé.

À cause de Cassie, chacun de nous avait été obligé de s'inventer une vie à la fac. Je prenais grand plaisir à voir les lycéens ramer dans leurs mensonges. Aucun d'eux ne m'aurait convaincue, ils n'avaient pas mon expérience. Moi, c'était un quotidien. Une seconde nature, pour ainsi dire. Je n'eus donc aucun mal à me rêver une vie d'étudiante en histoire, engagée dans deux associations : l'une de lutte pour la sauvegarde des baleines, et l'autre, d'aide aux plus démunis.

Rien que ça !

Oui, je faisais très fort. Les filles semblèrent éberluées par tant d'imagination.

La compagnie des étudiants n'était pas désagréable. Ils étaient même plutôt marrants en fait, si on excusait leur manque de manières. Mais quand à notre seconde bière, Ed sortit de sa poche un sachet rempli de comprimés de toutes les couleurs, mon estime pour eux retomba au ras des pâquerettes. J'en revins à ma première intuition : ils n'étaient pas fréquentables.

La drogue passa de mains en mains entre les étudiants.

— C'est quoi ? demanda naïvement Cassie.

Un sourire aux lèvres, Lloyd serra un cachet rose entre son pouce et son index.

— De la MDMA. T'as jamais essayé ?

— Non.

— T'en veux ?

— Euh... non, ça va.

Lloyd haussa les épaules.

— Tu sais pas ce que tu râtes, dit-il en avalant la pilule avec une gorgée de bière. Personne ?

Il agita le sachet nous le nez des lycéens. Leur réponse fut unanime.

­— Sans façon, refusa tout net Ethan.

— Pas très fun ces gens de Berkeley, glissa Lloyd à ses amis.

Peu de temps après, le comportement de nos « hôtes » commença à s'altérer de façon notable. Tour à tour, ils furent gagnés par un état fébrile, à la fois exubérant et euphorique. Lloyd, comme soudain monté sur ressorts, emmena danser Cassie au milieu du salon. Elle l'accompagna avec un grand sourire. Et à mon avis, pas seulement parce qu'elle adorait se déhancher sur ce genre de musique électro. Même si je n'approuvais pas la consommation de stupéfiants, je devais reconnaître que Lloyd était plutôt beau garçon. L'étudiant bad boy, c'était le fantasme intemporel des lycéennes. Cassie n'échappait pas à la règle.

Pendant ce temps, on devait se farcir Ed et Connor qui débloquaient. Ils parlaient sans s'écouter l'un l'autre et se coupaient sans arrêt la parole. Il en devenait compliqué de communiquer avec eux, ou même de les comprendre. Quant à Aaron, il se montrait de plus en plus tactile envers Charlie. Le lycéen paraissait désarçonné par ses avances. Au bout du deuxième baiser qu'il esquiva en amenant le goulot de sa bouteille à ses lèvres, je me résolus à lui porter secours. Je lui tapotai affectueusement la cuisse, geste qui me donna des frissons.

— On va fumer, bébé ?

J'avais essayé de prononcer ce dernier mot avec autant de douceur que possible, mais j'eus plutôt l'impression le cracher comme une glaire. Aaron se recula tout de même, un dépit amer contaminant progressivement son visage. Ethan, Sarah, Duncan et Jenny avaient ouvert de grands yeux ronds et Charlie me dévisageait comme si j'avais perdu la boule.

— Ça dérange pas si vous fumez là, soupira Aaron, désabusé.

— Un bol d'air nous fera du bien, affirmai-je en me levant.

J'attrapai la main de Charlie et nous fis contourner les danseurs, le piano et la pile de vêtements éparpillée tout autour. Enfin, nous traversâmes la partie de bière pong en cours sur le bureau pour prendre la direction de la baie vitrée.

— Mais... ni toi ni moi ne fumons, releva le lycéen une fois qu'on fut hors d'atteinte, sur la terrasse.

— Je le sais bien.

Il se gratta la tempe.

— Oh... souffla-t-il, comprenant enfin ma manœuvre. Merci. J'avais presque fini ma bière en plus alors...

J'acquiesçai.

— De rien. Mais ne t'attends plus jamais à m'entendre t'appeler bébé, me sentis-je obligée d'annoncer.

— C'est ce que tu viens de faire à l'instant, grimaça-t-il. Arrête, maintenant. C'est vraiment trop bizarre.

— Encore plus pour moi.

— Ouais, tu parles... J'ai bien vu que tu me matais ce matin.

— Mater, moi ?! m'étouffai-je, outrée d'être accusée de ce que je considérais comme de la pédophilie. C'était un attentat à la pudeur !

— Eléonore...

— Une exhibition, même ! m'emportai-je.

Charlie me secoua l'épaule pour me faire taire.

— Bon sang, Eléonore, je déconnais...

— Oh...

C'est là qu'un type, installé entre deux filles dans le jacuzzi, nous siffla. L'une d'elles était la rousse de tout à l'heure.

— Eh, v'nous rejoignez tous les deux ?

Malgré la lourdeur de la sollicitation, j'essayai (difficilement) de rester courtoise.

— J'ai pas mon maillot, c'est ballot.

— C'pas grave, t'sais ! Nous non plus, répliqua le type en rigolant.

Et pour nous le prouver, il se releva hors de l'eau. Oh, Diable ! Je tournai la tête, ce qui accrut son hilarité. Donc, pour résumer, il y avait dans ce jacuzzi un gars, deux filles et probablement autant d'IST. Si ce n'était plus...

Ce type avait probablement entendu le mot « exhibition » et pensait que ce genre de pratique nous branchait... Génial !

Soudain, Charlie passa un bras autour de mes épaules.

— Désolé mec, je partage pas.

— Ok... Dommage !

Penaud de ne pas avoir produit l'effet escompté, le type se rassit. C'est sûr qu'à côté de Charlie, il ne tenait pas la comparaison. À aucun niveau...

— Maintenant, on est quitte, me murmura le lycéen en me faisant avancer.

Il me guida jusqu'au garde-corps, avec pour intention, je présumais, de s'éloigner du jaccuzzi plutôt que pour la vue. Je m'accoudai, observant le va-et-vient immuable de l'océan. La petite brise de la nuit rafraichissait agréablement mes coups de soleil. Cassie m'avait bien dépannée en gel à l'Aloe vera, mais malgré l'épaisse couche que j'avais appliquée, ma peau demeurait encore brulante.

Nous restâmes un moment à observer la mer en silence. Ici, nous étions tranquilles. Hormis les étudiants qui barbotaient nus comme des vers, il n'y avait personne. Nous fîmes de notre mieux pour les ignorer, mais lorsque leurs rires stupides se muèrent en gémissements suspects, nous nous dépêchâmes de rentrer sans regarder ce qui se tramait dans le jacuzzi.

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