31-
La sensation au réveil fut déroutante. Déplaisante, surtout. J'avais l'impression qu'un bovin – très affectueux, semblait-il – me soufflait dans l'oreille. Mais ce n'était que Cassie. Elle avait roulé de mon côté, et s'étendait en diagonale en travers du lit, un bras par-dessus ma tête. Je la repoussai avec le coude en me demandant comment j'avais pu si bien dormir... L'épuisement, sans doute.
Entre les longs rideaux opaques, la lumière du soleil filtrait en raies intenses. La matinée semblait bien entamée, et visiblement, la chaleur serait encore au rendez-vous. Aujourd'hui, je l'apprécierais, c'est sûr, car je n'aurais pas à la subir. J'en tirerais partie. En clair : je ne comptais rien faire d'autre que me prélasser, sans lever le petit doigt. Et le premier qui dirait différemment... son sort serait scellé !
Stimulée par la promesse d'une journée de farniente, je m'arrachai des draps en essayant de ne pas réveiller la bête ronflante qui partageait ma couche. Je comptais prendre la salle de bain en otage avant qu'elle-même ne se l'accapare. Sur la pointe des pieds, je gagnai le couloir, dépassai la chambre de Charlie encore fermée, et poussai la porte de gauche.
Diable !
J'étouffai un cri.
Non, Charlie ne roupillait pas dans sa chambre comme on pouvait raisonnablement le supposer de quelqu'un qui s'était retrouvé ivre mort la veille – surprise ! Il se tenait debout dans la baignoire devant moi, droit comme un i, frappé de stupeur. Et torse nu.
L'étonnement passé, il attrapa la serviette sur le rebord, avec un temps de retard sur mon regard qui était descendu par réflexe. Non, il n'avait pas non plus oublié que son t-shirt... La poisse ! Je me cachai les yeux d'une main, tachant d'oublier cette partie de Charlie que je n'avais jamais demandé à rencontrer.
— P...p... pourquoi t'as pas mis le verrou ? bégayai-je à moitié en reculant.
— Oublié.
Je refermai la porte d'un coup sec, sans plus savoir si j'étais embarrassée ou agacée.
Agacée, en tout cas, je le fus très vite en trouvant Cassie dans mon dos. Une fois n'est pas coutume, je sursautai. Au moins, elle n'était pas nue, constatai-je une main sur le cœur.
— Ça va ? Je t'ai entendue crier... T'as vu un monstre, ou quoi ?
— Pas loin. Reste à distance de la salle de bain, c'est tout.
Bien entendu, elle entreprit de faire l'inverse, de telle sorte que je n'eus d'autre choix que de la saisir par le bras, et de l'entrainer au salon.
— Il vaudrait mieux laisser un brin d'intimité à Charlie, annonçai-je en me laissant tomber dans un fauteuil écru.
— Ne me dis pas que... Oh, c'est pas vrai ! s'exclama-t-elle d'une voix de celle qui venait d'entendre une excellente nouvelle.
Elle s'assit sur le canapé en face, ses mains couvrant une bonne partie de son visage, devenu rouge vif.
— Alors ?!
Je la regardai fixement. Pourquoi chuchotait-elle tout à coup ?
— Allez, donne des détails !
Je continuai de l'observer, totalement désemparée. Qu'attendait-elle de moi au juste ? Que je la renseigne sur l'état ses abdominaux ? Le développement de ses pectoraux ? Ou pire encore, de son...
Heureuse coïncidence, je n'eus pas le temps d'aller au bout de cette pensée. Derrière Cassie, le lycéen venait de faire son entrée dans le salon, vêtu d'un simple short, laissant son torse imberbe et humide à la vue de qui voulait bien le voir.
— Bien dormi les filles ? demanda-t-il en sautant par-dessus le dossier du canapé pour venir s'asseoir près de Cassie.
Au son de sa voix, cette dernière s'était crispée. Ses joues avaient encore gagné quelques teintes, mais en le découvrant ainsi dénudé, son regard déborda soudain d'enthousiasme.
— Pas mal, répondit-elle en essayant discrètement d'aplatir ses cheveux.
Égal à lui-même, Charlie arborait un grand sourire. Si gêne il avait éprouvé que le voie nu, elle s'était depuis évanouie. Trop occupé à plaisanter, comme à son habitude, il ne sembla pas remarquer l'intérêt manifeste que lui portait Cassie. Même pas quand à plusieurs reprises, elle se mit à loucher sur ses muscles en lui parlant.
Gênée d'assister à cette séance de matage en règle, je filai chercher des vêtements dans la chambre, avant de trouver refuge dans la salle de bain. Contrairement à Cassie, les atouts physiques indéniables de Charlie ne faisaient naitre en moi aucun émoi. Il était trop jeune à mon goût. Le seul fait de l'envisager de cette manière me paraissait dégoutant, à la limite du malsain. D'aucuns diraient, perfides, que Petterson n'était pas beaucoup plus âgé que Charlie (et bien moins que moi), et que pourtant, je le trouvais séduisant, lui. La différence, c'est qu'il était homme là où le lycéen n'était que garçon. Le distinguo était relativement facile à faire : les poils. Je parlais de la barbe, bien entendu. Pour le reste, je n'en avais pas assez vu de Petterson pour le comparer à Charlie, dont l'anatomie n'avait plus de mystère pour moi.
Avec dégoût, j'envoyai valser l'image qui s'imprimait devant mes yeux, et entrai dans la baignoire. Je me préparai en vitesse, ignorant les éclats de rire suraigus en provenance du salon, puis attachai mes cheveux mouillés en une queue de cheval. Cassie me remplaça alors dans la salle de bain, un sourire béat aux lèvres, et peu après, on se rendit tous les trois au rez-de-chaussée.
Ethan, Sarah, Jenny et Duncan étaient déjà attablés sur la terrasse. D'abondantes fleurs rouges tombaient en grappes de la tonnelle, ombrageant la table chargée de croissants, fruits frais, fromage blanc et œuf brouillés. Charlie, qui avait enfin passé un t-shirt, contourna la chaise la plus proche pour aller s'asseoir de l'autre côté, à bonne distance de Jenny.
— Allez, magne-toi ! s'exclama Duncan en remplissant son assiette vide d'un peu de tout. Ça fait au moins une heure qu'on t'attend, on allait partir...
Je m'assis tranquillement à la place qu'avait dédaigné Charlie, et me servis du jus d'oranges pressées. En diagonale, je l'observai avec effarement gober son petit déjeuner. Le pauvre... S'il ne faisait pas une indigestion, voire une hydrocution en entrant dans l'eau, ce serait un miracle.
Dans les cinq minutes qui suivirent, les garçons décampèrent. Je me retrouvai donc avec Jenny, assise à côté, Cassie en face et Sarah dans le coin droit de la table. Bien qu'il y ait eu de l'espace pour qu'elle se rapproche, elle choisit de rester à sa place. Elle buvait son thé, la mine absente, son regard tourné dans la direction opposée de là où on se tenait.
— Alors le programme, les filles ? s'enquit Cassie en ne s'adressant qu'à Jenny et moi.
— Eh bien... euh... Sarah, entama timidement Jenny, proposait qu'on aille faire un tour à L.A. On doit encore trouver un déguisement pour Halloween.
Cassie, qui n'avait pas cillé en entendant le prénom de la brune, approuva l'idée bien qu'on eut dit qu'elle déplorait son origine.
— Moi je pense rester à piscine, je suis un peu fatiguée, annonçai-je comme si je regrettais de ne pas me joindre à elles, ce qui n'aurait pu être plus fallacieux. Mais allez-y sans moi, m'empressai-je d'ajouter, je trouverai bien un déguisement à San Francisco.
En fait, je ne comptais pas en chercher. Pas plus que me rendre à ce stupide bal. Comme chaque année, je passerais la soirée à regarder des films d'horreur ayant pour thème des zombies, démons et autres serial killers. Le tout en baissant le volume de la T.V quand des gamins sonneraient à la porte pour des sucreries. Les bonbons c'était mauvais pour leurs dents, et indispensable à ma survie durant un tel visionnage. Ça diminuait le niveau de stress. Oui, quand un personnage s'apprêtait à se faire tuer d'une manière abominable, il suffisait d'avaler quelques marshmallows, et immédiatement, sa décapitation paraissait moins atroce. De là à dire que le sucre rendait insensible, il n'y avait qu'un pas.
— Ou alors, commença Cassie avec sourire machiavélique, on passe le reste de la matinée à la piscine, et on va à L.A. dans l'après-midi. Comme ça, toi aussi, tu pourras venir.
— Ouais, bonne idée, commenta Jenny. T'en penses quoi ? demanda-t-elle à l'adresse de Sarah.
Celle-ci haussa les épaules, prétendant que ça lui était égal. Son regard, toutefois, indiquait le contraire. Elle était contrariée – ses paupières tombantes s'étaient légèrement plissés, et ses lèvres s'étaient resserrées autour de sa tasse. Si auparavant elle ne me détestait pas totalement, c'était dorénavant chose faite.
Quant à moi... que dire ? Défaite par K.O. Je ne voyais pas ce que j'aurais pu répliquer sans passer pour une odieuse insociable. Ce que j'étais, il ne fallait pas se leurrer.
Jenny et Sarah quittèrent la table les premières. Avec Cassie, nous finîmes de déjeuner en tête à tête, avant de monter à notre tour enfiler nos maillots de bain.
— Tu croyais vraiment me la laisser sur les bras ? gloussa Cassie dans le couloir de l'étage.
— Jenny aurait été là tu sais, fis-je avec innocence, comme si je ne voyais pas où était le mal.
— C'est vrai, n'empêche on aurait eu un autre problème.
— Ah oui ?
— Oui, confirma Cassie en ouvrant la porte de la suite. Si je ne te trouve pas un costume moi-même, on peut être sûr que tu ne te pointeras jamais au bal d'Halloween.
Une vague d'exaspération monta sans prévenir.
— Bien joué, Sherlock.
— Hors de question que tu rates ça.
Je la défiai du regard, déterminée à ne pas céder sur ce terrain.
— J'ai... des... d'autres plans.
— Lesquels ?
— Ça te regarde ?
— Un peu que ça me regarde, tu gâches ta jeunesse !
J'eus un rire. Ou plutôt, un ricanement cynique.
— Je suis sérieuse, réveille-toi bon sang ! s'énerva Cassie en agitant devant moi le bikini vert bouteille qu'elle venait de sortir de son sac. T'as envie de quoi au fond ? Rester seule, ne voir personne, ne pas t'amuser ? Si tu continues à rejeter tout le monde, c'est comme ça que ça va finir, je te le garantis.
J'encaissai, stoïque, mais ses mots m'infligeaient une brulure cuisante. C'était la faute de ses fichus livres de psychologie, elle savait appuyer où ça faisait mal !
— Et ce weekend alors ? Je suis venue, non ?
— Parce que je ne t'en ai pas laissé le choix, rappela-t-elle.
Je réfléchis un instant.
Effectivement, je me souvenais que dans les derniers jours, Cassie avait intensifié son lobbying, à raisons de plusieurs messages quotidiens. Elle devait avoir pressenti que je risquais de lui faire faux bond. Pas bête, la guêpe ! Avec le recul, je comprenais mieux pourquoi elle avait tant insisté pour payer l'hôtel et qu'on prenne ma voiture...
— Tu vois ? reprit-elle. Tu sais, c'est pour toi que je dis ça... Maintenant, si tu as quelque chose de plus passionnant à faire que de sortir, danser et t'amuser ben... fais comme tu veux.
Je la dévisageai, hébétée. Je ne trouvais aucun argument à lui opposer, et me sentais tout à coup honteuse. Il est vrai que depuis le début de ce come back au lycée, je maugréais, geignais, en permanence. Pas en public et pas à voix haute, certes. Mais intérieurement, c'était le mur des lamentations. J'avais même pensé si fort, que Cassie avait fini par m'entendre.
C'était injuste de ma part. Au fond, qu'avais-je à lui reprocher à elle ou aux autres ? Rien de concret, mis à part le comportement inamical de Sarah à mon égard. La seule chose dont m'avait privée cette bande de lycéens, c'était de la solitude qui rongeait jusqu'alors mon quotidien. Cassie avait raison, mon attitude était stérile.
La vérité, c'est que je cherchais à m'isoler, parce que c'était ce à quoi j'avais été habituée : être seule. Mais voulais-je le rester ?
Sans doute pas.
— Je viendrai, marmonnai-je en regardant mes pieds. Au bal, je veux dire.
Pour quelques secondes, Cassie en perdit son latin.
— Cool, conclut-elle avec un sourire, même si elle semblait dubitative quant à mon rapide revirement. Bon, on va se baigner ?
J'acquiesçai et me mis en quête de mon maillot, soulagée que le sujet soit clos.
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