30-

Pendant ce temps, le soleil avait continué sa course. Ses rayons lumineux étaient devenus rasants, m'obligeant à abriter mes yeux derrière le pare-soleil.

Puis le jour déclina doucement. Je constatai avec amertume que la température n'opérait pas la même décrue. Le bitume avait emmagasiné toute la chaleur de la journée qu'il libérait maintenant en vagues ondulantes. À travers leur faible miroitement, j'apercevais les extérieurs scintillants de L.A. Nous touchions presque au but.

— Au fait, tu as réservé dans quel hôtel ? demandai-je en allumant les phares tandis que la nuit tombait.

Comme je n'avais rien eu à payer, je ne m'étais pas préoccupée des détails. Cassie avait tenu à m'inviter, soutenant que cela couvrirait les frais d'essence qui étaient à ma charge.

— Le Palm.

Palm... comme Palm Resort ?

Elle confirma d'un air distrait, continuant de jouer avec une mèche de cheveux. Pas sûre qu'elle ait saisi, je réitérai ma question.

— Oh pour l'amour du ciel ! Oui, c'est ça, le PALM, finit-elle par s'exaspérer avant de replonger le nez dans l'article qu'elle lisait avec assiduité, ce qui n'était pas pour déplaire.

Le Palm. Je n'en revenais pas. Évidemment, j'en avais maintes fois entendu parler, et pour cause, il s'agissait d'un établissement mythique, construit au milieu du XXe siècle. Un cinq étoiles sans fausse note, perché sur le flanc escarpé d'une colline de Malibu. Le Palm avait traversé les âges. Sa réputation s'étendait bien au-delà des frontières du pays, notamment parce qu'autrefois, les célébrités les plus en vue d'Hollywood s'y pressaient. Encore aujourd'hui, il arrivait qu'une star occupe le penthouse qui jadis avait abrité les idylles secrètes du cinéma d'après-guerre. Les meilleures chambres offraient une vue sur mer, et la piscine – agrandie au fil des rénovations – était tout aussi légendaire que les fêtes qui s'y déroulaient.

En matière d'hébergement, les lycéens d'aujourd'hui avaient meilleur goût que leurs prédécesseurs. Ainsi qu'un portefeuille mieux garni.

Pas tous, j'imagine.

Cela tenait surtout au fait que je ne fréquentais que des « fils et filles de » à Pacific High. À titre d'exemple, le père de Duncan était le roi de l'immobilier dans la Silicon Valley ; celui de Sarah, un éminent cardiologue ; et la mère de Jenny, une brillante avocate. Les parents de Cassie, eux, travaillaient dans l'évènementiel, m'avait-elle dit. J'ignorais ce que cela recouvrait exactement. Ça n'était pas limpide, Cassie demeurait réservée sur le sujet. Un comble pour une fille si bavarde... Quant aux autres, je ne doutais pas que leur ascendance soit aussi bien placée sur l'échelle sociale.

Bientôt, nous quittâmes les grands axes qui menaient dans le ventre de L.A. pour prendre la direction de la côte. La route se fit sinueuse, m'obligeant à ralentir. À si faible allure, presque aucun air ne pénétrait l'habitacle, même avec les fenêtres grandes ouvertes. C'était devenu une étuve, comme le faisait si justement remarquer Cassie, maintenant qu'elle se savait proche d'atteindre destination.

La délivrance prit la forme d'un énième virage. L'asphalte se sépara en une fourche qui montait en pente raide. De hauts palmiers s'élevaient de chaque côté de l'allée. Tout au bout, l'hôtel érigé sur dix étages surplombait les collines alentours, offrant une vue de choix sur l'océan.

Je roulai au pas jusqu'à l'auvent près duquel un voiturier attendait. Soudain, un bruit de papier froissé retentit derrière moi, suivi de près par un grognement.

— AÏE ! Mais t'es folle ?! s'écria Charlie.

Cassie venait de lui jeter son magazine à la figure.

— On est arrivés !

— Ouais ben pas la peine d'être si brusque, répondit Charlie en se redressant.

— Oh, ça va, hein, t'as dormi des heures pendant qu'on se frappait la route ! Figure-toi qu'Eléonore aurait bien aimé se reposer, elle aussi. Espèce d'ingrat !

— Ouais bah t'avais qu'à la relayer, dit-il en baillant.

— Pour ton information, je la tenais éveillée ! J'ai bien cru qu'elle allait piquer du nez.

— Moi aussi, renchéris-je, sans préciser à Cassie que c'était en partie sa faute.

Le voiturier m'ouvrit la portière, et je lui cédai les clefs en descendant. Un groom avait déjà empilé nos bagages sur un chariot doré. Il nous suivit vers l'entrée, éclairée d'une lumière tamisée, tandis que les deux lycéens poursuivaient leurs chamailleries.

À l'accueil, le réceptionniste ne parut pas étonné de voir débarquer des jeunes gens.

— Cassie Waughn, annonça la lycéenne lorsqu'il lui demanda le nom auquel avait été faite la réservation.

Il tapota sur le clavier, puis releva le menton.

— La suite James Dean, pour deux nuits ?

Cassie confirma l'information, et je faillis tomber à la renverse. Une suite ?! Ça surpassait de loin mes espérances. Une folie ! Même la chambre la plus ordinaire devait couter ici un rein.

Tant que ce n'est pas le mien... pensai-je.

Le groom nous accompagna en silence jusqu'au septième étage, puis nous ouvrit la dernière porte au fond du long couloir. Mon émerveillement ne retomba pas en découvrant la suite de visu. C'était fabuleux – spacieux et décoré avec soin. Il y avait deux chambres de bonne superficie : l'une donnait sur le jardin et la piscine, l'autre avait vue sur l'océan. D'emblée, le choix de Cassie se porta sur la deuxième et j'en fus ravie étant donné qu'on la partagerait ensemble. Il y avait aussi un grand salon d'époque, un bureau ainsi qu'une salle de bain avec une baignoire creusée dans le sol. En voyant tout ça, je me dis que finalement, accepter de conduire n'avait pas été un si mauvais deal. C'était même le deal du siècle !

Seule la fatigue finit par ternir mon entrain. Épuisée par ces dernières heures harassantes, je plongeai dans l'énorme lit recouvert de coussins, ne rêvant à présent que d'une chose : me vautrer dans ses draps soyeux. Malheureusement, mon programme sembla s'éloigner quand le téléphone de Charlie émit une série de bip sonores depuis le salon.

— Ah, les autres sont arrivés. Ils proposent qu'on mange en ville.

— Allez-y sans moi, répondis-je naïvement.

Je me tournai sur le côté, amorphe.

— Pas question ! claironna Cassie, en entrant dans la chambre. Une douche, et hop !

Elle me tira du lit avec une force insoupçonnée. Pour ne pas finir au sol, je me remis sur mes pieds et finis par m'exécuter d'un pas trainant.

Pour consolation, je n'eus pas à reprendre le volant. Un taxi nous amena jusqu'au restaurant situé à deux kilomètres, sur la route qui longeait la mer.

La soirée fut meilleure qu'attendue, ce qui n'était pas difficile vu que je n'en attendais rien. J'étais assise à côté de Cassie, Charlie en face de moi. Duncan et Jenny faisaient remparts à Ethan et Sarah, installés à l'autre bout de la table. Du coup, l'ambiance était détendue. Duncan parla longuement du prochain match de football qui opposerait son équipe à un autres lycée de la région. La discussion dériva ensuite sur le basket, que pratiquaient Ethan et Charlie, puis le sport en général, la météo du lendemain, et c'est ainsi que les garçons décidèrent de consacrer la matinée qui suivait à une session de surf. Leurs trois planches avaient voyagé sur le toit du Hummer.

Loin de désapprouver la pratique sportive, l'idée m'inquiétait. Pas que je craigne pour leur vie, mais plutôt pour la quiétude de la mienne. Car si les garçons partaient de leur côté, on se retrouverait entre filles – quelle déduction ! Avec Sarah, pour ainsi dire. Cette perspective parut laisser Cassie de marbre, malgré les imprécations qu'elles n'avaient cessé de proférer à son encontre. Elle devait s'être faite une raison. Après tout, à quoi pouvait-on s'attendre d'autre en partant deux jours entiers avec Sarah ? On ne risquait pas de couper à sa présence...

Charlie fut saoul avant la fin du repas. Il se mit à se balancer sur sa chaise, un bras autour des épaules de Duncan, renversant de la bière partout sur le sol.

— Allez on rentre et on se fait un strip poker, lança-t-il tout de go.

Pendant un instant, Cassie réfléchit, semblant évaluer ses chances de l'emporter sur lui avant d'avoir à retirer elle-même quelque vêtement que ce soit.

— Doucement bonhomme, dit Duncan en tapotant la jambe de Charlie. T'es pas prêt à voir un tel corps d'athlète.

— Tu parles ! s'esclaffa Charlie dans un hoquet. Jenny nous a dit qu'au collège...

Mais aussi cocasse que fut l'histoire, nous ne sûmes jamais de quoi il retournait. Ladite Jenny venait d'entamer une bruyante démonstration, vantant les mérites du moelleux au chocolat en même temps qu'elle couvrait la voix de Charlie.

— On y va, décréta-t-elle ensuite rapidement, avant qu'il ait l'occasion de remettre le couvert.

Sur le chemin de terre qui remontait jusqu'à la route, elle le soutint, et je crus la voir lui pincer la hanche avec un air sadique. J'aurais même juré l'avoir entendue proférer des menaces à base de planche de surf qu'elle lui enfoncerait dans une certaine cavité naturelle, s'il ne la bouclait pas.

Quand on arriva à l'hôtel, il était déjà plus de minuit.

Charlie ne fit plus mention d'aucune anecdote qui se serait déroulée au collège. Il s'écroula dans son lit tout habillé. Lorsque Cassie revint dans notre chambre après l'avoir découvert endormi, elle semblait dépitée. Elle se dépêcha d'aller cacher dans son sac quelque chose qu'elle tenait derrière le dos.

Depuis le lit, où j'étais allongée, je vis un petit objet rectangulaire couleur rouge disparaître sous une pile de vêtements. Avec un sourire, je devinai alors de quoi il s'agissait : un jeu de cartes.

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