29-
Goodbye Soleil - Phoenix
La chaleur était devenue de plus en plus écrasante à mesure que nous descendions vers le sud.
Ma clim avait rendu l'âme l'an dernier, et depuis, je n'avais pas trouvé – ni vraiment cherché, d'ailleurs – le temps de me rendre chez le garagiste. Cassie était trop maligne pour s'en plaindre. Elle devinait avec pertinence que je lui proposerais aimablement de rejoindre le confortable Hummer de Duncan, si cela l'indisposait. Elle préféra donc s'éventer à l'aide d'un magazine sorti de son sac à main. Le titre : Le Mensuel de la Psychologie, s'étalait en lettres capitales dans une police austère, comme pour se donner des airs de revue médicale et ainsi se draper d'une crédibilité scientifique.
Pendant qu'elle agitait le torchon dans ma direction, j'avais furtivement aperçu les sujets qu'abordait ce numéro.
Pleurer, pourquoi ne faut-il pas s'en priver ?
Les 5 étapes à ne pas brûler pour surmonter durablement un traumatisme.
Amour... Comment savoir si vous lui plaisez ? Décelez les signes, p24.
Êtes-vous hyper sensible ? Faites le test, page 32.
À l'arrière, Charlie dormait à poings fermés, les jambes recroquevillées contre sa poitrine, son sweat roulé en boule sous sa nuque.
Les rafales d'air brulant qui s'engouffraient par les fenêtres me rendaient, moi aussi, étonnamment somnolente. D'ordinaire, je résistais bien aux pic de température, voulais-je pourtant croire.
Sans doute que la léthargie fiévreuse qui m'engourdissait n'était pas imputable à l'atmosphère étouffante, mais plutôt à l'ininterrompu monologue de Cassie. Par égocentrisme plus que par solidarité envers moi, l'adolescente bavassait... seule. Une prouesse qui durait depuis maintenant des heures. Cassie avait la surprenante faculté d'émettre des questions, puis d'y apporter des réponses – se perdant de temps à autre en digressions –, sans jamais s'arrêter.
Face à cette attaque neuronale sans précédent, mon cerveau avait activé ses défenses anti-lobotomie. Il était passé en mode « veille prolongée » depuis belle lurette – précisément depuis qu'on avait laissé San José derrière nous. Ne restaient d'opérationnelles que mes fonctions motrices, suffisantes pour conduire et même parfois, acquiescer aux inepties de Cassie. Bien qu'indifférente à son flot d'insanités, je ne pouvais décemment pas la laisser découvrir l'ampleur de mon désintérêt.
— ... fou parce qu'en principe, je serais partie sans payer. Bref, la fille me regardait comme si j'étais la dernière des idiotes. À croire que je suis la seule, de tout l'État, à boire à la paille. Non mais tu le crois ça ?!
Une fois de plus, je dodelinai de la tête.
— Quoi, tu le crois vraiment ?!
Et merde !
J'aurais dû me douter qu'à un moment donné, une vague approbation ne suffirait plus.
— Mais non, bien sûr que non ! me récriai-je en m'ébrouant pour me réveiller.
— En fait, elle avait le même petit air suffisant que Sarah ! reprit aussitôt Cassie. On aurait dit des sœurs jumelles. Non, tu sais quoi ? La serveuse c'était Mère Teresa à côté de l'autre. Elle, son problème, si tu veux mon avis, c'est qu'elle est jalouse ! Jalouse de moi, c'est évident !
Face à l'expression de son visage, qui semblait mettre au défi quiconque de la contredire, j'acquiesçai frénétiquement.
L'avantage avec Cassie, c'est qu'il n'était pas difficile de se repérer dans le foutoir qui remplissait sa caboche. Tous les sujets, aussi éloignés les uns des autres qu'ils fussent, avaient un point de convergence incontestable : Sarah.
Sa diatribe contre elle aurait trainé en longueur si je n'avais soudain agité un appât sous son nez.
— Dis... Cassie... EH !
Stupéfaite, elle finit par tourner la tête vers moi. Je repris alors d'une voix douce, presque flagorneuse :
— Toi qui es toujours si bien informée, t'as une idée de pourquoi Petterson s'absente si souvent ?
Le nom de notre prof avait produit l'effet escompté. Cassie n'avait plus du tout l'air de vouloir en découdre, ou de tordre le cou à qui que ce soit ; ses yeux pétillaient à présent d'espièglerie.
— Tu t'es convertie on dirait !
— Qu'est-ce que tu vas chercher ?! Je suis curieuse, c'est tout.
— Ben drôlement curieuse pour penser à un prof pendant le weekend...
Bon point...
— Si ça peut te faire plaisir, disons que je suis en cours de conversion, consentis-je en haussant les épaules.
Faute de l'avoir sondé, et même si Cassie risquait désormais de me rabattre les oreilles avec lui, j'avais besoin d'en savoir un maximum au sujet de Petterson. Sans parler du fait que mon cerveau risquait de se liquéfier si j'en apprenais davantage sur cette pauvre serveuse, sa fichue paille ou bien Sarah.
— Bon, je te cache pas que ça a été difficile de faire parler les bonnes personnes. (Elle se retourna pour s'assurer que Charlie dormait toujours.) Tu gardes ça pour toi, hein ? D'après ce qu'on m'a dit, il paraitrait qu'au début de l'année il s'est absenté pour raisons de santé.
Mais encore ?
— C'est tout ce que je sais, dit-elle comme si elle devinait mes pensées. Et pour hier, aucune idée.
— En même temps, ça parait évident. Pourquoi d'autre l'administration le laisserait-elle sécher ses propres cours ?
— J'en sais rien, avoua-t-elle à regret.
Je ne parvins pas à cacher ma déception. Je m'étais attendue à des rumeurs croustillantes, voire surnaturelles. Un enlèvement par des extraterrestres, ou par le gouvernement dans la zone 51. Un truc dans ce goût-là.
— D'ailleurs, qui t'a rencardée ?
— Sally, une vraie pipelette.
J'en restai ébaubie. De tout ce que venait d'énoncer Cassie, l'entendre qualifier quelqu'un de pipelette était de loin la plus inattendue.
Pendant les minutes qui suivirent, les élucubrations de la lycéenne furent assourdies par mes propres pensées. Mon esprit demeurait focalisé sur Petterson. Ainsi donc, avait-il été malade. Au jeu des hypothèses, on pouvait raisonnablement soupçonner un vilain mal de dos. Ou bien, une affection chronique nécessitant des arrêts de travail réguliers. Du diabète ? Sûrement pas... S'il en avait souffert, sans doute n'aurait-il pas commandé du cheese cake à Starbucks. À moins qu'il n'eût l'envie de commettre un suicide hyper glycémique...
Me mordillant la joue, je passai mentalement en revue une multitude de maladies courantes. Je n'en voyais aucune toutefois qui expliquerait une si longue absence.
Et si je me trompais ? Et si c'était plus sérieux que ce que j'imaginais ?
Une sensation de malaise gonfla dans mon ventre. En toute logique, cela n'aurait pas dû m'affecter. Je devais quoi qu'il arrive livrer son âme à Clarke. Malgré cela – peut-être était-ce le signe qu'une infime part d'humanité subsistait en moi –, mon cœur paraissait peser une tonne dans ma poitrine.
— J'aurais pas dû t'en parler, dit Cassie après un long silence qui m'avait brusquement fait reprendre connaissance.
— Hein ?
— Pour Petterson. Je vois bien que ça te travaille.
Damn it !
Je savais Cassie parfois perspicace, mais ne m'imaginais pas si facile à décrypter.
— Pas du tout ! niai-je avec mauvaise foi. Je rêvassais. Tu sais, ça arrive aux gens quand ils ne parlent pas sans cesse.
Elle fronça le nez comme pour chasser une mouche.
— Arrête un peu ! (Elle s'était retournée vers moi avec un mélange d'autorité et d'indulgence.) T'as le droit de ressentir quelque chose ! De la peine, de l'empathie, de la compassion. T'es pas obligée d'être froide, distante et de repousser les gens dès qu'il est question de tes émotions.
— T'as lu ça là-dedans, je parie ? ricanai-je en désignant le magazine.
J'avais insufflé à ma voix tout le mépris que m'inspirait Le Mensuel de la Psychologie.
— Peut-être, reconnut-elle, pincée. Et si tu veux mon avis, tu ferais bien de t'y abonner.
En signe de désapprobation, je levai les yeux au ciel. Mais quand je vis Cassie ouvrir à nouveau la bouche pour me servir sa psychologie de comptoir, je me résignai à lui donner satisfaction.
— Bon d'accord, admis-je de mauvaise grâce, voyant aussitôt son visage se détendre. Ça me fait bizarre... pour Petterson... de savoir qu'il a peut-être quelque chose... d'ignorer ce que c'est. Même si c'est juste notre prof, ça... (Je lançai un regard furtif vers Cassie.) Ça te fait rien, toi ?
— Si bien sûr. Mais je me dis qu'il ne perdrait pas son temps à nous faire cours s'il savait ses jours comptés !
J'opinai à cette réflexion pragmatique.
— Crois-moi, il serait plutôt à Cancún en train de boire des Mojitos, entouré d'un harem de mexicaines en bikinis.
Lui, le dandy en costume trois pièces à l'allure si sérieuse, transformé en fêtard débridé au royaume des spring breakers ? Cette vision invraisemblable m'arracha un sourire.
Comme on pouvait s'y attendre, Cassie tenta d'approfondir le sujet Petterson, mais ma bonne volonté avait atteint ses limites. Après plusieurs tentatives infructueuses, sa passion pour notre prof finit enfin par se tarir. Elle se désintéressa de son cas et en revint à ses divagations habituelles, comparant Sarah aux crocodiles des bayous et à d'autres animaux dont l'apparence n'avait rien de flatteuse.
Merci National Geographic...
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