26-
Le mardi suivant, Petterson m'avait réservé une surprise. Pas spécifiquement à moi, d'ailleurs. À toute la classe. Notre première interro surprise de l'année.
Pour le coup, c'était vraiment un traitre ! Il avait eu mille fois le temps de m'avertir quand j'étais tombée sur lui, au sens littéral, le samedi matin. Au moins aurait-il pu m'envoyer un signe.
A moins que ça ne soit sa façon à lui de punir mon insolence ?
Je sais, je délirais sévère. Hypothèse plus crédible : il avait voulu que cette interro surprise garde son potentiel.... surprenant ! Logique, en somme.
De toute façon, il ne s'était agi que d'un rapide commentaire de texte et de quelques traductions rudimentaires. Je n'avais donc eu aucun mal à m'en sortir. S'il avait espéré me coincer, c'était raté.
J'avais passé la dernière heure de cours à me torturer sur la manière d'amener les choses concernant mon plan. Je n'étais toujours pas certaine de la formulation, mais dès que la sonnerie retentit, je ramassai très vite mes affaires et me levai. Mais... Petterson avait déjà filé. Sa chaise tournait encore sur elle-même.
Non, il n'en était pas question ! Je me jetai à sa poursuite, d'un pas déterminé.
— Eléonore, tu m'attends ?! s'écria Cassie derrière-moi.
Je jetai un regard par-dessus mon épaule. Elle fourrait ses stylos et vernis pêle-mêle dans son sac, l'air interloqué. Jamais elle ne m'avait vu décoller aussi vite de mon siège.
— Désolé, je suis pressée. J'ai un... truc à faire. On se capte plus tard.
Je souris, pas peu fière de mes progrès en langage lycéen. Cassie me dévisagea, suspicieuse.
J'accélérai avant qu'elle me rattrape. Dans le couloir je jetai un œil à droite, puis à gauche. Où avait-il pu aller ? Il était presque midi, l'heure du déjeuner. Jusque-là, je n'avais vu aucun enseignant au réfectoire. Soit ils mangeaient en salle des profs, et dans ce cas je devrais attendre un autre jour, soit... il me restait une chance.
Je décidai de la saisir et m'élançai dans le couloir. Au pas de course, je traversai la coursive menant au réfectoire, puis me dirigeai vers le hall où je vis Sally m'observer avec intérêt. Je lui tournai le dos et poussai les portes de l'entrée. Je dévalai les marches et repris un sprint jusqu'au parking. Et c'est là que je le trouvai, à côté de son Range Rover, portière ouverte.
— Monsieur Petterson, l'apostrophai-je essoufflée.
Je ralentis l'allure. J'avais déjà certainement l'air d'une pauvre fille avec mes joues rouges et mon front qui perlait. Inutile qu'il découvre en plus la manière dont je courrais avec des talons.
— Eléonore ?
On aurait dit qu'il avait envie de rire.
— Tu veux encore me rentrer dedans ? Si c'est le cas, il faut que je vérifie d'abord que je n'ai rien de dangereux sur moi que tu pourrais renverser ou casser.
Je me mordis la lèvre pour ne pas répondre à sa provocation mais je ne parvins pas à résister plus de deux secondes.
— La dernière fois, c'est vous qui avez failli casser mon téléphone.
— Et cette-fois, c'est toi qui risque de me tacher avec ta sueur.
Diable, qu'il était énervant. Je restai de marbre comme si ça ne me faisait rien qu'il évoque le fonctionnement effréné de mes glandes sudoripares.
— Ne comptez pas sur moi pour vous payer le pressing, rétorquai-je.
Il lança sa sacoche sur le siège passager puis s'appuya sur la portière pour me regarder. Un sourire en coin apparut sur ses lèvres.
— Alors ? Que me vaut le plaisir de cette course-poursuite ?
J'ouvris la bouche, outrée.
— Primo, ce n'était pas une course-poursuite.
— Si tu n'as pas couru pour être dans cet état, tu devrais vraiment consulter un endocrinologue.
Là, j'allais le buter, pas le choix.
— Secundo, mes hormones fonctionnent parfaitement, merci bien !
— Je suis ravi de l'entendre.
— Trio, je...
— Tertio.
— Quoi ?
Il émit un petit rire, aussi charmant qu'agaçant.
— Après secundo, on dit tertio. C'est du latin.
— Ok... Bref. Je n'aurais pas eu à courir si vous n'étiez pas parti comme un voleur.
Son sourire s'élargit.
— À ma décharge, je n'ai qu'une heure de pause déjeuner aujourd'hui.
Il jeta un coup d'œil éloquent à sa montre.
— Et grâce à toi, il ne me reste désormais que cinquante-deux minutes.
— Eh bien vous m'en voyez désolée.
Exaspérée, je m'apprêtais à tourner les talons quand il changea de sujet.
— L'interro t'as plu ?
Son regard cherchait le mien. Mal à l'aise, je cillai.
— Plu ? Euh... je ne sais pas. Ça reste un devoir, dis-je en haussant les épaules.
— Un devoir... répéta-t-il en acquiesçant. (Il sourit comme si quelque chose m'échappait.) J'ai hâte de te lire.
Je lui offris un sourire gêné. Mais trouvant la transition parfaite, je déglutis et me lançai.
— À ce sujet, je tenais à vous remercier. (Il haussa un sourcil, sceptique.) Vos cours m'ont fait réaliser que je pouvais encore m'améliorer.
— Vraiment ?
— Mmmh, marmonnai-je en signe d'approbation. D'ailleurs je me demandais s'il vous arrivait d'en donner en dehors du lycée.
Il plissa les yeux.
— Des cours particuliers, je veux dire. Ça pourrait vraiment m'aider.
— Eléonore, tu parles certainement mieux français que moi.
Il ne souriait plus et son intonation était tout à coup distante.
— N'exagérez-pas. Et puis, je vise la Ivy League, alors décrocher la note maximale en français serait un gros plus.
Il baissa la tête.
— Ce n'est pas une bonne idée.
— La Ivy League ?
— Tu m'as compris.
— Mais...
Il me lança un regard dissuasif.
Je sentais une grosse boule se former dans ma trachée. Un mélange informe de honte, de frustration et de colère se déversait en moi.
— Vous savez-quoi, laissez-tomber, dis-je, les yeux brulants.
Je me tournai juste à temps pour éviter qu'il ne les voie s'emplir de larmes. Je n'éprouvais aucune tristesse particulière, j'étais simplement furieuse. Je faisais de mon mieux pour lui laisser une chance, et en retour il me mettait des bâtons dans les roues !
Je restai sur place, les poings serrés. Je n'avais plus qu'à faucher son âme et ça serait réglé. C'est ça ? C'est ça qu'il voulait ?!
— Eléonore, je suis désolé. Je ne voulais pas te blesser. C'est juste qu'il y a des choses que tu ne peux pas comprendre.
Je continuai de lui tourner le dos.
— Vous avez raison, je ne comprends pas.
Il y eut un silence. Je l'entendis inspirer comme s'il était sur le point d'entamer une phrase, mais je lui grillai la politesse.
— Vous devriez vous dépêcher, il ne vous reste que quarante-sept minutes.
Je regagnai le lycée d'un pas furibond mais c'était pour la forme. En vérité, j'attendis à peine cinq minutes qu'il quitte le parking pour retourner à mon propre véhicule et rentrer à la maison. Ce jour-là, je séchai tous les cours de l'après-midi. Je prétextai être indisposée lorsque, sans surprise, Cassie vint aux nouvelles.
13h02 Je me disais bien que t'étais bizarre tout à l'heure.
13h03 Plus que d'habitude je veux dire.
J'eus envie d'enfouir mon visage dans mon oreiller et de hurler. Si Cassie choisissais de s'y mettre aujourd'hui, je risquais de péter les plombs pour de bon.
Pour me calmer, j'inspirai un grand coup et allai dans la cuisine. Sans remords, je me remplis un énorme saladier de chips. J'avais remarqué que je réfléchissais mieux avec des chips. Avec du gras, en général. Je ne sais pas si ça avait un réel effet bénéfique sur mes neurones, en tout cas je déprimais beaucoup moins.
J'attrapai une canette de soda dans le frigo, et retournai me vautrer dans mon lit, mon saladier sous le bras. Je m'allongeai et le posai sur mon ventre, la position idéale.
J'observai le plafond et repris mes ruminations.
Avec ses conneries, Petterson avait réussi à foutre en l'air mon plan. Je piochai une grosse poignée de chips que j'enfournai dans ma bouche. Et le pire c'est que je n'en avais pas de rechange. Retour à la case départ. S'il me gardait à distance je n'apprendrais jamais rien à son sujet. Nouvelle poignée de chips. Et je ne parviendrais pas à comprendre l'intérêt morbide que Clarke lui portait.
J'en venais à penser que je n'avais plus tellement le choix. J'allais devoir sonder Petterson. L'idée me déplaisait toujours autant, mais j'étais à court d'option. J'avalai une gorgée de soda en renversant quelques gouttes sur l'oreiller. Avec un peu de chance, j'y verrais plus clair après. Et si ça n'était pas le cas, je n'aurais qu'à faucher son âme et classer le dossier. Après tout, il l'aurait bien mérité. En plus d'anéantir mon plan, il m'avait repoussé comme une galleuse. Qu'est-ce qui clochait chez lui ? À ma connaissance, je n'avais rien fait qui puisse justifier qu'il me traite de la sorte. Repenser à l'affront cuisant qu'il venait de m'infliger renforça la colère que je ressentais, et aussi, un autre sentiment sur lequel je n'arrivais pas à mettre un nom. Ce que je savais avec certitude c'est que c'était inconfortable, douloureux.
Je dus faire plusieurs aller-retours à la cuisine et vider trois paquets de chips pour me sentir mieux.
À la fin, je m'endormis au milieu d'une montagne de miettes qui me rentrèrent dans tous les orifices au cours de la nuit.
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