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Nothing's Gonna Hurt You Baby - Cigarettes After Sex

Quelques mains agrippèrent mes fesses et frôlèrent ma poitrine pendant que je traversais la salle. Les battants de la porte en fer venaient de claquer avec fracas. Je croisai en route Jenny et Duncan, qui allaient en sens opposé. La blonde écarquilla les yeux d'incompréhension avant de me demander avec précaution : 

— On a loupé un épisode ?

Un mouvement de foule me propulsa contre le torse de son copain (bien ferme et musclé, soit dit en passant). Je repoussai le lourdaud de derrière, et relevai la tête pour reprendre mon souffle.

— Prise de bec entre filles, résumai-je en m'éloignant.

Choc thermique – je grelotai dès que je mis le pied dehors. La température avait encore fraichi et une nappe de brouillard s'était formée.

La tête rentrée dans les épaules, je pressai le pas pour rattraper Cassie qui marchait devant.

— Ça va ?

Cassie hocha la tête. Elle essuya ses larmes et croisa les bras.

—  Je vais rentrer, j'ai juste besoin d'être au calme.

— Dans ce cas, je te raccompagne, décrétai-je.

Il faisait trop froid pour que j'accepte de rester bavarder dehors, et je n'avais aucune envie de réintégrer la soirée. C'était l'échappatoire rêvé !

Cassie céda sans mal, elle me tendit ses clés et désigna d'un geste las la berline allemande au bout de la rue. À peine quelques enjambées nous en séparaient, quand la voix éméchée de Charlie nous interpella.

— Attendez !

— Continue d'avancer, m'ordonna au contraire Cassie à voix basse. J'ai pas envie qu'il me voit dans cet état.

Mais la lycéenne ne se contenta pas de marcher tranquillement jusqu'à la voiture. Elle accéléra le pas, et je dus en faire autant pour ne pas me laisser distancer.

J'ouvris la portière, m'installai au volant et démarrai le contact.

— Dépêche ! s'impatienta Cassie sur le siège passager.

Au moment où mon pied allait écraser l'accélérateur, trois petits coups furent portés contre la vitre, interrompant mon mouvement. Je me tournai vers la lycéenne, prête à lui demander si elle préférait que j'aie une discussion civilisée avec Charlie, ou que je lui roule sur les pieds en prétendant ne pas l'avoir vu. Mais Cassie ne semblait pas disposée à me répondre. Elle avait enfoui sa tête dans son sac à main. Je reportai alors mon attention sur Charlie et ses gestes incompréhensibles. Sans autre alternative, j'abaissai la vitre.

— Vous êtes sourdes ou quoi ?!

— On avait froid.

— Ok. (Il me jaugea, l'air de se demander si je me fichais de lui). Écoute, je suis désolé d'avoir remis le sujet sur le tapis, dit-il ensuite à l'intention de Cassie. Je pensais pas que ça prendrait cette tournure.

Pas de réponse. Pour éviter le flop total, je me décidai à intervenir.

— Ne t'inquiète pas. Ce n'est pas de ta faute si Sarah s'est montrée si virulente.

Il s'accouda sur le montant de la vitre pour chercher le regard de Cassie, sans succès. Puis il reporta son attention sur moi.

— Bon, t'es venue comment ?

— Avec ma voiture, répondis-je lentement.

La pertinence de sa question demeurait incertaine à mes yeux.

— Tu veux que je la ramène chez toi ?

Je l'étudiai, dubitative.

— Sans vouloir te vexer, t'as pas l'air frais. Et t'empeste le rhum, soulignai-je. Je reviendrai la chercher demain avant les cours.

Un grand sourire fendit le visage du lycéen.

— T'abuses... T'as pas l'air fraiche non plus, tu sais...

Ah ouais ?

Sans prévenir, je remontai la vitre. Charlie eut un vif mouvement de recul. J'en profitai pour accélérer. Le moteur vrombit et la berline s'élança. Un dernier coup d'œil jeté dans le rétroviseur me donna satisfaction : Charlie observait la voiture filer, médusé.

Peu avant le carrefour, un rire fracassant résonna dans la voiture. J'en avais presque oublié ma passagère.

— La tronche qu'il a tirée !

— T'as réussi à voir quelque chose avec ton sac retourné sur la tête ?

— Eléonore Latour, serait-ce de l'humour ?

Je m'arrêtai au feu et jouai la fille détachée.

— Parce que j'ai pas l'air marrante, peut-être ?

— Mais si, t'es juste... engoncée !

Le feu passa au vert.

— Engoncée ?! m'indignai-je en accélérant brusquement.

La nuque de Cassie vint s'écraser contre l'appui-tête.

— A gauche, me dirigea-t-elle en se cramponnant à son siège. Je sais pas, on a l'impression que t'es raide. Comme si t'étais sur le qui-vive, ou que t'allais fuir d'une seconde à l'autre.

— ON ?!

— Façon de parler. Prends la rue à droite pour rattraper la bretelle.

Savoir qu'une bande de lycéens m'avait percée à jour en moins de vingt-quatre heures me contrariait. Ça, et qu'ils aient parlé de moi derrière mon dos.

— Je ne suis pas raide et encore moins engoncée. Simplement, j'ai une grande incapacité d'adaptation.

— Mais oui, t'en fais pas, on te juge pas.

Bien sûr...

— Tiens, rabats-toi à droite, ça sera plus simple pour prendre la sortie.

Quand je découvris qu'on allait emprunter le Golden Gate, et sortir de la ville, je me tournai vers elle avec humeur.

— Bon, on joue à la carte au trésor encore longtemps, ou bien tu me dis où on va?

— Je doute que tu connaisses les environs...

— Tente toujours !

— Sausalito, ça te parle ?

Mes doigts se crispèrent sur le volant.

— Euh... ouais, je connais.

Je ne dis alors plus rien, me contentant de suivre assidument les directives de Cassie. Avec une incrédulité teintée d'horreur, je voyais chaque virage, chaque bifurcation nous mener droit où je le redoutais.

Lorsque Cassie me donna sa dernière instruction, je la dévisageai avec effroi.

— C'est ici ?

Elle acquiesça. Crescent Lane... la maison de l'horreur... C'était comme replonger en plein cauchemar. A Nightmare on Crescent Lane... Avec Reg Jackman dans le rôle de Freddy Krueger.

— Ça va ? s'enquit Cassie devant mon expression horrifiée.

— Oui, oui.

Et je tournai dans l'impasse maudite.

Cassie m'indiqua du doigt sa maison ; c'était la plus imposante du quartier. Sur le moment cependant, je ne remarquai pas à quel point elle était somptueuse. J'étais absorbée par celle qui lui faisait face, entourée de scellés – celle de Reg.

— Qu'est-ce qu'il s'est passé ici ?

— Oh ça, dit Cassie en observant tristement l'extérieur. C'est un voisin. Il a été assassiné.

— Assassiné ?! m'écriai-je.

Je m'imaginais déjà derrière les barreaux, dans une combinaison de la même couleur que l'affreux cocktail.

­— C'est terrible ! repris-je d'un ton plus mesuré. Comment c'est arrivé ?

— Ils ne le savent pas encore, mais ils sont venus nous poser des questions. Ils ont relevé des traces de lutte. Peut-être un cambriolage qui a mal tourné, mais rien ne semble avoir été dérobé.

Par « ils », Cassie entendait sûrement : les policiers. J'aurais aimé la questionner davantage, mais j'étais si nerveuse et devais sembler déjà si louche à ses yeux, que j'eus peur de me trahir.

­— Bizarre.

Sans ajouter un mot, je me garai.

Le style de sa maison tranchait radicalement avec celui de la région. Quatre colonnes abritaient le porche immense, et des fenêtres à croisés disposées tout le long du bâti lui donnaient le caractère propre aux vieilles demeures coloniales qu'on trouvait en Louisiane.

— Merci de m'avoir ramenée, c'est super gentil ! Je vais te commander un taxi.

En attendant son arrivée, Cassie m'invita sur la balancelle qui s'agitait sous le porche. La peinture était craquelée par l'humidité ambiante, et les maillons métalliques grincèrent quand je m'y installai.

—  Je reviens tout de suite, s'excusa la lycéenne avant de filer à l'intérieur.

Quand elle réapparut quelques minutes plus tard, elle tenait dans ses mains une couverture en laine et deux mugsHello Kitty.

— J'ai trouvé que ça, grimaça-t-elle en observant les tasses. C'est à ma petite sœur. D'habitude, je ne suis pas fan des tisanes, mais je crois que ce soir, il n'y a que ça qui m'aidera à dormir.

Transie de froid, j'attrapai avec gratitude le mug rose qu'elle me tendait.

— Laisse-moi deviner... (Je passai mon nez au-dessus des vapeurs odorantes.) Tilleul ?

— Camomille et... verveine, railla Cassie.

Elle s'assit et nous enveloppa toutes les deux dans la couverture bien chaude.

— Je suis plus calée sur le thé, fis-je ironique.

Je serrai la tasse entre mes mains et avalai une gorgée pour me réchauffer.

—  C'est bizarre, soupira la lycéenne en baissant les yeux.

—  Quoi ?

— C'était toujours ma mère qui me préparait cette tisane. Quand j'avais du mal à trouver le sommeil, où que j'avais du chagrin, elle débarquait dans ma chambre avec cette potion magique. Elle disait qu'elle purifiait l'esprit et drainait toutes les émotions négatives : l'angoisse, le chagrin, la colère.

— Je suis désolée, murmurai-je déroutée.

— Elle n'est pas morte. (Cassie sourit, mélancolique.) Mais c'est tout comme. Je ne la vois presque plus depuis qu'elle et mon père ont ouvert leur entreprise d'évènementiel. Et quand elle est à la maison, elle a la tête ailleurs. Elle n'a aucune idée ce qui se passe dans ma vie. Elle ne sait même pas qu'Ethan et moi avons rompu.

— Pourquoi tu ne lui en parles pas ? Je suis sûre que si elle savait ce que tu as sur le cœur, elle lèverait le pied sur le travail.

Cassie secoua la tête, dépitée.

— J'ai déjà essayé. Elle a tenu ses bonnes résolutions une semaine, et puis tout a recommencé... C'est pour ma petite sœur que ça me fait le plus mal. (Elle se mit en tailleur et resserra la couverture). Moi je ne suis plus une enfant, j'ai appris à régler mes problèmes, toute seule.

—  Tu sais même faire la potion magique maintenant ! dis-je en passant un bras autour de ses épaules.

— Tu veux que je te dise le plus étrange dans tout ça ? (Elle tourna vers moi son regard brillant de larmes). Elle n'a pas le même goût. Je ne sais pas si ça vient du fait que je suis nulle en préparation de tisane, ou que je ne crois plus aux potions magiques, mais elle n'a plus le goût dont je me rappelle. (Elle déglutit, au bord du sanglot).

Je la regardais, désemparée.

— Ecoute, je ne dis pas ça pour te consoler, mais je trouve que tu te débrouilles très bien toute seule. Et je ne parle pas que de la tisane.

— C'est l'impression que je donne, oui, marmotta-t-elle en regardant droit devant.

À court d'arguments réconfortants, je me tus. Je m'enfonçai dans le dossier de la balancelle, et mes yeux remontèrent vers la maison de Reg, cernée de rubans jaunes et noirs.

Je fermais les paupières pour chasser le malaise que je ressentais, quand le klaxon du taxi me fit sursauter.

— Dépêche-toi avant qu'il s'en aille.

— J'ai la naïveté de croire que tu m'offrirais le gîte et le couvert s'il m'abandonnait là, blaguai-je pour détendre l'atmosphère.

Je posai ma tasse à moitié vide sur le sol, me découvris et me levai. J'enroulai le morceau de couverture, qui pendait à présent, autour de la lycéenne.

— Bien sûr !  (Elle secoua la tête.) Mais je doute que tu veuilles passer la nuit ici, dans cette grande maison abandonnée.

Sa dernière remarque m'attrista. Moi, je n'avais plus de famille. Et même si ce n'était pas vraiment le cas de Cassie, elle partageait un sentiment similaire. Pour seule réponse, je lui fis un sourire, puis rejoignis le taxi.

Une fois rentrée, je ne veillai pas devant la TV comme j'en avais l'habitude. Je me brossai les dents et filai au lit. La soirée m'avait épuisée. Depuis que j'avais quitté Cassie, j'avais concentré mes forces à éviter de penser à Reg Jackman, de crainte que ma nuit ne soit faite de terribles cauchemars.

Avant d'éteindre la lumière, je dépliai l'emploi du temps remis par Sally à mon arrivé. Mon cœur s'accéléra étrangement quand je repérai à 13h le lendemain : Français-M.Petterson-Salle 26.

Pour une raison qui m'échappa, je me sentis... impatiente.

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