Chapitre 46

Un cri strident réveilla Lina en sursaut. Elle n'avait pourtant pas le souvenir de s'être endormie... Lina releva la tête et vit qu'elle était couchée sur ses textes de Français, lesquels devaient sûrement avoir laissé une trace bien visible sur sa joue. Qu'importe.

Depuis quelque temps, elle n'arrivait plus à suivre. Avec les cours, son boulot et les bébés... Tout cela était trop pour l'adolescente. Et elle ne parlait même pas du fait qu'elle n'avait plus une minute pour elle.

Lina chaussa ses pantoufles, enfila une jaquette pour contrer le froid de décembre qui filtrait dans toute la maison et se dirigea vers la chambre voisine à la sienne. Elle prit Louis dans ses bras qui gémissait, et regarda tristement Lindsey qui pleurait également dans son berceau.

-Je suis désolée mes bébés, mais je n'ai que deux bras et je ne peux pas vous prendre en même temps, murmura Lina en direction de ses enfants.

C'était ça le problème avec les jumeaux, il fallait toujours faire les choses en même temps. Mais c'était tout bonnement impossible pour Lina de leur donner le biberon en même temps, de les porter pour les calmer en même temps ou de les habiller simultanément.

Cela ira mieux quand ils seront plus grands et plus autonomes, pensa Lina en berçant doucement son fils. Quand ils seront plus grands...

Après quelques minutes, le petit garçon s'était enfin calmé et seuls les cris de sa sœur troublaient le silence de la maison. Lina le déposa aussitôt dans son petit lit et prit Lindsey contre elle.

Pendant qu'elle la serrait contre sa poitrine en lui frottant le dos de sa main tout en lui murmurant des paroles d'apaisement, Lina jeta un coup d'œil au cadran de l'horloge contre le mur de la chambre : 23h54. Encore 6 minutes...

-Il ne faut pas pleurer bébé. Il faut dormir maintenant, chuchotait Lina. Tu sais, demain j'ai cours et je suis sûre que mes amis m'auront préparé une journée épuisante, surtout Eleanor.

Lina rigola doucement. Elle essayait d'imaginer tout ce que sa meilleure amie allait pouvoir lui faire pour ses 17 ans.

Voyant que Lindsey n'avait pas l'air de se calmer, la jeune maman la posa sur la table à langer et commença à la changer.

-Je ne comprends pas, ta couche est propre Lin, marmonna Lina en reprenant Lindsey contre elle tout en la berçant. Et tu n'as pas voulu de ton biberon tout à l'heure. Qu'est-ce que tu as ?

Voilà ce qui arrive quand on est trop longtemps seule, pensa la jeune fille. On se met à parler avec un bébé en attendant une réponse de sa part.

Lina vit alors l'aiguille de l'horloge atteindre le 12 pour s'y arrêter, comme au ralenti. Le temps passe, lentement, les choses changent...

Lina se tourna vers ses enfants, Louis dans son lit et Lindsey dans ses bras, et leur expliqua tendrement :

-On est maintenant le 15 décembre mes amours. Maman a donc officiellement 17 ans, ajouta-t-elle en embrassant le front de Lindsey qui pleurait toujours.

C'est alors qu'elle sentit la chaleur qui émanait de sa fille, lui brûlant presque les lèvres quand elle la toucha délicatement. La jeune maman posa sa main à plat sur le front de Lindsey et remarqua la température inhabituelle de son corps. Lina se rendit alors compte d'une chose : les cris de sa fille devenaient plus étouffés, comme si elle cherchait à prendre de l'air, sans y parvenir.

Alarmée, elle descendit aussitôt jusqu'à la chambre de ses parents, et les réveilla brusquement. Quelques minutes plus tard, ils étaient tous dans la voiture que Grégoire conduisait, Louis et Lindsey à l'arrière, entourés de leur mère qui ne cessait de leur jeter des coups d'œil inquiets.

                                                                                             *

Ce n'était vraiment pas de cette manière que Lina avait imaginé ses 17 ans. Il était bientôt 2 heures du matin et ils n'avaient toujours pas bougé de la pédiatrie où ils avaient élu domicile depuis leur arrivée. L'adolescente tenait Louis dans ses bras, le serrant de toutes ses forces, comme pour le protéger d'un quelconque malheur, en faisant les cent pas dans les couloirs.

Mais que faisait donc ce médecin ? Où était sa fille ?

Lina avait une envie folle de se ronger les ongles, chose qu'elle ne faisait pourtant jamais, mais Louis l'en empêchait. Elle resserra sa main sur sa minuscule tête.

Lina avait essayé d'appeler Aaron trois fois dans la voiture mais évidemment, il ne répondait pas.

Il ne peut pas répondre pour une fois ! Marmonnait-elle pour elle-même en faisant les cent pas. On est pourtant en semaine, il ne devrait pas être en soirée ! Si seulement il se souciait un tant soit peu de ses enfants, il décrocherait.

Il était vrai qu'il était près de deux heures du matin et qu'à cette heure-ci, il devait certainement dormir mais la jeune maman avait besoin de se défouler sur quelque chose. Et le père de ses enfants était la victime parfaite en cet instant.

Quelques minutes plus tard, un médecin se dirigea enfin vers les Fenton qui l'attendaient depuis un moment.

-Excusez-moi, j'aimerais voir Lina Fenton, la mère de Lindsey Fenton, expliqua-t-il en promenant un regard interrogateur sur les trois personnes présentes devant lui.

Lina se posta devant lui.

-C'est moi. S'il vous plaît, dites-moi ce qu'il se passe.

Le pédiatre n'insista pas, ne lui jetant même pas un coup d'œil surpris ou désapprobateur. Il l'entoura d'un regard rassurant, presque protecteur, un regard qui inspire confiance, tout en lui expliquant la situation :

-Je vous rassure tout de suite, votre fille a été prise en charge à temps. Elle est en ce moment même en salle d'opération entourée par des professionnels.

Lina retint une exclamation, une salle d'opération !

-Dans certains cas, la bronchiolite chez le nourrisson peut entraîner des effets secondaires graves comme il est arrivé à votre fille. De plus en plus de nourrissons de moins de 6 mois sont hospitalisés pour détresse respiratoire grave suite à des infections pulmonaires virales.

Lina était sous le choc. Lindsey n'avait que 2 mois ! Elle était si fragile, si inoffensive... L'imaginer sur une table d'opération, un masque collé sur son minuscule visage lui fit monter les larmes aux yeux. La jeune maman dut enfouir son visage dans les petits cheveux tout fins de son fils pour s'empêcher de se laisser gagner par les émotions qui l'envahissaient.

-Ces problèmes sont souvent liés à des anomalies respiratoires pré existantes, continua le médecin sans se déstabiliser. Vos jumeaux sont nés prématurément n'est-ce pas ?

Lina hocha la tête. Elle avait vraiment tout fait de travers... Voilà que sa fille se trouvait à l'hôpital par sa faute maintenant.

-C'est souvent le cas pour des jumeaux. J'ai vu dans son dossier qu'il y avait eu quelques complications après l'accouchement au niveau de son état de santé. C'est certainement lié. La santé d'un bébé de deux mois comme le vôtre doit être constamment surveillée. Vous avez bien fait de venir aussi vite.

Il regarda les Fenton tout à tour, ainsi que le petit garçon dans les bras de sa maman, inquiète.

-Je vais retourner la voir. Je vous tiendrai au courant, ne vous inquiétez pas, ajouta-t-il en s'éloignant. Et essayez de vous reposer mademoiselle, dit-il en direction de Lina.


Grégoire entoura les épaules de sa fille de son bras. Il savait bien qu'elle se sentait coupable, même si elle n'avait rien à se reprocher.

-Lina, donne-moi Louis, lui proposa-t-il en le lui prenant des bras. Tu devrais aller te prendre une tisane ou quelque chose pour te calmer à la cafétéria. Lindsey est entre de bonnes mains et tu as vraiment besoin de te reposer un peu, de décompresser.

Lina ne protesta même pas, se laissant faire. Elle partit avec sa mère après avoir fait promettre à Greg de l'appeler s'il y avait quoi que ce soit. Celui-ci acquiesça tout en faisant des allers-retours avec son petit-fils dans les bras.




Lina se sentait au plus mal. Comment avait-elle pu être aveugle à ce point. Sa fille, son bébé allait mal et elle n'avait rien remarqué ! Elle aurait dû noter que Lindsey ne mangeait plus autant qu'avant, qu'elle avait la respiration plus coupée, qu'elle était malade...

Je ne suis pas prête à être mère, je le savais depuis le début, pensait Lina. Je suis trop jeune et avec mon manque d'expérience et de temps, je fais carrément courir des dangers de santé à mes enfants. Le médecin l'a dit : j'aurai dû faire suivre la santé des jumeaux plus scrupuleusement par un pédiatre. Si je n'avais pas le lycée et le bac de Français à réviser, je serai plus souvent auprès d'eux et je me serai rendu compte que quelque chose n'allait pas ! Et l'année prochaine, ce sera encore pire.

Mais tu ne peux pas abandonner tes études, lui rappela la petite voix de la raison dans sa tête. Comment tu vas faire quand tu seras sans emploi, sans diplôme, avec pas un sou et des jumeaux sur les bras ?

Ils méritent une famille qui pourra les élever comme il se doit, qui leur apportera tout ce dont ils ont besoin pour grandir. Ils méritent mieux...

Alors que cette pensée traversait inconsciemment l'esprit de Lina, son téléphone vibra dans sa poche.

-Non, mais tu es folle ou quoi ? Qu'est-ce qui te prends de me déranger à cette heure-ci ? Marmonna la voix à l'autre bout du fil.

Lina se retint de hurler. C'en était trop.

-Non mais je rêve ! Tu oses me reprocher de te réveiller alors que ça fait plusieurs semaines que je ne dors pas ? J'ai essayé de t'appeler au moins cinq fois mais tu ne réponds jamais ! Ce n'est peut-être pas assez important pour toi, mais tu sais où je suis en ce moment même ? A l'hôpital en train d'attendre qu'un médecin vienne me donner des nouvelles de notre fille qui est en train de se faire opérer un peu plus loin.

Grand silence sur la ligne. Véronique regardait sa fille d'un œil inquiet, ne voulant pas subir une crise de nerfs en plein milieu de la pédiatrie.

-Mais qu'est-ce que tu racontes ? Finit-il enfin par sortir.

-S'il te plaît, ne m'oblige pas à le répéter, chuchota-t-elle d'une voix étouffée par les sanglots qui lui montaient à la gorge. Lindsey est dans un état grave, elle est en salle d'opération. Tu ne veux pas venir ?

-Ne te mets pas dans des états pareils, lui conseilla-t-il. De toute façon, elle est avec des professionnels maintenant, qu'est-ce que tu veux que je fasse ? Je ne peux pas venir maintenant.

Alors ça, c'était la meilleure !

-Tu sais quoi ? Fais ce que tu veux ! Je n'en peux plus de toi Aaron, tu n'es un lâche. Quand il s'agit de sauter les filles alors là tu es le premier, mais pour ce qu'il s'agit d'assumer...

Lina reprit sa respiration, coupée parce qu'elle s'était mise à pleurer.

-Il s'agit de ta fille Aaron. Ta fille ! Donc maintenant, si tu ne viens pas ici, très bien pour toi. Ce n'est plus mon problème.

Et elle raccrocha, furieuse contre Aaron, contre le médecin qui ne venait pas et surtout contre elle-même.


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