Partie IV - Chapitre 7

Les parties en italique sont tirées de différents tomes de Harry Potter, de JK Rowling :) 

Chapitre 7

Le jeune Poufsouffle qui avait lâché une bombe à eau géante depuis le haut des escaliers, et ainsi assommé l'une de ses camarades, referma la porte de son directeur derrière lui, quelques heures de colle en poche accompagnées d'une poignée de bonbons. Dumbledore ne pouvait pas s'en empêcher.

Lorsque le bruit de ses pas s'éteignit, le directeur de Poudlard s'autorisa un instant d'inaction, assis à son bureau. Les mains croisées, il ferma les yeux. Comme d'habitude depuis deux mois, le silence ne fit que réveiller dans son esprit les paroles qu'il avait entendues à la Tête de Sanglier, au début du mois de juillet. Des paroles qui allaient certainement changer le cours de la guerre... Mais aussi détruire des vies.

Comme plus d'une fois depuis le mois de juillet, il se leva, ouvrit le placard qui contenait sa Pensine, saisit une fiole soigneusement rangée et la vida dans la vasque magique. Quelques instants plus tard, il plongeait dans les rues de Pré-au-Lard.


La pluie tombait drue sur le petit village sorcier de Pré-au-Lard. Les rues étaient désertes – elles l'étaient toujours durant les vacances d'été. Les rues pavées glissaient tant que le professeur Dumbledore devait évoluer avec précaution. La distraction était la bienvenue : pour les quelques minutes que duraient son trajet, il n'avait pas besoin de penser. Il comptait machinalement les pierres glissantes sur lesquelles se posait son pied, tout en s'imaginant qu'il n'était qu'une goutte parmi d'autres. Il se mit à rêvasser sur la vacuité de l'existence humaine, songea à toutes ces vies qui s'achevaient et commençaient à chaque fois qu'une goutte s'écrasait au sol, se demanda enfin quelle empreinte il laisserait sur le monde une fois que lui, Albus Dumbledore, petite goutte d'eau perdue dans l'océan de l'humanité, se serait évaporé.

Son pied s'enfonça alors dans un nid-de-poule noyé sous l'eau. Ramené à la réalité, il souleva le bas de sa robe de Sorcier pour considérer sa chaussure et sa chaussette trempées d'eau boueuse. Philosophe comme toujours, il haussa les épaules avec un sourire puis reprit sa route. Il ne parvint pas à reprendre le fil de sa réflexion précédente, mais réalisa que, au bout du compte, il n'avait pu s'empêcher de penser.

Il continua son chemin de son pas prudent, quitta l'avenue principale et arriva enfin en vue de La Tête de Sanglier. Il devrait songer à parier avec Horace sur le temps que mettrait un élève de Poudlard à être surpris là-bas. Horace venait toujours y faire un tour lors des sorties à Pré-au-Lard, officiellement parce que le whisky y était meilleur qu'aux Trois Balais, officieusement pour ramener des élèves en mal d'aventures. Curieusement, on n'avait jamais pu prouver que les Maraudeurs étaient des habitués. Dumbledore savait que le secret de leurs escapades lui échappait, mais il comptait bien poser la question à l'un des Maraudeurs s'il en avait un jour l'occasion.

L'enseigne du pub se balançait sous les rafales de vent qui envoyait la pluie dans la figure du visiteur. Il rabattit un peu plus la capuche de sa cape sur son visage pour parcourir les derniers mètres qui le séparaient de la porte. Enfin, il put se mettre à l'abri. Il s'empressa d'ôter sa cape trempée et de l'accrocher à la patère, où séchaient déjà des chapeaux, capes et parapluies de toutes sortes. L'un d'eux était surmonté d'une tête de flamant rose qui le considéra d'un œil agacé lorsqu'un filet d'eau coula de la cape de Dumbledore jusque sur ses plumes. Le Sorcier s'excusa platement avant de reporter son attention sur la petite pièce enfumée.

Elle n'avait pas changé depuis sa dernière visite. Toujours le même mobilier dépareillé, toujours les mêmes clients aux allures louches. Cette fois-ci se trouvait accoudé au bar un gobelin borgne, en grande conversation avec un Sorcier décharné enseveli sous trois couvertures. Non loin d'eux était assise une silhouette solitaire, cachée par une grande cape noire. Dumbledore était même incapable de dire si cet individu était humain. Trois Sorcières édentées qui auraient pu être celles de Macbeth – Dumbledore adorait cette pièce - jouaient aux dés dans un coin de la salle. Enfin, un Elfe de maison épiait cette petite assemblée sans rien dire. A en juger par le torchon dont il était vêtu, il devait être mandaté par son maître. Cette information inquiéta un peu le directeur, mais il s'efforça de ne pas y songer. Il était là pour Poudlard, et non pour l'Ordre.

Son inspection n'avait duré que le temps d'un regard. Il se dirigea vers le bar poussiéreux et tapota dessus de ses longs doigts dans l'attente que quelqu'un vienne le renseigner. Une main très semblable à la sienne ne tarda pas à se poser sur le comptoir. Dumbledore releva les yeux et croisa un regard aussi bleu que le sien mais bien plus froid.

- Qu'est-ce que je peux pour vous ? interrogea Abelforth sans détacher son regard du sien.

Cette cordialité forcée dérangea Dumbledore plus qu'un ton de reproche. Le tapotement de ses doigts s'accéléra alors qu'il considérait ce frère qui ne souhaitait pas qu'on connaisse leur filiation. Il ignorait si c'était pour éviter tout désagrément lié à la renommée de son aîné, ou bien pour prétendre qu'il n'avait pas de frère.

Albus Dumbledore avait toujours une solution. Il savait toujours dire quoi dire aux gens dans la peine. Il trouvait toujours les mots pour réconcilier les cœurs en colère. Il n'y avait qu'une personne avec laquelle il était incapable de trouver les bons mots, et elle se tenait devant lui. Peut-être était-ce parce que Abelforth savait que son grand frère était un beau parleur ... et par là même un menteur. Alors il refusait de croire la moindre parole tombée de sa bouche.

C'était du moins la théorie d'Albus. Il n'avait jamais essayé de la confronter à la réalité.

- J'ai rendez-vous avec une jeune femme qui a pris une chambre ici, répondit-t-il de son habituelle voix enjouée. Sybille Trelawney.

- A l'étage, la deuxième porte.

Sans rien ajouter, Abelforth attrapa un torchon et disparut dans sa réserve. Dumbledore ne s'en formalisa pas et gagna l'escalier aux marches grinçantes qui se trouvait à droite du bar. L'œil valide du gobelin le suivit jusqu'à ce qu'il disparaisse.

L'étage était aussi sombre et poussiéreux que le reste. Un rugissement s'éleva derrière la première porte que le directeur dépassa. Elle trembla sur ses gonds sous son œil amusé. Il était curieux de savoir quel drôle de client Abelforth avait bien pu loger là. A son grand soulagement, aucun son suspect ne se fit entendre derrière la porte de Sybille Trelawney, candidate au poste de professeur de Divination à Poudlard. Dumbledore avait accepté de la recevoir pour l'unique raison que son arrière-grand-mère était une voyante renommée. Sa descendante ne semblait être qu'une diseuse de bonne aventure.

Dumbledore frappa trois fois, et la porte s'ouvrit presque aussitôt sur une jeune femme ensevelie sous des voiles et châles en tout genre. Ses yeux étaient grossis par ses énormes verres de lunettes, si bien qu'il n'arrivait pas à déterminer si elle avait véritablement l'air illuminé ou si c'était uniquement une conséquence des lunettes.

- Professeur Dumbledore ! s'exclama-t-elle. Merci, merci d'être venue jusqu'à moi. Les feuilles de thé avaient prévu votre visite.

- Comme c'est charmant, commenta-t-il tout en étudiant le bric-à-brac de voyante entassé dans la pièce.

Encensoir, boules de cristal, tasses et théières ainsi que boîtes à thé formaient un capharnaüm indescriptible. Apparemment, elle espérait emménager directement à Poudlard. Etant donné que c'était son hibou et non les feuilles de thé qui avait annoncé sa venue, Dumbledore en doutait quelque peu.

Il trouva un endroit où s'installer au milieu de tous ces objets et commença l'entretien sans tarder. Il considérait tout cela comme une perte de temps ; la Divination était l'un de ces domaines magiques auxquels il ne croyait pas vraiment. Pour lui, l'avenir n'était déterminé que par les choix et les actions de chacun, faite à un instant T et dans des circonstances particulières. Il ne comprenait donc pas comment on pouvait le prévoir, alors qu'aucun de ses congénères humains ne savait même quelle paire de chaussettes il allait porter le lendemain. Il se devait de rencontrer Sybille Trelawney, mais c'était le dernier effort qu'il consentirait à la Divination. Si elle ne faisait pas l'affaire – il était déjà convaincu qu'elle était incapable de faire une véritable prédiction – il cesserait de chercher un professeur et la matière serait supprimée.

La jeune femme lui parla de son illustre aïeule d'un ton exalté, lui raconta ses propres succès divinatoires, évoqua son amour pour Poudlard et sa passion de la transmission. Elle lui prédit une belle et longue vie entourée de sa famille aimante et affirma que son âme-sœur se trouvait en Afrique du Sud. Dumbledore écouta tout cela poliment, comme à son habitude, mais sans une once d'intérêt. Comme il s'en doutait, Sybille Trelawney n'avait aucun don pour la divination. Distrait par un bruit dans le couloir, il manqua la question de la jeune femme et dut la faire répéter lorsqu'il réalisa qu'elle attendait une réponse.

- Plaît-il ?

- Pensez-vous que j'aie ma place à Poudlard ?

Le directeur fut plus ému qu'il ne le souhaitait par ses grands yeux pleins d'espoir qui le fixaient, mais il se devait d'être ferme.

- Miss Trelawney, je pense malheureusement que Poudlard n'est pas l'endroit pour vous. Je suis sûr que vous trouverez un lieu qui convient mieux à vos aptitudes. Si vous voulez bien m'excuser...

Un brusque mouvement de son interlocutrice l'interrompit. Il crut d'abord à une réaction violente face à son refus, mais ses yeux révulsés écartèrent bien vite cette possibilité. Sa respiration se bloqua un instant. Dumbledore, stupéfait, allait tenter d'intervenir lorsqu'une voix grave, sans aucune commune mesure avec la petite voix fluette qu'il avait entendue auparavant, s'échappa de la gorge de la jeune femme :

- « Celui qui a le pouvoir de vaincre le Seigneur des Ténèbres approche... il naîtra de ceux qui l'ont par trois fois défié, il sera né lorsque mourra le septième mois... et le Seigneur des Ténèbres le marquera comme son égal mais il aura un pouvoir que le Seigneur des Ténèbres ignore... et l'un devra mourir de la main de l'autre car aucun d'eux ne peut vivre tant que l'autre survit ».

Son menton retomba sur sa poitrine, qui se soulevait à un rythme irrégulier, et elle ne bougea plus. Dumbledore, toujours à demi-levé de son fauteuil, fixait la jeune femme, toujours aussi stupéfait. Ce cerveau dont il se vantait tant essayait vainement d'intégrer ce qu'il venait d'entendre et de voir. Était-il possible que cette femme qui sentait l'encens aie véritablement annoncé la fin de Voldemort ? Soit elle était très bonne actrice, soit...

Dumbledore tapota les joues de la jeune femme avec urgence. Elle finit par ouvrir les yeux, secoua la tête et ouvrit la bouche pour dire quelque chose. Sans lui laisser le temps, Dumbledore pointa sa baguette sur elle et envahit son esprit. C'était la pire des violations, mais l'enjeu était trop grand pour qu'il s'embarrasse de convenances. Il devait savoir.

Après quelques secondes de recherche, il fut évident que Trelawney n'avait aucun souvenir des paroles qui étaient sorties de sa bouche. A la place de l'instant précédent ne se trouvait qu'un trou noir, suivi de la baguette de Dumbledore pointée sur son visage. Toutes les certitudes de Dumbledore sur la Divination s'en trouvèrent bouleversées. Trelawney avait bel et bien prononcé une prophétie... Ou plutôt avait servi de réceptacle à quelqu'un ou quelque chose. Son corps avait cessé de lui appartenir quelques secondes, ce qui expliquait ce trou dans ses souvenirs.

Il relâcha son emprise sur l'esprit de la voyante et, d'un même mouvement, effaça les souvenirs des derniers instants passés. Lorsqu'elle ouvrit à nouveau les yeux, quelques instants plus tard, elle se contenta de lui adresser un regard perdu.

- Que s'est-il passé ? balbutia-t-elle.

- Vous avez eu un moment d'absence, répondit-il tranquillement, l'esprit en ébullition.

- Oh, toutes mes excuses, professeur. Que disions-nous ?

- Vous m'avez demandé si vous aviez votre place à Poudlard. Nous serons ravis de vous compter parmi nos professeurs, ma chère Sybille.

Il n'écouta pas un traître mot de ses remerciements. Les paroles qu'il venait d'entendre tourner en boucle dans sa tête. Il tentait déjà de les analyser, d'isoler chacune des parties de cette prophétie pour en comprendre tous les tenants et les aboutissants. La pensée étourdissante qu'il fallait un élu pour vaincre Voldemort parasitait ses réflexions. Il avait sous-estimé Tom si un seul homme sur terre était capable de le vaincre. Quelque part, tout au fond de son esprit, là où gisait les ruines de son ambition de jeunesse, traînait le regret de ne pas être cet homme-là.

Il parvint finalement à quitter la petite chambre enfumée. Toujours plongé dans ses pensées, il faillit rentrer de plein fouet dans Abelforth, qui faisait les cent pas sur le palier.

- On t'écoutait, gronda celui-ci lorsque son frère finit par le remarquer.

Un frisson glacé secoua Dumbledore mais il n'en laissa rien paraître.

- Qui ça ?

- L'homme sous la grande cape noire. Son capuchon est tombé quand on s'est battu. Un jeune type, la vingtaine, nez crochu, teint cireux, cheveux longs.

Dumbledore pinça imperceptiblement les lèvres. Il était à peu près certain qu'il s'agissait de Severus Rogue.

- Où est-il ?

- Il m'a échappé.

- Très bien. Merci de ton aide.

- Je ne l'ai pas fait pour toi. Je n'aime pas les fouineurs.

Abelforth tourna alors les talons et descendit les marches quatre à quatre. Dumbledore se pinça l'arête du nez, les yeux fermés. Si Severus Rogue avait entendu la prophétie, Voldemort ne tarderait pas à être au courant. Les prophéties ne tournaient jamais plus mal que lorsque leur sujet tentait de les interpréter.

Dumbledore reprit pied dans la réalité, empêtré dans les mêmes réflexions qu'alors. La naissance de Neville Londubat puis de Harry Potter avait rendu la prophétie par trop réelle. Il s'était replongé dans ses souvenirs de ces deux dernières années de guerre pour vérifier que les Potter comme les Londubat avaient défié par trois fois le Seigneur des Ténèbres.

Lily et James l'avaient combattu d'abord en haut de cette falaise du Kent, là où James avait une fois de plus prouvé ses grandes compétences en métamorphose. Ils l'affrontèrent à nouveau cette année-là, à Carbone-les-mines. Enfin, ils avaient failli mourir tous les deux à Glasgow.

Quant aux Londubat, ils avaient combattu Voldemort pour la première fois dans un cabanon perdu de l'Angleterre profonde, alors qu'ils devaient permettre à un couple de fuir l'Angleterre. Par la suite, ils s'étaient trouvés pris au milieu d'une escarmouche, au moment où Voldemort mettait en place ce qui devait devenir les Rafleurs. Leur dernier affrontement tenait lui aussi du hasard – à croire que le destin faisait exprès de tirer Alice et Frank vers le Seigneur des Ténèbres. Au début du mois de juin, alors que le couple se promenait dans Londres, une bande de Mangemorts avait attaqué un quartier fréquenté. Alice, bien qu'enceinte de presque huit mois, s'était battue auprès de son mari. Voldemort avait révélé sa présence au bout de quelques minutes de bataille. Il avait isolé les Londubat des Aurors qui arrivaient en renfort et avait tenté, encore une fois, de les recruter – deux Sang-Purs, quoi de mieux ? Leur refus ne lui avait pas plu. C'était l'arrivée de Dumbledore lui-même qui les avait tirés de ce mauvais pas.

Dumbledore était certain qu'il ne pouvait s'agir que de l'une de ces deux familles. Le seul à pouvoir déterminer laquelle était Voldemort lui-même. Dumbledore n'avait aucun droit de prévenir les parents tant qu'il ignorait qui, de Neville ou Harry, serait perçu comme l'Elu. De plus, rien ne pressait. Ils n'étaient que des nourrissons. Rien n'avait été tenté contre la maison des Londubat pour le moment. Quant au QG, les Mangemorts ignoraient toujours son emplacement exact. Tom Jedusor était une tête brûlée, mais il avait dû admettre qu'un nouveau-né n'était pas sa priorité.

Du moins il l'espérait.

Ces mêmes réflexions occupaient sans cesse son esprit depuis la fin du mois de juillet. Il était donc plongé dans ces sombres pensées lorsqu'un soir, à la fin du mois de septembre, un hibou vint taper du bec contre sa fenêtre. Il laissa entrer l'animal, déplia son message et lut :

« Je dois vous parler. Retrouvez-moi demain à l'heure du lever de la lune, au sommet de la colline où étaient les Géants. S.R. »

***

Depuis deux mois qu'il avait entendu et rapporté la prophétie à Lord Voldemort, Severus Rogue était au sommet de sa gloire. Il ignorait ce que son maître avait décidé au sujet de la prédiction ; y croyait-il, allait-il sévir, l'ignorer... Néanmoins, Lord Voldemort semblait considérer que sa diligence à lui rapporter, à lui et à lui seul, ces mots si compromettants, en faisait un loyal serviteur. Rogue n'avait parlé à personne de cet enfant qui pouvait détruire leur maître. Il ne croyait pas une seule seconde que son maître puisse posséder une telle faiblesse. La simple idée de répandre cette information dans les rangs des Mangemorts le faisait frémir. Tout cela n'était sans doute qu'élucubration.

La mort de Martin – et plus particulièrement, le panache avec lequel il l'avait tué – portèrent un peu plus les regards de Lord Voldemort sur Rogue. On le conviait de plus en plus aux conseils. On ne lui cédait pas encore la parole, mais il avait bon espoir d'être bientôt écouté. Il se trouvait à l'une de ses réunions, à la fin du mois de septembre, lorsque son maître annonça :

- On m'a rapporté, il y a de cela quelques mois, les paroles d'une prophétie... Une prophétie qui annonce ma fin.

Tous se figèrent alors que Bellatrix éclatait de rire.

- Absurde ! s'exclama-t-elle. On ne peut plus...

- Il suffit, Bella, coupa Lord Voldemort. Je ne prête pas foi non plus à cette prophétie, d'autant plus que je suis condamné à disparaître... de la main d'un nourrisson.

Cette fois-ci, tous les autres Mangemorts rassemblées ricanèrent à leur tour, Rogue compris.

- Aussi stupide que soit cette prédiction, je préfère supprimer la personne concernée. Ce sera une bonne correction pour ses parents, qui m'ont défié par trois fois, pour reprendre les termes de cette prophétie. Si on croise cette information avec la date de naissance de l'enfant en question, la fin du mois de juillet, cela ne peut désigner que quatre personnes... Les Londubat, et les Potter.

Le nom frappa Rogue en plein cœur. Les yeux écarquillés, il fixa son maître qui, bien heureusement, ne remarqua pas sa soudaine pâleur. Les Potter. Impossible. C'était impossible. Lily était enceinte, certes mais... Personne ne lui avait dit qu'elle avait accouché fin juillet. Une question de Bella l'obligea à calmer la panique qui étouffait son cœur :

- Allez-vous tuer les deux enfants, maître ?

- J'y ai bien réfléchi, répondit-il lentement tout en faisant tournoyer sa baguette entre ses longs doigts fins. Répandre du sang pur, aussi sali soit-il par les actions de l'Ordre, me répugne. L'enfant Londubat me sera reconnaissant, plus tard, de l'avoir épargné. Il gagnera nos rangs. Non, Bella. Seul l'enfant des Potter m'intéresse. Harry Potter.

Rogue avait espéré à nouveau durant un court instant. Il savait à présent que la sentence était irrévocable. Les huées des Mangemorts, signe qu'ils faisaient du bébé leur nouvel ennemi n°1, couvrirent sa brusque inspiration. Il ferma un instant les yeux, et le visage de Lily dansa devant ses paupières closes. Elle allait mourir.

Ce fait en soit n'était pas une nouveauté. Il attendait l'annonce de sa mort depuis qu'elle était entrée dans l'Ordre du Phénix. Il avait réussi à se convaincre que cela lui était égal, mais face à la sentence, exposée aussi crûment, il ne pouvait contrôler le sentiment de révolte qui brûlait dans son cœur. La lumière ne pouvait s'éteindre de ses yeux. C'était impossible.

Il tenta de se resaissir, alors que tout le monde se levait dans un raclement de siège pour quitter la salle. Machinalement, il les suivit. Le destin de Lily lui importait peu. Elle était l'ennemi. Pire, elle avait engendré l'ennemi. Il profita de l'effervescence provoquée par l'annonce de Voldemort pour s'éclipser discrètement et trouver un coin solitaire pour se remettre de ses émotions. Ce genre d'endroit n'était pas difficile à trouver dans le manoir Malefoy. Il s'isola dans une petite chambre poussiéreuse, l'esprit plein de Lily. Assis sur le lit, la tête entre les mains, il voyait défiler les souvenirs profondément enfouis de leur amitié. Il ne pouvait nier que, malgré sa volonté de l'effacer de sa vie, de faire comme si elle n'était qu'une Sang-de-Bourbe parmi d'autres, il n'y était jamais complètement parvenu. Combien de fois au cours de la guerre avait-il fermé les yeux en la croisant au détour d'un combat, ou même d'une rue. Il l'avait également sauvée, au mépris de la vie de l'un de ses camarades Mangemorts.

Severus expira lentement. Il avait été incapable de la laisser mourir durant les deux années écoulées. A chaque fois, tout son être se révoltait contre cette idée, une réaction viscérale plus que raisonnée l'obligeait à la sauver. Mais cette fois-ci... Cette fois-ci, il pouvait fermer les yeux. Il n'aurait pas à assister à la traque des Potter, puis à sa mort, il pouvait... Il pouvait...

Il passa la main sur ses yeux, le cœur au bord des lèvres. Si Lily mourait, ce serait de sa faute. Il avait rapporté cette stupide prophétie à Lord Voldemort. Merlin tout puissant, il avait attiré l'attention de son maître sur elle. Ou plutôt sur son fils.

Rogue sauta sur ses pieds, bien décidé à tenter quelque chose. Il pouvait encore écarter d'elle la mort, comme il l'avait fait tout ce temps. C'était son fils que voulait le Maître des Ténèbres, pas elle. Il trouva Lord Voldemort dans la salle de réunion. Il était seul avec Nagini, dont il caressait distraitement la tête. Il releva la tête dès que Rogue poussa le battant et le fixa de ses petits yeux de plus en plus rouges.

- Severus ? interrogea-t-il doucement. Tu as quelque chose à me dire ?

Le jeune homme déglutit difficilement mais avança d'un pas supplémentaire. Il était moins sûr de lui maintenant qu'il se trouvait seul face à son maître.

- Une faveur. J'ai besoin... J'ai besoin que vous m'accordiez une faveur.

Voldemort le considéra un instant en silence avant de demander :

- Laquelle ?

- Lily Evans... Potter. Epargnez-la.

- La Sang-de-Bourbe ? Pourquoi ferais-je une chose pareille ?

Severus savait qu'il était inutile de lui parler d'amour. C'était un sentiment que Voldemort ne comprenait pas. Il s'efforça de paraître aussi calme et détaché que possible avant de répondre :

- Parce que je la veux. Potter me l'a volée.

Voldemort fit tournoyer sa baguette entre ses doigts. Severus entendait Nagini ramper sous la table.

- Très bien. Mais pourquoi ferais-je une chose pareille pour toi ?

Severus hésita à nouveau. Il n'avait pas pris le temps d'y réfléchir. C'était toujours la même chose dès qu'il s'agissait de Lily ; il ne prenait pas le temps de penser. Sur un coup de tête, il répondit :

- En récompense, pour vous avoir rapporté la prophétie. Pour n'en avoir parlé à personne.

Un sourire sans joie étira les lèvres de Lord Voldemort.

- Je vois que tu as appris bien des choses en notre compagnie. Tu as raison, Severus. On doit toujours agir pour obtenir quelque chose. Soit, la Sang-de-Bourbe aura la vie sauve si elle ne se met pas en travers de mon chemin.

- Merci, Maître, parvint à articuler Severus en baissant la tête.

Il sortit sans tarder, le visage impassible. Seuls ses poings crispés trahissaient son agitation intérieure. Il regagna son refuge sans vraiment s'en rendre compte, referma la porte et s'y adossa, les yeux fermés. Son visage se contracta. Il avait toujours la nausée. Il avait toujours l'impression d'avoir assassiné Lily Evans lui-même. Pourtant Lord Voldemort venait de lui accorder sa grâce, il venait ... il venait de lui dire qu'elle aurait la vie sauve si elle se comportait lâchement.

Il donna un léger coup de talon dans la porte.

- Idiot, marmonna-t-il. Espèce d'imbécile !

Bien sûr que Lily se mettrait en travers du chemin de Lord Voldemort. Bien sûr qu'elle ferait tout son possible pour sauver son fils. Merlin tout puissant, comment était-on censé sauver les personnes qui mettaient en avant la vie des autres avant la leur ?

Furieux, impuissant, il se retourna vivement et envoya son poing dans le panneau de bois. La douleur se répandit dans sa main sans apaiser son inquiétude. Bien au contraire, la panique l'envahit. Si recourir à son maître n'était pas suffisant, alors il n'y avait pas d'issu. Il avait décidé que les Potter mourraient, personne ne pouvait s'y opposer.

Personne, sauf le seul que Lord Voldemort n'aie jamais craint. Albus Dumbledore.

Rogue mit un nouveau coup de poing dans la porte. Une larme, de douleur ou de frustration, tomba du coin de son œil. Ce n'était en rien une solution. Dumbledore ! Recourir à Dumbledore ! C'était trahir tout ce en quoi il croyait, tout ce pour quoi il avait sacrifié sa vie ces dernières années. C'était signer son arrêt de mort. Ce n'était pas un choix envisageable.

Le front appuyé contre le bois, il tenta de se calmer, de réfléchir de façon lucide. Il chercha d'autres alternatives. Il songea à retourner voir son maître. La nuit tomba sans même qu'il ne s'en aperçoive. Lorsque la lune se leva, il dut reconnaître une vérité dérangeante : il avait le choix. Il pouvait choisir la vie de Lily contre la sienne. Il pouvait sacrifier tout ce qu'il était pour la protéger. Il pouvait se montrer digne d'elle, de tout ce qu'elle était, de tout ce qu'il s'était efforcé de mépriser mais qu'il n'avait fait qu'aimer.

Il était depuis longtemps tombé assis devant la porte. Soudain étrangement calme, il se laissa tomber sur le dos, soulevant ainsi des nuages de poussière de la moquette. Il expira lentement et fixa le lustre en cristal suspendu au-dessus de sa tête. S'il demandait l'aide de Dumbledore, il n'y aurait pas de retour en arrière. En mettant le vieux Sorcier au courant des plans de Voldemort, il allait contrarier ceux-ci. Il permettrait sans doute à l'enfant de la prophétie de vivre. Si cette prophétie n'était pas que mensonge, alors il contribuerait à la chute de son maître. Il leva lentement le bras droit, tira sur sa manche et contempla, dans la douce lueur de la lune, la Marque des Ténèbres qui y était tatouée à l'encre noire. Il devait choisir. Parjure ou lâche. Lord Voldemort ou Albus Dumbledore. La vie de Lily ou la sienne.

Qu'aurait fait Lily à sa place ?

Il resta encore un long moment perdu dans ses pensées. Enfin, il se leva lentement, épousseta sa longue robe noire et quitta la pièce.

Non, finalement, il n'y avait pas de choix. Laisser Lily mourir, c'était se condamner soi-même. Il ne se le pardonnerait pas.

Il se trouvait au point de rendez-vous donné à Dumbledore dès le coucher du soleil. Il patienta longtemps, sursautant au moindre bruit. Le vent se leva au moment où le soleil disparaissait derrière les collines alentours. Les doigts crispés autour de sa baguette, il laissa les rafales le chahuter en tous sens. Il se sentait détaché de tout. Il flottait entre deux eaux, incertain désormais de son destin alors qu'il était si sûr de la route tracée pour lui depuis qu'il frayait avec les Mangemorts. A présent, le seul véritable point d'ancrage de sa vie était Lily Evans.

Autour de lui, les branches bruissaient avec de plus en plus de force. La lune n'allait pas tarder à apparaître. L'angoisse monta en lui. Il risquait gros. Très gros. Une rafale particulièrement violente fit claquer les pans de sa cape. Au même moment, il y eut un éclair qui l'envoya au sol. Sa baguette jaillit de ses mains pour finir sa course dans celles d'Albus Dumbledore.

- Ne me tuez pas !

- Ce n'était pas mon intention.

La lueur verdâtre de sa baguette éclairait le visage froid et fermé d'Albus Dumbledore. Rogue se rappela soudain de ses années à Poudlard, durant lesquelles son directeur l'avait toujours regardé avec une lueur d'indulgence, une once d'espoir. Il ne voyait à présent que mépris sur son visage.

- Eh bien, Severus ? Quel est le message que Lord Voldemort veut me transmettre ?

- Pas... Pas de message... Je suis venu ici de ma propre initiative !

Il signalait déjà sa trahison. Maintenant qu'il avait prononcé ces mots, il ne pouvait plus revenir en arrière. Il agrippa convulsivement son bras droit, les mâchoires serrées. Il n'avait pas le choix, mais il devait tout de même se faire violence pour aller au bout.

- C'est... C'est une mise en garde... non, plutôt une demande... S'il vous plaît...

Ces derniers mots furent les plus difficiles. Il n'était d'ailleurs pas tout à fait sûr que Dumbledore les ait entendus à cause du fracas du vent. Comme pour lui donner raison, le directeur donna un coup de baguette et le bruit de la tempête s'estompa autour d'eux, même si les branches s'agitaient toujours violemment.

- Quelle demande pourrait donc me faire un Mangemort ?

- La... La prophétie... la prédiction... de Trelawney...

- Ah, oui, dit Dumbledore. Qu'avez-vous communiqué à Lord Voldemort ?

- Tout... Tout ce que j'ai entendu ! répondit Rogue. C'est pourquoi... C'est pour cette raison... Il pense qu'il s'agit de Lily Evans !

Il jeta tout son être dans ce nom, puisque c'était à présent la seule chose qui le retenait, le seul point stable, pou lui, entre les deux camps de cette guerre. Il n'était plus un Mangemort, n'avait jamais été un homme de Dumbledore. En revanche, il avait toujours été le meilleur ami de Lily. Même si elle ne voulait plus de son amitié

- La prophétie ne mentionnait pas une femme, fit observer Dumbledore. Elle parlait d'un garçon né à la fin du mois de juillet.

- Vous savez bien ce que je veux dire ! Il pense que c'est son fils, il va la traquer... Les tuer tous...

- Si elle a tant d'importance à vos yeux, reprit Dumbledore, Lord Voldemort l'épargnera sûrement. Ne pouvez-vous lui demander la grâce de la mère en échange de son fils ?

- Je... Je l'ai déjà demandée...

- Vous me dégoûtez ! coupa Dumbledore.

Le mépris qui résonna dans sa voix fut pour Rogue un coup aussi violent que le sort qu'il lui avait jeté en arrivant. Ce même mépris lui montra l'énorme gouffre qui existait entre Voldemort et Dumbledore. La grande considération de ce dernier pour l'humain et la vie sauverait Lily bien plus sûrement que la vague condescendance de Voldemort.

- Vous ne vous souciez donc pas de la mort de son mari et de son enfant ? Ils peuvent bien disparaître, du moment que vous obtenez ce que vous voulez ?

Rogue ferma un instant les yeux. Il se fichait éperdument de Potter. Il le tenait pour responsable. Sa propre culpabilité alimentait sa haine contre celui qui lui avait volé Lily, qui l'avait mise dans cette situation en concevant l'enfant de la prophétie. L'enfant comme Potter étaient aussi coupables que lui. Malheureusement, ses réflexions de la veille étaient toujours aussi imparables : Lily préférerait mourir plutôt qu'abandonner son fils. Potter faisait partie du lot. Il le savait depuis le début.

- Cachez-les tous, dans ce cas, dit-il d'une voix rauque. Mettez-la... Mettez-les... à l'abri. S'il-vous-plaît.

- Et que me donnerez-vous en échange ?

Rogue regarda Dumbledore, bouche bée. Il s'était attendu à cette question de la part de Lord Voldemort. On n'obtenait rien sans rien chez les Mangemorts. Il avait cependant compté sur l'altruisme de Dumbledore, sur sa volonté d'être le sauveur du monde. Que voulait-il de plus ? Ne savait-il pas qu'il venait de trahir tout ce en quoi il croyait en venant le trouver ? Il tira nerveusement sur les manches de sa robe.

Il voulait des garanties. La preuve que tout cela n'était pas un piège, qu'il venait véritablement de trahir son maître. Alors qu'il avait déjà tout abandonné, il devait donner plus encore. Il cessait de s'appartenir. Il donnait sa vie pour celle de Lily.

Il lâcha sa manche. Ses mains trouvèrent l'herbe humide alors que tout son corps se relâchait. Il avait choisi. Il se tiendrait à son choix, plus sûrement qu'il n'avait respecté son allégeance à Lord Voldemort. Dans le silence assourdissant qui régnait dans cet œil du cyclone créé par Dumbledore, il releva les yeux et dit simplement :

- Ce que vous voudrez.

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