Partie IV - Chapitre 6

Chapitre 6

Il fallut quelques secondes à Remus pour reprendre ses esprits une fois qu'il eut percuté le sol. Il se redressa aussi vite que possible, baguette brandie. Étonnamment, on ne le désarma pas. Martin était toujours sur ses pieds, prêt à agir. Le nombre de silhouettes dressées face à lui suffisait à comprendre pourquoi il n'avait pas encore contre-attaqué. Ils étaient cinq, répartis en arc-de-cercle dans l'entrée. Severus Rogue se tenait à un bout, l'air satisfait. L'elfe de maison se cachait derrière un sixième homme, que Remus reconnut comme étant Torquil Travers. Les implications de sa présence passèrent à toute allure dans l'esprit de Remus : la loi serait présentée devant le Magenmagot, même s'ils parvenaient à sortir d'ici vivants ; soit ils avaient manqué une alarme, soit Travers avait été prévenu.

- Je crois que vous avez des papiers qui m'appartiennent, commenta Travers.

Il agita sa baguette, et la bandoulière de la sacoche de Martin s'arracha dans un craquement avant de voler vers lui. Il farfouilla dedans un instant avant d'en tirer les parchemins qu'ils avaient subtilisés. Il y mit le feu d'un coup de baguette magique. Remus se tendit ; cette désinvolture était pire que tout. Comme si ce mois de préparation n'avait servi à rien, comme si tous leurs efforts dans cette guerre pouvaient être réduits en cendres aussi facilement que ce parchemin.

- Vous savez, ce que je fais, c'est pour le bien de la communauté sorcière, reprit Travers. Heureusement ces messieurs ont bien voulu m'aider à protéger mon bien. Je vais devoir annoncer au Ministère que l'Ordre du Phénix n'est qu'un ramassis de vauriens.

- Je me demande ce que la Ministre va penser de vos sbires Mangemorts, commenta Martin.

Travers fit mine de jeter un regard étonné aux hommes qui l'entouraient.

- Quels Mangemorts ? Ce sont mes hommes de main, mais en aucun cas des Mangemorts.

La paupière droite de Remus fut prise d'un tic nerveux. Il n'avait pas la moindre idée de la façon dont ils allaient s'en sortir. Vu la tournure que prenaient les événements, Travers allait sans doute les faire arrêter puis juger pour trahison, et ils ne pourraient rien dire. L'appartenance de Severus Rogue aux Mangemorts ne suffirait pas. Il avait pu les quitter, se repentir... Il savait bien sûr que ce n'était pas le cas, mais cet argument ne suffirait jamais à établir une défense. L'Ordre allait être impliqué, Maugrey accusé d'avoir donné cet ordre de mission... Ou alors il allait simplement les abandonner. Tout nier, affirmer que Martin et Remus étaient des dissidents, les laisser tomber mais garder l'Ordre à flots.

Horrifié, Remus réalisa qu'ils ne devaient pas se laisser prendre. Mais comment se sortir de cette situation ? Martin fixait Travers comme s'il allait lui sauter à la gorge. Leur meilleure chance était probablement de créer une diversion pour parvenir à s'enfuir. Remus fouilla le vestibule du regard, à la cherche d'un objet à faire exploser, de n'importe quoi qui pourrait leur permettre de se ruer vers la porte.

- On fait moins le malin pour une fois, Ranger, persifla Rogue.

Travers lui jeta un regard vaguement ennuyé avant de demander :

- Tu les reconnais, petit ? Ce sont bien les deux personnes qu'on m'avait signalées ?

L'interpellé tiqua, appréciant sans doute assez peu d'être désigné ainsi.

- Oui. Remus Lupin et Martin Ranger, apparemment remis de la mort de sa précieuse petite Anne.

Le cœur de Remus rata un battement, alors que le visage de Martin se vidait de toute couleur.

- Comment est-ce que tu sais ça ? croassa-t-il.

Remus pria pour que Travers intervienne et empêche Rogue d'aller plus loin, mais il semblait prendre grand plaisir à voir la situation dégénérer. Rogue répondit donc avec un rictus satisfait :

- A ton avis ?

Martin poussa un cri de rage et voulut attaquer, mais sa baguette s'envola de ses doigts pour tomber entre ceux de Travers. Remus était tellement tendu qu'il se sentait au bord de l'évanouissement. Privé de sa baguette, Martin voulut se ruer vers Rogue mais, sur un geste de Travers, deux hommes le retinrent.

- Il semble qu'il y ait là une querelle à vider, commenta-t-il par-dessus les imprécations de Martin.

- Il a assassiné Anne ! hurla ce dernier, sous le regard satisfait de Rogue.

Remus lui aurait bien enfoncé sa baguette dans l'œil. Il s'apprêtait d'ailleurs à faire quelque chose d'aussi violent lorsqu'on la lui confisqua.

- Pas un geste, M. Lupin, prévint Travers. Sinon s'en est fini pour vous deux. Je vous laisse une chance de vous en sortir : un duel sorcier, en toute équité. Si M. Ranger parvient à vaincre son adversaire, vous serez tous les deux libres de partir.

Remus se crispa. Travers ne garantissait rien quant aux retombées judiciaires. Il n'était pas sûr que le marché soit à leur avantage. Merlin, Rogue pratiquait la magie noire, Martin ne parviendrait jamais à le vaincre. Il jeta un coup d'œil à son ami, qui semblait prêt à assassiner Rogue à mains nues. Peut-être sa rage allait-elle suffire.

- Ecartez-vous, tous... Voilà. Avery, assurez-vous que M. Lupin ne fera pas de vague.

Ledit Avery, un grand type maigre aux dents jaunies, s'approcha de lui et lui enfonça sa baguette dans les côtes. Il ne fallut que quelques secondes à Remus pour évaluer qu'un coup de pied dans le tibia suivi d'un uppercut dans la mâchoire lui permettrait de voler sa baguette. Encore fallait-il que l'occasion se présente. Ils formaient à présent un cercle dans le vestibule. Au centre se trouvaient Rogue et Martin. Ce dernier avait été libéré de la poigne de ses gardiens. On lui avait même rendu sa baguette. C'était un miracle qu'il n'ait pas jeté aux orties les règles du duel pour attaquer directement Rogue.

Sur un ordre de Travers, les deux combattants se mirent en position. Remus entendait les spectateurs prendre les paris : tous comptaient sur la mort de Martin. Ses doigts tapotaient nerveusement sur sa cuisse alors qu'il cherchait désespérément un plan. Merlin, ils avaient besoin d'aide extérieure. Sans sa baguette, impossible d'en obtenir.

Martin et Rogue firent trois pas en arrière, baguette serrée contre la poitrine, puis s'inclinèrent. Ils levèrent alors leur arme, pied droit en avant, et attendirent le signal de Travers. Remus compta tout bas avec lui : « Trois, deux, un... »

Rogue fit un pas de côté pour éviter le sortilège informulé de Martin, qui mit le feu à la porte d'entrée. Un maléfice ouvrit une entaille profonde dans le bras d'attaque de Martin, qui n'émit pourtant pas un son. Bientôt, les sortilèges volèrent trop vite pour que Remus parvienne à les suivre, toujours dans un silence total de la part des adversaires. Remus ignorait que Martin maîtrisait aussi bien les sortilèges informulés ; ils étaient rarement utiles lors d'une bataille, alors qu'on ne s'entendait même pas penser. Il ne reconnaissait pas la moitié des sorts utilisés par Rogue, et même certaines attaques de Martin le surprenaient. Celui-ci transpirait à grosses gouttes – ou pleurait-il ?-, plus concentré qu'il ne l'avait jamais été. Remus voyait toute la haine qui brillait dans ses yeux et rendait chacune de ses attaques plus violentes. Il était évident depuis la première blessure que le duel ne s'arrêterait pas au premier sang ; il coulait à présent en de multiples endroits, chez l'un comme chez l'autre. Remus, au bord de l'explosion, fixait Travers en espérant qu'il allait mettre fin au massacre. Mais la destruction de son vestibule par les sorts perdus ne semblait pas le déranger, pas plus que la violence du duel qui se déroulait. Lorsque Rogue resta prostré au sol quelques secondes, Remus comprit que le duel ne cesserait que lorsque l'un des combattants serait incapable de se relever... Et que l'autre se trouverait alors en mesure de l'achever. Il était incapable de dire si Martin irait jusque-là. A en juger par la haine qui brûlait dans ses yeux... Peut-être.

Frustré, à bout de force, Martin lança alors une attaque plus puissante que les autres. Avec un cri de rage, il leva les bras. Les spectateurs furent balayés par un tourbillon, qui ramassa sur son passage tous les objets tranchants et lourds de l'appartement. Le tout s'abattit sur Rogue dans un rugissement d'apocalypse. Quoi que secoué dans tous les sens par la tourmente, Remus profita de l'occasion pour enfoncer son pied dans les côtés d'Avery, tombé près de lui. Il lui arracha sa baguette des mains, le stupéfixa sans que personne ne l'entende à cause du vacarme. Il se redressa d'un bond dans la soudaine accalmie : Martin et Rogue se faisaient face, ce dernier indemne au milieu des débris de l'attaque qu'il venait de subir. Sa baguette était tendue vers Martin, qui le regardait d'un air étonné. Dans un silence surnaturel, il s'écroula au sol au milieu d'une mare de sang, qui allait en grandissant. Remus, horrifié, vit des taches s'épanouirent sur ses vêtements, en de multiples endroits de son corps. Martin tremblait, la bouche entrouverte, le teint cireux. Les autres spectateurs commençaient à reprendre leurs esprits, mais personne ne remarqua que Remus était libre et armé. Tous fixaient le jeune homme agonisant, dont le sang imprégnait peu à peu les rainures du parquet. Remus détacha à grand peine son regard de Martin et s'aperçut que Travers le regardait. Ses yeux descendirent vers sa baguette, sa bouche s'ouvrit... Remus comprit que s'il souhaitait s'échapper, c'était l'instant ou jamais.

Martin avait cessé de bouger. Avant que Travers n'ait pu émettre un son, Remus transplana.

***

Sirius avait retrouvé Lily chez les Londubat juste avant qu'elle ne parte pour Pré-au-Lard. Il avait commencé par refuser quand elle lui avait demandé de garder Harry, mais elle lui avait servi son air de chien battu. Terrifié à l'idée de s'occuper seul du bébé, il avait négocié de faire son babysitting chez Alice, où une maman pourrait lui venir en aide en cas de besoin. Alice avait accepté, ravie de voir Lily et Sirius sans avoir pour autant la charge de deux nouveau-nés. Il s'était donc rendu dès la fin de sa mission dans la petite maison des Londubat et y avait trouvé les deux jeunes mamans en train de prendre le thé, leur bébé sur les genoux. Lily avait passé la journée là. Elle s'éclipsa bien vite après l'arrivée de Sirius, les joues rouges et l'air rêveur. Sirius ne s'était pas gardé de se moquer de James et elle et de leur niaiserie à vomir. Alice s'était vengée pour Lily en lui collant Neville dans les bras, en plus du petit Harry qui s'y trouvait déjà.

Alors que les adultes finissaient de dîner, Alice jeta un coup d'œil inquiet à l'horloge.

- Frank devrait déjà être rentré.

- Où est-ce qu'il était ?

- De garde pour une rencontre diplomatique je ne sais où. Avec la France, je crois.

- Pourquoi est-ce qu'il fait toujours les trucs intéressants ?

La jeune femme ne put retenir un sourire.

- Parce que Maugrey sait qu'il ne fera pas de commentaire déplacé.

- Ton sous-entendu est peu apprécié.

Elle se mit à rire et le regarda débarrasser la table avec un sourire amusé.

- Tu sais que c'est vrai.

- C'est cela, oui. Et ne t'en fais pas pour Frank, il est peut-être juste au QG pour faire son rapport. Ou il est passé à l'infirmerie.

- Merci, ça me rassure beaucoup.

D'un coup de baguette, Sirius enchanta une éponge pour qu'elle fasse la vaisselle. Il s'installa à nouveau sur sa chaise.

- Frank est un dur à cuire. Je suis sûr qu'il va bien. Et tu sais que je ne suis pas du genre à être optimiste.

Elle se mordilla un instant la lèvre avant de finalement hocher la tête.

- Lily et James devraient bientôt arriver, on rentrera et on t'enverra des nouvelles.

- Content d'être libéré de ton devoir de babysitteur ?

- C'était moins terrible que je ne l'imaginais. Grâce à toi.

- Je n'ai absolument rien fait, Sirius. Tu as même changé sa couche tout seul. Et même fait son biberon !

Bien malgré lui, un petit sourire étira ses lèvres.

- Ça veut dire que je sais m'occuper d'un bébé ?

Alice rit à nouveau. Il n'avait jamais remarqué à quel point elle était joviale. Merlin, il aurait dû s'attacher à mieux la connaître lorsqu'ils étaient encore à Poudlard.

- Tu t'en es très bien sorti. Lily et James ont eu raison de te choisir comme parrain.

- Je ne suis pas sûr que la capacité à changer une couche soit le plus important.

- Non, c'est vrai. Le plus important c'est que tu l'aimes.

Sirius rougit violemment, ce qui ne lui était pas arrivé depuis une éternité. Il n'avait pas l'habitude qu'on expose aussi crûment ses sentiments. Alice souriait tranquillement, bien consciente de l'avoir mis mal à l'aise mais sans doute ravie de l'avoir fait. Pour se donner une contenance, il se redressa d'un bond et entreprit de faire la vaisselle lui-même.

On frappa à la porte quelques instants plus tard. Alice saisit sa baguette avant d'aller ouvrir. Il n'entendit pas la question posée pour vérifier l'identité des visiteurs, mais quelques instants plus tard Alice revint, suivie de Lily et James. Sirius délaissa sa vaisselle pour se tourner vers eux ; ils souriaient comme les adolescents pleins d'hormones qu'ils étaient toujours et se tenaient par la main.

- C'était bien ? interrogea-t-il tout en essuyant une assiette.

- McGonagall nous a surpris en train de nous tripoter dans un placard et a bien failli nous coller, répondit joyeusement James.

- James ! s'offusqua Lily tout en lui filant un coup de coude dans les côtes, alors que les autres éclataient de rire.

- Vous n'étiez pas censés être en mission ? interrogea Alice.

- On avait fini, expliqua James tout en passant son bras par-dessus les épaules de sa femme. Et ce n'était pas désagréable d'être un petit délinquant de Gryffondor à nouveau.

- Je n'ai jamais été une petite délinquante, protesta Lily.

- Tu traînais dans les couloirs après le couvre-feu, PEC.

- Déjà, j'étais préfète-en-chef, en effet. Et c'était pour l'Ordre !

- Et puis tu as déjà été retrouvée dans un placard en galante compagnie.

- Si tu parles de la tienne, je ne suis pas sûre que l'adjectif « galant » soit le bon.

- Hé !

Alice et Sirius observaient leur joute verbale avec amusement. Sirius pouvait presque sentir l'odeur de feu de bois qui régnait toujours dans la Salle commune. Il se sentait transporté deux ans plus tôt, avait l'impression d'être vautré sur le canapé devant la cheminée. Merlin, il aurait également aimé aller à Poudlard.

Après une dernière répartie bien sentie à son mari, Lily se tourna vers leur meilleur ami.

- Ça a été avec Harry ?

- Il a été parfait, répondit Alice à sa place.

- Je ne l'ai pas fait tomber par terre, en tout cas.

- Bien joué, vieux, commenta James. Je savais qu'on pouvait compter sur toi !

- On ne va pas t'embêter plus longtemps, dit Lily à Alice. Merci beaucoup pour la garderie – et je parle de Sirius autant que de Harry.

- Lily !

Les deux jeunes femmes éclatèrent de rire. Dix minutes plus tard, les trois anciens Gryffondors étaient sur le départ. James serrait son bébé endormi contre lui, finalement plutôt heureux de ne plus être un fauteur de troubles à Poudlard. Sirius renouvela à Alice sa promesse de lui envoyer des nouvelles de Frank du QG – voire Frank lui-même – puis ils transplanèrent.

C'est d'humeur joyeuse qu'ils arrivèrent au QG. Le salon comme la cuisine étaient vides. Alors que Lily montait dans leur chambre pour remettre Harry au lit, les garçons gagnèrent la salle de réunion dans l'espoir de trouver quelqu'un. Ils n'y trouvèrent que Marlène, occupée à parapher des parchemins. Elle leva la tête vers eux mais, contrairement à son habitude, ne leur sourit pas.

- Vous êtes au courant ? interrogea-t-elle sans autre préambule.

Un frisson d'angoisse parcourut l'échine de Sirius. Un malheur était arrivé. Il songea aussitôt à Frank et son sang se glaça.

- Qui ? demanda-t-il, alors que James crispait ses mains sur le dossier d'une chaise.

- Martin Ranger.

- Oh, Merlin, souffla James.

- Mais... Sa mission, avec Remus ? Qu'est-ce que ... ?

Marlène détourna le regard et répondit doucement :

- Ils ont été surpris.

- Et Remus ?

- Il va bien.

- Qu'est-ce qu'il s'est passé ? demanda James d'une voix un peu trop sèche.

Marlène leur narra succinctement les événements tout en continuant à remplir ses papiers, sans mentionner aucun nom hormis celui de Travers. Sirius aperçut l'en-tête de l'un d'eux : « Avis de décès ».

- Ils avaient tout prévu, murmura Sirius lorsqu'elle eut fini. Comment est-ce qu'ils ont pu être surpris comme ça ? Comment est-ce que Travers pouvait savoir ce qu'ils voulaient ?

La Sorcière lui adressa un regard pénétrant mais ne dit rien. Il n'eut pas besoin de plus pour comprendre ce qu'elle sous-entendait : trahison. Sirius sauta aussitôt sur la seule source de fuites vraisemblable : le Bureau des Aurors. Connaissant Remus, il n'avait parlé de la mission à personne, en dehors de lui-même. Quant à Martin, nul ne pourrait jamais savoir à qui il avait bien pu parler, mais Sirius ne voyait pas comment un membre de l'Ordre aurait pu trahir.

A côté de lui, James passait nerveusement la main dans ses cheveux, le visage fermé. Il demanda finalement :

- Remus est là ?

- Il se repose. Maugrey l'a interrogé pendant des heures. Je lui ai dit que...

Marlène s'interrompit avec un profond soupir avant de reprendre d'une voix plus contrôlée :

- Je lui ai dit qu'il ne devait pas le brusquer.

- Le projet de loi est passé ? interrogea Sirius.

- Non. Travers a dit qu'il y avait eu un attentat criminel contre son dossier, il a accusé l'Ordre, bref, ça a fait toute une histoire. Merlin en soit remercié, Dumbledore a réussi à faire en sorte que Maugrey ne soit pas suspendu. Remus va devoir se faire discret pendant un moment, mais il devrait toujours pouvoir assurer les missions qui n'ont pas de rapport avec le Ministère. On pense que la Ministre soupçonne les inclinaisons de Travers mais elle ne peut pas passer outre le Magenmagot, ce serait vu comme un coup d'État. Bien sûr Remus peut témoigner contre lui, mais sa voix ne pèsera jamais contre celle de Travers, d'autant plus qu'il a cinq témoins qui témoigneront pour lui. Remus passera pour le délinquant et ce sera fichu.

Sirius s'aperçut que Marlène réfléchissait à voix haute plus qu'elle ne s'adressait à eux. Le front plissé, elle avait cessé de remplir ses parchemins. Elle sembla soudain revenir à elle et leur adressa un petit sourire.

- Mais tout ça ne vous concerne pas, c'est nous qui gérons la partie politique et juridique.

- Vous dites ça comme si nous étions encore des adolescents écervelés, commenta James. On pourrait peut-être aider.

- C'est gentil, James, mais il vous faudrait des années pour apprendre tous les codes qui régissent le fonctionnement du Ministère. Même si ta famille est influente, même si Sirius et toi connaissez très bien la société sorcière, ça ne suffirait pas. Occupez-vous de Remus, tâchez de ne pas devenir aussi parano que Maugrey... Ce sera bien assez.

Elle leur sourit à nouveau, mais ils lurent tous les deux l'inquiétude dans son regard. D'un accord tacite, ils hochèrent la tête et la laissèrent à son occupation.

***

Remus s'était endormi comme une masse après l'interrogatoire de Maugrey. Lorsqu'il se réveilla, il faisait nuit noire. Un cauchemar l'avait tiré de l'inconscience ; il revoyait sans cesse le corps de Martin qui se vidait de son sang, la vie qui s'échappait de ses yeux autrefois si rieurs. Il avait à peine remarqué la colère de l'Auror, qui était furieux que les événements se soient déroulés de la sorte. Il avait assené à Remus qu'il aurait dû abandonner Martin dès que Rogue avait révélé qu'il était l'assassin d'Anne. Qu'il aurait dû prendre les documents et partir. Que la colère et la soif de vengeance destinaient Martin à cette fin. Remus avait bien failli lui sauter à la gorge lorsque ces mots avaient traversé le brouillard du choc. Il s'était contenu de justesse. Il avait bien été obligé de se contrôler lorsque Maugrey lui avait demandé s'il avait parlé de la mission à quelqu'un. Il avait dit non, une fois, deux fois, trois fois... Puis il avait cessé de compter. L'Auror lui avait assené la question de façon insidieuse, brutale... Elle surgissait n'importe quand, au détour d'une phrase qui n'avait aucun rapport. Remus avait menti avec conviction, mû par la longue habitude qu'était sa vie. Il avait toujours menti, toujours dissimulé. Cacher à Maugrey que Sirius était au courant n'avait pas été difficile.

Seulement, il ne savait pas encore exactement pourquoi il avait menti.

Il ne voulait pas croire que Sirius les avait vendus. C'était Sirius, son meilleur ami, le garçon qui était devenu un Animagus à 15 ans pour le soutenir dans son épreuve. Mais aussi le garçon qui avait envoyé Rogue vers la Cabane Hurlante un soir de pleine lune. Il ne pouvait nier que Sirius était imprévisible, que son esprit fonctionnait d'une façon qui le déroutait souvent. Plusieurs fois, au cours de ces années de guerre, il l'avait trouvé insensé, froid, illogique. Il ne pouvait prétendre être sûr à 100 % des réactions de Sirius.

Mais le cœur de Remus se rebellait face à ses arguments. Il refusait obstinément d'y croire.

Alors qu'il était plongé dans ses pensées, assis sur son lit, on frappa à sa porte. Sur son invitation, James et Sirius entrèrent. James alla aussitôt s'asseoir près de lui et lui asséna une tape dans le dos.

- Ça va, vieux ?

- On fait aller.

James joignit les mains sur ses genoux et fixa un instant le tapis, alors que Sirius s'asseyait sur la chaise placée devant le secrétaire.

- Je n'arrive pas à croire que Ranger soit mort, murmura son ami. Il était tellement...

- Plein de vie ? compléta Remus, les yeux dans le vague.

- Moins depuis la mort d'Anne, intervint doucement Sirius.

- Qui est-ce qui vous a raconté ? demanda Remus en prenant soin d'éviter le regard de Sirius.

- Marlène, répondit James.

- Elle vous a dit qui a tué Martin ?

La pointe de colère qui perça dans la voix de Remus l'étonna lui-même. James se tendit à côté de lui.

- Tu le sais ?

- Bien sûr que je le sais. Severus Rogue. Et il a aussi assassiné Anne.

Un choc les fit tous les deux les sursauter : Sirius avait écrasé son poing sur le plateau du secrétaire. Il se leva d'un bond pour faire les cent pas dans la pièce, le visage tordu par la colère.

- Rogue ? cracha-t-il. Rogue les a tués tous les deux ?

Remus déglutit difficilement. Comment Sirius aurait-il pu avertir les Mangemorts et ensuite avoir une telle réaction ? L'esprit du jeune homme tournait à toute allure, explorant toutes les possibilités, même les plus folles, pour tenter de démêler la situation. Si Sirius avait trahi, pourquoi s'énerver contre Rogue ? Parce qu'il était bon acteur ? Parce qu'il en voulait toujours à Severus Rogue et espérait le supplanter dans les rangs des Mangemorts ?

Merlin, rien de tout cela n'avait de sens. Pour cette raison, son esprit cherchait une solution. La plus rationnelle était de décider que Sirius n'y était pour rien, mais la graine du doute était trop forte. Remus voulait y croire, mais le doute était présent dans son esprit et il doutait de pouvoir s'en débarrasser un jour. Il fixa le visage froid de Sirius, dans l'espoir d'y trouver une réponse, un signe de sa détresse. Mais fidèle à lui-même, Sirius ne montrait rien sinon sa rage. Si la mort de Martin l'attristait, il n'en disait rien.

Au contraire, le visage de James était un livre ouvert. On y lisait le conflit intérieur qui l'habitait, sa tristesse face à la mort de Martin, sa colère envers Severus Rogue et sa gêne relative à ce qu'il allait bien pouvoir dire à Lily concernant l'implication de son ex-meilleur ami.

- Marlène pense qu'on a été vendu, dit abruptement Remus.

Son regard, encore posé sur James, glissa lentement vers Sirius. Il le fixait avec une expression impénétrable. Il entendit à peine la voix de James :

- J'ai longtemps combattu le soupçon de Maugrey concernant l'existence d'un traître mais je crois que je vais finir par me ranger à son opinion.

- Un traître dans l'Ordre ? rebondit Sirius. Tu le penses vraiment ? Est-ce qu'il y a une seule personne ici à qui tu ne confierais pas ta vie ?

- Pas au QG, admit James. Mais il y a tout un tas de membres qu'on ne connaît pas, des taupes, des indics...

- Des gens qui n'ont jamais accès à nos missions, fit remarquer Remus d'une voix d'outre-tombe. S'il y a un traître dans l'Ordre, il fréquente forcément le QG.

Sirius secoua la tête avant de répondre :

- C'est pour ça que je n'y crois pas. Ça vient du Bureau des Aurors, forcément. Ils sont bien plus nombreux, bien plus indépendants... C'est beaucoup plus probable.

James hocha lentement la tête, le regard dans le vague.

- J'espère, murmura-t-il.

- Moi aussi, répondit Remus en fixant le visagepensif de Sirius. Moi aussi.

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