Partie IV - Chapitre 28
Chapitre 28
La faible lumière du jour, ténue compte tenu de la saison, filtrait à travers les rideaux. James s'étira aussi discrètement que possible. Se réveiller avant son fils était toujours une victoire. Il pourrait ainsi se prélasser un peu dans son lit plutôt que courir dans la chambre d'en face pour récupérer un petit garçon geignard. Il avait beau n'avoir aucun impératif de la journée, ne pas être réveillé en sursaut restait un luxe.
Luxe qu'il appréciait d'autant plus lorsque cela lui donnait le loisir de contempler sa femme endormie. Appuyé sur un coude, il observa l'ombre que projetaient ses cils sur sa joue, les petits cheveux, presque blonds, qui couronnaient son front. Comme d'habitude, il tenta de compter les taches de rousseur qui parsemaient ses joues mais n'y parvint pas. Elles disparaissaient peu à peu à mesure que l'hiver arrivait. Au plus fort de la saison froide, il ne lui en resterait qu'une dizaine. Amusé, il se demanda à quel moment il avait commencé à connaître Lily Evans mieux que lui-même. Après leur mariage, il en était certain. Il avait l'impression de découvrir quelque chose de nouveau à son sujet chaque semaine – et ce, malgré leur enfermement.
Comme si Lily sentait son regard sur elle, elle battit des paupières. Une fois qu'elle se fut habituée à la douce lumière du matin, elle s'étira et se pelotonna contre son mari.
- Un matin sans hurlement, murmura-t-elle, est le plus beau des cadeaux.
- Je suis bien d'accord.
Il commença à jouer avec une mèche de ses cheveux, un petit sourire sur les lèvres.
- Tu te rends compte qu'il a quatre ans, je m'apprêtais à t'emmener au bal d'Halloween ?
Lily pouffa.
- Tu te rappelles la tête de McGonagall quand elle nous a vus arriver ensemble ?
- A mon sens, ça a été le commencement de tout, souffla-t-il en déposant un baiser sur son front.
- Peut-être bien. Ça, ou le plongeon dans le lac.
- Oh, Merlin, rit-il. J'avais failli oublier.
- Tout ça à cause de ton stupide pari.
- C'est Sirius qu'il faut blâmer.
- N'importe quoi. C'est ton arrogance, le problème.
- Lily !
Elle rit et se redressa pour l'embrasser. Alors qu'il approfondissait le baiser, un pleur se fit entendre de l'autre côté du couloir.
- L'instant de grâce est terminé, souffla-t-elle avant de s'extirper de ses bras.
James tenta vainement de la retenir et retomba dans ses oreillers lorsqu'il la vit franchir la porte. La journée devait commencer. Avec un profond soupir, il fit basculer ses jambes hors du lit, mis ses chaussons, et descendit à la cuisine préparer le biberon de Harry.
Plus tard dans la journée, Bathilda débarqua, les joues rougies par l'air frais, deux citrouilles sous le bras. James poussa un cri de joie à leur vue et les lui arracha presque. Il adorait creuser les citrouilles quand il était enfant, sur la table de cuisine qui se trouvait toujours au même endroit. Il avait dû abandonner ce hobby lors de son entrée à Poudlard, à son plus grand regret. L'Ordre ne lui en avait pas non plus laissé le temps. Ravi, il les déposa sur la table et, pour une fois, bénit son emploi du temps vide de toute occupation.
- Je savais que ça te plairait, lança Bathilda en entrant dans la cuisine, Lily sur ses talons.
- J'ignorais que tu avais une passion pour les citrouilles, commenta cette dernière.
- C'est bien pour ça que tu me plais, la rouquine, rétorqua-t-il tout en fouillant les tiroirs à la recherche des ustensiles adéquats. J'adore Halloween ! Et ça fait des années qu'on n'a pas pu le fêter correctement.
- Oh, tu verrais les décorations dans le village, raconta Bathilda en se laissant tomber sur une chaise. Toutes les vitrines sont couvertes de ces absurdes décorations qui sont censées évoquer notre monde.
- Je me rappelle, sourit-il. C'était déjà comme ça, il y a dix ans.
- Ce n'est pas stupide, protesta Lily. On en fabriquait avec ma sœur, quand on était enfant. Ma mère nous faisait des toiles d'araignées au crochet.
- Je ne comprends pas cette manie d'imaginer que nous sommes moins ordonnés que les Moldus, marmonna Bathilda.
- Il faut bien avouer qu'il y a une ou deux toiles d'araignée chez toi, Tilda, fit remarquer James avec un sourire sarcastique.
- Oh, toi, ça suffit ! Tu te rappelles ce week-end où je vous ai obligés, Remus, Peter, Sirius et toi, à nettoyer toute ma maison ? Vous deviez avoir treize ans.
- Tu nous avais fait croire que tu nous donnerais la solution de tous les devoirs d'histoire de la magie, si on le faisait, se rappela James tout en attaquant la première citrouille.
- Bathilda ! s'esclaffa Lily. C'est scandaleux !
- Le plus scandaleux c'est que ces imbéciles m'aient cru, rétorqua la vieille dame, satisfaite. Les enfants, vous me serviriez une tasse de thé ?
- Depuis quand est-ce que tu bois du thé ? s'étonna James. Tu en as eu marre de ton café immonde ?
- J'ai toujours bu du thé, petit impertinent. Allez, une tasse, et que ça saute ! Non, Lily, ma chérie, reste assise. Au fait, où est Harry ?
- Il fait la sieste, expliqua Lily. Heureusement, sans quoi il aurait déjà essayé de manger la citrouille.
- Oh, il peut faire ses dents dessus si ça l'amuse, rit James tout en s'activant autour de la théière. Elle sera juste un peu plus baveuse.
- Comme absolument tout ce qu'il y a dans cette maison, observa Lily.
Lorsqu'il se réveilla, Harry se montra en effet très intéressé par les citrouilles sur lesquels son père s'acharnait. Pour la première fois depuis plusieurs semaines, James ne songea pas au fait que c'était le second Halloween qu'ils passaient enfermés à Godric's Hollow. Il parvint à se réjouir de la fête sans songer au temps qui s'écoulait sans que la situation n'évolue. Absorbé par le rire de son fils, il en oublia même toutes les pertes que l'Ordre avait subies ces derniers mois. Pour une fois, il s'occupa simplement d'être heureux.
***
Lily, depuis son laboratoire, entendait James pester contre son fils qui pataugeait dans la chair de la citrouille. Elle sourit avant de reporter son attention sur Bathilda, qui lui parlait de la magie sans baguette. Elle était en train de lui expliquer que les historiens ignoraient à quelle date les Sorciers de Grande-Bretagne avaient créé la première baguette et commencé à s'en servir massivement. Sa propre hypothèse était que cela remontait à la brève conquête de l'île par les Romains. Cela aurait représenté une manière plus efficace de se défendre.
Alors que Lily allait la questionner sur les Sorciers d'Afrique, qui pratiquaient la magie sans baguette, un hurlement se fit entendre dans la cuisine. Lily abandonna là sa curiosité pour se précipiter dans l'autre pièce. Elle trouva Harry dans les bras de son père, couvert de citrouille des pieds à la tête. James lui-même n'avait pas été épargné. Il lui adressa un sourire contrit.
- Ça a dégénéré en bataille, expliqua-t-il d'une petite voix, tandis qu'elle lui sortait son meilleur air de préfète-en-chef. Harry est tombé tête la première dans la citrouille.
Lily jeta un coup d'œil à la courge, qui présentait à présent un sourire carnassier et deux yeux méchants. Elle ne put s'empêcher d'éclater de rire, et James fit de même, soulagé. Harry ne cessa pourtant pas de pleurer et tendit les bras vers sa mère, qui déclara qu'il était l'heure de prendre un bain.
Dans l'entrée, elle croisa Bathilda qui rassemblait ses affaires et nouait étroitement son écharpe autour de son cou.
- Tu pars déjà ? s'exclama-t-elle.
- J'ai pas mal de choses à faire chez moi, expliqua la vieille Sorcière. Je vais vous laisser fêter Halloween en famille.
- Tu sais bien que tu en fais partie, protesta Lily.
Pour toute réponse, Bathilda lui tapota la joue avec un sourire presque maternel puis s'en fut. Lily songea, avec un brin de tristesse, qu'elle accusait soudain le poids des années.
Lorsqu'elle redescendit, une demi-heure plus tard, la nuit était tout à fait tombée. James avait nettoyé la cuisine, Lily avait lavé Harry et l'avait mis dans son petit pyjama bleu. Il s'accrochait à elle comme un petit koala, signe qu'il était fatigué. James déposa fièrement les citrouilles sur la table de la salle à manger et plaça des bougies à l'intérieur. L'effet était superbe.
- Quel talent, commenta-t-elle en s'approchant de son mari qui affichait un sourire ravi.
Il glissa un bras autour de sa taille, déposa un baiser sur sa tempe et un sur le crâne de son fils.
- N'est-ce pas ? C'est ma vraie vocation.
- Ça te fait un emploi assez limité.
- Je vais imposer qu'on fête Halloween tous les jours.
Lily rit puis lui tendit son fils.
- Je crois qu'on va faire dîner ce petit bonhomme tout de suite, il a l'air épuisé.
- Tu veux que je prépare son repas ?
- Non, non, je vais le faire. Empêche-le de pleurer pendant ce temps-là, ce sera déjà un grand service !
- Mère sans cœur, rit James.
- Pas du tout, protesta-t-elle, offusquée.
Il plaqua un baiser sur ses lèvres.
- Lily de mon cœur, souffla-t-il pour se faire pardonner.
- Mon grand imbécile préféré, rétorqua-t-elle sur le même ton, un sourire tendre sur les lèvres.
Il lui adressa un clin d'œil avant de s'occuper de Harry, qui commençait à geindre. Lily gagna la cuisine, où elle prépara la purée de son fils en chantonnant. Elle était heureuse de voir James manifester un peu d'enthousiasme. Les dernières semaines avaient été difficiles. Elle jeta un coup d'œil au calendrier, songeuse. Elle ne voyait pas comment ils pourraient rester enfermés dans la maison toute leur vie, si personne ne parvenait à arrêter Voldemort. Peut-être pourraient-ils trouver une autre solution. Ou bien simplement tenter le tout pour le tout. Elle frémit à l'idée de ce qui pourrait arriver à Harry dans ce cas-là et décida de ne plus y penser pour le moment.
Lorsqu'elle revint dans le salon, James faisait jaillir des volutes de fumée colorées de sa baguette, sous les yeux ébahis de son fils. Le bébé voulut en attraper un, échoua et éclata de rire. Appuyée au chambranle de la porte, Lily sourit.
***
(Le passage suivant est tiré de Harry Potter et les reliques de la mort, chapitre 17, « Le secret de Bathilda »).
Dans la nuit humide et venteuse, deux enfants déguisés en citrouilles traversaient la place d'une démarche chaloupée ; les vitrines des magasins étaient couvertes d'araignées en papier, on voyait partout les ornements de pacotille dont les Moldus se servaient pour évoquer un monde de sorciers auquel ils ne croyaient pas... Il marchait d'un pas souple avec cette détermination, cette puissance, cette certitude d'avoir raison, qu'il éprouvait toujours en semblables circonstances... Ce n'était pas de la colère... Il fallait laisser cela aux âmes plus faibles que la sienne... Mais une sensation de triomphe, oui... Il avait attendu ce moment, il l'avait espéré...
- Joli déguisement, monsieur !
Il vit le sourire de l'enfant s'effacer lorsque celui-ci fut suffisamment près pour regarder sous le capuchon de la cape, il vit la peur assombrir son visage maquillé. Puis l'enfant fit volte-fac et s'enfuit en courant... Sous la robe il tourna sa baguette entre ses doigts... Un simple mouvement et l'enfant ne retournerai jamais auprès de sa mère... Mais c'était inutile, tout à fait inutile...
Il s'engagea dans une autre rue plus sombre. A présent, enfin sa destination était en vue, le sortilège de Fidelitas brisé, mais eux ne le savaient pas... il faisait encore moins de bruit que les feuilles mortes qui glissaient sur le trottoir lorsqu'il parvint à hauteur de la haie au feuillage sombre et jeta un coup d'œil par-dessus...
Ils n'avaient pas fermé les rideaux, il les voyait nettement dans leur petit salon, l'homme de haute taille, avec ses lunettes et ses cheveux bruns, faisant jaillir du bout de sa baguette des volutes de fumée colorées pour amuser le petit garçon en pyjama bleu, aux cheveux aussi bruns que ceux de son père. L'enfant riait et essayait d'attraper la fumée, de l'enfermer dans son petit poing...
Une porte s'ouvrit et la mère entra. Elle prononça des paroles qu'il ne pouvait entendre, ses longs cheveux roux foncé lui tombant sur le visage. Le père, à présent, avait pris l'enfant dans ses bras et le tendait à sa mère. Il jeta sa baguette sur le canapé puis s'étira en bâillant...
***
(Les passages en italique suivants sont tirés de Harry Potter et les reliques de la mort, chapitre 17, « Le secret de Bathilda »)
- On va manger, petit bonhomme ?
James cessa ses illusions et souleva son fils dans ses bras. Après avoir déposa un baiser sur son front, il le donna à sa mère qui l'emmena dans la cuisine. Fatigué de ses efforts avec les citrouilles, qui ne s'étaient pas facilement laissé creuser, il bâilla à s'en décrocher la mâchoire et s'étira. Un brin nostalgique, il se souvint des Halloweens à Poudlard, du bal mais aussi de toutes les farces que les Maraudeurs avaient perpétrés à cette période de l'année. C'était le bon temps.
Un grincement se fit entendre dans le jardin mais James n'y prêta pas attention. Le portail jouait un peu. A côté, il entendait Lily racontait tout un tas de choses à Harry tout en le nourrissant. Elle éclata de rire, sans doute à cause de l'une des mimiques du bébé. Puis il l'entendit annoncer :
- On va aller te nettoyer là-haut, petit dégoûtant.
Mais le rire de sa femme et l'écho de ses pas dans l'escalier s'évanouirent dans l'air froid de la nuit lorsque la porte d'entrée s'ouvrit à la volée.
Le cœur de James fit un bond, toute la méfiance, toutes les craintes accumulées durant l'année écoulée lui revinrent subitement. Comme dans un rêve, il se précipita vers l'entrée. Il la vit tout de suite, la grande silhouette encapuchonnée, si noire qu'elle semblait absorber toute la lumière et toute la chaleur de leur foyer. Il vit sa main, blanche et maigre, qui tenait la baguette.
Il les avait trouvés.
James n'eut pas le temps d'y penser, pas le temps de s'appesantir sur l'injustice du sort. Il n'avait qu'une seule chose à faire. Trop tard, il se rappela avoir laissé sa baguette sur le canapé.
Son élan l'avait jeté devant l'escalier, l'accès à Lily et Harry. Toute la scène n'avait duré que quelques secondes et déjà il hurlait :
- Lily ! Prends Harry et va-t'en ! C'est lui ! Va-t'en ! Cours ! Je vais le retenir...
Le rire de Voldemort, dans lequel James entendit sa sentence de mort, emplit le petit hall d'entrée, coupa net les cris du jeune homme.
Au dernier instant de sa vie, James parvint à en faire abstraction pour se remémorer le rire de Lily, qui emplissait la maison un moment plus tôt. Il n'y eut qu'une seconde de silence avant la formule fatale. La dernière chose qu'il vit fut la lumière verte que jamais il n'avait crainte.
Comme tant de fois auparavant, James Potter fit face à la mort, le cœur plein de courage.
***
Tout s'était enchaîné à une vitesse affolante. Lily avait à peine monté cinq marches qu'elle entendit le bruit de la porte qui allait cogner violemment contre le mur. Poussée par l'instinct, elle courut jusqu'au palier, Harry étroitement serré contre elle. Elle n'osa pas regarder en bas, espéra, un court instant, que c'était seulement Bathilda. Mais la voix de James la détrompa bien vite. Elle trébucha sur le tapis du couloir lorsqu'elle entendit la panique dans sa voix. Sa main libre tremblait tant qu'elle ne parvenait à ouvrir la porte de la chambre de Harry. Lorsqu'elle ouvrit enfin le battant, elle entendit la voix de Voldemort, vit la lueur verte qui, le temps d'un éclair, éclaboussa les murs de sa maison.
Par-dessus tout, elle entendit le bruit d'un corps qui tombait.
Elle claqua la porte derrière elle en même temps qu'un cri s'échappait de ses lèvres. Deux minutes plus tôt, James était vivant. A présent... A présent...
James est mort.
La pensée s'imposa à son esprit alors qu'elle déposait Harry et commençait à pousser les meubles contre sa porte. Elle ignorait où était sa baguette.
James est mort.
Cette réalité pulsait au rythme de son cœur, en emportait un bout avec elle à chaque battement. Des images de son mari tournait à toute vitesse devant ses yeux, l'écho de son rire semblait résonner dans la chambre d'enfant. Si on lui laissait le temps, elle retrouverait son odeur sur le pull qu'il avait porté la veille.
Mais du temps, elle n'en avait pas. En deux minutes, tout s'était arrêté.
James est mort.
Lorsqu'elle eut empilé tout ce qu'elle pouvait devant la porte, elle recula jusqu'au lit à barreaux. Ses doigts se crispèrent sur son bord, elle sentit les petites mains de son fils se poser dessus. Malgré l'appui du lit, elle tremblait.
James est mort.
Elle aurait aussi bien pu être morte, elle aussi.
Si ce n'était de la petite vie qui palpitait derrière elle, elle aurait abandonné. Elle prit une profonde inspiration, inconsciente des larmes qui roulaient sur ses joues. James et elle avaient vécu cette dernière année pour Harry. Elle devait continuer.
Les meubles posés devant le battant bougèrent sans effort lorsque la magie repoussa la porte de la chambre. Lily reconnut sans peine l'homme qu'elle avait déjà affronté plusieurs fois. Dans un suprême effort, elle écarta les bras, comme pour cacher son fils à la vue de ce Sorcier qui voulait sa mort.
Elle n'avait pas de baguette ? Qu'à cela ne tienne. Elle se battrait avec toute sa volonté. Dans son esprit, elle voyait James, son sourire, ses yeux. Il était mort, mais il faisait partie d'elle. Les larmes dégoulinaient toujours sur ses joues, sa voix était déformée par la douleur qui lui labourait les entrailles.
- Pas Harry, pas Harry je vous en supplie, pas lui !
- Pousse-toi, espèce d'idiote... Allez, pousse-toi...
Lily n'entendit même pas qu'elle avait une échappatoire. Jamais elle n'abandonnerait son fils. Elle était prête à toutes les humiliations pour le sauver. Harry ne devait pas mourir. Son bébé, son tout petit bébé... Il devait vivre. Une partie d'elle-même était déjà morte avec James, mais Harry, lui, devait vivre.
- Non, pas Harry, je vous en supplie, tuez-moi si vous voulez, tuez-moi à sa place...
- C'est mon dernier avertissement...
- Non, pas Harry ! Je vous en supplie... Ayez pitié... Ayez pitié... Pas Harry ! Pas Harry ! Je vous en supplie... Je ferai ce que vous voudrez...
- Pousse-toi, idiote, allez, pousse-toi...
Il avançait vers elle, sa baguette tendue. Lily savait ce qui allait venir. Elle espéra un miracle. Les bras étendus devant son fils innocent, elle songea une dernière fois à quel point elle l'aimait. Ils avaient fait tout ce qu'ils avaient pu pour le protéger. Lily ne considéra pas un seul instant qu'ils avaient agi en vain. James et elle avaient fait ce que l'amour commandait.
Au crépuscule de sa vie, c'était tout ce qui lui importait.
Le cœur plein d'amour, Lily Potter tomba à son tour.
***
Bathilda s'assoupissait dans son fauteuil lorsque l'explosion retentit. Un souffle mauvais balaya la maison et fit trembler les vieilles charpentes. La vieille Sorcière bondit de son siège, hagarde, avant que son regard ne se pose sur la maison voisine.
Un nuage de poussière entourait la maison des Potter. Baguette à la main, le cœur battant à tout rompre, elle se précipita hors de chez elle et courut aussi vite que la portaient ses jambes. Elle s'arrêta net devant le portail. Quelques mètres devant elle, la porte d'entrée béait. La lumière du hall lui permettait de distinguer parfaitement l'intérieur. Il lui sembla que son cœur cessait de battre lorsqu'elle le vit.
Le corps de James, étendu au pied de l'escalier.
Grâce à une force de caractère acquise au cours des longues années de sa vie, Bathilda parvint à réagir. Songeant au bruit émis par l'explosion, elle entoura la maison d'un sort repousse-moldus. Les quelques personnes qui arrivaient dans la rue en courant firent aussitôt demi-tour. L'obscurité avait caché l'usage de la magie. Une fois cette simple tâche accomplie, elle toussota dans la poussière qui retombait. Elle vit alors le trou béant dans la chambre de Harry. Elle osait à peine respirer. Une seule personne avait pu faire une chose pareille mais... Où était-il ?
Elle décida finalement que le plus sûr était de contacter Dumbledore. Sans se soucier de la présence d'éventuels témoins, elle envoya son patronus au directeur de Poudlard. Le message était simple : « Maison des Potter détruite, James mort. J'ignore ce qu'il s'est passé ». Elle attendit ensuite dans la nuit froide, incapable de quitter cet endroit, comme on refuse de quitter le mort qu'on veille. James était le petit-fils qu'elle n'avait jamais eu. Après la mort de ses parents, elle s'était sentie responsable de lui. Elle sentait la mort s'approcher d'elle, peu à peu, et jamais, jamais, elle n'avait envisagé partir avant lui.
La vieille Sorcière pleura, debout dans la rue déserte et couverte de décombres. Elle pleura pour cette jeune famille qui ne vivrait jamais vraiment, pour chacun d'entre eux individuellement. Pour James qu'elle avait toujours connu, pour Lily qu'elle avait vite appris à aimer, pour Harry qui était si petit. Elle avait l'impression que jamais elle ne pourrait cesser de pleurer.
Pourtant, un bruit fracassant la tira des affres du désespoir. Elle releva ses yeux baignés de larmes et s'aperçut qu'un homme immense venait d'atterrir près d'elle. Lorsqu'il se redressa, elle avisa le vieux couvercle de poubelle qu'il tenait à la main. Un Portoloin.
- Suis Hagrid, se présenta l'homme d'une légèrement tremblante. Garde-chasse de Poudlard. Dumbledore m'envoie pour... pour fouiller la maison.
- Mais c'est dangereux, balbutia Bathilda. C'est sans doute Vous-Savez-Qui qui a...
- Il dit qu'il doit avoir disparu, si vous ne l'avez pas déjà vu, interrompit Hagrid avant de renifler bruyamment. Lily et James, ils sont... ? Et Harry ?
- Je ne sais pas, admit Bathilda alors que les larmes coulaient à nouveau le long de ses joues. James... James, si, mais Lily et Harry... Je ne sais pas.
Hagrid hocha sa tête hirsute et, sans perdre plus de temps, s'avança dans le jardin défiguré par les briques qui étaient tombées de la maison. Bathilda l'observa, angoissée. Elle entendit son cri lorsqu'il vit le corps de James, mais il monta vaillamment à l'étage. Au bout de cinq minutes qui lui parurent affreusement longues, l'homme reparut. Des torrents de larmes ruisselaient sur son visage.
- Lily, bredouilla-t-il. Devant le berceau de son fils. Mais il... il vit.
Bathilda s'aperçut alors qu'il tenait quelque chose dans ses bras. Elle se précipita vers elle, écarta les pans de la couverture et laissa échapper un sanglot soulagé. Harry respirait régulièrement, indemne, mis à part la cicatrice en forme d'éclair, légèrement sanguinolente, qui lui barrait à présent le front.
- Vite, venez chez moi, pressa Bathilda.
- C'est ce que le professeur Dumbledore m'a dit de faire, hoqueta Hagrid. D'emmener Harry à l'endroit qu'il m'a indiqué quand il me donnera le signal.
Bathilda hocha la tête et se jura qu'elle protégerait Harry jusqu'à ce que Dumbledore prenne le relais. C'était tout ce qu'elle pouvait faire pour Lily et James à présent.
***
(Les parties en italique suivantes sont tirées de Harry Potter et le prisonnier d'Azkaban, JK Rowling, chapitre X)
Sirius sentait comme un malaise planer sur l'Angleterre, en cette soirée d'Halloween. Sur le chemin de son appartement, il se secoua. C'était sans doute la fatigue, due à la mission dont il revenait tout juste. Autour de lui, des enfants déguisés couraient les rues, des sacs de bonbons à la main. Un instant, Sirius se demanda si Lily allait de porte en porte, lorsqu'elle était enfant, déguisée en sorcière alors qu'il s'agissait de sa véritable nature.
Arrivé devant la porte de son immeuble, il s'arrêta. Il joua avec ses clefs, dans sa poche, puis fit volte-face. Il souhaitait savoir comment Peter vivait ses tous premiers jours de réclusion. Il fit le tour de l'immeuble pour aller chercher sa moto, qu'il privilégiait toujours pour se déplacer lorsqu'il n'était pas en mission. Il détestait toujours le transplanage. Près d'une heure plus tard, il se trouvait devant la maison de Peter. Il passa sans peine les cercles de sécurité, qu'il avait installés lui-même. Il frappa à la porte une première fois. Au bout de quelques minutes, il recommença. Comme il n'obtenait toujours aucune réponse, il poussa prudemment la porte. Peter était capable de croire que c'était un ennemi qui venait en frappant chez lui.
- Peter ? Appela-t-il. C'est moi, Sirius. Tu as failli manger une vraie grenouille en deuxième année, quand on l'a ensorcelée avec James pour qu'elle ait l'air d'une Chocogrenouille.
Il referma doucement la porte derrière lui. Aucune réponse ne lui parvint. La petite maison était silencieuse. Sirius passa dans la cuisine, perplexe. Tout était immaculé, la vaisselle proprement rangée dans les placards. C'était à croire que personne n'avait emménagé dans cette maison. La salle à manger était dans le même état de propreté parfaite. Toujours aucune trace de Peter.
Sirius commençait à s'inquiéter. Il était presque vingt-deux heures, Peter ne pouvait pas être en train de faire les courses. S'était-il endormi ?
- Peter ? Appela-t-il à nouveau en ouvrant la porte de la chambre.
Le lit était bordé, l'oreiller semblait ne pas avoir servi. Seule trace de désordre, les portes de l'armoire étaient grandes ouvertes. Sirius s'approcha, les sourcils froncés. Elle était entièrement vide. Sa malle avait disparu.
Le cœur de Sirius rata un battement. Il se précipita hors de la maison, sauta sur sa moto et mit le cap sur Godric's Hollow. Ses mains tremblaient sur les poignées de la moto. Il atterrit devant la maison des Potter. Le trou béant à l'étage lui sauta aussitôt aux yeux. Il prit une profonde inspiration tremblotante.
C'était impossible.
Il se précipita vers l'entrée, à peine conscient des débris qui encombraient le jardin, ouvrit la porte à la volée... Et crut qu'il allait s'évanouir. La poignée de la porte lui resta dans la main mais il ne s'en aperçut même pas.
James était étendu sous ses yeux. Mort.
Ses jambes cédèrent et il s'écroula, à quelques mètres de son meilleur ami. Il suffoquait. C'était impossible. Les Maraudeurs étaient immortels. Pourtant, James ne bougeait pas, ses yeux fixaient la mort, sa bouche, immobile, ne laisserait plus jamais passer le moindre rire. Sirius eut l'impression qu'on lui arrachait la moitié de son âme, que toute sa jeunesse s'envolait pour ne laisser que la carcasse à demi morte d'un homme brisé.
James était son presque frère, son soutien, la meilleure part de lui. Sans lui... Sans lui, qui était-il ?
Il ne pleurait même pas, anéanti par la douleur. Son regard tomba sur l'alliance qui brillait au doigt de James, et il fit un suprême effort pour se relever. Lily et Harry. Qu'était-il advenu d'eux ?
Il dut s'appuyer à la rambarde pour ne pas s'écrouler lorsqu'il enjamba le corps de son meilleur ami. Les oreilles bourdonnantes, il gagna l'étage. Du palier, il aperçut Lily. Lily, qui avait gagné son cœur, qui l'aimait envers et contre tout, qui, une fois qu'elle avait appris à le connaître, avait toujours cru en lui. Ses cheveux roux formaient comme une auréole autour de sa tête. Il n'eut pas la force de s'approcher, n'eut pas le courage de regarder dans le berceau et de voir le corps de son filleul. Dans son esprit, les images de la maison parfaitement en ordre de Peter tourbillonnaient.
Peter avait pris la fuite.
Les Potter étaient morts.
Il ne fallait pas être devin pour comprendre ce qu'il s'était passé. Une flambée de colère balaya son désespoir. Il dégringola l'escalier, retint un sanglot lorsqu'il repassa devant James puis sortit de la maison. La colère devint rage, l'aida à redresser les épaules, à mettre de côté l'insupportable douleur.
Peter avait trahi les Potter. Il avait trahi son meilleur ami, trahi tous les Maraudeurs. Sirius repensa à l'année écoulée, à toutes les missions qui avaient échoué à cause du traître. Tout ce temps, c'était Peter. Et dire qu'il avait cru qu'il s'agissait de Remus !
Il éclata d'un rire dur dans la nuit noire. Il avait poussé James à choisir Peter comme gardien du secret, il avait cru être plus malin. Merlin, Peter devait déjà renseigner Voldemort lorsqu'il le lui avait demandé ! Si quelqu'un était responsable de la mort de James, Lily et Harry, c'était lui, Sirius. Pour se racheter – même si rien ne ramènerait ses meilleurs amis – il vengerait les Potter. Les Potter, et tous ceux qui étaient morts par la faute de Pettigrow.
Il fit un pas, décidé à commencer sa traque aussitôt, mais il s'écroula sur le bitume. La peine éteignit sa rage, balaya ses instincts meurtriers pour le laisser vide, désespéré, secoué par les larmes, des sanglots qui lui arrachaient le cœur. Jamais il n'avait souffert de la sorte, pas même quand Ethel avait trahi. Lorsqu'il l'avait rayée de sa vie, il ne s'était pas retrouvé seul. A présent...
Ses pensées effleurèrent Remus, qu'il avait soupçonné durant tous ces mois. Il devait le prévenir... Lui dire de se méfier de Peter. Mais il était pour le moment incapable d'agir.
- Sirius ?
Le jeune homme releva la tête, la vue brouillée par les larmes. Peu lui importait s'il s'agissait d'un des sbires de Voldemort venu pour l'achever.
La personne s'approcha, et il reconnut Bathilda.
- Mon petit Patmol, souffla-t-elle en lui tendant la main. Viens, viens à la maison. Harry sera content de te voir quand il se réveillera.
Sirius crispa ses doigts sur les siens.
- Harry ?
- Il est vivant, chuchota-t-elle. J'ignore ce qu'il s'est passé, mais il va bien.
Cette information donna suffisamment de force à Sirius pour marcher jusqu'à la maison de la vieille Sorcière. Curieusement, Hagrid était là, assis dans le salon. Il tenait dans ses bras le bébé endormi, abandonné avec confiance dans les grandes mains du garde-chasse de Poudlard. Sirius marcha droit vers lui et se laissa tomber à genoux auprès de ce fauteuil dans lequel James s'était si souvent de fois assis, lorsqu'ils rendaient visite à Bathilda. La barbe du demi-géant était maculée de larmes. Sirius aussi se mit à pleurer, les yeux fixés sur la dernière trace du passage de Lily et James Potter sur la terre. Il effleura d'un doigt tremblant la cicatrice sur son front. Il voyait ses deux amis dans ce petit garçon, mais il pensait aussi à la triste façon dont Harry commençait sa vie. Un orphelin. Ses pleurs redoublèrent et Hagrid dégagea maladroitement une de ses mains pour lui tapoter l'épaule – si fort que Sirius faillit basculer sur lui.
- Il... il va bien, hoqueta Hagrid. C'est déjà... C'est déjà une bonne nouvelle.
- Donne-moi Harry, Hagrid, hoqueta Siirus en levant ses yeux brouillés de larmes vers lui, je suis son parrain, je m'occuperai de lui.
Hagrid secoua sa tête hirsute tout en reniflant bruyamment.
- Non, Dumbledore a dit que Harry devait être confié à sa tante et à son oncle.
- Im... Impossible, balbutia Sirius. Pétunia... Elle déteste les Sorciers. Il doit venir avec moi, c'était... C'était ce que James et Lily voulaient.
Son cœur se déchira un peu plus lorsqu'il prononça ses mots. Il se rappela avec une acuité douloureuse du jour où les Potter lui avaient confié leur enfant. Ils avaient plaisanté à propos de la possibilité de leur mort. Jamais il n'avait sérieusement imaginé devoir élever Harry.
- Dumbledore m'a donné des ordres, répéta Hagrid d'une voix plus ferme.
Sirius voulut protester encore, mais une pensée jaillit soudain son esprit. Peter. Il devait attraper Peter. C'était la première chose qu'il devait faire pour Harry, venger ses parents. Or, il ne pouvait le faire avec un bébé à sa charge. Il referma la bouche sur l'argument qu'il allait opposer à Hagrid. Ses larmes se tarirent alors que la colère prenait à nouveau la place du chagrin. Sa haine envers Pettigrow était aussi vive que sa douleur. Peter allait payer. Une fois sa mission accomplie, il irait chercher Harry auprès des Dursley, et il l'élèverait comme il le pourrait. Sirius doutait de ses qualités de père, mais il savait qu'il donnerait au petit garçon tout l'amour qu'il avait en réserve.
Les larmes recommencèrent à couler sur sa figure alors qu'Hagrid fermait les yeux, enfoncé dans le fauteuil. Sirius dévisagea un moment le géant, puis Harry. Son filleul était en sécurité avec lui, et Dumbledore ne l'enverrait pas dans un endroit où il était en danger. Sa décision prise, il se redressa. Il ne pouvait pas attendre – plus il laissait le temps filer, plus Peter avait de chance de quitter la Grande-Bretagne.
- Hagrid, appela-t-il d'une voix qui ne tremblait plus du tout.
Le demi-géant ouvrit ses yeux rougis pour le regarder, perdu.
- Comment dois-tu aller chez les Dursley ? La tante de Harry ?
- Je ne sais pas trop encore, balbutia-t-il, perdu. Avec le petit.
- Prends ma moto. Elle est très sûre, ce sera le mieux.
- Mais...
Sans l'écouter, Sirius posa les clefs sur l'accoudoir du fauteuil et s'enfuit, après un dernier regard accordé à Harry. S'il restait plus longtemps sa résolution risquait de faiblir.
- Sirius ! Appela Bathilda juste avant qu'il ne franchisse la porte. Où vas-tu ?
- Tu le sauras plus tard, répondit-il sans s'arrêter.
- Mais... Sirius ! Patmol, ne fais rien de dangereux !
Le jeune homme s'immobilisa au milieu de l'allée, le cœur en miettes. Patmol, son surnom de Maraudeurs. Signifiait-il encore quelque chose ? Les Maraudeurs avaient-ils encore un sens alors que James était mort par la faute de Peter, que Sirius s'apprêtait à traquer ? Toutes ces années d'amitié... N'avaient-elles été que mensonge ?
Sirius serra les poings, contrôla ses larmes mais non la rage qui le consumait, et reprit son chemin.
***
(Les parties en italique sont tirées de Harry Potter et les reliques de la mort, chapitre 33, « Le récit du Prince »)
Severus déboula dans le bureau de Dumbledore au milieu de la nuit, les yeux fous, paniqué. Il avait entendu des rumeurs, des disputes, des choses folles. Dumbledore saurait peut-être l'éclairer. Il trouva le vieux Sorcier assis à son bureau, les doigts croisés sous son nez, le teint pâle. Il ne manifesta aucune surprise en le voyant.
- Le seigneur des Ténèbres, haleta Rogue. Il est... il est allé...
- Je sais, interrompit Dumbledore d'un ton morne.
Rogue attrapa le dossier du fauteuil qui se trouvait devant lui pour se stabiliser. Il fixa des yeux hantés sur le directeur.
- Que savez-vous ?
- Je sais qu'un affrontement a eu lieu à Godric's Hollow, mais qu'on n'y trouve nulle trace de votre maître, répondit-il sans émotion.
Severus refusa d'accepter l'idée qui s'imposait à lui pour balbutier :
- La Marque... On a tous senti quelque chose, tout le monde a cru que le maître nous appelait mais impossible de le rejoindre. Bella... Bella savait où il allait, elle est devenue folle furieuse, elle... elle dit que c'est impossible que...
- Et pourtant, interrompit à nouveau Dumbledore. Voldemort n'est pas à Godric's Hollow. Et son ennemi vit.
Tout tournait autour de Severus. Il avait beau avoir rejoint l'autre camp, il pensait Voldemort invincible. Etait-il possible... ? Les derniers mots de Dumbledore le frappèrent soudain. Une lueur d'espoir s'alluma en lui.
- Ils vivent ? Bredouilla-t-il.
Dumbledore le dévisagea un moment. Il affichait une mine sinistre.
- Lily et James Potter sont morts.
Rogue vacilla. Une plainte s'échappa de ses lèvres alors qu'il se laissait tomber dans le fauteuil placé devant lui. L'idée que Voldemort pouvait disparaître perdit toute son importance. Il avait longtemps cru que son monde tournait autour du mage noir mais la réalité lui prouvait une nouvelle fois qu'il n'était pas le pivot de sa vie. Non, le pivot de sa vie était Lily Evans. Et Lily était morte.
Il gémit à nouveau. C'était comme si la seule part d'humanité qui restait en lui venait de mourir. Plus rien n'avait de sens. Tout ce temps, il s'était battu pour qu'elle vive. Il avait tout abandonné pour elle. Le silence s'éternisait dans le bureau mais il n'en avait cure. Il oublia la Marque des Ténèbres, tatouée sur son bras, qui le brûlait encore. Elle servait normalement de direction pour trouver Voldemort mais elle ne menait plus à personne. Il oublia ses camarades Mangemorts qui se disputaient, dans leur QG, incapables d'accepter la vérité. Il oublia les années de terreur qui prenaient subitement fin, il oublia cet ennemi de Voldemort qui vivait encore. Le seul visage qui hantait ses pensées était celui de Lily Evans, ses yeux verts perçants et ses cheveux roux foncé. Dans un coin de son esprit, elle lui souriait. Il avait cru la perdre lorsqu'elle avait rejeté son amitié, à la fin de leur cinquième année. Il comprenait à présent qu'aucune séparation n'était plus définitive que la mort. Il ne pleura pas, trop fier pour cela. Pourtant la douleur le rongeait, cachait toute étincelle de vie sous un étau de plomb. Il sentait que jamais il ne pourrait être heureux, pas sans Lily Evans sur la terre.
Il releva finalement la tête et accusa d'une voix tremblante :
- Je croyais... que vous alliez... la mettre... en sûreté...
- James et elle ont accordé leur confiance à quelqu'un qui ne la méritait pas, répondit Dumbledore. Un peu comme vous, Severus. N'espériez-vous pas que Lord Voldemort l'épargnerait ?
Rogue avait du mal à respirer.
- Son fils a survécu, poursuivit Dumbledore.
Rogue eut un petit mouvement de tête, comme s'il chassait une mouche exaspérante.
- Son fils a survécu. Il a ses yeux, exactement les mêmes. Vous vous souvenez sûrement de la forme et de la couleur des yeux de Lily Evans ?
- ARRETEZ ! Beugla Rogue. Partie... Morte...
- Serait-ce du remords, Severus ?
- Je voudrais... Je voudrais, moi, être mort...
- Et en quoi cela servirait-il à qui que ce soit ? Interrogea Dumbledore avec froideur. Si vous aimiez Lily Evans, si vous l'aimiez vraiment, la voie qui s'offre à vous est toute tracée.
Le regard de Rogue semblait perdu dans une brume de douleur et on avait l'impression que les paroles de Dumbledore mettaient longtemps à l'atteindre.
- Que... Que voulez-vous dire ?
- Vous savez comment et pourquoi elle est morte. Faites en sorte que cela n'ait pas été en vain. Aidez-moi à protéger le fils de Lily.
- Il n'a pas besoin de protection, le Seigneur des Ténèbres n'est plus là...
- Le Seigneur des Ténèbres reviendra, et un terrible danger menacera alors Harry Potter.
Il y eut un long silence et Rogue reprit lentement le contrôle de lui-même, maîtrisant sa respiration. Enfin, il parla à nouveau :
- Très bien, très bien. Mais ne le dites jamais à personne, Dumbledore, jamais à personne ! Cela doit rester entre nous ! Jurez-le ! Je ne peux pas supporter... Surtout le fils de Potter... Je veux votre parole !
- Vous voulez ma parole, Severus, que je ne révélerai jamais ce qu'il y a de meilleur en vous ? soupira Dumbledore en baissant les yeux sur le visage à la fois féroce et angoissé de Rogue. Si vous insistez...
***
Remus se réveilla tard, le premier novembre. C'était la première fois depuis des jours et des jours qu'il passait une nuit complète, et il en avait bien profité. Alors qu'il buvait son café dans son petit appartement londonien, il vit une chouette passer devant sa fenêtre. Il y prêta à peine attention, habitué à voir ces volatiles transporter des messages pour les Sorciers, même si c'était assez rare en plein jour. Néanmoins, son attention fut piquée lorsqu'un hibou puis un autre passèrent sous ses yeux, le tout en moins d'une demi-heure.
Un tel trafic de hiboux en plein jour était véritablement inhabituel. Interloqué, il s'habilla en vitesse et descendit dans la rue. Il maudit encore une fois Maugrey qui les empêchait de s'abonner à la Gazette. Le journal lui aurait sans doute apporté toutes les réponses.
Le nez en l'air, il traversa plusieurs petites rues pour se retrouver finalement sur un axe important de Mayfair. Les rapaces ne cessaient de passer entre les immeubles. Il baissa finalement les yeux pour prêter attention à l'endroit où il allait et s'arrêta net, stupéfait. Devant lui, un Sorcier, très reconnaissable à sa cape couleur bouteille, serrait la main de tous les Moldus qui croisaient son chemin. Remis de sa surprise, Remus hâta le pas pour le rattraper. Il portait lui-même une cape, mais sa couleur noire lui permettait de mieux se fondre dans le décor. Pour autant, l'homme parut le reconnaître pour l'un des siens. Le soleil hivernal brillait sur son crâne chauve, qui était pourtant moins rayonnant que son immense sourire.
- Ah, mon cher monsieur ! s'exclama-t-il en lui secouant frénétiquement la main. Quelle merveilleuse, fantastique nouvelle, n'est-ce pas ? C'est fini, fini !
- Qu'est-ce qui est fini ? Parvint à demander Remus tout en essayant de libérer sa main.
- Comment ? s'offusqua l'homme. Vous ne savez pas ? Vous-Savez-Qui... Il est mort ! La guerre est finie !
Des Moldus se retournaient sur leur passage, interloqués par les propos incohérents de cet homme. Quant à Remus, il n'en croyait pas ses oreilles. Une bulle de bonheur commença à gonfler dans sa poitrine, prête à exploser.
- Vol... Vous-Savez-Qui ? Qui l'a tué ? Que s'est-il passé ?
- Harry Potter ! Jubila le Sorcier. Personne ne sait comment un enfant a pu faire une chose pareille, mais c'est la vérité !
La joie qui enflait en Remus à l'idée que la guerre était finie disparut tout à coup. Il tentait de comprendre ce que lui disait l'homme. Harry ? Le fils de Lily et James ? Attaqué par Voldemort ? Cela ne pouvait signifier qu'une seule chose.
Remus crut qu'il allait rendre son petit déjeuner au pied du Sorcier. Il dégagea sèchement sa main et, sans un mot d'excuse, quitta son interlocuteur.
- Réjouissez-vous ! Hurla encore le type derrière lui. C'est terminé !
Remus ne réagit pas. Il se sentait comme anesthésié. Il devait être sûr. Il marcha comme dans un cauchemar jusqu'à un endroit calme et transplana à Godric's Hollow. Les rues du village étaient bien plus calmes que celles de Londres. Nulle trace de Sorcier en mal de se dévoiler. Il hâta le pas en arrivant près de chez les Potter. La maison de Bathilda fut bientôt en vue puis...
A la lumière du jour, les dégâts infligés à la maison des Potter étaient encore plus impressionnants. Sidéré, il contempla le trou béant sur le côté de la maison. Était-il possible que l'homme ait dit vrai ? Harry aurait survécu au sortilège de mort jeté par Voldemort qui, d'une manière ou d'une autre, aurait ensuite disparu ?
Et Lily et James, dans tout cela ?
Remus déglutit, toujours nauséeux. Il ne voulait pas savoir. Alors qu'il allait pousser le portail du jardin, une voix derrière lui s'écria :
- Remus !
Il se tourna lentement et fit face à Bathilda Tourdesac. Il la connaissait moins bien que Sirius et James mais il l'avait tout de même rencontrée à plusieurs reprises. Elle se tenait à quelques mètres de lui, l'air dévasté.
- Tu ne devrais pas entrer, prévint-elle.
- Que s'est-il passé ? Interrogea-t-il d'une voix sourde.
- Nous ne savons pas exactement. Viens, viens chez moi. Je vais te raconter ce que je sais.
- James ? Lily ?
Les yeux de la vieille Sorcière s'emplirent de larmes.
- Je suis désolée.
Remus prit une profonde inspiration tremblotante, les yeux fermés.
- Et Harry ?
Il entendit à peine sa propre voix.
- Il est avec moi. Il va bien, même s'il est un peu déboussolé. Dumbledore doit le confier à son oncle et sa tante ce soir.
Le jeune homme l'entendit à peine. Tout tournait autour de lui. Il tentait de respirer régulièrement mais sans y parvenir. Tout son être refusait l'idée que James et Lily puissent être morts.
- Remus ? Insista-t-elle. Tu devrais entrer avec moi.
- Sirius, lâcha-t-il soudain.
- Il était là cette nuit. Il est parti presque aussitôt, il a dit qu'il devait s'occuper de quelque chose, expliqua Bathilda.
Remus ouvrit à nouveau les yeux et les fixa sur la maison en ruines. On n'avait pas voulu lui dire qui était le gardien du secret, mais il avait toujours été persuadé qu'il s'agissait de Sirius. Si les Potter étaient morts... Alors Sirius avait trahi. Pourtant, l'idée lui paraissait impossible. Tous les Maraudeurs étaient proches mais James et Sirius... Ils partageaient quelque chose de spécial.
Lorsque Bathilda posa une main sur son bras, il s'aperçut qu'il pleurait. Il s'écarta aussitôt et s'essuya rageusement les joues du revers de la main.
- Où est-il ?
- Je ne sais pas.
- Et Peter ? Vous avez vu Peter ?
La vieille femme secoua la tête. De plus en plus perdu, Remus décida d'aller trouver le petit blond. Il lui avait donné sa nouvelle adresse deux jours plus tôt.
- Remus, tu devrais...
- Non, coupa-t-il.
- Tu es sous le choc, protesta Bathilda, ce n'est pas raisonnable de ...
- Il faut que je parle à Peter.
Il avait conscience d'être rien moins qu'aimable mais il n'y pouvait rien. C'était comme si le monde s'écroulait autour de lui. Il ne contrôlait plus rien. Sans se soucier d'être au beau milieu de la rue, il transplana. Une fois chez Peter, il tambourina à la porte, entra, l'appela... N'obtint aucune réponse. Dans la chambre vide, il se laissa tomber sur le lit, plus démuni que jamais. Il ne comprenait rien. Où était Peter ? Où était Sirius ? Pourquoi l'avaient-ils laissé seul ? Il enfouit son visage entre ses mains tandis que la douleur lui déchirait le cœur.
James n'était plus.
Peter et Sirius avaient disparu.
Les Maraudeurs l'avaient abandonné. Même Lily était partie. Tous ceux qui avaient juré d'être toujours là pour lui. Alors qu'il pleurait toutes les larmes de son corps sur le lit de Peter, sa peine changea d'objet. Il cessa de s'apitoyer sur lui-même pour songer simplement à la mort de Lily et James, à leurs vies interrompues si tôt, à leur fils orphelin. Il se fichait éperdument que la guerre soit finie. Il avait l'impression que c'était sa propre vie qui était terminée.
***
Sirius avait foncé tête baissée à la poursuite de Peter, sans succès. Il était repassé à sa dernière adresse, ainsi que dans son dernier appartement londonien. Finalement, il était allé voir Mrs. Pettigrow, à qui il avait fait une peur bleue. Il s'était introduit sans bruit chez elle, dans l'espoir d'y surprendre Peter, mais il n'avait pu trouver trace du jeune homme. Il avait réveillé sa mère pour lui demander des informations ; la pauvre femme avait hurlé en voyant ce visage pâle, ces yeux rouges, en entendant sa voix caverneuse et éraillée qui lui demandait où se trouvait son fils. Malheureusement, elle n'en avait aucune idée.
Sirius était reparti bredouille à l'aube, défait, lorsqu'une idée l'avait frappé. La façon la plus rapide de quitter le pays était de demander un Portoloin international – qu'on ne pouvait fabriquer soi-même. Si Peter souhaitait en emprunter un, il devrait se rendre au Ministère. Sirius connaissait bien son ennemi : il privilégiait généralement les situations les plus sûres et les moins originales. Il n'y avait aucune raison qu'on lui refuse le Portoloin car il n'était pas recherché. Oui, cela valait le coût que Sirius aille se poster près de l'entrée du Ministère de la Magie.
Alors que Big Ben sonnait huit heures du matin, Sirius s'installa près de l'accès du Ministère réservé aux employés ; les membres de l'Ordre l'empruntaient toujours. Il se cachait derrière un mur, dans une ruelle peu fréquentée. La foule était dense à cette heure-ci, Moldus et Sorciers se rendaient au travail. Appuyé contre le mur, Sirius dévisageait chaque individu sans relâche, sans vraiment réaliser que les Sorciers étaient étonnamment extravertis. Il n'avait pas dormi depuis des heures et des heures mais il ne s'en rendait pas compte : la douleur, la colère étaient trop fortes pour qu'il trouve le repos. Il ne savait plus qu'elle émotion prenait le pas dans son cœur, n'essayait même pas de les démêler. Cela n'avait plus d'importance. Ses doigts se serraient convulsivement autour de sa baguette, glissée dans sa poche. Il avait tellement hâte d'en finir avec Peter Pettigrow.
Il n'eut pas très longtemps à attendre. Une demi-heure après son arrivée, il le vit. Pâle, décoiffé, Pettigrow suivait le flot de Sorciers en jetant des regards affolés autour de lui. Sirius, qui se sentait faiblir quelques instants auparavant, fut envahi par une flambée de colère. Sans se soucier des Moldus, du Secret magique, de rien, rien à part sa vengeance, Sirius se jeta dans la foule, bousculant les passants sans vergogne, et hurla :
- Peter !
Autour de lui, les Londoniens se figèrent. Il ne voyait personne à part le petit blond qui s'était retourné vers lui d'un bloc. Sirius poussa quelques autres passants, sa baguette sortie. Un sort, juste un sort et James serait vengé. C'en serait fini de ce misérable, ce traître assassin... La voie se dégagea, Sirius voulut ouvrir la bouche, mais Peter le prit de court en beuglant à travers de faux sanglots :
- Lily et James ! Comment as-tu pu faire ça, Sirius ?
Mû par un réflexe acquis au cours de la guerre, Sirius dressa un bouclier autour de lui lorsqu'il vit Peter brandir sa baguette. Tout se passa en moins d'une seconde : il y eut un éclair aveuglant, une explosion qui fit trembler le sol... Puis les gémissements et la mort. Au milieu de la poussière qui retombait sur la rue, Sirius baissa sa baguette et, sidéré, contempla le cratère où se trouvait Peter un instant plus tôt. Il ne restait plus que sa robe de sorcier dans une flaque de sang.
Les dernières paroles de Peter résonnèrent une nouvelle fois dans son esprit alors que des cris de détresse s'élevaient autour de lui. Il l'avait eu. La moitié du Ministère avait entendu son accusation. Merlin, tout ce temps, Peter avait été bien plus intelligent qu'il ne le pensait. Il avait tout prévu.
Sirius éclata de rire, un rire dément, tandis que les larmes dégoulinaient le long de ses joues, traçant des sillons clairs dans la poussière qui maculait son visage. Il pleurait sur sa vengeance qui lui échappait, sur cette amitié brisée qui n'avait jamais été qu'un mensonge, sur le rire de James et le sourire de Lily, sur sa propre vie qui venait de voler en éclats. Il pleurait sur les morts étendus à ses pieds, sur ces années de guerre qui le menaient à sa perte. Il riait pour l'ironie du sort, pour sa vie qui jamais, jamais n'avait été destinée à bien se terminer.
Lorsque vingt membres de la Brigade l'entourèrent et se saisirent de lui, il riait et pleurait encore, sans plus savoir pourquoi, conscient seulement que James était mort... Que tout était fini.
***
Dumbledore lui-même était à l'origine des rumeurs qui couraient sur le destin de Lord Voldemort et de Harry Potter. Dès l'aube, il avait suspendu les cours à Poudlard pour la journée, bien conscient que nul n'aurait l'esprit à travailler dès que les hiboux auraient apporté la nouvelle à tout le monde. De fait, tous les élèves furent bientôt survoltés. Seules quelques personnes ne se joignaient pas à l'allégresse, dévastées par la mort des Potter. Minerva McGonagall était au nombre de ceux-là, ainsi qu'Horace Slughorn qui lui débita un discours incohérent sur un poisson changé en pétale.
Etant donné que Minerva connaissait bien Lily et James Potter, en tant que leur ancien professeur et ancienne directrice de Maison, Dumbledore débattit avec elle du destin du petit Harry Potter. Lorsque Dumbledore lui fit part de sa décision de le confier à Pétunia Dursley, Minerva pinça les lèvres mais ne dit rien. Dumbledore espérait pouvoir convaincre Sirius, parrain et tuteur légal de Harry, qu'il s'agissait de la meilleure solution pour sa sécurité. Une fois leur entretien terminé, Minerva s'éclipsa sans lui dire où elle se rendait.
Il était à peine neuf heures du matin. Dumbledore avait fort à faire – le Ministère le réclamait – mais avant toute chose il avait besoin de réponses. Il se rendit donc chez Bathilda Tourdesac, où Harry Potter, dont le nom devenait déjà une légende, jouait tranquillement avec des cubes en bois miraculeusement extirpés du bazar de Bathilda. La vieille Sorcière avait vieilli d'un coup au cours de la nuit. Dans un coin de la pièce, Hagrid sanglotait à intervalles réguliers.
Harry ne manifesta aucune crainte lorsque Dumbledore s'agenouilla devant lui. Il l'observa de ses grands yeux verts, surplombés d'une cicatrice qui ne s'y trouvait pas lorsque le directeur avait vu l'enfant pour la dernière fois. Il passa son pouce sur la plaie et l'enfant commença à geindre. Dumbledore avait quelques scrupules au sujet de ce qu'il allait faire ensuite, mais il avait besoin de savoir – le monde magique avait besoin de savoir. Il plongea donc dans l'esprit du bébé, un monde encore flou et incertain où il put pourtant observer les images très nettes de la nuit passée. Il vit, à travers les yeux du bébé, Lily qui se tenait devant son berceau. Il entendit le son confus de sa voix mais ne comprit pas ses paroles. Son ton suppliant était en revanche sans équivoque. Il y eut un premier éclair vert puis il vit le visage de Lord Voldemort. Ensuite, le deuxième éclair vert... Suivi de la confusion la plus totale.
Dumbledore s'extirpa de l'esprit de Harry Potter, stupéfait. Harry avait survécu au sortilège de mort, et détruit Voldemort par la même occasion. Nulle trace du mage noir, cependant. Ce n'était pas bon signe.
Le directeur de Poudlard se releva péniblement tandis que Harry reprenait ses jeux, peu perturbés par l'intrusion du Sorcier dans son esprit. Lorsque Bathilda lui demanda ce qu'il avait vu, il décida d'être honnête, comme il le serait par la suite au Ministère et avec tous les Sorciers qu'il croiserait. Il expliqua qu'Harry avait survécu au sortilège de mort, rien de plus. Le monde n'avait pas besoin de connaître ses interrogations sur ce miracle. Pour le moment, il devait célébrer et faire son deuil.
Quant à l'Ordre du Phénix, Dumbledore ne se faisait pas d'illusion. Tout n'était pas terminé. Les partisans de Voldemort n'abandonneraient pas si facilement. L'appui de Severus lui serait plus utile que jamais. Il y aurait encore de la violence et de la souffrance, dont une bonne partie du monde magique n'aurait sans doute jamais conscience. Toute la Grande-Bretagne célébrait déjà la fin du règne de terreur.
Dumbledore quitta Godric's Hollow avec plus de questions à l'esprit que lorsqu'il y était arrivé. Il se rendit au Ministère et, là, attendit patiemment que minuit sonne.
***
(L'extrait suivant est tiré de Harry Potter à l'école des sorciers de JK Rowling, chapitre 1, « Le survivant »)
- ... Des gens pareils seront incapables de comprendre ce garçon ! Il va devenir célèbre – une véritable légende vivante-, je ne serais pas étonnée que la date d'aujourd'hui devienne dans l'avenir la fête de Harry Potter. On écrira des livres sur lui. Tous les enfants de notre monde connaîtront son nom !
- C'est vrai, dit Dumbledore en la regardant d'un air très sérieux par-dessus ses lunettes en demi-lune. Il y aurait de quoi tourner la tête de n'importe quel enfant. Etre célèbre avant même d'avoir appris à marcher et à parler ! Célèbre pour quelque chose dont il ne sera même pas capable de se souvenir ! Ne comprenez-vous pas qu'il vaut beaucoup mieux pour lui qu'il grandisse à l'écart de tout cela jusqu'à ce qu'il soit prêt à l'assumer ?
Le professeur McGonagall ouvrit la bouche. Elle parut changer d'avis, avala sa salive et répondit :
- Oui... Oui bien sûr, vous avez raison. Mais comment cet enfant va-t-il arriver jusqu'ici, Dumbledore ?
Elle regarda soudain sa cape comme si elle pensait que Harry était peut-être caché dessous.
- C'est Hagrid qui doit l'amener, dit Dumbledore.
- Et vous croyez qu'il est ... sage de confier une tâche aussi importante à Hagrid ?
- Je confierais ma propre vie à Hagrid, assura Dumbledore.
- Je ne dis pas qu'il manque de cœur, répondit le professeur McGonagall avec réticence, mais reconnaissez qu'il est passablement négligent. Il a tendance à... Qu'est-ce que c'est que ça ?
Un grondement sourd avait brisé le silence de la nuit. Le bruit augmenta d'intensité tandis qu'ils scrutaient la rue des deux côtés pour essayer d'apercevoir la lueur d'un phare. Le grondement se transforma en pétarade au-dessus de leur tête. Ils levèrent alors les yeux et virent une énorme moto tomber du ciel et atterrir devant eux sur la chaussée.
La moto était énorme, mais ce n'était rien comparé à l'homme qui était assis dessus. (...) L'homme tenait un tas de couvertures dans ses immenses bras musculeux.
- Hagrid, dit Dumbledore avec soulagement. Vous voilà enfin. Où avez-vous déniché cette moto ?
- L'ai empruntée, professeur Dumbledore, Monsieur, répondit le géant en descendant avec précaution de la moto. C'est le jeune Sirius Black qui me l'a prêtée. Ça y est, j'ai réussi à vous l'amener, Monsieur.
- Vous n'avez pas eu de problèmes ?
- Non, Monsieur. La maison était presque entièrement détruite mais je me suis débrouillé pour le sortit de là avant que les Moldus commencent à rappliquer. Il s'est endormi quand on a survolé Bristol.
Dumbledore et le professeur McGonagall se penchèrent sur le tas de couvertures. A l'intérieur, à peine visible, un bébé dormait profondément. Sous une touffe de cheveux d'un noir de jais, ils distinguèrent sur son front une étrange coupure en forme d'éclair.
- C'est là que ?... murmura le professeur McGonagall.
- Oui, répondit Dumbledore. Il gardera cette cicatrice à tout jamais.
- Vous ne pourriez pas arranger ça, Dumbledore ?
- Même si je le pouvais, je ne le ferais pas. Les cicatrices sont parfois utiles. Moi-même, j'en ai une au-dessus du genou gauche, qui représente le plan exact du métro de Londres. Donnez-le-moi, Hagrid, il est temps de faire ce qu'il faut.
Dumbledore prit Harry dans ses bras et se tourna vers la maison des Dursley.
- Est-ce que... est-ce que je pourrais lui dire au revoir, monsieur ? Demanda Hagrid.
Il pencha sa grosse tête hirsute vers Harry et lui donna un baiser qui devait être singulièrement piquant et râpeux. Puis, soudain, Hagrid laissa échapper un long hurlement de chien blessé.
- Chut ! Siffla le professeur McGonagall. Vous allez réveiller les Moldus !
- Dé... Désolé, sanglota Hagrid en sortant de sa poche un grand mouchoir à pois dans lequel il enfouit son visage, mais je... je n'arrive pas à m'y faire... Lily et James qui meurent et ce pauvre petit Harry qui va aller vivre avec les Moldus...
- Oui, je sais, c'est très triste, mais ressaisissez-vous, Hagrid, sinon, nous allons nous faire repérer, chuchota le professeur McGonagall en tapotant doucement le bras de Hagrid tandis que Dumbledore enjambait le muret du jardin et s'avançait vers l'entrée de la maison.
Avec précaution, il déposa Harry devant la porte, sortit une lettre de sa cape, la glissa entre les couvertures, puis revint vers les deux autres. Pendant un long moment, tous trois restèrent immobiles, côte à côte, à contempler le petit tas de couvertures. Les épaules de Hagrid tremblèrent, le professeur McGonagall battit des paupières avec frénésie et la lueur qui brillait habituellement dans le regard de Dumbledore sembla s'éteindre.
- Eh bien voilà, dit enfin Dumbledore. Il est inutile de rester ici. Autant rejoindre les autres pour faire la fête.
- Oui, dit Hagrid d'une voix étouffée. Je vais aller rendre sa moto à Sirius. Bonne nuit, professeur McGonagall, bonne nuit, professeur Dumbledore, Monsieur.
Essuyant d'un revers de manche ses yeux ruisselants de larmes, Hagrid enfourcha la moto et mit le moteur en route. Dans un vrombissement, la moto s'éleva dans les airs et disparut dans la nuit.
- A bientôt, j'imagine, professeur McGonagall, dit Dumbledore avec un signe de tête.
Pour toute réponse, le professeur McGonagall se moucha.
Dumbledore fit volte-face et s'éloigna le long de la rue. (...)
- Bonne chance, Harry, murmura-t-il.
Il se retourna et disparut dans un bruissement de cape.
Une brise agitait les haies bien taillées de Privet Drive. La rue était propre et silencieuse sous le ciel d'encre. Jamais on n'aurait imaginé que des événements extraordinaires puissent se dérouler dans un tel endroit. Harry Potter se retourna sous ses couvertures sans se réveiller. Sa petite main se referma sur la lettre posée à côté de lui et il continua de dormir sans savoir qu'il était un être exceptionnel, sans savoir qu'il était déjà célèbre, sans savoir non plus que dans quelques heures, il serait réveillé par le cri de Mrs Dursley qui ouvrirait la porte pour sortir les bouteilles de lait et pendant des semaines, il serait piqué et pincé par son cousin Dudley... Il ne savait pas davantage qu'en ce moment même, des gens s'étaient rassemblés en secret dans tout le pays et qu'ils levaient leur verre en murmurant : « A la santé de Harry Potter. Le survivant ! ».
FIN
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