Partie IV - Chapitre 27

Chapitre 27

La jeune femme fut jetée au sol. Il y eut des rires et des éclats de voix. Dorcas, aveuglée par le bandeau qu'on avait pris soin de mettre sur ses yeux, tentait d'utiliser ses autres sens pour comprendre où elle était, combien de personnes se trouvaient autour d'elle. Le bandeau ne laissait filtrer aucune lumière, et la douleur qui pulsait dans tout son corps n'aidait pas.

Une voix, qu'elle reconnut comme étant celle de Robert Jugson, l'un des assassins des Bones, s'éleva :

- On l'a trouvée qui rôdait autour du bâtiment.

- Nos renseignement étaient donc exacts, commenta la voix, parfaitement identifiable, de Lord Voldemort.

Dorcas serra par réflexe le poing droit. Malheureusement, on l'avait privée de sa baguette. Des renseignements... Le traître de l'Ordre avait encore frappé.

- A-t-elle communiqué l'emplacement de la maison à quelqu'un d'autre ?

- Je ne sais pas, maître.

Jugson, encore.

Une force s'exerça soudain sur la conscience de Dorcas, qui tenta de résister. Elle avait appris à fermer son esprit, mais c'était bien plus difficile sans baguette. Au bout quelques secondes d'une lutte acharnée, elle fut obligée de céder le terrain. Des images défilèrent derrière ses paupières closes, des visions de la réunion de l'Ordre, sa rencontre avec Maugrey, deux jours plus tôt, sa mère qui cousait dans leur jardin, bien des années auparavant. Elle ne voulait pas laisser Voldemort violer ses souvenirs ainsi, mais elle était affaiblie. Elle s'était défendue, avant qu'on ne l'attrape, et on l'avait bien molestée en représailles. Enfin, Voldemort se retira.

- Elle n'a rien dit. Elle préférait garder l'information secrète tant qu'elle n'en était pas certaine.

Surtout, elle voulait éviter une mission de secours au cas où elle se ferait prendre. L'Ordre ou le Bureau auraient perdu trop de membres, et ils étaient déjà en sous-effectifs. L'emplacement du QG des Mangemorts resterait donc encore un mystère.

- Debout, Meadowes, ordonna Voldemort.

Dorcas s'exécuta sans protester. Elle n'avait jamais été du genre à gâcher des paroles inutiles – ou plutôt, elle avait cessé de l'être. Les mains le long du corps, les yeux fermés sous son bandeau, elle s'efforça de faire face à Voldemort. Elle l'avait aperçu plusieurs fois sur le champ de bataille, mais jamais elle ne l'avait affronté de la force.

- Comment as-tu découvert ce lieu ? Demanda-t-il.

- Il suffit de laisser traîner ses oreilles aux bons endroits, répondit-elle calmement.

Il y eut quelques murmures, autour d'elle. Une assemblée semblait être présente pour l'observer.

- Rabastan, appela Voldemort. Fais savoir que quiconque sera pris à bavarder de l'emplacement de cette maison hors de ses limites sera aussitôt exécuté.

Il n'avait pas élevé la voix. Son murmure était presque plus terrifiant qu'un éclat de colère. Autour d'eux, la foule se tut.

- Et que comptais-tu faire ici, Meadowes ?

- Simplement du repérage, dit-elle honnêtement.

- Que dirais-tu que nous rendions ta mission de « repérage » un peu plus existante, hmm ? Qu'en dites-vous ?

Les Mangemorts présents, rassurés quant à l'humeur de leur maître, poussèrent des exclamations de joie. Dorcas, derrière son bandeau, pouvait presque voir Voldemort jubiler.

- Ecartez-vous ! Faites cercle autour de nous. Qu'on lui rende sa baguette. Voilà. Dorcas Meadowes... Tu connais les règles d'un duel sorcier, n'est-ce pas ?

Dorcas ne répondit pas tout de suite. Elle fit tourner sa baguette dans sa main, vérifia qu'il s'agissait bien de la sienne. Une fois rassurée, elle hocha la tête.

- Alors incline-toi, ordonna-t-il.

- Je n'avais pas conscience qu'un duel fait dans les règles de l'art pouvait se dérouler alors que l'un des adversaires est aveuglé, rétorqua-t-elle.

- Nous jouons selon mes règles.

Son ton s'était singulièrement refroidi. Dorcas déglutit. Elle savait déjà qu'elle n'avait aucune chance, seule au milieu d'un nid de Mangemorts. Elle n'avait pas pensé se faire ainsi humilier. Elle avait bien conscience que si elle refusait de jouer le jeu, Voldemort s'arrangerait pour qu'elle participe contre son gré. Ce serait encore pire. Finalement, elle décida d'être une participante volontaire, de leur montrer ce dont leurs adversaires étaient capables. Elle mourrait ainsi dignement.

Le premier sort la frappa sans qu'elle n'ait rien vu venir. Elle sentit les tissus de son épaule se déchirer, le sang jaillir à flots. La douleur fut comme un éclair sous ses paupières closes. Elle y prêta à peine attention et se mit aussitôt en mouvement. Elle ne devait pas rester immobile. Elle riposta dans la direction d'où était venu le sort. Les rires de la foule lui apprirent qu'elle était très loin du but. Un chuintement derrière elle l'a fit s'aplatir au sol. Elle sentit le jet de magie passer juste au-dessus de sa tête. Elle roula, roula encore, se redressa d'un bond sans tenir compte du sang qui gouttait jusqu'à ses doigts. Elle entendit un murmure, quelque part sur sa gauche, et attaqua aussitôt. Voldemort rit, tandis qu'un nouveau maléfice la frôlait sans faire de dégât.

- Presque, Meadowes !

Dorcas attaqua à nouveau, même si elle se doutait qu'il avait bougé. Un nouveau maléfice, qu'elle ne parvint pas à identifier, la toucha à la cheville. Elle retint un cri de douleur et bondit juste à temps pour éviter une nouvelle attaque. Étonnamment, Voldemort proférait le plus souvent ses sorts à voix haute. Elle l'entendait murmurer les formules. Elle songea qu'il devait être trop impulsif dans le combat pour les sortilèges informulés.

Pendant plusieurs minutes, elle continua à sautiller en tous sens, à éviter des sortilèges de justesse grâce à des boucliers dressés au petit bonheur la chance. Tout le monde riait d'elle. De temps à autre, Voldemort laissait échapper un commentaire qui laissait entendre qu'il jubilait. Il appréciait visiblement le spectacle.

Seulement, la vie s'échappait de Dorcas par ses multiples blessures. Elle peinait à se mouvoir aussi vite qu'au début du duel. Elle cessa finalement d'attaquer, pour seulement parer. Toute sa concentration passait dans ses sortilèges, dans ses quelques mouvements. Le désespoir guettait, dans un coin de son esprit, mais elle parvenait à le repousser. A quoi bon ? Elle allait mourir, elle le savait. Elle avait plusieurs fois fait face à une mort éventuelle, mais jamais aussi certaine. Elle ne laissait aucune famille derrière elle, aucun ami proche. Depuis des années, elle tenait tout le monde à l'écart, toute consacrée qu'elle était à ses missions d'espionnage. Elle avait pris tellement d'apparences, emprunté tellement de personnalités que personne ne connaissait la vraie Dorcas Meadowes.

Ce jour-là, dans le QG des Mangemorts, elle décida que la vraie Dorcas était une femme forte, qui affronterait la mort sans faiblir, sans gémir. Sans peur. Le monde l'ignorerait, bien sûr, mais elle mourrait au moins avec son estime personnelle entière.

Trop affaiblie, elle cessa tout à fait de bouger. Aussitôt, les sortilèges cessèrent de pleuvoir. Le silence se fit autour d'elle.

- Alors quoi, Meadowes ? On a cessé de danser ?

Elle ne répondit rien. Elle consacrait toute son énergie à ne pas s'évanouir.

- Si tu ne veux plus jouer, nous allons arrêter ici.

- Maître, protesta Jugson. Et si elle avait des informations intéressantes ?

- Je connais la réputation de Dorcas Meadowes, rétorqua Voldemort. Jamais elle ne nous livrera le moindre renseignement. Elle n'est pas comme ce misérable petit traître qui nous a tant aidé.

Dorcas tressaillit. Il y avait donc bien un traître ? Elle n'avait jamais réussi à déterminer si Maugrey était paranoïaque où s'il voyait juste. Qui que ce soit, elle était assez en colère pour le tuer sur un coup de tête. « Misérable », Voldemort avait bien raison. Un rictus se dessina sur ses lèvres lorsqu'elle songea qu'elle était d'accord avec le seigneur des Ténèbres. La mort la cueillit dans un éclair vert avant que ce sourire n'ait eu le temps de s'effacer.

***

Rogue était arrivé juste à temps pour assister à mort de Dorcas Meadowes et avait rapporté les événements à Dumbledore. Le vieux Sorcier n'avait manifesté aucune émotion. Il lui avait simplement donner d'autres manuels de Potions afin de l'aider à préparer ses cours. Slughorn avait demandé à rencontrer son successeur, mais Dumbledore avait refusé.

Severus décida de profiter de l'absence de sa mère, partie en voyage avec son club de Bavboules, pour vivre quelques temps dans sa maison de Carbone-les-Mines. Quand sa mère était présente, il vivait chez l'un ou l'autre des Mangemorts qui possédaient une maison. Tout en poussant la porte de leur minuscule demeure, il songea que son poste à Poudlard lui fournirait au moins l'avantage d'avoir un appartement à lui.

Sa vie avait pris un tour étonnant depuis que Voldemort et Dumbledore avaient tous deux décidés qu'il devait devenir Maître des potions. Il faisait de moins en moins de raids avec les autres Mangemorts, passait un temps fou à préparer des cours pour une bande de morveux. Voldemort l'envoyait souvent pour collecter des informations. Sa discrétion, son visage relativement peu connu du monde sorcier garantissait son anonymat. Il était tout de même arrivé quelques fois qu'on le reconnaisse et l'accuse d'être un Mangemort. Dans ce genre de situation, il se demandait comment Dumbledore allait justifier son incorporation au corps professoral.

Le jeune homme déposa ses livres sur la table de la cuisine, sortit des parchemins de son sac et commença à étudier. La tâche ne le dérangeait pas ; il adorait les potions. C'était le fait de fournir cet effort pour une bande d'ignares qui l'agaçait. Cependant, ce jour-là, il ne parvenait pas à se concentrer. Il pensait sans cesse à Dorcas Meadowes, à Edgar Bones, aux McKinnon, à ces Aurors que les Mangemorts avaient assassiné ces derniers jours. Il ne pouvait s'empêcher de se demander si les cours qu'il préparait lui servirait un jour ; serait-il professeur à Poudlard si le monde de la magie s'effondrait ?

Voldemort ne partageait ses plans avec personne, pourtant tous avaient perçu un changement ces derniers temps. Ils attaquaient plus souvent, plus ouvertement, plus violemment aussi. Plus systématiquement. Voldemort voulait éradiquer le Bureau des Aurors et l'Ordre du Phénix. Severus devait bien reconnaître qu'il s'agissait de deux menaces d'envergure. Il en restait cependant deux autres : Albus Dumbledore... Et Harry Potter.

Rogue avait à présent tout à fait délaissé son travail. Il fixait sans le voir le papier-peint fleuri de sa mère. Voldemort en parlait peu, mais Rogue savait que la prophétie l'obnubilait. Alors qu'il était en train d'asseoir son empire, il craignait cet adversaire que le destin lui avait assigné. Rogue était toujours perplexe : l'enfant devait à présent avoir un peu plus d'un an. Quel mal pouvait-il faire à un Sorcier adulte, qui plus est de l'envergure de Voldemort ? Allait-il devoir, lui, Severus, jouer un double-jeu pendant des années et des années pour protéger Lily en attendant que son fils grandisse ?

Il cessa de songer au fils Potter pour évoquer des souvenirs de Lily. Ils lui semblaient plus vivaces, du fait qu'il se trouvait à Carbone-les-Mines. Il passa tant de temps à rêvasser que l'encre commença à sécher dans son encrier. Un coup de klaxon, dans la rue, le fit sortir de ses pensées. Il se fustigea intérieurement pour s'être laissé ainsi emporté. Souvent, il se demandait pourquoi il faisait tant d'efforts pour une femme qui le méprisait, qui jamais ne l'aimerait. Qui était mariée à un autre. Il lui arrivait, pendant un minuscule instant, de vouloir tout avouer à Voldemort. Puis son cœur se brisait à l'idée que Lily meure.

Ce jour-là ne fit pas exception. Il se pencha à nouveau sur ses études. Il devait accomplir les missions qu'on lui donnait, de part et d'autre, pour ne pas éveiller les soupçons. Il devait jouer son rôle pour aider Lily. C'était là sa seule, sa vraie mission.

***

L'entrepôt était désert. Fabian s'avança prudemment, conscient de la présence de Gideon, quelques pas derrière lui. Les deux frères avaient eu des différends, comme n'importe quelle fratrie. Ils ne s'entendaient pas toujours bien, mais ils étaient souvent complices. Pour cette mission particulière, ils étaient parfaitement en accord. Ils avaient décidé ensemble de traquer l'assassin de Marlène. C'était pour venger leur amie, mais aussi pour débarrasser le monde magique d'un Sorcier particulièrement malfaisant. Il espérait bien en avoir d'autres par la même occasion.

D'après les nombreux repérages qu'ils faisaient depuis un mois, c'était dans cet entrepôt de la ville portuaire d'Ullapool, en Ecosse, qu'ils avaient le plus de chance de trouver Travers. Le plan était de se cacher pour l'attendre si jamais ils ne lui tombaient pas tout de suite dessus.

Fabian fit un geste de la main pour inciter Gideon à avancer. Les lieux semblaient déserts. Fabian se glissa derrière une colonne de conteneurs et jeta un coup d'œil dans une nouvelle allée. L'entrepôt n'était pas très grand. C'était d'ailleurs le seul de la ville, qui était minuscule. Il ignorait pourquoi les Mangemorts avaient choisi cet endroit – peut-être simplement parce qu'il était discret.

Un coup d'œil par-dessus son épaule lui révéla que Gideon l'avait rejoint. Il allait reprendre son exploration lorsqu'un bruit métallique résonna sous le toit de tôle. Gideon posa aussitôt la main sur l'épaule de son frère pour l'inciter au silence. Fabian retint sa respiration. Quelques instants plus tard, une voix s'éleva :

- Tu as grillé notre couverture, imbécile ! Ils savent que nous sommes là maintenant !

Gideon leva sa baguette puis fit signe à son frère de le suivre. Il était difficile de savoir, dans ce labyrinthe de conteneurs, où se trouvaient leurs agresseurs. Sur un signe de son grand frère, Fabian lui fit la courte échelle pour l'aider à monter sur l'une des caisses. Gideon le tira ensuite à son niveau. Ils étaient dans l'ombre dans une autre colonne, qui leur permit d'avancer de quelques pas sans être vus. Il leur fallait être très prudents pour ne pas faire résonner la structure métallique des conteneurs.

De leur position surplombante, ils aperçurent la lumière caractéristique d'une baguette magique, sur leur droite. Les Mangemorts ne faisaient plus aucun effort pour être discrets.

- Piège, murmura Gideon contre son oreille.

Fabian haussa les épaules. Cela n'avait aucune espèce d'importance. Il voulait la peau de ces Mangemorts, quelques soient les circonstances.

- On descend ? Murmura-t-il.

Après quelques secondes de réflexion, Gideon hocha la tête. Ils regagnèrent le sol d'un bond, sans se soucier du bruit ainsi émis. Un murmure confus de paroles leur parvint, preuve que leurs adversaires avaient dû les entendre. Ils coururent le long des allées de conteneurs, aussi silencieusement que possible. Bientôt, la lueur des baguettes se fit plus forte. Les Prewett ralentirent l'allure. Fabian posa une main sur le bras de son frère pour l'arrêter, et murmura :

- On ne sait pas combien ils sont.

Gideon haussa un sourcil, comme pour le défier. Fabian comprit très bien ce qu'il voulait dire : ce détail allait-il l'arrêter ? Finalement, il secoua la tête. Gideon le gratifia d'un sourire carnassier puis désigna leur destination du bout de sa baguette.

- On charge ? Chuchota-t-il.

- On charge, acquiesça Fabian.

Ils étaient une dizaine lorsque les frères Prewett déboulèrent dans un grand espace libre de tout conteneur. Travers était au milieu de ses fidèles disciples Mangemorts. Grâce à l'effet de surprise, Fabian et Gideon éliminèrent chacun un ennemi. Pris d'une folie furieuse, bien décidés à venger leur amie et sa famille, ils en mirent plusieurs hors course. Les Mangemorts ne se laissèrent pas vaincre sans se défendre ; Gideon perdit une oreille sans vraiment s'en rendre compte, Fabian boitait, tous deux étaient couverts de sang.

Bientôt, ils se retrouvèrent dos à dos, encerclés par cinq Mangemorts. Fabian, les oreilles bourdonnantes, la rage au cœur, démasqua Antonin Dolohov aux côtés de Travers, dont la cagoule avait très vite sauté. Si seulement il pouvait les avoir, tous les deux, il débarrasserait l'Ordre de deux très grands ennemis.

Malheureusement, il sentait qu'il n'y parviendrait pas. Il l'entendait dans la voix de Gideon à chaque fois qu'il hurlait un sort. Il le sentait dans le sang qui dégoulinait le long de ses membres. Il le voyait dans la lueur satisfaite qui brillait dans les yeux de Dolohov et Travers.

Il songea, satisfait, qu'il serait mort en essayant de venger Marlène. Il avait échappé trop de fois à la mort, ces dernières années. Il était temps qu'elle vienne le recueillir. Derrière lui, Gideon encaissa un nouveau sortilège et bouscula son frère. Fabian, dans un dernier sursaut d'énergie, parvint à se stabiliser. Il sourit à son ennemi, fier de mourir aux côtés de son grand-frère.

Molly Weasley, née Prewett, reçut la visite d'Albus Dumbledore sans sourciller. Elle s'attendait à apprendre la mort de l'un ou l'autre de ses frères depuis des années. Qu'ils partent en même temps, et de façon aussi brutale, était néanmoins une surprise. Elle fit face au directeur de Poudlard, les yeux secs, la tête haute. Comme tout un chacun, Molly était capable de pleurer. Plus d'une fois, elle avait pleuré de soulagement en apprenant que Fabian ou Gideon s'en était sorti alors qu'il était dans une situation critique.

Lorsqu'elle apprit leur mort, elle ne versa pas une larme. Elle s'occupa de ses enfants, contempla avec un peu d'émotion ses jumeaux, Fred et George – F et G, comme ses frères. Elle attendit avec un peu d'impatience que son mari, Arthur, rentre du Ministère. Les enfants étaient couchés depuis longtemps lorsqu'il poussa la porte du Terrier, les traits défaits. La nouvelle avait déjà fait le tour du Ministère. Il s'apprêtait à enlacer sa femme lorsqu'elle lui dit :

- On doit faire quelque chose. On ne peut pas attendre que ça se passe.

Tout d'abord un peu interloqué, Arthur finit par hocher la tête.

Ils prirent le temps de réfléchir, bien décidés à ne pas mettre leurs enfants en danger. Mais lorsqu'ils furent tout à fait décidés, il était trop tard. La guerre était gagnée – ou du moins, semblait l'être.

***

L'automne s'était installé sur l'Angleterre. Sirius le sentait dans le vent froid qui balayait les rues d'Oxford et faisait voler sa cape en tous sens. Il remonta les pans de son écharpe et fouilla la grande rue du regard. Au bout de plusieurs minutes de recherche infructueuses, il réalisa qu'il n'arriverait à rien : sa cible était dissimulée, aussi ne la trouverait-il pas ainsi.

Il chercha donc un coin désert pour se transformer en Patmol. La température lui parut aussitôt bien plus supportable. Il trottina tranquillement dans les rues, la truffe en l'air. Des enfants le montraient du doigt à leurs parents, l'air radieux ou paniqué. Une petite fille voulut le caresser mais il s'éloigna : il était pressé.

Enfin, il trouva sa piste. Il connaissait trop bien son odeur pour la manquer. Il entra dans une ruelle, contourna quelques poubelles et arriva là où l'odeur était la plus forte. Cependant, il ne voyait toujours personne.

Comme la ruelle était vide, Sirius se retransforma sans scrupule. Aussitôt, une main l'attrapa et il fut happé sous un tissu. Le visage inquiet de Peter apparut devant lui.

- Patmol ? Chuchota-t-il. Qu'est-ce que tu fiches là ? Je suis en mission de surveillance !

- Je sais bien, mais ça fait des semaines que je cherche à te parler et que je n'arrive pas à te voir.

- Ecris moi une lettre ! La personne que je surveille est dans ce bâtiment, elle pourrait sortir n'importe quand !

Peu inquiet, Sirius sortit de sous la cape, agacé. Il tira dessus, suscitant un petit cri apeuré de la part de Peter.

- Au pire, il sort, on l'arrête, lâcha Sirius. On aura l'effet de surprise pour nous.

- Mais...

- Peter, je voulais te parler de ta sécurité, interrompit-il.

- Ma... ma sécurité ?

- Tous les membres de l'Ordre sont particulièrement en danger, ces temps-ci, expliqua-t-il en songeant à toutes les personnes à qui ils avaient dû dire adieu, ces trois derniers mois. J'aimerais que tu arrêtes le service pour te cacher définitivement.

Peter, la cape serrée contre sa poitrine, le dévisageait avec de grands yeux effarés.

- Tu penses qu'on va me traquer ? Balbutia-t-il.

- On va tous nous traquer, répondit Sirius sombrement. Mais tu sais bien que d'autres personnes dépendent de ta sécurité.

Peter passa une main dans ses cheveux, tic qu'il avait pris chez James. Sirius trouva cette manie de le copier agaçante mais n'en dit rien. Il avait besoin de la bonne volonté de son ami.

- Tu voudrais que je me cache, comme les Potter ?

- Pas avec les mêmes mesures, mais oui.

- Maugrey n'acceptera jamais que j'arrête les missions sans une bonne raison, protesta-t-il, soudain pâle.

Sirius mit ce changement de teint sur le compte de sa peur de l'Auror. Il soupira.

- Laisse-moi gérer Maugrey. Je lui expliquerai la situation.

- Et qu'est-ce que je vais faire, pendant que je me cache ? Où est-ce que je vais me cacher ?

Agacé par toutes ces questions, Sirius se mit à faire les cent pas.

- On réglera les détails plus tard ! Tu n'as qu'à venir chez moi dès que tu peux. Le plus important c'est de savoir si ça te convient. Est-ce que tu es prêt à faire ça pour Lily et James ?

Peter le dévisagea un instant, l'air perdu. Sirius ne comprenait pas pourquoi il hésitait tant. Il reprit :

- Il est essentiel que la clef de leur Fidelitas soit aussi bien protégée que possible !

Son vis-à-vis allait répondre lorsqu'un sortilège fusa juste au-dessus de sa tête. Il glapit tandis que Sirius jurait. Il fit volte-face, sa baguette levée, mais la personne qui les avait attaqués filait déjà dans la ruelle. Il se lança à ses trousses mais ne la rattrapa que dans l'artère plus large, où elle se frayait un passage entre les Moldus. Sirius ne pouvait pas se permettre d'attaquer.

Peter le rejoignit, essoufflé, et marmonna :

- J'étais sûr que ça arriverait.

- C'était important ?

- Je ne sais pas.

- Très bien. Je déclare que ta sécurité est plus importante. Viens, on va aller tout de suite chez moi régler les détails.

Il commença à avancer, puis réalisa que Peter ne lui avait toujours pas donné son accord final. Il se retourna donc pour regarder son ami.

- Enfin, si ça te va.

- Ça me va, soupira Peter avant de le suivre, sa cape traînant derrière lui.

***

Rogue avait le chic pour se trouver au bon endroit aux moments intéressants. Bien qu'il fût de moins en moins au QG, il s'y trouvait tout de même le jour d'octobre où l'une de leur plus jeune recrue fit irruption dans la salle principale, où elle n'avait jamais été admise jusque-là. Severus songea que le jeune garçon, fraîchement diplômé de Poudlard, ne manquait pas d'impudence.

Plusieurs Mangemorts lui firent barrage pour l'empêcher de déranger leur maître. Rogue s'avança, curieux, pour entendre ce que le garçon avait à dire.

- Mais puisque je vous dis...

- On ne dérange pas ainsi le maître ! Siffla quelqu'un en tentant de le repousser vers la sortie.

S'il ne faisait pas attention, il allait se faire tuer avant d'avoir accompli quelques choses d'intéressants, songea Rogue.

- Mais j'ai entendu...

- Tout le monde s'en fiche.

- Les Potter ! Éructa-t-il finalement.

Rogue se figea, comme toutes les personnes qui avaient entendu le garçon, mais pas pour les mêmes raisons. Qu'avait-il entendu au sujet des Potter ? Merlin tout puissant, qu'avait-il entendu ? Le Mangemort qui tenait le garçon par le collet le relâcha et interrogea avidement :

- Quoi ? Qu'as-tu entendu ?

- Sirius Black, leur meilleur ami... il a mentionné le sortilège du Fidelitas. Il n'a pas parlé des Potter dans ce que j'ai entendu, mais c'est une piste à explorer, non ?

Le gamin semblait très fier de lui. On l'éjecta de la salle tandis que tous les fidèles se mettaient à chuchoter. Cette information valait-elle la peine qu'on dérange Voldemort ? Rogue ne se joignit pas aux discussions, l'esprit en ébullition. Était-ce cela, leur grande cachette ? Et Black qui était assez stupide pour en parler ouvertement ! Le gamin avait eu du flair. Si les Potter avaient effectivement pris un gardien du secret, il ne pouvait s'agir que de Black.

L'information gagna finalement Voldemort. Rogue l'apercevait, assis au bout de la longue table, son visage appuyé contre sa main levée. Travers lui murmurait des choses à l'oreille. Rogue put voir tout son être se tendre lorsqu'il comprit l'importance de ce que le Mangemort venait de lui dire. Dans la salle tous les murmures se turent. L'attention générale se tourna vers Voldemort, qui ne faisait pas le moindre geste, n'émettait pas le moindre son. Rogue était aussi tendu que lui, le sang le lui battait aux tempes. Lorsque Voldemort avait décidé de traquer les Potter, Rogue avait obtenu de lui la promesse qu'il épargnerait Lily. Tiendrait-il se parole ? Une sueur froide couvrit le front du jeune homme à l'idée que non.

Finalement, Voldemort se redressa dans son siège. Une lueur déterminée brillait dans son regard rougeâtre. Rogue comprit qu'il prêtait crédit à la théorie du gamin et qu'il allait consacrer toute son énergie à trouver les Potter. L'assaut contre le Ministère attendrait. Rogue serra les poings tandis que les murmures reprenaient autour de lui. Tous les Mangemorts savaient que Voldemort voulait à tout prix mettre la main sur les Potter, mais très peu connaissaient la véritable raison de cet acharnement. De l'avis général, il ne s'agissait que d'une volonté de vengeance.

Leur maître se leva et ordonna d'une voix forte :

- Trouvez-moi le gardien du secret.

Puis il quitta la pièce, Nagini sur ses talons. Rogue exhala un souffle tremblant. Il avait remis sa vie entre les mains de Dumbledore parce qu'il craignait que la promesse arrachée à Voldemort ne soit pas suffisante pour garantir la vie de Lily. Et maintenant... maintenant, les précautions prises par le directeur de Poudlard semblaient être sur le point de céder.

Rogue se força à inspirer profondément une nouvelle fois. Si les Potter avaient bien eu recours à un gardien du secret, il ne pouvait s'agir que de Black. Black ne parlerait jamais. Tout irait bien. Il expira, les yeux fermés. Tout irait bien.

***

Peter fit un tour sur lui-même pour contempler son nouveau domaine. Sur l'insistance de Sirius, il avait finalement accepté de se cacher. Avec l'aide de son ami, il avait trouvé une petite maison dans un village perdu, au nord de l'Angleterre. Ils avaient dressé autour toutes les défenses possibles. A moins de connaître l'emplacement de l'endroit, il était très difficile de le trouver.

Dans la rue, une portière de voiture claqua. Peter sursauta et faillit renverser sa plante en pot. Il n'avait pas révélé à Sirius la véritable raison pour laquelle il craignait de se cacher. Qu'allait penser le Mangemort lorsqu'il ne le trouverait plus ? Allait-il comprendre qu'il cachait un secret bien plus gros que tous ceux qu'il avait révélé jusque-là ? Et s'il le trouvait, ne serait-il pas furieux d'apprendre que Peter ne faisait plus de mission pour l'Ordre ? A quoi lui serait-il encore bon s'il n'avait plus d'informations à transmettre ?

Peter s'efforça de chasser cette idée de son esprit. Caché ici, il ne risquait rien. Il était loin des missions, loin de la mort qui décimait l'Ordre depuis trois mois. Tout irait bien.

Quelques jours plus tard, Peter se décida à sortir de chez lui pour faire quelques courses. Il s'assura que sa baguette était dans sa poche, prit un peu d'argent et sortit de sa maison. Il quitta sa rue, minuscule, pour s'engager dans l'avenue principale du village, à peine plus grande. Il avait à peine fait trois pas qu'il le vit.

Le Mangemort, celui qui le faisait chanter depuis plus d'un an, était tranquillement assis dans le seul café du village, juste devant la vitrine. Il regardait Peter droit dans les yeux, ses deux mains serrées autour d'une tasse fumante. Tout le sang quitta le visage du jeune homme, qui fit par réflexe un pas en arrière. Il y avait des Moldus dans la rue ; il ne pouvait pas tirer sa baguette. Le Mangemort se leva. Peter ne resta pas plus longtemps pour regarder ce qu'il faisait. Il fit volte-face et partit en sens inverse. Il ne se permit pas de courir, de peur d'interloquer les quelques passants. Il renonça à rejoindre sa maison, peu désireux que le Mangemort connaisse son emplacement exact. Le cœur battant à tout rompre, le front couvert de sueur, il s'engagea dans une autre ruelle. Elle était vide, il y avait peu de chance pour quelqu'un regarde par les fenêtres des habitations. Il jeta un regard par-dessus son épaule avant de transplaner, mais se figea.

Il était là, à quelques mètres de lui seulement. Son maître chanteur le fixait, impassible, les mains dans le dos.

- Tu sais bien que ce n'est pas la peine de fuir, Peter.

Sa voix calme affola encore plus le jeune homme. Il retint un gémissement et se retourna lentement.

- Tu peux transplaner si tu veux, mais je te retrouverai bien vite. Je connais déjà ton village, je n'aurai aucun mal à trouver l'endroit exact où tu vis. Tu as peut-être installé quelques sorts défensifs, mais il faudra bien que tu sortes de chez toi pour te nourrir. A ce moment-là, je t'attraperai. Et ce sera bien pire pour toi, car je serai agacé d'avoir attendu aussi longtemps.

Peter déglutit péniblement. Il ne fit même pas mine de sortir sa baguette. La dernière fois qu'il avait essayé de résister, il avait été presque aussitôt désarmé et torturé.

- Vous avez eu Dorcas, balbutia-t-il. Qu'est-ce que vous voulez, maintenant ?

L'homme sourit, satisfait de sa coopération. Il s'approcha un peu plus.

- Le nom du gardien du secret des Potter.

Peter oublia de respirer. Il fixa le Mangemort, incrédule. C'était impossible. Comment savait-il ? Il ne pouvait pas lui demander une chose pareille. Par Merlin, il ne pouvait pas. Ses genoux se mirent à trembler, ses yeux s'emplirent de larmes. Il pouvait lui demander n'importe quoi, n'importe quoi, mais pas cela.

Une lueur d'intérêt s'alluma dans l'œil du Mangemort lorsqu'il vit sa réaction. Il s'approcha encore pour saisir Peter au collet.

- Tu le sais, n'est-ce pas ? Dis-le-moi ! Tout le monde pense que c'est Black, mais c'est bien trop évident. Je suis sûr qu'il y a une subtilité. Dis-moi !

Une larme roula sur la joue de Peter. La panique l'empêchait de réfléchir, de parler, de mentir ou de dire la vérité. Il était tétanisé, pantin au bout du bras du Mangemort. Agacé, celui-ci le lâcha et lui enfonça sa baguette dans le ventre.

- Tu le sais, Petitgrow !

Peter se plia en deux, un sanglot lui déchira la gorge. L'homme l'attrapa par les cheveux, lui pointa sa baguette sur la gorge.

- Dis-le moi, Pettigrow, ou je te saigne à mort, murmura-t-il. Mais avant ça, je te ferai souffrir de toutes les manières possibles.

Soudain, il le relâcha et recula de trois pas. Peter s'effondra, secoué par les sanglots, aveuglé par les larmes. Il fixa les vieux pavés, à quelques centimètres de son visage. Les chaussures de son adversaire apparurent dans son champ de vision.

- Tu peux éviter toutes ces souffrances, reprit-il, en me donnant un simple nom. Tu sais de qui il s'agit, Peter. Dis-le-moi, et tu ne souffriras plus. Dis-le-moi, et personne ne te traquera, tu ne connaîtras pas le même sort que les autres membres de l'Ordre.

Une larme s'écrasa sur le pavé. Peter renifla. S'il se taisait, il mourrait. S'il parlait, il vivrait. Il choisissait le camp des vainqueurs. Il était déjà responsable de la mort de tellement de personnes. Il avait déjà trahi, maintes et maintes fois. Il savait que si ses amis l'apprenaient, ils ne le lui pardonneraient jamais. Et ils finiraient par l'apprendre, Peter en était certain.

A quoi bon mourir pour des personnes qui allaient le rejeter ? Il avait déjà perdu son honneur. Autant sauvegarder sa vie.

Un nouveau sanglot lui déchira les entrailles. Mais James ? Et Lily ? Il ne pouvait pas...

Il y eut un éclair de magie, puis la douleur, intense, intolérable, bien pire que celle qui l'étreignait quand il songeait à trahir ses amis. Il hurla, désespéré, n'espérant qu'une seule chose : que tout cela cesse. La douleur, le chantage, la honte, la peur. Il pouvait parler, puis disparaître. Une seule chose à dire, et ces années d'angoisse seraient terminées à jamais.

Lorsque le Mangemort relâcha le sort, le jeune homme s'écroula face contre terre, le corps couvert de sueur. Il se redressa péniblement à quatre pattes. L'homme s'accroupit devant lui et lui releva le menton à l'aide de sa baguette. Epuisé, Peter, chassa les larmes qui embuaient ses yeux et avoua d'une voix basse, si basse que l'autre l'entendit à peine :

- C'est moi.

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