Partie IV - Chapitre 22
Chapitre 22
La grande salle à manger du manoir Malefoy était pleine. Aucun Mangemort n'était assis autour de la grande table car Lord Voldemort n'y avait convié personne, mais beaucoup de partisans se tenaient autour, rassemblés en petits groupes qui bruissaient de secret et d'inquiétude. Rogue se tenait un peu en retrait, caché dans les ombres lancées par les torches flamboyantes. Il préférait écouter ; on en apprenait toujours plus ainsi. Rester ainsi en position verticale ne lui plaisait guère à cause d'une blessure récente infligée par un Auror, mais il ne voulait pas céder sa place. Le seigneur des Ténèbres avait disparu pendant des semaines et, enfin, il était de retour. Rogue ne souhaitait rater cette première soirée du maître parmi ses fidèles pour rien au monde. Même si Voldemort ne lui adressait pas la parole, il remarquerait son absence. Or, Rogue ne souhaitait pas attirer l'attention sur lui. La dernière chose dont il avait besoin était un début de soupçon.
L'une des portes à double battants de la salle s'ouvrit en grand et Bellatrix Lestrange fit son entrée. Severus glissa parmi les ombres pour se rapprocher de la tête de la table, où était assis le maître. Il ne regardait rien ni personne, la tête appuyée sur sa longue main fine, l'autre occupée à caresser Nagini.
- Maître...
Severus grimaça en entendant la voix suppliante de Bellatrix. Il n'avait jamais compris comment cette femme si sûre d'elle face à n'importe qui pouvait se montrer si faible, minauder ainsi face à Voldemort. C'en était répugnant.
Il n'entendit pas la suite de ses propos, occupé à contourner un petit groupe de partisans qui s'interrogeaient sur l'activité du maître pendant son absence. Il bouscula un peu l'un d'eux, qui lui jeta un regard peu amène. Rogue n'était pas aimé parmi les Mangemorts. Il était accepté, mais on ne l'appréciait pas. Il s'y était résolu ; depuis Lily, personne ne l'avait aimé. A dire vrai, il n'avait aimé personne non plus.
Lorsqu'il sentit le regard brûlant de Voldemort sur lui, il ferma brusquement son esprit. Il pratiquait l'Occlumencie et la Legilimencie depuis plusieurs années déjà, mais il s'était entraîné avec plus d'assiduité ces derniers temps. Cependant, Voldemort ne tenta rien. Il détourna simplement son regard ennuyé pour continuer à écouter ce que Bellatrix gémissait dans son oreille. Rogue en comprenait à présent la teneur. Elle parlait du braquage du coffre-fort des Lestrange, qui avait eu lieu juste après le départ du maître. Cela faisait trois semaines maintenant. Même la Gazette avait cessé d'en parler.
- ... ruiné, chuchotait-elle. C'est sales traîtres à leur sang ont rendu notre argent impur, ils...
- Reprend-le, coupa-t-il, visiblement ennuyé.
- Il est au Ministère, sous scellé, répondit-elle.
Cette réponse eut le mérite de piquer l'intérêt de Voldemort. Un lent sourire étira ses lèvres alors qu'il grattait la tête du serpent.
- Nous n'avons pas fait de descente au Ministère depuis un moment, Bella.
Bellatrix cessa de larmoyer lorsqu'elle comprit ce que Voldemort lui proposait. Elle battit des mains comme une petite fille. Rogue retint un claquement de langue agacée ; elle n'avait aucune tenue. Un court instant, il se demanda s'il devait prévenir Dumbledore. Il décida finalement que non. La quantité d'informations qu'il donnait à l'autre camp était dosée avec précisions. C'était une question de stratégie : s'il en donnait trop, s'il faisait part de détails trop précis, on finirait par comprendre qu'il y avait un traître. Il fallait calculer les risques et les bénéfices. Dans ce cas-là, s'il vendait la mèche, Voldemort saurait que c'était l'une des personnes présente ce soir-là à portée d'oreille qui l'avait trahi. Or, il venait tout juste de poser les yeux sur lui.
La rumeur se répandit comme une traînée de poudre dans la salle. Les conversations s'unifièrent autour d'un même thème : prendre d'assaut le Ministère. Rogue se rappelait très bien de la dernière attaque contre ce haut lieu de l'administration sorcière. C'était le soir de l'enlèvement du Ministre de la magie. Le soir où Potter avait failli mourir. Et Lily.
- Severus !
Le jeune homme sursauta en entendant la voix de Voldemort l'appeler au milieu du brouhaha qui régnait à présent. Personne ne lui prêta attention alors qu'il s'approchait de la table. Bellatrix s'était retirée.
- Severus, dis-moi, siffla Voldemort. Pendant mon absence, il n'y a eu aucun signe du garçon ou de ses parents ?
- Aucun, maître, répondit-il calmement.
Le seigneur des Ténèbres hocha la tête, l'air songeur, et renvoya Rogue d'un geste négligent de la main. Il se retira sans demander son reste, soulagé de l'humeur magnanime de son maître. Quoi qu'il ait fait durant ces trois semaines, cela avait dû bien se passer. Depuis que Severus avait rapporté la prophétie à Voldemort, il semblait le tenir comme responsable de la traque des Potter. En même temps, il ne lui avait pas demandé explicitement de les chercher. Il paraissait attendre qu'ils se dévoilent d'eux-mêmes.
Severus espérait qu'ils seraient assez malins pour ne pas lui faire ce plaisir.
***
Edgar Bones se hâtait le long des couloirs du Ministère, une pile de dossiers flottants devant lui pour lui frayer un passage aux carrefours encombrés. C'était l'heure d'arrivée de tous les fonctionnaires, et Bones était en retard.
La mort de sa fille l'avait affaibli et rendu incapable de travailler pendant de longs mois, mais il avait fini par se ressaisir. Il le devait au moins à sa femme, qui s'était montrée incroyablement forte malgré l'épreuve qu'elle traversait, elle aussi. Maugrey avait été d'une aide toute relative pour le remettre sur pied : la brusquerie n'était pas toujours la solution, mais cela avait fini par fonctionner pour Edgar. Il était revenu siéger au Magenmagot juste à temps : l'Ordre était dans le pétrin.
Trois semaines plus tôt, le braquage des manoirs Lestrange et Malefoy avait défrayé la chronique. La Gazette n'avait parlé que de cela pendant pratiquement dix jours. L'agitation populaire autour de l'événement avait fini par retomber, mais pas l'agitation juridique. Lucius Malefoy et Rodolphus Lestrange avaient saisi le Magenmagot afin d'intenter un procès au Ministère, qui détenait à présent leurs fonds. La première semaine de procès n'avait été qu'une suite ininterrompue d'affirmations et d'infirmations quant à l'existence réelle de l'Ordre du Phénix. Tout cela n'était qu'une vaste mascarade : la plupart des membres du Magenmagot savaient très bien ce qu'il en était, ainsi que les plaignants. Même le reporteur de la Gazette présent sur place n'était pas dupe. Cependant, c'était une chose de reconnaître informellement l'existence de l'Ordre, et une autre d'inscrire ses activités pour le moins illégales dans la jurisprudence de la justice magique.
Si Barty Croupton avait présidé le procès, jamais l'Ordre ne s'en serait sorti. Merlin en soit remercié, il était trop occupé à juger les partisans de Voldemort qui emplissaient les cellules du Ministère pour venir s'occuper de cette affaire. C'était donc Edgar qui était en charge, et il était bien moins scrupuleux que son Directeur quand il s'agissait de protéger l'Ordre. Il avait donné quelques consignes, graissé quelques pattes, et obtenu du Magenmagot qu'il reporte toute la responsabilité de l'affaire sur le Ministère.
Une fois cette affaire réglée, il avait fallu rentrer dans le vif du sujet. Edgar était encore sidéré de l'aplomb de Lestrange et Malefoy, qui venaient se plaindre qu'on les avait pillés sans craindre un seul instant d'être accusé de collusion avec l'ennemi. Chaque jour ils trônaient au milieu de la salle souterraine, richement vêtus, l'air indifférent voire ennuyé, sûrs d'eux.
Lorsque Bones entra dans la pièce, il les trouva exactement dans la même position. Tous les membres du Magenmagot étaient déjà là. Lestrange sortit sa montre à gousset de sa poche et soupira bruyamment avant de la ranger. Bones s'abstint de tout commentaire et s'empressa de prendre sa place. Ses dossiers tombèrent avec fracas sur son bureau tandis qu'il réajustait son chapeau. Il s'éclaircit la gorge avant de commencer :
- Bonjour à tous. Nous allons pouvoir entamer...
- En retard, souffla Malefoy, mais l'acoustique de la salle était telle que Bones l'entendit distinctement.
-... la 23è journée du procès Lestrange-Malefoy contre le Ministère, continua Edgar comme si de rien n'était.
- Je le répète, intervint aussitôt Lestrange, le procès est contre l'Ordre du Phénix.
- La parole n'est pas au plaignant, répondit Bones d'un ton neutre. L'ordre du jour, s'il-vous-plaît ?
Un vieux Sorcier à la vision défaillante et aux mains tremblantes entreprit de sortir une feuille de son dossier afin de la lire à l'assemblée. Edgar s'abstint de tapoter son bureau de façon impatiente. Cela ne ferait que mettre tout le monde un peu plus sur les nerfs. Enfin, le Sorcier prit la parole :
- Ce premier mai 1981, l'institution accusée souhaite éclairer le rôle des deux plaignants aux côtés de Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom.
Edgar grinça des dents ; comme Maugrey et Dumbledore, il trouvait cette peur du nom de Voldemort horripilante. Il s'abstint cependant de tout commentaire sur ce point pour faire un signe de tête à la Sorcière qui siégeait à sa droite et représentait le Ministère.
- Il a été porté à notre connaissance par le Bureau des Aurors que vous seriez engagés, l'un comme l'autre, dans des activités illégales auprès du criminel qui vient d'être évoqué. Dans le cas où cela serait avéré, la confiscation de vos biens par le Ministère ne serait que justice.
Malefoy requit la parole d'un geste de main. Edgar la lui accorda, dépité. Tout ce procès n'était qu'une mascarade.
- Si le Ministère nous accuse d'un tel fait, pourquoi n'avons-nous pas été arrêtés ? Interrogea-t-il d'un ton plaisant.
Les membres du Magenmagot s'entre-regardèrent, gênés. Bones prit donc sur lui de répondre :
- Par manque de preuve.
- Dans ce cas, pourquoi nous avoir d'ores et déjà sanctionnés ? Il me semblait que l'Habeas Corpus s'appliquait toujours dans ce pays.
- C'est le cas, soupira Bones.
Malefoy écarta les bras, un sourire satisfait sur les lèvres.
- Alors je crois que nous pouvons crier justice et réclamer nos biens. Ils ont été saisis de façon arbitraire.
- Seulement parce que vous vous cachez sous des cagoules ! Cria quelqu'un dans la salle.
Lestrange se leva aussitôt et fit mine d'être furieux. Edgar était certain qu'il jubilait.
- Calomnie ! s'écria-t-il. Nous accuse-t-on de lâcheté ?
- Silence dans l'assemblée, réclama mollement Bones. Mr. Malefoy a raison, en vertu de l'Habeas Corpus, inscrit dans les lois sorcières et moldues depuis des générations, aucun homme ne peut être dépossédé de ses biens sans jugement légal de ses pairs. Or le dit jugement est rendu en la faveur de ces deux hommes par faute de preuve.
Il n'aurait même pas pu produire un membre de l'Ordre en tant que témoin : aucun n'avait jamais vu l'un de ces deux hommes sans sa cagoule en train de prendre part à des activités de Mangemorts. Simplement, c'était de notoriété publique qu'ils étaient des Mangemorts. Lui-même avait déjà reconnu la voix de l'un d'eux sur le champ de bataille, mais ce n'était pas un témoignage suffisant. Merlin, même un témoin oculaire était devenu inutile ces derniers temps : on accusait simplement quelqu'un d'avoir fait usage de Polynectar, ou de leur avoir jeté un Imperium. La justice n'avait plus aucune prise.
Lestrange se rassit tandis que Malefoy faisait les cent pas. Il lança :
- Maintenant que ceci est réglé, nous aimerions parler réparations. Nous souhaitons non seulement récupérer nos biens sur l'heure mais aussi obtenir compensation pour l'injustice qui nous a été faite.
- La question ne sera pas réglée tant que le jury n'aura pas délibéré, Mr. Malefoy, soupira Bones tout en tapotant sa pommette de l'index. Mais avant que nous ne nous retirions, dites-moi donc quel est votre prix.
- La démission d'Alastor Maugrey, qui a commandité cette attaque.
Le doigt d'Edgar se posa une dernière fois sur sa pommette alors qu'il se figeait. Des murmures s'élevèrent dans la foule. Maugrey était une figure controversée, mais tous savaient qu'il était le mieux placé pour mener la guerre. Edgar cherchait comment formuler un refus diplomatique lorsque la porte de la salle de conseil s'ouvrit brusquement. Un jeune clerc qui portait l'étole des apprentis fit irruption dans le cachot, hors d'haleine, un parchemin à la main.
- Mr. Bones ! Haleta-t-il. J'ai trouvé !
Edgar se leva aussitôt, sans se soucier du bruyant raclement de sa chaise sur le sol. Malefoy et Lestrange dévisageaient le jeune Sorcier comme s'ils allaient l'assassiner sur place. L'apprenti, inconscient de leur regard, monta quatre à quatre l'escalier qui menait à la tribune et bouscula Sorcières et Sorciers pour atteindre Edgar, qui lui arracha son document des mains. Il s'agissait d'un jugement rendu en 1942. Un Sorcier soupçonné de soutenir Grindelwald s'était vu confisquer tous ses biens, malgré l'absence de preuve formelle. L'Habeas Corpus était explicitement désigné ; le juge du Magenmagot estimait que l'état de crise nationale dans laquelle se trouvait la société sorcière justifiait la prise de décision arbitraire. Edgar fronça les sourcils, bien conscient que tous autour de lui retenaient leur souffle. Il n'aimait pas la justification du juge. Cette jurisprudence pouvait facilement être retournée contre eux. Néanmoins, il était sûr de lui ; Lestrange et Malefoy étaient de fervents partisans de Voldemort. Il ne s'en prenait pas à un innocent en faisait valoir ce cas passé. Il se passa la langue sur les lèvres, pris une inspiration puis annonça d'une voix forte :
- L'assemblée de ce jour est reportée à plus tard. Le Magenmagot va se retirer avant d'étudier la jurisprudence qu'on vient de m'apporter. Les plaignants sont invités à se retirer.
Malefoy et Lestrange commencèrent à protester, mais deux Aurors les poussèrent dehors sans ménagement, sans doute furieux qu'ils aient demandé la démission de Maugrey. Autour de Bones, tout le monde chuchotait vivement. Sans se soucier de l'agitation, il gagna le centre de la salle, son document à la main, et se prépara à faire entendre raison à ses pairs.
***
- Agagagaga !
Lily sourit, amusée, alors qu'elle suivant son fils qui marchait à quatre pattes tout en babillant aussi fort que le lui permettaient ses petits poumons. Il entra dans le salon, s'immobilisa devant le fauteuil, glissa sur le ventre et entreprit de grignoter le pied du meuble. Lily s'empressa de déposer la compote qu'elle avait dans la main et souleva le bébé avant qu'il n'ait eu le temps de manger trop de poussière. Il poussa un cri de protestation puis commença à se débattre quand elle l'assit sur ses genoux, mais se montra bien plus coopératif quand il entendit le « ploc » caractéristique de l'ouverture du pot de compote. Comme d'habitude, Lily s'efforça de le modérer pour qu'il ne se jette pas sur la nourriture. Il essayait généralement de mettre ses doigts dans le bocal puis de les porter à sa bouche en même temps qu'elle y mettait la cuillère. L'opération se terminait rarement bien.
Lorsqu'un peu de compote s'étala sur son petit polo, Lily grommela. Elle avait encore oublié de prendre son bavoir. Le bébé ne s'en formalisa pas et mit son doigt dodu dans la compote avant de le porter à sa bouche.
- T'es bien un homme, hein, soupira Lily. Espèce de ventre sur pattes.
- Étant donné la taille de son buste par rapport à ses jambes, je pense que c'est une description adéquate, commenta James en entrant dans la pièce. Cela dit, je ne vois pas où est le problème.
Il s'assit près de Lily et caressa la joue d'Harry, qui attendait, la bouche grande ouverte, que sa mère y mette la cuillère.
- Hein, mon p'tit pote Potter ?
- Oh, Merlin, ne l'appelle pas comme ça. Quand il entrera à Poudlard il comprendra que ça fait onze ans que son père se moque de lui.
- Je ne me moque pas de lui ! Je l'immunise.
Harry n'avait, pour le moment, pas l'air très perturbé par les surnoms dont son père pouvait l'affubler. Bathilda se plaisait à dire que c'était le plus joli bébé du monde. Lily était d'accord, mais elle savait bien être peu objective. Quoi qu'il en soit, il respirait la santé : il était dodu à souhait, souriant et rieur, et avait bon appétit. Merlin en soit remercié, il n'atteignait pas pour autant les proportions de son cousin Dudley, dont Lily et James avaient reçu une photo lorsque Pétunia avait daigné leur annoncer sa naissance, près d'un an après que celle-ci fût advenue. C'était la seule nouvelle que Lily avait reçu de sa sœur depuis des mois et des mois. Elle était persuadée que si elle-même ne lui avait pas écrit pour lui parler de Harry, Pétunia ne l'aurait jamais informé de l'existence de son neveu.
Tout en raclant le fond du pot de compote, elle sourit toute seule en se rappelant la réaction de James lorsqu'il avait ouvert l'enveloppe. Elle était occupée dans son laboratoire lorsqu'elle l'avait entendu crier : « Lily ! Ta sœur a adopté un bébé cachalot ! ». Il avait ensuite essayé de la convaincre que le but de Pétunia en envoyant cette photo était de les aveugler par la laideur de l'enfant. Lily avait tenté de lui dire qu'il était méchant, mais elle riait trop pour être crédible. Par ailleurs, elle était désolée pour ce pauvre Dudley, mais il ressemblait déjà à son père. Contrairement à Harry, qui ressemblait chaque jour plus à James, c'était loin d'être une bonne chose.
James déposa un baiser sur sa joue et murmura :
- Qu'est-ce qui te fait rire ?
- Toi.
Comme Harry commençait à gigoter et à geindre, elle le déposa sur le sol où il reprit allégrement son exploration du monde, qu'il ponctuait de commentaires compréhensibles de lui seul. Lily sourit tendrement.
- Tu te rappelles ces trois semaines où il n'a pas cessé de pleurer ?
James grommela tout en se laissant tomber contre le dossier du canapé.
- J'ai plutôt eu l'impression que ça durait trois mois.
- Pauvre petit chou.
- Pauvres nous ! s'offusqua-t-il. Je ne me rappelle pas avoir dormi pendant cette période.
Sans se préoccuper des jérémiades de son mari, Lily reprit :
- Tu sais, j'avais peur qu'il ne se développe par normalement, enfermé ici, sans jamais voir d'autres enfants ou même le monde extérieur.
- C'est un bébé, ma chérie, répondit James en lui caressant le dos. Son monde est plutôt limité. Il oublie la moindre chose en cinq minutes.
- Oui mais... Il n'est pas très stimulé.
- Il a plein de choses à découvrir dans la maison, et dans le jardin. Puis il voit d'autres personnes que nous. Les Maraudeurs sont des personnes très stimulantes.
Elle rit avant de se laisser aller contre lui avec un soupir. Il déposa un baiser sur sa tempe, puis sur son oreille, et murmura :
- Si tu tiens absolument à ce qu'il ait un petit camarade de jeu, je suis sûr qu'on peut trouver une solution.
Lily se figea. Elle pouvait le sentir sourire mais elle-même n'en avait aucune envie. Elle y avait déjà pensé, bien sûr, mais elle s'était toujours raisonnée aussitôt. Avoir un autre enfant maintenant serait inconscient.
- On ne peut pas, James, chuchota-t-elle. Tu sais qu'on ne peut pas.
Il déposa un baiser sous son oreille.
- Pourquoi ?
- Une grossesse a besoin de suivi, ce serait impossible à réaliser d'ici. Et puis imposer notre enfermement à un autre enfant ? Faire peser sur lui cette menace de mort ?
Sa voix se brisa un peu. James s'était éloigné d'elle. Elle posa une main sur son genou et se tourna à demi vers lui, mais il regardait par la fenêtre, le visage fermé.
- James, soupira-t-elle. S'il-te-plaît, ne fais pas cette tête-là. Dans d'autres circonstances...
- Et si les circonstances ne changent jamais ? l'interrompit-il.
Sans lui accorder le loisir de répondre, il se leva et quitta la pièce. Lily hésitait à le rappeler lorsqu'on frappa à la porte. James alla ouvrir avant qu'elle n'ait pu se lever. Elle sourit lorsqu'elle reconnut la voix de Peter.
***
Peter lut tout de suite dans les yeux de James que quelque chose l'avait contrarié. Néanmoins, une fois les mesures de sécurité exécutées, il le salua avec enthousiasme. Comme toujours, il s'efforçait d'être de bonne humeur lorsqu'on venait le voir.
- Ça faisait un moment, Queudver ! s'exclama-t-il en l'introduisant dans le salon.
- Quelques semaines, oui, répondit-il timidement alors que Lily le saluait. Mais je vois que Harry bave toujours autant.
Le bébé, allongé sur le ventre, le regardait avec un grand sourire édenté et humide.
- On devrait lui faire un pyjama en serpillière, même pas besoin de le mouiller, il peut s'en charger tout seul. Il serait très efficace pour laver le parquet !
- Tu crois que c'est pour ça qu'on habille les elfes de maison avec un torchon ? Interrogea Peter, songeur, tandis que James sortait le service à thé du buffet.
James rit à cette supposition, mais Lily répondit :
- Au-delà des questions d'esclavage, je ne comprends pas pourquoi on ne peut pas coudre un peu ces torchons pour qu'ils ressemblent plus à des vêtements.
- C'est ça l'astuce, Lily, répliqua James. Ça risque de devenir un vêtement. Je suis persuadé que les elfes ont un sixième sens qui leur permet de reconnaître les vêtements les mieux déguisés.
- Parce que tu les as beaucoup fréquentés ? interrogea Peter. A part ceux de Poudlard, je veux dire. Ils ne nous parlaient pas franchement de leurs conditions de vie.
- Eh bien, mes parents avaient une elfe de maison quand j'étais petit, expliqua-t-il. Quand j'avais cinq ou six ans ils ont voulu la libérer, parce qu'elle se faisait vieille et qu'on n'avait plus vraiment besoin de son aide. Maman voulait lui proposer de vivre avec nous ensuite. Ils ont commencé par lui en parler, puis comme elle ne voulait rien entendre, ils ont essayé toutes les ruses possibles pour lui donner un vêtement. Elle n'a jamais mordu à l'hameçon. Ils ont fini par réaliser que la libérer contre son gré était loin d'être une bonne chose, donc elle est restée à notre service jusqu'à sa mort, quand j'avais neuf ans.
- Tu ne m'as jamais parlé de ça, commenta Lily en revenant de la cuisine une théière à la main.
Il haussa les épaules.
- Je sais que tu n'as jamais vraiment compris le lien entre les Sorciers et les elfes. Je ne voulais pas te choquer, j'imagine.
Peter remarqua une certaine tension dans le ton de James mais ne dit rien. Lily ne répliqua pas non plus comme il s'y attendait. Elle fixa simplement son mari un court instant avant de verser du thé dans les tasses.
- On peut penser ce qu'on veut des conditions de travail des elfes, mais la cuisine de Poudlard était vraiment une bonne chose, commenta-t-il pour relancer la conversation.
Lily eut un petit rire par-dessus sa tasse.
- Ça, on ne peut pas dire que vous n'en avez pas profité.
- Eh, toi aussi ! Protesta James.
- Merlin, vous vous êtes déjà vu manger, tous les quatre ? On aurait dit une horde de géants affamés. Enfin, surtout vous deux et Sirius. Remus...
Les deux autres hochèrent la tête. Peter se tortilla sur son siège, mal à l'aise. Évoquer la grande époque des Maraudeurs suscitait chez lui des émotions contradictoires. Nostalgie, tristesse... Honte, aussi. Parce qu'il leur mentait à tous. En même temps, il ne pouvait se départir de l'impression qu'on l'avait abandonné. A douze ans, ils s'étaient jurés qu'ils étaient amis à la vie, à la mort. Huit ans plus tard, le groupe avait explosé. Les autres faisaient comme si de rien n'était, mais il le sentait bien. James était à Godric's Hollow, Sirius et Remus se voyaient à peine. Il s'était aperçu récemment que sans lui, Peter, Remus aurait à peine été au courant de ce qu'il s'était passé dans la vie de Sirius ces derniers temps. Il était sûr que l'inverse était vrai.
Alors que James lui demandait justement des nouvelles de tout le monde, Peter songea que ce n'était pas que les Maraudeurs qui avaient explosé. L'Ordre aussi. Ils ne se voyaient presque jamais, partaient de plus en plus rarement en mission en groupe car ils manquaient trop d'effectifs. L'Ordre du Phénix était en train de se déliter. Personne ne le disait mais Peter le savait : ils perdaient la guerre. Il le sentait dans la supériorité toujours plus grande dont l'écrasait le Mangemort, son maître-chanteur.
Un peu plus tard, Lily prit Harry et laissa les deux garçons entre eux. Peter en profita pour demander à son ami si tout allait bien. James se passa une main dans les cheveux avec un soupir.
- C'est juste... J'en ai assez d'être coincé ici, c'est tout. De ne pas pouvoir avancer.
- Je croyais que la conception de balai te plaisait ? Protesta Peter.
- Oui, bien sûr. Mais je voudrais... J'aimerais une plus grande famille, et Lily juge que ce n'est pas raisonnable pour le moment. Et, Merlin, je sais qu'elle a raison, mais combien de temps est-ce qu'on va rester là, hein ?
Peter aurait voulu le réconforter, mais il en fut incapable. Il avait envie de lui répondre : « toujours ». Étant donné la situation, il ne voyait pas comment les Potter sortiraient de cet endroit si ce n'était par la mort. Il frissonna à cette pensée. Si James le remarqua, il ne fit aucun commentaire. Il fixait à présent le tapis, la tête entre les mains. Comme le silence s'éternisait, Peter lui tapota l'épaule et interrogea :
- Tu veux jouer à la Bataille explosive ?
Un rire sardonique secoua James. Il redressa les épaules, un sourire un peu tordu sur les lèvres.
- Allez. Jouons à la Bataille explosive. Je ne peux rien faire pour améliorer ma propre vie, de toute façon.
Peter ne releva pas son sarcasme et l'aide à débarrasser. Alors qu'il portait le plateau à thé dans la cuisine, il constata que ses mains tremblaient. Il déglutit et déposa sa charge sur le plan de travail. La mort de Lily et James n'arriverait que si on lui arrachait le Secret. Il ne voulait pas laisser une telle chose arriver. Les Potter ne méritaient pas de mourir, tout comme tous ceux qui avaient déjà été victimes de la guerre. Pourtant, dans un coin de son esprit, il savait que c'était inévitable. Le Seigneur des Ténèbres progressait sans cesse. Bientôt, toute la Grande-Bretagne serait sous son contrôle. L'Ordre était déjà en train de tomber. Le Ministère tiendrait plus longtemps, un an, peut-être deux, mais il faillirait lui aussi. C'était inexorable. Peter le voyait dans la Marque des Ténèbres qui, chaque jour, s'élevait quelque part dans le ciel d'Angleterre. Il le lisait dans la Gazette qui rapportait les difficultés du Magenmagot à faire accuser les Lestrange et les Malefoy pour collusion avec le Seigneur des Ténèbres. Il le sentait dans les effluves de peur qui émanait d'un Chemin de traverse déserté.
Même s'il ne l'avait pas encore tout à fait accepté, il le savait : l'Angleterre allait tomber. Il n'avait pas encore déterminé où il se trouverait à ce moment-là. Du côté des morts ou de celui des vivants ?
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