Partie IV - Chapitre 2
Chapitre 2
Lorsque James avait lu son ordre de mission, il s'attendait à tout sauf à ça. C'était une banale mission de surveillance dans le Sussex, auprès de la famille d'un membre du Magenmagot impliqué dans des négociations très désavantageuses pour le marché noir. James ne voyait pas trop avec quelle légitimité on pouvait défendre le marché noir, mais il avait fini par en conclure que l'anarchie s'installait lentement mais sûrement dans ce pays.
Bizarrement, il n'en avait plus rien à faire. Ce n'était pas par désespoir ; le Ministère l'agaçait simplement autant que les Mangemorts. Il tenait les membres du gouvernement pour responsables de la façon dont la Grande-Bretagne s'était enlisée dans cette guerre – tout en s'efforçant d'oublier qu'il n'avait pas la moindre idée de la façon dont il aurait géré un tel événement à leur place.
Malgré tout, les familles des membres du Ministère n'avaient pas à en souffrir. Amer mais consciencieux, il monta donc la garde la majeure partie de la journée. Il aurait bien aimé savoir pourquoi cette famille se sentait particulièrement menacée ce jour-là, mais Maugrey avait cessé de diffuser ce genre d'informations.
Alors que le soleil commençait lentement à décliner et que James voyait arriver avec soulagement l'heure à laquelle le père de famille allait rentrer, il y eut un « CRAC » sonore. Il sursauta, faillit lâcher sa baguette, la brandit finalement vaillamment... Et se retrouva face à un gamin qui flottait dans sa robe noire de Mangemort. Il portait un masque aussi était-il difficile d'évaluer son âge, mais son bras maigrelet qui tremblotait, baguette tendue, semblait indiquer qu'il était bien trop jeune pour avoir été enrôlé par Voldemort.
D'un simple mouvement du poignet, James fit s'envoler son masque. Son adversaire laissa échapper un couinement apeuré alors que se révélait, sous le soleil de cette chaude journée, un visage poupin surmontés de cheveux bruns ébouriffés. Il visait toujours James, pourtant sans rien tenter. Il ne devait pas avoir plus de dix-sept ans – assez âgé pour faire de la magie en toute liberté, trop jeune pour tuer.
- Baisse ta baguette, ordonna James d'une voix calme.
Cette injonction parut paradoxalement redonner du courage au jeune homme. Il déglutit, sa main se stabilisa quelque peu. James baissa donc sa propre garde, certain que même s'il l'attaquait il ne pourrait pas lui faire grand mal. Comme pour lui donner raison, le garçon tenta un sort, qui percuta James à l'épaule. Il grogna ; c'était un sortilège de combat qui recréait l'effet d'un coup de poing. Dévastateur lorsqu'on avait assez de puissance magique, ou simplement de volonté, mais très peu efficace quand on était peu sûr de soi. Le garçon se trouvait quelque part entre les deux : James eut mal, mais il savait que cela passerait très vite.
Le manque de réaction de son adversaire fit paniquer le jeune homme. Il tenta cette fois de le stupéfixer mais James para sans difficulté. Quelques instants plus tard, ce fut le Mangemort qui se retrouva au sol, immobile. Avec un soupir, James préleva sa baguette puis le réanima. Sa victime commença par se débattre, chercha sa baguette et roula finalement loin de James, l'air à la fois vexé et apeuré.
- Pas de panique, lança James, conciliant. Je te rends ta baguette, si tu veux partir. Contre promesse que tu partiras sans m'attaquer.
Le jeune homme fronça les sourcils, puis s'assit en tailleur. Légèrement agacé, James se demanda s'il avait perdu sa langue.
- Tu peux aussi rester un peu ici et on va... Discuter.
Il n'ouvrait toujours pas la bouche, mais ne bougeait pas non plus. James demanda donc :
- Comment tu t'appelles ?
- Caleb.
Il fut surpris de la rapidité de la réponse. Caleb, puisque tel était son nom, semblait très défiant mais non tout à fait hostile à la discussion.
- Tu n'es pas censé être encore à Poudlard ? Je sais que c'est les vacances mais j'ignorais que les Mangemorts enrôlaient des gens scolarisés.
Cette fois-ci, il se contenta de hausser les épaules.
- Dans quelle maison étais-tu ?
- Serdaigle.
James s'abstint de dire que, pour le coup, il n'avait pas fait un choix très avisé, et reprit :
- Pourquoi est-ce que tu as rejoint les Mangemorts ?
Nouveau haussement d'épaules.
- Tu ne veux pas me le dire ou tu n'as pas de véritables raisons ?
- En quoi ça vous regarde ?
- Tu es venu dans l'objectif de faire du mal à la famille que je protège, alors ça me regarde.
Caleb se décomposa.
- Je ne... Je ne leur aurais pas...
- Quoi ? Fait de mal ? Alors qu'est-ce que tu fais ici ?
Honteux, Caleb baissa la tête. James avait l'impression d'être McGonagall s'en prenait à un élève qui faisait exploser des bombabouses.
- Est-ce que tu sais pour qui je travaille ?
- Soit l'Ordre du Phénix, soit le Ministère, marmonna-t-il.
James sentit une bouffée d'agacement contre les adolescents l'envahir. Merlin, il devenait un véritable adulte.
- L'Ordre, en effet. Je suis censé t'arrêter et te livrer au Ministère, où tu ...
- Vous aviez dit que vous me laisseriez partir ! rugit soudain Caleb, qui se leva d'un bond. Vous aviez dit que...
- J'ai dit « censé » ! coupa-t-il. Pas de panique, je ne vais pas le faire !
- Qu'est-ce que vous voulez faire alors ? M'enrôler dans l'Ordre ?
- Merlin, non !
La véhémence de sa réponse le surprit lui-même. Il se reprit puis se releva avec des gestes mesurés.
- Non, je voudrais que tu rentres chez toi.
Il faillit se reprendre lorsqu'il songea que l'Ordre allait devoir les exfiltrer, lui et sa famille, pour éviter des représailles, puis décida que le terroriser n'était pas la meilleure manière de procéder.
- Je ne peux pas.
- On peut toujours.
- Mes parents ne me pardonneront pas, explicita-t-il d'une voix qui tremblait légèrement.
- D'être entré chez les Mangemorts ? C'était stupide, certes, mais pas impardonnable. Pourquoi est-ce que tu as fait ça ?
James eut plus de résultat que lorsqu'il avait posé la question la première fois.
- Ils... ils n'étaient pas contents de mes résultats. Ils n'ont dit que je n'arriverais à rien. Je me suis... Je me suis enfui.
- Et tu as décidé sur un coup de tête d'aller frapper à la porte de Voldemort ? s'exclama James, incrédule.
Caleb frissonna violemment et le fusilla du regard.
- Ne dites pas son nom ! Et non, pas exactement. Je suis tombé sur un Mangemort, qui m'a vu faire de la magie.
- Il t'a proposé de les rejoindre et tu as dit oui ?
Caleb eut la décence d'avoir l'air honteux lorsqu'il acquiesça. James fit trois pas vers lui et lui asséna une tape à l'arrière du crâne.
- Eh ! Ça fait mal !
- Ça, ça fait mal ? Tu te moques de moi ?
Agacé et prêt à tout pour s'assurer qu'il ne retournerait pas vers les Mangemorts, James souleva son t-shirt et entreprit de désigner toutes ses cicatrices.
- Combat contre des Mangemorts, indiquait-il à chaque fois, sous les yeux horrifiés de Caleb.
Il finit par poser le doigt sur la boursouflure qui ornait son flanc et acheva avec un air de triomphe :
- Combat contre Voldemort. Ça, ça fait mal. Alors si tu n'as pas envie de connaître ce genre de douleur, et je ne te le souhaite pas, rentre chez toi.
Il laisse retomber son t-shirt, sous les yeux d'un Caleb toujours muet. Alors que James allait lui demander s'il pouvait le raccompagner chez lui, un nouveau « CRAC » résonna. Un homme de taille moyenne, les cheveux poivre et sel, et vêtu d'une robe du Magenmagot apparut devant eux. Il leur adressa un regard surpris.
- Je protège votre famille de ce garçon, expliqua James.
L'homme, vraisemblablement le père de famille, observa Caleb puis haussa les sourcils.
- Il comptait les attaquer sans baguette ?
Le jeune homme rougit alors que James sortait les deux baguettes de sa poche. Le Sorcier les considéra tous les deux un instant puis finit par soupirer.
- Allons prendre un thé.
- Qu... Quoi ? balbutia Caleb alors que James le poussait vers la maison, à la suite du maître des lieux.
James se contenta de sourire, ravi d'être tombé sur un membre du Magenmagot doté de compassion et d'un brin de cervelle. Il ne rentra au QG que deux heures plus tard, après avoir organisé la fuite de Caleb et sa famille avec Maugrey. Celui-ci était furieux de devoir organiser un tel événement pour un petit imbécile qui ne souhaitait que faire de la provocation. Quant à James, il était atterré. Voldemort était-il devenu tellement une habitude qu'on le rejoignait par simple défi ou par ennui ? Il était donc d'humeur changeante, à la fois heureux d'avoir pu tirer ce garçon de là avant qu'il ne commette l'irréparable et inquiet pour l'avenir.
La soirée était bien entamée lorsqu'il poussa la porte du QG. La première personne qu'il vit fut Remus, qui poussa une exclamation.
- Enfin tu es là ! Demi-tour, demi-tour !
- Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ? Une urgence ? Lunard !
Il parvint à échapper aux mains de son ami, qui le poussait inexorablement vers la porte, et se retourna vers lui, les sourcils levés.
- Lily est à la maternité ! brailla Remus. Bouge-toi !
James cligna plusieurs fois des yeux, pâlit, trébucha en arrière, fit volte-face et partit en courant, cette fois-ci sans avoir besoin de l'aide de son ami.
***
- Mais où est cet imbécile, grommela Sirius.
- Je ne te le fais pas dire, répondit Lily sur le même ton, pâle et les traits tirés.
Ils attendaient depuis près de trois heures maintenant. Le bébé ne semblait pas décidé à pointer le bout de son nez. La sage-femme leur avait pourtant dit qu'ils avaient bien fait de venir.
- On aurait dû lui envoyer un patronus.
- Tu sais bien que non, soupira Lily. C'est dangereux. Je préfère qu'il arrive trop tard mais vivant plutôt qu'au bon moment et les pieds devant.
- Votre bébé ne va pas naître les pieds devant, observa une infirmière, perplexe, en entrant dans la chambre.
- Je parlais de mon mari.
Les yeux de la jeune femme blonde se tournèrent aussitôt vers Sirius, et les deux jeunes gens s'empressèrent de la détromper.
- Je fais le bouche-trou, expliqua Sirius. En attendant que mon crétin de meilleur ami se décide à arriver.
- Hmm... Commenta l'infirmière après quelques vérifications. Il a intérêt à se dépêcher s'il veut arriver à temps.
- Oh, Merlin, souffla Lily alors que Sirius verdissait un peu.
- Je vais devoir rester s'il n'arrive pas ? balbutia-t-il.
- Pitié, non ! s'exclama Lily alors que l'infirmière quittait la chambre en assurant qu'elle repasserait dix minutes plus tard.
Sirius se laissa aller contre le dossier de sa chaise avec un intense soupir de soulagement.
- Merci, Merlin...
- Où est-il, Sirius, gémit Lily, les yeux fermés. Je veux qu'il soit là !
- Claque des doigts, peut-être qu'il apparaîtra.
Elle ouvrit une paupière pour le fusiller du regard.
- Est-ce que tu penses vraiment que c'est le moment de plaisanter ?
- Tu m'as demandé il y a moins d'une heure de te faire rire !
- Eh bien maintenant je n'ai plus envie !
- Je déteste les femmes enceintes, râla Sirius.
Il se leva sous le regard agacé de Lily et interrogea :
- Tu veux quelque chose ? A boire ? A manger ?
- Mon mari ?
- Si tu m'avais laissé lui envoyer un patronus...
- Merlin tout puissant, va me chercher un jus de citrouille et n'en parlons plus.
Sirius lui fit une grimace. Les coins de la bouche de Lily se retroussèrent légèrement. Elle aurait sans doute souri si une nouvelle contraction ne l'avait obligée à se plier en deux, les mains crispées sur ses genoux. Son ami revint aussitôt vers elle pour lui frotter le dos jusqu'à ce que ça passe, lui tendit un verre d'eau puis s'empressa de disparaître. Il n'en pouvait plus.
Il longea les couloirs blancs et aseptisés de la maternité sans vraiment regarder où il allait. Le bruit d'un chariot lui fit relever la tête et il capta le sourire éclatant d'une jeune et jolie infirmière. Il le lui rendit par réflexe, puis songea qu'elles allaient toutes les harceler une fois que le mot serait passé qu'il n'était le mari de personne.
Il s'apprêtait à traverser le hall d'entrée lorsqu'un hurlement hystérique qui ressemblait vaguement à son prénom attira son attention.
- SIRIUS !
James se tenait devant le guichet d'accueil, hors d'haleine, les joues écarlates, l'air complètement paniqué. Sirius n'avait jamais été aussi heureux de le voir.
- Tu es là ! répondit-il sur le même ton avant de se ruer vers lui pour l'écraser dans un câlin.
Son meilleur ami entreprit de se débattre en gargouillant et finit par se débarrasser de lui en braillant :
- Lily ! Où est Lily ? LILY !
- Je vous ai dit qu'elle était..., commença la réceptionniste.
- JE T'EMMENE, hurla Sirius, pour le simple plaisir de hurler.
Ils se hâtèrent vers la chambre de la jeune femme. James courait à moitié mais Sirius le retenait par le bras en chuchotant que, tout de même, on était dans un hôpital. Il prenait un malin plaisir à imiter Mrs. Pince.
- LILY ! J'ai trouvé mieux que du jus de citrouille !
La voix surexcitée de Sirius envahit le couloir. Une infirmière lui adressa un regard torve, qu'il ignora superbement. Il apercevait déjà la chambre de Lily par la porte qu'il avait laissée béante.
- J'espère pour toi que ce n'est pas encore une de tes blagues inventées, répondit Lily lorsqu'il arriva dans son champ de vision.
Sans lui laisser le temps de répondre, James bondit devant lui et se précipita vers sa femme, qui fondit tout bonnement en larmes. Avec un sourire, Sirius ferma la porte de la porte et reprit le chemin de la boutique. Maintenant que James s'occupait de Lily, il allait pouvoir se détendre et s'offrir un sandwich.
***
James s'assit sur le bord du lit de sa femme en larmes et la prit dans ses bras tant bien que mal, tout en s'efforçant de se calmer lui-même. Il n'avait jamais autant paniqué de sa vie.
- J'ai cru que tu n'arriverais pas, hoqueta-t-elle contre son t-shirt. La sage-femme dit que c'est pour bientôt et...
Le jeune homme déglutit, refoula sa panique qui remontait en flèche puis s'écarta pour lui adresser un sourire rassurant.
- Je suis arrivé à temps. Ça va aller.
- Facile à dire pour toi, renifla-t-elle, les joues barbouillées de larmes.
Il lui concéda ce point d'une grimace.
- On n'a qu'à... On n'a qu'à penser à après ! (Un grand sourire, sincère cette fois, étira ses lèvres.) On va enfin avoir notre bébé !
Lily sourit, mais se remit à pleurer en même temps.
- Ça fait tellement longtemps qu'on l'attend, hoqueta-t-elle. Oh, James, j'ai tellement hâte de le voir et de... et de le prendre dans mes bras mais... (elle renifla bruyamment.) J'ai peur.
- De l'accouchement ? interrogea-t-il, perplexe.
Il savait depuis des mois qu'elle paniquait rien qu'à cette idée, ce qu'il comprenait parfaitement.
- De ne plus l'avoir avec moi tout le temps, rectifia-t-elle d'une petite voix.
- Quoi ?
- J'ai passé neuf mois avec ce bébé dans mon ventre, j'ai pris l'habitude. Et maintenant... Maintenant je vais être toute seule et il... il ne sera plus complètement à moi et...
- Oh, Lily..., soupira-t-il en la prenant à nouveau dans ses bras. Un jour il deviendra indépendant, mais ce sera notre bébé pendant un long moment. Et puis... Je n'ai pas vécu la même chose que toi. Je vais enfin le voir ! Tu imagines ?
Elle hocha la tête et nicha son visage contre son cou.
- Je t'aime, souffla-t-elle d'une voix à peine perceptible.
- Je t'aime aussi.
Lily pressa ses lèvres à la base de son cou puis s'écarta pour lui adresser un sourire courageux. Sourire qui disparut lorsqu'une nouvelle contraction, plus forte que les précédentes, se manifesta. L'infirmière entrait justement. Sans même saluer James, elle procéda aux examens nécessaires puis fixa ses yeux dans ceux d'une Lily haletante pour lui annoncer que cette fois, c'était le moment.
***
La porte de la salle d'accouchement se referma en claquant derrière James. Sirius bondit aussitôt de son siège, une expression à la fois exaltée et inquiète sur le visage.
- Ça y est ? Le bébé...
- Je me suis fait virer.
- Oh.
Sirius se laissa retomber dans son fauteuil tandis que James s'asseyait auprès de lui et plongeait la tête entre ses mains.
- Qu'est-ce que tu as fabriqué, imbécile ?
- J'ai paniqué, gémit James. Ils ne faisaient rien pour Lily et elle avait mal et... J'ai engueulé la sage-femme, qui m'a menacé avec un instrument terrifiant jusqu'à ce que je me retrouve devant la porte.
Il était véritablement désolé. Non pas pour la sage-femme, mais parce qu'il avait laissé Lily toute seule.
- J'aurais aussi bien pu ne pas arriver à temps, marmonna-t-il. Quel crétin.
- Ça, tu l'as dit, répondit Sirius en donnant un petit coup de genou dans le sien. Elle avait tellement envie que tu sois là.
James releva les yeux pour rectifier :
- Honnêtement, je ne sais pas. Elle m'a pas mal insulté pendant la demi-heure que j'ai passée là-dedans.
- Ça doit la soulager, expliqua Sirius avec un haussement d'épaules.
James remarqua alors son air inquiet, ses cernes et son pied qui battait frénétiquement le sol. Si Sirius avait cette tête-là, il n'osait pas imaginer ce à quoi lui-même devait ressembler. Merlin, il avait envie de défoncer la porte à mains nues pour être auprès de Lily. Il grimaça. Ou peut-être pas. La voir souffrir était si difficile.
- Je vais devenir dingue, Patmol.
- Tu ne l'étais pas déjà ?
- Très amusant.
Il se redressa d'un bond et entreprit de faire les cent pas devant la porte close, qui ne laissait échapper aucun son.
- Et si ça se passe mal ? Et s'il arrive quelque chose et que je ne suis pas là ?
- Ça va aller. Elle est entre de bonnes mains. Et tu auras bientôt ton bébé !
L'air vaguement dégoûté avec lequel il acheva sa phrase eut le mérite de faire rire son meilleur ami.
- Oh, allez, ne fais pas ton dur à cuire, je suis sûr que dans le fond tu trouves les enfants mignons, s'exclama-t-il en s'asseyant à nouveau à côté de lui.
- Même pas en rêve ! Ils sont insupportables et inintéressants !
- Mais pense au moment où notre bébé va refermer ses petits doigts autour de ton index !
- Eh bien, j'aurais l'impression d'avoir une sangsue accrochée à la main.
- Eh, ne compare pas mon bébé à une sangsue.
- Si petit, rose et fripé, difficile de faire la différence.
Sirius éclata de rire alors que James le gratifiait d'un coup de poing dans l'épaule.
- On a vraiment choisi le mauvais parrain, marmonna-t-il.
- Tu n'as rien le droit de dire, tu t'es fait virer de la salle d'accouchement.
- Oh, Merlin. (James passa ses doigts dans ses cheveux et les crispa sur le haut de son crâne). Sérieusement, je crois que je ne paniquais pas autant en haut de cette satanée falaise.
- Qu'est-ce qui t'angoisse ?
James jeta un coup d'œil à son meilleur ami, persuadé qu'il se moquait de lui, mais il se contentait de fixer la porte close, mains jointes, les coudes appuyés sur ses genoux.
- Tout, répondit-il alors. L'accouchement, après...
- Après ?
- Eh bien, je n'ai pas.... Je n'ai pas vécu avec ce bébé comme Lily. Je me suis contenté de l'imaginer pendant neuf mois, et là, tout d'un coup, la multitude de possibilités que je m'étais imaginée va être réduite à une seule personne. Plus de retour en arrière possible. Ce sera lui ou elle, et personne d'autre.
Sirius lui sourit.
- Tu vas l'aimer de toute façon, et tu le sais. Alors arrête de te prendre la tête pour ça.
Il reprit ensuite la contemplation de la porte. James fixa un instant son meilleur ami avant de lancer :
- Tu n'étais pas obligé de rester.
- Je sais.
- Merci.
Il aperçut l'ombre d'un sourire sur le visage de Sirius.
- J'espère qu'après tant de dévotion de ma part vous l'appellerez Sirius ou Sirina.
- Va te faire voir.
- Elvendork, au moins ! Allez, Cornedrue ! Rend les choses un peu marrantes ! Ce gosse va déjà avoir le nom de famille le plus basique de la terre, rend sa vie plus palpitante avec un prénom inoubliable.
James tentait en vain de réprimer son sourire. Après quelques secondes de lutte intérieure, il finit par lâcher :
- Ragnetrude ?
- Pas mal. Childebert ?
- Capheus ?
Ils avaient trouvé et inventé des prénoms absurdes pendant près d'une demi-heure. A présent, ils étaient à nouveau silencieux. James faisait les cent pas depuis au moins aussi longtemps. Sirius était à court d'idées pour le divertir ; il avait fermé les yeux, la tête appuyée contre le dossier, les bras croisés sur sa poitrine. James lui jeta un coup d'oeil. Il lui était réellement reconnaissant d'être resté, en plus d'avoir accompagné Lily alors que lui-même était absent. Il savait qu'ils avaient fait le bon choix ; s'il leur arrivait malheur dans le cours de la guerre, il n'y aurait pas de parrain plus dévoué que Sirius.
Il se rendit compte que l'angoisse le rendait un peu émotif lorsqu'il dut réfréner l'envie de le prendre dans ses bras. Lily n'était pas la seule à avoir du mal à contrôler ses émotions.
Son va-et-vient cessa soudainement lorsque la clenche s'abaissa dans un grincement. Il retint son souffle, les yeux écarquillés, les poings tellement serrés qu'il avait mal aux jointures. Il entendit vaguement Sirius se lever derrière lui. Le battant s'ouvrit enfin, révélant la sage-femme. Elle avait l'air fatiguée mais satisfaite. James voulait parler mais en était absolument incapable.
- Ils vont bien, annonça-t-elle. Votre femme et le bébé. Vous pouvez entrer.
Elle s'effaça pour le laisser passer mais James resta planté devant l'embrasure béante, les yeux fixés sur le fond de la pièce. La panique le paralysait. Au bout de quelques secondes, Sirius le poussa sans ménagement à l'intérieur. James hoqueta, trébucha, franchit la porte et reprit ses esprits à l'instant où il la vit.
Lily pleurait. Elle avait les cheveux en bataille, le visage rouge et couvert de sueur, mais le plus magnifique des sourires. A travers ses larmes, elle fixait le petit paquet qui était allongé sur elle. Elle releva la tête en entendant la porte se refermer et ses yeux tombèrent sur son mari. Son sourire, si c'était possible, s'élargit un peu plus. Elle dégagea l'un de ses bras pour le tendre vers lui. Cette fois-ci, James n'hésita pas. Il se précipita vers elle.
- On a ... on a un petit garçon, hoqueta-t-elle alors qu'il attrapait sa main. James, c'est...
Hébété, il se pencha et l'aperçut. Une toute petite tête, aussi rouge et fripée que l'escomptait Sirius mais couverte d'un épais duvet noir. Il serrait ses tous petits poings, posés tout contre la peau de sa mère. James n'avait pas réalisé qu'il serait si petit. Qu'il aurait l'air si fragile, si vulnérable. Il sentit sa gorge se serrer.
Sirius avait raison. Qu'importe tout ce qu'il avait pu imaginer, c'était son bébé. Son fils. Il se redressa soudain et renifla bruyamment. Lily rit à travers ses larmes.
- Je savais que tu allais pleurer.
- Oh, Lily...
Il déposa un baiser sur son front, sur sa joue, sur son nez. Elle rit doucement. Ses lèvres pressées contre sa tempe, il murmura.
- Merci. Merci pour notre bébé. Je suis désolé de ne pas avoir été là, je...
- Pas grave, chuchota-t-elle d'une voix plus calme. Ça n'a aucune importance. On a notre tout petit bébé, c'est tout ce qui compte.
James avait lâché la main de sa femme pour glisser un bras autour de ses épaules. Il approcha lentement sa main libre et légèrement tremblante du visage de son fils. Du bout des doigts, il caressa son front, ses joues, son nez en trompette, son menton pointu.
L'état d'hébétude dans lequel il se trouvait refluait pour laisser place à un kaléidoscope d'autres émotions. La joie, intense, écrasante ; l'euphorie ; la peur de faire quelque chose mal, de devoir élever cet enfant en sachant qu'il ne pourrait que faire de son mieux et que ce ne serait jamais parfait ; et enfin l'amour, infini. Il ignorait qu'il y avait tant de place dans son cœur pour l'amour, qu'on pouvait aimer autant, et autant de personnes.
Il pressa un instant ses lèvres sur le front du bébé puis sourit à sa femme, qui avait toujours les yeux baignés de larmes.
- Tu es merveilleuse. Je t'aime tellement.
Une nouvelle larme roula sur sa joue, et elle se contenta d'appuyer son front contre le sien. Ils formaient un arc protecteur au-dessus de leur bébé, qui ouvrit les yeux. Il fixa ses pupilles claires, à la couleur encore indéfinissable, sur le visage de son père, qui s'était abaissé à sa hauteur. James retint son souffle. Un petit poing s'agita, un pied sous les couvertures. Il émit un petit bruit que James qualifia aussitôt d'adorable puis referma les yeux en tétant un biberon imaginaire. Lily pouffa, une main passée dans les cheveux de James.
- Je crois qu'on va passer les prochains jours à s'émerveiller.
- J'imagine qu'il n'est pas né en ayant l'air aussi calme et mignon ?
- Oh non, il hurlait de toutes ses forces, mais ça n'a pas duré très longtemps.
James sourit et caressa la joue du bébé de son index replié.
- Toujours d'accord pour son prénom ?
- Harry, murmura tendrement Lily. Notre tout petit Harry.
Alors qu'il fixait son fils, James se promit qu'il ferait tout son possible pour le protéger. Plus tard, lorsqu'il pourrait se débrouiller sans ses parents, alors il apprendrait à le laisser partir. En un éclair, il s'imagina tout ce qui attendait Harry. La magie, Poudlard, le Quidditch, des moments aussi absurdes que merveilleux passés avec son parrain. Il avait relégué la guerre dans un coin de son esprit. C'était trop irréconciliable avec un être si petit, si vulnérable, si pur. Il ne la laisserait pas le toucher.
- Bienvenue dans le monde, Harry Potter, chuchota-t-il.
On était le 31 juillet 1980.
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