Partie IV - Chapitre 14

Chapitre 14

- Tu as fini ?

- James, cette édition fait près de quarante pages. Alors non, je n'ai pas fini depuis que tu m'as posé la question il y a cinq minutes.

Lily avait répondu tranquillement, les yeux rivés sur sa page. James la harcelait depuis au moins vingt minutes pour avoir le journal, mais elle ne comptait pas le lâcher tant qu'elle ne serait pas venue à bout de cette édition spéciale. James grommela avant de reporter son attention sur Harry, allongé sur son tapis de jeu. Il s'agitait en tous sens en secouant sa peluche. Lily délaissa un instant sa lecture pour adresser un regard tendre à son fils. A présent âgé de quatre mois, Harry était un petit bébé dodu toujours aussi chevelu. Il se mit à gazouiller dès que son père entra dans son champ de vision. Voyant que les deux hommes de sa vie étaient bien occupés, Lily se replongea dans les méandres de la politique sorcière.

Le désastre de la Foire internationale de botanique avait eu lieu trois semaines plus tôt mais il faisait encore parler de lui. Même l'effervescence des fêtes de Noël ne parvenait pas à en masquer les retombées. Deux jours plus tôt s'était terminé, à Paris, un sommet international magique qui avait eu pour but de statuer sur la situation de la Grande-Bretagne. Près de la moitié du Bureau des Aurors avait été mobilisée pour accompagner la Ministre en France, ainsi que tout un contingent de la Brigade magique. Elle était rentrée saine et sauve au pays. A présent, la presse sorcière annonçait le verdict dans une édition spéciale de la Gazette. Bathilda la leur avait apportée dès qu'elle l'avait terminée.

Durant le congrès, on avait évoqué la sécurité intérieure comme extérieure, la question des transports à l'étranger, les problèmes d'éthique liés aux Moldus, la question plus qu'épineuse du Secret Magique, l'éventualité d'une aide internationale pour mettre fins aux agissements de Voldemort... Mais toutes ces problématiques avaient été balayées par le départ théâtral du diplomate américain, qui avait ainsi coupé toutes relations entre les États-Unis et la Grande-Bretagne. Si les Américains refusaient d'envoyer des représentants sur le sol anglais depuis près de deux ans déjà, ce départ était un nouveau coup dur : finis les exils d'Anglais menacés aux États-Unis. Le Congrès avait annoncé le jour même que l'immigration des Britanniques aux États-Unis était suspendue jusqu'à nouvel ordre.

Malheureusement, plusieurs pays européens s'étaient alignés sur cette décision. La Grande-Bretagne devait à présent composer avec les pays neutres – si ce n'est hostiles – et ceux, la plupart à l'est, ouvertement en faveur de Voldemort. Une page entière de la Gazette était dédiée au souvenir de Grindelwald et à l'influence qu'il exerçait encore à l'école de sorcellerie de Durmstrang. Lily la parcourut avec horreur ; Maugrey ne leur avait jamais vraiment parlé des partisans de Voldemort à l'étranger.

D'après le reporteur, la France, l'Italie et la Hollande étaient les plus sûrs alliées de la Grande-Bretagne dans la lutte contre Voldemort. Le gouvernement sorcier français avait annoncé l'envoi possible de contingents de la Gendarmerie magique de l'autre côté de la Manche. Lily espérait que ce n'était pas une promesse en l'air. Il s'agissait, à peu de choses près, de la seule note positive de cette édition spéciale. La jeune femme ignorait dans quelle mesure les journalistes se montraient trop alarmistes par amour du scandale et des sensations fortes... Mais il y avait forcément un fond de vérité.

Lily leva enfin les yeux du journal, dont elle venait de tourner la dernière page intéressante – elle avait cessé de lire depuis longtemps les annonces de décès, et les pages « Maison » ne la passionnaient pas. James et Harry avaient disparu de la pièce. Elle comprit pourquoi lorsque l'horloge, posée sur le buffet, sonna seize heures trente. Elle trouva les deux garçons dans le lit parental ; Harry s'était endormi sur la couverture, son biberon vide posé près de lui, sa petite bouche encore entourée de lait entrouverte. James, ses longues jambes étendues devant lui, lisait un roman policier moldu que Remus leur avait offert pour les remercier de leur hospitalité. Lorsque Lily fit un pas dans la pièce, une latte du plancher craqua avec bruit et James sursauta si fort qu'il faillit lâcher son livre.

- Oh, par Merlin, exhala-t-il après avoir levé les yeux sur sa femme. Tu m'as fichu une de ces frousses.

- C'est ce bouquin qui te met sur les nerfs comme ça ?

- L'héroïne est en train de se promener dans un couloir désaffecté du métro parisien où rôderait le meurtrier. Je vais mourir d'angoisse, contrairement à elle. Sérieusement, qu'est-ce que c'est que ces personnages qui se jettent comme ça dans la gueule du loup ?

Lily pouffa tout en se glissant sur le lit.

- Tu t'es regardé, un peu ? Tu sais très bien te jeter dans la gueule du loup, de la façon la plus littérale possible.

James ouvrit la bouche, la referma, et lui adressa finalement un regard faussement courroucé.

- Tu es infernale.

- Parce que j'ai toujours raison ? Interrogea-t-elle joyeusement.

- Parce que tu signales mes contradictions.

- C'est pareil.

- Bien sûr que non.

- Je t'assure que...

Il étouffa son rire sous ses lèvres et Lily le laissa faire de bonne grâce. Lorsqu'il s'écarta, elle lui adressa un regard espiègle.

- Quand tu clos une discussion comme ça, tu sais bien que ça veut dire que j'ai gagné.

- Je m'en fiche, j'ai eu un baiser, répondit-il avec un sourire satisfait.

Lily pouffa avant de s'étendre près de Harry. Elle posa une main sur son ventre, le visage posé sur son coude replié.

- Ça fait un moment qu'il ne nous a pas fait de crise.

- Oh oui, au moins trois jours, releva James, sarcastique.

- Eh, tu te rends compte de ce que ça signifie, trois jours dans la vie d'un bébé qui n'a que quatre mois ?

- C'est pas faux. Avec un peu de chance, sa dent finira de sortir au moment de Noël.

- Quel beau cadeau.

- En parlant de cadeau... (James délaissa la Gazette qu'il avait commencée à feuilleter pour s'allonger de l'autre côté du bébé). Noël est dans quinze jours, et aller acheter des cadeaux va s'avérer plutôt compliqué.

- Oui, j'y ai pensé, soupira Lily. Pareil pour le sapin. Ça me rend triste que le premier Noël de Harry ne soit pas vraiment festif.

- On a des décorations, ici, souligna James doucement. On peut quand même faire quelque chose de chouette.

- Mais il n'aura pas la joie de déchirer le paquet de ses cadeaux pour ensuite le manger.

James rit et tendit la main par-dessus l'objet de leur discussion pour caresser la joue de sa femme.

- On est au moins d'accord sur le fait qu'il se soucie assez peu d'avoir des vrais cadeaux. Il a mangé la Gazette d'hier, ce matin.

- On aura qu'à lui offrir toutes les éditions du mois, il sera ravi.

James rit à nouveau avant de ramener son bras vers lui.

- Bref, pour en revenir à ce que je disais : puisqu'on ne peut pas s'acheter de cadeaux, on a qu'à les fabriquer avec ce qu'il y a ici. Ça nous occupera.

Les yeux de Lily pétillèrent à nouveau de joie à cette idée alors qu'elle hochait la tête. Ce serait un Noël de bric et de broc, comme toute leur vie l'était depuis le mois de septembre. Cela lui plaisait.

- Les décorations doivent être dans le grenier, reprit James. Je vais les descendre tout de suite.

- Et la Gazette ? Rappela Lily tandis qu'il sortait de la chambre.

- Ça peut attendre ! s'écria-t-il joyeusement par-dessus son épaule. Ce n'est pas comme si le monde avait besoin de nous de toute façon.

***

James avait bien conscience que cette dernière phrase aurait pu résonner d'amertume, mais il n'en ressentait pour le moment aucune. Les trois Potter passaient une excellente journée, et il ne comptait pas la gâcher en s'attardant sur son absence de rôle dans la guerre. Il ne savait que trop que ces pensées allaient le rattraper d'ici quelques jours, et il devrait alors reprendre la lutte avec ses démons.

Une fois dans le couloir, il sortit sa baguette et la pointa vers la trappe qu'on distinguait au plafond. Jusqu'à ses dix-sept ans, il n'avait pas eu le droit de monter au grenier. Même lorsque ses parents y allaient, ils ne le laissaient pas grimper l'échelle. Dès qu'il était rentré chez lui, une fois majeur, il s'était empressé d'aller explorer cette pièce. Il n'avait découvert que des meubles poussiéreux et beaucoup de toiles d'araignées.

L'échelle glissa jusqu'à lui par magie tandis que la trappe coulissait. Il coinça sa baguette entre ses dents après avoir murmuré « Lumos » puis monta rapidement. La pièce était glaciale, et il entendait la pluie tambouriner sur le toit. Il se dépêcha de fouiller les piles de cartons ; ses doigts s'engourdissaient déjà. Au bout d'un bon quart d'heure de recherche, il dut cependant envisager l'idée que les décorations de Noël n'étaient peut-être pas rangées là. Agacé, il redescendit et donna un coup de baguette un peu trop sec pour faire remonter l'échelle. Elle percuta les bords de la trappe avec fracas avant de disparaître.

- James ? Appela Lily depuis la chambre. Ça va ?

- Ouais. Je ne les ai pas trouvées. Je me demande bien où elles peuvent...

Il s'arrêta net, les yeux posés sur la porte qui se trouvait au bout du couloir. La chambre de ses parents. Il ne l'avait jamais ouverte depuis qu'ils avaient emménagé. Lily y était allée pour prendre des draps, mais il n'avait pu s'y résoudre.

- Mon chéri ?

Lily se tenait à présent dans l'embrasure de la porte et le dévisageait, inquiète.

- Elles doivent être rangées dans la chambre de mes parents, expliqua-t-il d'une voix un peu enrouée.

- Oh. Je peux y aller, si tu veux.

James faillit accepter, mais il se reprit vite. C'était ridicule. Il devait affronter cette pièce, et tout ce qu'elle signifiait. La guerre lui avait jusque-là permis de ne pas s'attarder plus que nécessaire sur la disparition de ses parents. A quoi bon penser au passé lorsqu'on n'était pas sûr d'être encore en vie le lendemain ? Mais depuis qu'il était coincé et oisif dans la maison de son enfance, il sentait l'ombre de sa peine s'agiter au fond de lui. Il n'osait en parler à Lily, de peur de réveiller sa propre tristesse.

Pourtant, lorsqu'il tourna une nouvelle fois les yeux vers sa femme et y perçut le même abyme qu'en lui, il comprit qu'elle traversait sans doute la même chose. Ils avaient tout mis de côté parce qu'il fallait avancer coûte que coûte, mais maintenant qu'on les forçait à rester immobiles, ils n'avaient d'autre choix que d'affronter leurs fantômes.

- Ça va aller, souffla-t-il finalement. Il faut que j'y aille.

- Tout seul ?

- Oui.

Lily déposa un léger baiser sur sa joue avant de regagner leur chambre et James s'avança vers le bout du couloir. Il ouvrit doucement la porte. Une odeur de renfermé lui parvint, derrière laquelle persistait toujours celle du parfum de sa mère. Il alluma la lumière de ses doigts légèrement tremblants puis expira lentement. C'était moins terrible que ce qu'il avait imaginé. Bathilda avait dû mettre de l'ordre dans les affaires de son père juste après sa mort ; les armoires étaient vides, les vêtements rangés dans des cartons. D'un côté du lit, ceux de sa mère, de l'autre, ceux de son père. Sur le bureau couvert de poussière, la boîte à bijoux d'Euphemia Potter attendait d'être à nouveau ouverte. La bibliothèque, installée à droite de la fenêtre, n'avait pas été touchée. C'était principalement les livres de sa mère. Les yeux de James gagnèrent automatiquement la moitié inférieure du meuble, où les livres avaient l'air plus récent. Il y en avait un pour chaque semaine de sa maladie ; Fleamont allait en choisir un tous les vendredis, chez Fleury et Bott ou bien chez des libraires moldus.

James sentit ses yeux s'emplir de larmes à ce souvenir, et il s'empressa de détourner le regard. Il s'approcha de la table de chevet de son père, où se trouvaient deux photos. Sur la première, on le voyait jeune marié tenant par la taille son épouse, qui agitait la main en souriant. Sur la seconde un garçonnet titubait dans le jardin, un sourire malicieux creusant des fossettes dans ses joues rebondies. James se saisit du cadre en souriant. Lily ne cessait de le lui répéter, mais il n'avait pas réalisé jusque-là à quel point Harry lui ressemblait.

Sa tristesse fut quelque peu chassée par la pensée de son fils. Il avait une famille qui le tirait en avant. C'était tout ce qui comptait. Il déposa le cadre sur la boîte à bijoux puis se décida à ouvrir l'armoire. Il avait la bizarre impression qu'il aurait dû demander la permission à ses parents, mais il était à présent seul maître des lieux. Quelques boîtes étaient posées sur le plancher du meuble. C'était sa mère qui les avait labellisées : « Décorations de Noël ». L'encre était fanée, mais James reconnaissait l'écriture fine et élégante sans mal. Il lutta contre une nouvelle vague de nostalgie et empila les trois cartons pour les soulever d'un coup. Il alla les déposer devant la porte de leur chambre puis revint prendre la photo et la boîte à bijoux. Il referma soigneusement le battant derrière lui, soulagé d'avoir passé l'épreuve. Lorsqu'il se retourna, Lily le scrutait.

- Ça va ? Interrogea-t-elle doucement.

Pour toute réponse, il ouvrit les bras, la boîte et la photo dans chaque main. Elle vint s'y réfugier sans attendre et il enfouit son visage dans sa chevelure rousse.

- Ça ne partira jamais, hein ? Souffla-t-il.

- Je ne crois pas, non. Mais on sait être heureux avec. C'est juste... un bonheur blessé.

- Peut-être bien, répondit-il dans un murmure, les yeux fermés.

Il sentait la blessure dont parlait Lily, ce vide au fond de lui. Mais la plupart du temps, il était enfoui sous une couche de souvenirs heureux, un vernis d'éclats de rire qui ne refermait pas la blessure mais la rendait plus supportable.

- Qu'est-ce que tu as trouvé ? Murmura Lily avant de s'écarter, un petit sourire sur les lèvres, encore un peu de tristesse dans les yeux.

***

Lily était dans la cuisine du QG. Elle sentait l'odeur de fumée, la chaleur étouffante, mais elle ne parvenait pas à réaliser que le manoir brûlait vraiment. Remus, devant la porte de la cuisine, lui hurlait de sortir. Elle allait s'y résigner lorsque des pleurs d'enfant lui parvinrent de l'escalier. Horrifiée, elle fit volte-face et voulut gagner l'étage, mais l'escalier avait déjà disparu, avalé par les flammes. Bizarrement, les pleurs devinrent plus forts. Elle...

La jeune femme ouvrit les yeux sur le noir d'encre de la chambre. James dormait profondément à côté d'elle, une main posée sur son ventre. De l'autre côté du couloir, Harry pleurait. Lily se dégagea doucement de l'étreinte de son mari pour gagner la chambre de son fils. Quelques souvenirs de son rêve lui revinrent ; le QG qui brûlait... L'incendie avait eu lieu trois semaines plus tôt, mais elle ne parvenait toujours pas à réaliser que c'était vrai. Sans doute avait-elle besoin d'en voir les ruines pour le comprendre.

Harry s'agitait dans son lit à barreaux, son petit visage chiffonné barbouillé de larmes et de morve. Il se calma dès qu'elle le serra contre elle. Lily étouffa un petit rire contre son crâne duveteux.

- C'est un caprice, ça, petit chat, souffla-t-elle.

Comme pour lui donner raison, Harry gazouilla gaiement contre son cou. Après avoir changé sa couche, elle le recoucha malgré ses protestations et lui fourra sa tétine dans la bouche pour le calmer. Elle s'empressa de regagner la chaleur de son lit et compta les minutes jusqu'à ce que, enfin, Harry se rendorme. Avec un soupir de soulagement, elle se roula en boule près de James pour profiter de sa chaleur. Aussitôt, celui-ci passa un bras autour de sa taille et déposa un baiser à l'aveuglette dans ses cheveux.

- Le monstre t'a réveillé ? Chuchota-t-elle.

- Hmmm. Quelle idée on a eu d'avoir un bébé.

Lily pouffa dans son cou tout en savourant la sensation de la main de son mari qui allait et venait doucement dans son dos.

- Il est quand même mignon.

- C'est vrai, soupira-t-il. Je risque d'être incapable de résister à ses caprices.

- Tant pis, ce sera moi le parent méchant.

- Ça a toujours été assez évident, tu sais.

- Hé !

Il rit et chercha ses lèvres pour y déposer un baiser, avant de laisser retomber sa tête sur l'oreiller.

- James ?

- Hmm ?

- Est-ce que tu arrives à réaliser que le QG a vraiment disparu ?

Sa main se figea dans son dos et le silence régna un instant avant qu'il ne réponde :

- Pas trop. J'ai l'impression que le monde s'est figé quand on a emménagé ici. Même si les autres nous rapportent ce qu'il se passe, j'ai du mal à réaliser que c'est vrai.

Lily hocha la tête, heureuse qu'ils partagent la même impression. La destruction du QG n'avait eu comme conséquence sur leur vie que de leur apporter la présence de Sirius et Remus chez eux pendant quelques jours. Mais très vite, Maugrey leur avait trouvés des logements dans Londres et ils avaient été à nouveau seuls.

- Pour moi, c'est comme si l'Ordre ne pouvait exister sans le QG, reprit-elle. Je sais très bien qu'on n'était qu'une minorité de membres à y vivre, mais cet endroit a été notre seul horizon pendant deux ans.

- Ouais. Je n'imagine pas rentrer de mission dans un studio vide.

Lily ferma étroitement les paupières avant de répondre d'une petite voix :

- C'est peut-être minable à dire, mais je me sens moins mise à l'écart maintenant que tous les membres de l'Ordre sont séparés... Et pas juste nous.

- Ce n'est pas minable, murmura-t-il avant de déposer un baiser sur son front. Pas minable du tout.

La jeune femme n'en était pas persuadée, mais elle préféra ne rien dire et laissa le silence de la nuit les envelopper.

***

James ouvrit grand la porte d'entrée, un sourire incrédule sur les lèvres. Sirius se tenait devant lui, tenant à ses côtés un sapin qui semblait sortir tout droit de la forêt de Godric's Hollow.

- J'ignorais que tu avais des talents de bûcherons, commenta-t-il.

- Ferme-la et laisse-moi entrer, il fait au moins -20° ici.

- N'importe quoi, railla son ami tout en s'effaçant pour le laisser passer.

Sirius traîna son arbre derrière lui et adressa un grand sourire à Lily, qui lisait dans le salon tout en surveillant Harry.

- Quelqu'un a demandé un sapin de Noël ?

James sourit avec amusement devant l'émerveillement de sa femme, avant de demander :

- Tu nous as mis sur écoute ou quoi ? Comment tu sais qu'on voulait un sapin ?

- Bathilda. Elle m'a dit que Lily avait passé la journée à se plaindre pendant que vous décoriez la maison.

- Hé ! Protesta l'intéressée.

- C'est pas faux, cela dit, fit remarquer James.

Sa femme lui adressa un regard courroucé, tandis que les deux garçons riaient à ses dépens.

- Les guirlandes c'est sympa, mais sans le sapin ça l'est beaucoup moins, se défendit-elle.

- Bref, reprit Sirius, je suis allé le couper moi-même dans les bois. Le boucher du village a dit qu'il allait me dénoncer au garde-chasse.

- Il peut toujours le faire, ce n'est pas comme s'il risquait de te trouver, commenta James. Merci beaucoup, mon vieux ! C'est vraiment sympa.

Sirius lui signifia d'une tape dans le dos que ce n'était rien avant de se précipiter vers Harry, allongé sur son tapis de jeu, pour faire semblant de le manger. James ne put s'empêcher de sourire lorsqu'il entendit le rire de son fils.

Lorsqu'ils eurent décoré le sapin tous ensemble, ils s'assirent autour d'une tasse de thé. Aux yeux de James, il s'agissait toujours du meilleur moment. C'était celui où il pouvait réclamer des nouvelles de la guerre. Cependant Sirius attaqua sur un tout autre sujet :

- J'ai trouvé un appartement. J'ai signé le contrat hier.

- C'est super ! s'exclama Lily. Fini de loger au Snargalouf alors ?

- Merlin, ne m'en parle pas. Je n'en pouvais plus.

- Tu sais que tu aurais pu rester ici, dit remarquer James.

- Je fais trop d'allées et venues, ça n'aurait pas été prudent.

James se renfrogna un peu. Il détestait quand les membres de l'Ordre les isolaient un peu plus, Lily et lui, sous prétexte de les protéger.

- Tu n'as toujours pas pris le temps de nous parler de cet oncle, d'ailleurs, reprit Lily. Entre l'incendie du QG et les missions...

- Ah, oui, souffla Sirius. L'oncle Alphard. C'était l'orignal de la famille. Pas forcément un fanatique de Moldus, mais pas opposé non plus. Il les trouvait assez ingénieux – ça horripilait ma mère. On ne le voyait qu'aux très grandes occasions, type mariage ou funérailles... La première fois que je l'ai vu après être entré à Poudlard, il m'a félicité d'avoir eu le grand de tourner le dos au chemin familial. Ensuite il a assez copieusement craché sur les Gryffondors, mais je crois qu'il n'a pas une meilleure opinion des Serpentards. Après ma fugue (Sirius jeta un bref coup d'œil à James, qui lui sourit en retour) il m'a envoyé une lettre... Il me proposait de passer les vacances chez lui.

- Quoi ? s'étouffa son meilleur ami. Tu ne m'as jamais parlé de ça !

- Parce que j'ai décliné aussitôt. Il était hors de question que je traîne encore autour d'un Black. C'est d'ailleurs ce que je lui ai écrit. On n'a plus jamais eu de contact après ça... Honnêtement, je n'ai pas la moindre idée de la façon dont je me suis retrouvé sur son testament. J'ai vu le document, il a été établi après mon bannissement officiel de la famille.

- C'est généreux de sa part, commenta Lily.

- J'imagine, répondit Sirius en faisant tournoyer son thé dans sa tasse à l'aide de sa cuillère. Je ne sais vraiment pas pourquoi il a fait ça. S'il n'avait pas été renié lui-même par la famille, je crois bien que j'aurais refusé.

Alors que Lily commençait à dire que c'était idiot, James demanda :

- Pour ne rien devoir aux Black ?

Sirius se contenta de hocher la tête, les yeux fixés sur la table. Il ne parlait jamais de ce qu'il avait perdu en tournant le dos à sa famille, mais James se doutait qu'il s'agissait d'avantages substantiels.

Après un instant de silence, Lily demanda :

- Et alors, où est-il cet appartement ? Dans un quartier mal famé de Londres ?

- Tu ne nous pardonneras jamais nos escapades à Brick Lane et l'achat de la moto, hein ? Sourit-il. Ce n'est pas du tout à Londres, si tu veux tout savoir. C'est à Cambridge.

- Est-ce que Maugrey ne préférait pas que vous soyez tous à Londres, dans la mesure du possible ? s'étonna-t-elle.

- Si, mais j'avoue que l'opinion de Maugrey m'importe assez peu.

James ricana à cette sortie tout en soulevant son fils, qui chouinait depuis quelques minutes déjà.

- L'endroit m'a plu, et je préfère imaginer que cette guerre ne va pas durer cinquante ans.

- Tu vas devoir transplaner pour assister aux réunions, le nargua Lily.

- Par Merlin, râla-t-il, je sais transplaner ! Je me suis désartibulé une seule fois !

- Oui, et ensuite il t'a fallu des mois et des mois pour transplaner sans faire une crise d'angoisse avant, pouffa James.

- Bande de traîtres, marmonna-t-il.

Lily lui offrit un sourire angélique pour toute réponse, tandis que James levait les petits bras potelés de Harry vers son parrain. Celui-ci ne put résister à cette vue et tendit les bras pour prendre le bébé. James le laissa faire de bonne grâce avant de demander :

- Comment ça va, l'Ordre ? Pas trop ébranlé par la perte du QG ?

- Ça a été le chaos les premiers jours, admit Sirius. Plus personne ne savait quelles missions devaient être exécutées, l'avaient déjà été ou n'avaient pas besoin de l'être... On s'est retrouvés plusieurs fois nez à nez avec des Aurors à cause d'une mauvaise gestion de la répartition des dossiers. Pendant pratiquement dix jours, on n'a reçu aucun appel à l'aide. Tout ça est en train de se tasser, mais j'ai l'impression que ce ne sera jamais aussi simple que quand on avait le QG.

- Il ne faut pas que ça nous ébranle, dit James d'un ton grave. C'est ce que les Mangemorts cherchent.

Sirius haussa les épaules, l'air sombre.

- On fait ce qu'on peut. On verra bien.

Sa réponse jeta un froid sur la conversation, qu'il combla bien vite en racontant aux Potter quelques missions à risque qui avaient eu lieu durant les dernières semaines. Après son départ, une fois Harry couché, Lily rejoignit son mari sur le canapé. Tandis qu'ils fixaient tous deux les flammes qui mouraient lentement dans l'âtre, James lança :

- L'organisation de l'Ordre sans le QG ne m'inquiète pas trop. C'est plutôt sa cohésion qui m'angoisse.

- Moi aussi, avoua-t-elle. Je ne sais pas si c'est parce qu'on voit nos amis seuls la plupart du temps, mais j'ai l'impression qu'ils sont tous de plus en plus isolés.

- Le problème, c'est que c'est ce que Voldemort cherche.

Lily se serra un peu plus contre lui, le nez enfoui dans son cou.

- C'est comme pour nous, souffla-t-elle. Il faut qu'on reste uni si on veut protéger Harry du mieux qu'on peut.

- Il faut qu'on reste uni tout court, répliqua-t-il doucement. C'est ce qu'on a promis quand on s'est mariés. (Il déposa un baiser sur son front). C'est ce qu'on a choisi.

***

Les dix jours qui menèrent les Potter au jour de Noël passèrent plus vite que Lily ne l'avait escompté. Puisqu'elle avait tout le temps du monde, elle décida d'organiser une journée de fête digne de ce nom. Avec l'aide de James, elle prépara tout au millimètre près : organisation de la journée, menu, décoration de la table, vêtements que porterait Harry... Leur seule invitée était Bathilda – impossible de savoir si leurs amis seraient en mission ou non – et c'était déjà une grande joie.

Faire un cadeau pour James l'avait également bien occupée. Grâce à Margaret, elle avait finalement réussi à mettre au point quelque chose de convenable. Quant à Harry, il bénéficierait de ses essais au tricot. James avait essayé lui aussi : le bonnet qu'il avait tricoté un soir ressemblait plus à un cache-théière qu'à autre chose.

Le matin de Noël, Lily se réveilla la première. Le souvenir de son premier Noël à Godric's Hollow la frappa dès qu'elle ouvrit les paupières. Elle revit Euphemia Potter assise à la table de la cuisine, la neige qui tapissait le jardin, un James surexcité qui descendait les escaliers en courant, son pull enfilé à l'envers. Elle sourit à ce dernier souvenir. Jamais elle n'aurait imaginé que le stupide sourire séduisant de ce garçon la mènerait jusque-là.

Elle jeta un coup d'œil à l'intéressé, qui dormait toujours profondément. La bouche entrouverte, il bavait copieusement sur l'oreiller. Elle soupira tout en passant un doigt léger dans ses cheveux.

- Quelle classe, murmura-t-elle avec amusement.

Elle dut attendre encore vingt minutes avant qu'il ne commence à bouger. Il commença par rouler sur le dos, grogna, s'allongea face à elle puis, enfin, ouvrit les yeux. Lily commença à compter dans sa tête : au bout de huit secondes, ses prunelles embrumées de sommeil s'éclairèrent soudain. D'une voix encore enrouée, il s'exclama :

- Lily ! C'est Noël !

La jeune femme éclata de rire alors qu'il couvrait son visage de baisers. Il entreprit ensuite de sauter du lit tout en s'extirpant des draps et parvint, pour une fois, à rester d'aplomb. Comme s'il sentait l'excitation de son père, Harry choisit ce moment pour se mettre à pleurer. James alla le chercher aussitôt. Elle l'entendait chantonner des cantiques tout en parlant au bébé. Lorsqu'ils revinrent tous les deux, Harry portait un pyjama rouge et James lui avait fiché des oreilles de rennes de Noël sur la tête.

- Ce bébé est beaucoup trop mignon, s'extasia Lily en enfilant ses chaussons.

- Evidemment, c'est mon fils, se vanta James.

- Imbécile, rit-elle. Qui a dit que tu étais mignon ?

- Harry.

Lily rit de plus belle et mena la procession vers le rez-de-chaussée. Elle savait qu'il était inutile de passer par la case « petit-déjeuner » : James n'aurait jamais la patience d'attendre. Il la doubla d'ailleurs au moment d'entrer dans le salon, alluma toutes les bougies du sapin d'un coup de baguette et contempla les quelques cadeaux qui se trouvaient au pied, ravi. Harry suivait des yeux les flammèches, fasciné, un filet de bave dégoulinant sur son menton. Attendrie, Lily le prit dans ses bras et autorisa ainsi James à se jeter sur ses paquets.

Mais alors qu'il déchirait le papier du cadeau offert par sa femme, Lily perçut un bruit inhabituel qui provenait de l'arrière du sapin. Lorsqu'il se réitéra, elle fronça les sourcils. On aurait dit un chat. James s'était interrompu, preuve qu'il avait lui aussi entendu. Seulement, au lieu d'avoir l'air étonné, il regardait sa femme avec amusement et aussi une pointe d'angoisse.

- C'est ton cadeau, annonça-t-il avec excitation.

- Par Merlin, Potter, souffla Lily en se déplaçant vers l'autre côté du sapin, son fils toujours dans les bras. Qu'est-ce que tu nous as encore fait ?

- J'avoue que je ne l'ai pas techniquement fabriqué, puisqu'a priori je ne suis pas un chat, avoua-t-il.

Lily ne l'écoutait plus tout à fait : elle venait de trouver un panier dans lequel se trouvait un chaton gris affublé d'un nœud rouge. Même si Lily n'avait jamais envisagé avoir un animal de compagnie, elle se trouva aussitôt séduite par ce minuscule chat.

- Qu'est-ce que tu en penses, Harry ? Interrogea-t-elle. Ça te plaît d'avoir un chat ?

Pour toute réponse, il fit une bulle de bave.

- Bathilda a entendu une femme du village dire qu'elle avait des chats à donner, expliqua James dans son dos. Elle est allée le chercher pour moi.

- Depuis quand est-ce qu'il est dans la maison ?

- Oh, hier soir seulement. J'avais dressé des barrières magiques autour du panier pour qu'il n'aille pas se promener. Rassure-toi, il a eu à manger et à boire.

Lily tendit Harry à James afin d'apprivoiser le chaton, qui ne mit pas longtemps à quitter le refuge de son panier pour aller jouer avec les bouts de papier cadeau qui traînaient au sol. James, assis devant le canapé, tenait le cadeau de Lily sur ses genoux. Lily le rejoignit, un œil posé sur le chat et Harry, allongé sur son tapis de jeu. James parcourait les pages de l'album photos qu'elle avait assemblé pour lui. Il s'agissait principalement de clichés pris durant leur septième année par Val, qui les avait envoyés à Margaret quelques mois plutôt, après des mois et des mois de silence. Margaret avait eu l'impression qu'elle rompait ainsi le dernier lien qui l'unissait à ses amies de Poudlard.

Lily tâchait de ne pas y penser alors qu'ils regardaient ensemble les souvenirs de leur scolarité. Ils éclatèrent de rire devant une image de leur dernier banquet, où Lily étalait de la purée sur les joues d'un James hilare.

Cependant, James se renferma lorsqu'ils arrivèrent à la partie que Lily avait consacrée au Quidditch. Il y avait même une coupure de journal : il s'agissait de l'article écrit lorsque James avait reçu une médaille pour ses talents de joueur de Quidditch, en sixième année. Grâce à McGonagall, Lily avait pu rassembler plusieurs photos de matchs prises au fil des ans. Elle pensait que cela ferait plaisir à James, mais il les passa très vite et ne tarda pas à claquer l'album.

- Excuse-moi, dit-il d'une voix tendue. Le Quidditch... ça me manque.

- Je suis désolée. Je pensais que ça te ferait plaisir de...

- Ça me fait plaisir, Lily, coupa-t-il doucement en lui adressant un petit sourire. C'est vraiment un très chouette cadeau. C'est juste que... Avant que la guerre ne devienne aussi acharnée, je pensais faire carrière dans le Quidditch. Même si j'ai choisi en Cinquième année de me préparer à être Auror, cette idée me poursuivait. Quand j'ai reçu cette médaille, en Sixième année, un recruteur des Canons de Chudley est venu me trouver pour m'offrir une bourse et une place dans son équipe, quand je serai prêt.

- Je ne savais pas, murmura-t-elle. Pourquoi est-ce que tu ne m'en as jamais parlé ?

Il haussa les épaules, les yeux dans le vague.

- Quand on est devenus amis, ça faisait déjà des mois et des mois que je savais que ça n'arriverait pas. A quoi bon remuer le couteau dans la plaie, alors ?

- Peut-être que quand la guerre sera finie...

- Non, coupa-t-il. Les équipes recrutent à la sortie de Poudlard, pas après. Après, il est trop tard. On est déjà trop vieux. D'autant plus que ça fait pratiquement deux ans que je n'ai pas disputé le moindre match. Ça n'arrivera jamais.

Lily glissa un bras autour de sa taille et se serra contre lui.

- Tu trouveras un autre rêve, murmura-t-elle. Quand tout ça sera fini, tu trouveras.

Pour toute réponse, il déposa un baiser sur sa tempe.

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