Partie IV - Chapitre 11

Chapitre 11

Le premier sort jeté par Marlène vint entailler le bois millénaire de la porte. Elle n'eut pas le temps de se morfondre sur cette perte historique ; un maléfice passa à quelques millimètres de sa tête. Une odeur de cheveux brûlés se répandit aussitôt dans la petite pièce. Tout en jetant un sort de stupéfixion particulièrement puissant, Marlène tâta son crâne pour vérifier qu'elle n'avait pas pris feu. Lorsque, rassurée, elle accorda à nouveau toute son attention à son adversaire, elle s'aperçut qu'elle l'avait touché de plein fouet. Il gisait en travers de la porte, complètement immobile.

Soulagée, Marlène s'autorisa quelques instants d'inaction, le temps que les battements de son cœur se calment. Elle se dirigea ensuite vers le corps qui barrait la sortie. Des longs cheveux châtains emmêlés, une robe de sorcier déchirée, un joli visage fin mais sale. Perplexe, Marlène contempla un instant la sauvageonne. Elle correspondait au portrait qu'on lui avait fait de la Sorcière disparue. Pourquoi donnait-elle l'impression d'avoir adopté la vie sauvage ?

Elle tira la jeune femme à l'intérieur, parvint à clore l'arbre puis réanima sa victime. Cette dernière se serait sans doute jetée sur Marlène si elle n'avait pas pris la peine de la ligoter. Les yeux hagards, elle se contentait donc de jeter des regards affolés autour d'elle tandis que sa poitrine se soulevait à un rythme effarant.

- Magdalena ? tenta Marlène.

C'était le prénom de la personne disparue. Celle qu'elle avait en face d'elle fixa son attention sur elle mais ne manifesta pas d'autre signe de reconnaissance.

- Êtes-vous Magdalena ? demanda-t-elle à nouveau.

A sa plus grande surprise, les yeux de la captive s'emplirent de larmes. Elle lutta un moment, les lèvres tremblantes, avant de parvenir à dire :

- Je... je ne sais pas.

- Comment ça ? s'étonna Marlène, toujours sur un ton doux.

L'inconnue secoua la tête, faisant rouler les larmes sur ses joues. Marlène décida de la libérer de ses liens, dans l'espoir que cela la calmerait. Elle ne sembla cependant même pas noter la différence. Elle fixait un coin de la pièce, l'air confus. Marlène réfléchit un instant avant de demander :

- Vous vivez ici ?

La jeune femme fixa ses yeux sur elle puis, lentement, hocha la tête. Alors que Marlène allait poser une autre question, elle la coupa :

- Vous êtes avec eux ?

- « Eux » ? De qui s'agit-il ?

- Les hommes masqués.

Marlène fut agitée d'un frisson. Pouvait-il s'agir des Mangemorts ?

- Non, je ne suis pas avec eux.

L'inconnue fronça les sourcils, visiblement perdue.

- Alors comment m'avez-vous trouvée ?

La question étonna Marlène ; son identité n'avait pas l'air de l'intéresser. Un nom pouvait-il avoir un sens pour quelqu'un qui en était dépourvu ?

- Je ne sais pas trop, répondit-elle sincèrement. Depuis combien de temps est-ce que vous vivez ici ?

La jeune femme enfouit son visage entre ses mains. Seule sa réponse étouffée parvint à Marlène :

- Je ne sais pas !

Avant qu'elle n'ait pu répondre, elle enchaîna, d'une voix qui partait dans les aiguës :

- Je ne sais rien, il y a tellement de trous, je me réveille sans savoir comment je suis arrivée là, les hommes masqués viennent, ils ... ils me parlent, et c'est encore pire après, je...

Marlène tentait d'enregistrer dans sa mémoire tout ce qui glissait de la bouche de sa captive. Les trous de mémoire, l'absence d'identité... Les Mangemorts avaient-ils soumis Magdalena Delaware à un sortilège d'Oubli ? A plusieurs reprises ? A quelles fins ? Merlin, pourquoi la tenir cachée dans les bois, à vivre comme une bête, sans la moindre idée de ce qu'elle faisait là et pourquoi ?

La jeune femme pleurait à présent à chaudes larmes, recroquevillée sur le sol de sa tanière. Marlène sentit son cœur se briser pour elle ; quel tragique destin. Comme elle devait être perdue. Les souvenirs arrachés ne pourraient jamais lui être rendus. Même en ayant recours à la Legilimencie, l'Ordre ne pourrait jamais savoir ce qu'il s'était passé exactement.

Alors que Marlène commençait à se dire que la seule chose à faire était d'amener la jeune femme aux Delaware pour qu'ils l'identifient, ou non, comme étant Magdalena, ses yeux tombèrent sur la baguette de la captive, tombée au sol. Peut-être les sorts jetés avec renseigneraient-ils Marlène sur les faits et gestes de la jeune femme. Profitant de sa détresse, Marlène ramassa discrètement la mince tige de bois puis pointa sa propre baguette dessus. Un spectre lumineux entoura la baguette. Des signes, que Marlène avait appris à déchiffrer auprès de Maugrey, apparaissaient à intervalle réguliers alors que la lumière du halo changeait à mesure que les sortilèges défilaient. Grâce aux signes, elle put reconnaître les maléfices que la jeune femme lui avait jetés. En remontant un peu plus loin, Marlène dénicha d'autres sortilèges offensifs. Alors qu'elle allait atteindre la fin de la mémoire de la baguette, la lumière vira au vert. Elle reconnut sans peine la marque du Sortilège de mort.

Marlène rompit aussitôt le contact entre les deux baguettes, la gorge serrée. Si cette femme était Magdalena Delaware, elle doutait qu'elle ait utilisé de son plein gré le troisième Impardonnable. L'hypothèse la plus probable, compte tenu de cette découverte et de l'amnésie de la jeune femme, était que les Mangemorts l'utilisaient comme bras armé, comme écran entre leurs crimes et eux-mêmes. Par ailleurs, Magdalena était née de père moldu. Aux yeux des Mangemorts, elle n'était pas une Sorcière à part entière. L'humilier de la sorte, la priver de son libre arbitre, de sa vie, devait être une autre source de satisfaction pour eux. Ils ne devaient même pas se rendre compte de l'absurdité de leur démarche : ils se servaient des pouvoirs magiques d'une personne qu'ils refusaient de considérer comme une véritable Sorcière. Leur bêtise était sans limite.

Marlène reposa doucement la baguette de la jeune femme au sol. Les sanglots de cette dernière s'étaient apaisés, mais elle gardait son visage enfoui dans ses mains. On avait trouvé le cadavre d'un Moldu dans les alentours, mais peut-être avait-elle commis d'autres crimes à son insu. Le chêne millénaire était visiblement son refuge, mais rien n'indiquait qu'elle ne s'était pas rendue dans d'autres lieux d'Angleterre. Marlène contempla un instant ses cheveux sales qui pendaient lamentablement ; même si elle ne se rappelait pas avoir assassiné ce Moldu, l'empreinte de ce crime existait bel et bien en elle. La légende prétendait que tuer un autre être déchirait l'âme en deux. L'âme de Magdalena Delaware avait-elle été réduite en cendres ? Marlène ne le saurait probablement jamais.

- Je vais vous ramener chez vous, dit-elle doucement.

Sans relever la tête, la jeune femme demanda d'une voix presque inaudible :

- Où ça ?

Marlène faillit répéter sa phrase, puis s'aperçut que c'était inutile. La Sorcière ignorait simplement où était son chez soi. Elle se contenta donc de l'aider à se relever puis lui prit le bras pour transplaner.

***

James écoutait, fasciné, le récit des aventures de Marlène. Les coudes appuyés sur ses genoux, le menton posé sur ses paumes, il suivait le moindre mot de Sirius avec la plus grande attention. Il avait l'impression de se trouver lui aussi dans la forêt de Sherwood, il sentait presque l'adrénaline courir dans ses veines. Il avait certes vécu des missions bien plus dangereuses que celle de Marlène mais maintenant... Maintenant, il aurait pris n'importe quel tour de garde avec plaisir.

- Marlène a emmené la fille à Edwinstone, où ses parents l'ont identifiée comme étant bien Magdalena Delaware, poursuivait Sirius, inconscient de l'intense attention dont il était l'objet. Edgar Bones a organisé leur fuite, j'ignore où.

Il s'interrompit, et James fronça aussitôt les sourcils.

- C'est tout ? Ça s'arrête là ? Et les Mangemorts qui ont fait ça ? La cachette dans l'arbre ? Qu'est-ce que...

- Merlin, calme-toi, exhala Sirius en ouvrant de grands yeux. On dirait Harry quand il voit son biberon.

Un tic nerveux agita la jambe de James. L'espace de quelques instants, il avait oublié où il était et pourquoi.

- Amusant, grinça-t-il. Sérieusement, c'est tout ?

- Bien sûr que non. Marlène a jeté un sortilège sur la cabane, elle sera prévenue à la moindre intrusion. Je crois qu'elle aurait aimé monter elle-même la garde mais ni Maugrey ni son mari n'ont accepté.

- J'en connais une que ça n'aurait pas franchement dérangé.

Sirius eut un petit rire.

- A une époque, certes, mais maintenant, avec Harry, elle y réfléchirait à deux fois.

- Sans doute, oui, concéda James en jetant par réflexe un coup d'œil vers l'escalier.

Lorsqu'il reporta son attention sur son meilleur ami, il s'aperçut qu'il le fixait avec inquiétude. Alors qu'il allait l'interroger sur le sens de ce regard, Sirius interrogea :

- Ça va, vous deux ? Vous ne vous ennuyez pas trop ?

- Merlin, si, soupira James. Au-delà de ça, je n'en peux plus d'être enfermé.

- On pourrait faire un tour. Patmol et Cornedrue.

James secoua aussitôt la tête.

- Lily me tuerait. On a pris toutes les précautions possibles et plus encore pour se cacher, ça ruinerait tous nos efforts.

- Est-ce que ça vaut vraiment le coup si tu finis par perdre la boule ? rétorqua son ami.

Le cœur de James se serra. Une part de lui avait envie de répondre que non, ça n'en valait pas la peine, et il se détestait pour cela. C'était la vie de Harry qui était en jeu. Bien sûr que cela valait le coup. Il déglutit, fit taire la petite voix égoïste qui résonnait en lui, et affirma que le jeu en valait la chandelle. Sirius hocha la tête et changea de sujet.

Bien trop vite au goût de James, son meilleur ami dû regagner le QG. Il devait retrouver Benjy pour une histoire de bateau. James referma la porte derrière lui, douloureusement conscient du fait qu'il n'avait pas la moindre idée de ce dont Sirius parlait, et ne le saurait probablement jamais. Il resta un moment prostré devant la porte d'entrée, qu'il détestait chaque jour un peu plus. Elle le coupait de ce monde si vaste qu'il adorait découvrir, l'enfermait dans cette boîte. Il faisait beau pour la première fois depuis des jours et des jours et il ne pouvait même pas aller faire un tour dans les bois. Toutes les précautions prises lui parurent soudain absurdes ; serait-ce si grave de sortir pendant quelques minutes ?

Si Harry ne s'était pas mis à pleurer au même instant, il aurait tendu la main vers la poignée. Les cris de son fils le ramenèrent soudain à la question de Sirius, à sa propre hésitation lorsqu'il avait fallu répondre. Merlin, il se détestait. Il détestait douter, être aussi égoïste. Lorsqu'ils avaient emménagé à Godric's Hollow, il était sûr de vouloir donner sa vie pour son fils. Il aurait prêté un Serment Inviolable si on le lui avait demandé. Pourtant, deux mois plus tard, il voulait déjà revenir sur cette décision ? Quel genre de père était-il ?

Frustré, il se détourna de la porte d'entrée pour se diriger à grands pas vers celle qui menait directement à l'arrière du jardin. La nuit était tombée depuis un moment ; les étoiles scintillaient, lueurs blanches qui coupaient le froid polaire. James ferma les yeux et inspira profondément. L'air frais lui faisait du bien, calmait le tumulte de son cœur. L'envie pressante de quitter l'enclos du jardin le tenaillait toujours, mais il avait moins l'impression d'étouffer.

La porte claqua derrière lui, le faisait sursauter.

- James, bon sang, je t'ai appelé plusieurs fois !

Il se retourna lentement ; Lily se tenait sur le palier, décoiffée, les traits tirés, un bébé hurlant dans les bras.

- Harry est intenable, continua-t-elle d'un ton acerbe, ce serait trop demander d'avoir un peu d'aide ? Et tu as encore laissé sa serviette roulée en boule dans un coin, elle est trempée.

Le jeune homme cligna plusieurs fois des yeux avant de se résigner à avancer vers elle, les bras tendus pour lui prendre le bébé. Après la colère, l'abattement lui tomba dessus. Leur vie allait-elle désormais être ainsi ? Des récriminations, des hurlements, de l'ennui ?

Lily lui tendit le bébé sans autre forme de procès et disparut dans la maison. James entreprit de faire les cent pas, Harry dans ses bras. Celui-ci ne se calmait pas ; de grosses larmes coulaient le long de ses joues cramoisies tandis qu'il fourrait son petit poing dans sa bouche en vagissant. Il fallut encore un moment à James pour comprendre que la première dent de son fils était probablement en train de pousser. Alors qu'il cherchait comment l'apaiser, Lily débarqua dans la pièce et voulut, l'air excéder, récupérer son fils qui pleurait toujours.

- Lily, protesta James. Je gère.

- Tu gères ? grinça-t-elle. Il pleure toujours autant.

- Il fait ses dents.

- Quoi ?

L'air accusateur de Lily céda le pas à une expression intriguée. James la laissa prendre le bébé, qu'elle observa un moment sous toutes les coutures avant d'admettre :

- Peut-être bien. J'ai une potion pour ça.

Elle disparut dans l'ancien bureau de Fleamont Potter, qui lui servait de laboratoire depuis que Maugrey lui avait confié la préparation des potions de l'Ordre. Elle ressortit dix minutes plus tard, un Harry apaisé dans ses bras. Elle le confia à son père, dans les bras duquel il ne tarda pas à s'endormir. James sourit à son fils endormi. Il avait encore les joues rouges mais son petit visage était détendu, sa bouche entrouverte en un « o » parfaitement arrondi. Lorsqu'il releva les yeux, il s'aperçut que Lily le regardait.

- Tu devrais aller le coucher, dit-elle doucement. Tant pis s'il n'a pas dîné.

James hocha la tête et alla déposer Harry dans son petit lit. Il contempla le bébé durant de longues minutes, le cœur serré. Il s'en voulait d'être aussi faible. Il s'en voulait tellement. Harry dépendait de lui, de sa mère. Il n'avait pas le droit d'être faible, égoïste. James se pencha pour déposer un léger baiser sur le front de son fils puis regagna le salon à pas lourds. Il trouva Lily assise en tailleur sur le canapé. Elle lui adressa un sourire fatigué avant de tapoter le coussin près d'elle. Il s'y assit, à une certaine distance d'elle, les coudes posés sur ses genoux, le regard vissé au tapis. Après un instant de silence, Lily entonna :

- Je suis désolée de m'être énervée. Je suis juste... Fatiguée. De ne rien faire, ce qui est absurde.

Elle avait fini sa phrase avec une note de dérision dans la voix, mais James ne releva pas.

- Pas grave, marmonna-t-il simplement.

Il y eut une hésitation, puis la main de Lily vint caresser doucement sa nuque.

- Qu'est-ce qui ne va pas ?

La gorge serrée, James se trouva incapable de répondre. Il avait appris à exprimer ses sentiments sans la moindre gêne lorsque sa mère était tombée malade, et n'avait jamais eu de difficultés depuis, mais ce jour-là, les mots ne sortaient pas. Au bout de quelques secondes d'un silence pesant, il en comprit la raison : il avait honte de lui, et il avait peur que Lily ressente la même chose.

L'autre main de Lily se posa sur sa joue et elle le força à tourner son visage vers elle. Ses grands yeux verts étaient pleins d'inquiétude.

- Tu peux tout me dire, murmura-t-elle. Tu sais que tu peux.

Il expira lentement, son regard accroché à celui de sa femme comme à une bouée de sauvetage. Il se trouva transporté le jour de leur mariage, lorsqu'il avait juré de partager toute sa vie avec elle – tous les aspects de sa vie. Merlin, s'il voulait que leur couple survive à cette épreuve il devait lui faire part de ses doutes et de ses inquiétudes. Après une autre inspiration, il ôta la main de Lily de sa joue pour la prendre dans la sienne. Ses yeux fixés sur leurs doigts enlacés, il commença :

- C'est difficile, d'être enfermé ici et d'entendre les autres nous raconter tout ce qu'il se passe. Je me sens tellement... inutile et... laissé pour compte. Tous les Maraudeurs sont au QG et moi je suis...

Il s'interrompit brusquement. S'il finissait cette phrase, il signifierait à Lily que les Maraudeurs passaient avant son mariage. Or, c'était complètement faux.

- Coincé ici, acheva Lily pour lui d'une voix tranquille.

Il releva la tête, l'air coupable.

- Désolé, lâcha-t-il. Ce n'est pas que je...

- James, coupa-t-elle. Je comprends. Quand tu nous imaginais dans notre maison, tous les trois, tu pensais pouvoir passer du temps avec tes amis, partit en mission... Comme n'importe qui. Aucun couple n'est fait pour vivre enfermé sur lui-même. (Un petit sourire étira ses lèvres). Moi aussi j'aimerais pouvoir te troquer contre Margaret ou Alice une fois de temps en temps.

Il sourit à son tour, mais le cœur n'y était pas.

- Il n'y a pas que ça, Lily, je ... tout à l'heure, quand Sirius est parti, pendant un moment je me suis demandé si tout ça en valait vraiment la peine. J'ai eu envie de faire passer ma petite personne avant Harry.

Dès que les mots tombèrent de sa bouche, il se sentit plus léger. Cette pensée cesserait de le ronger de l'intérieur. Il scrutait à présent Lily, anxieux d'entendre sa réaction.

- Oh, mon chéri, souffla-t-elle finalement avant de déposer un baiser sur ses lèvres. Merlin, tu ne serais pas humain si tu ne doutais pas. On ne peut pas toujours penser aux autres. Moi aussi je me pose la question, parfois.

- Vraiment ?

- Je me déteste aussi pour ça, d'ailleurs, avoua-t-elle avec un sourire penaud. Mais on ne vit pas que pour Harry. Je crois même que, pour son bien, on doit penser à nous. A notre couple. Sinon l'un de nous va finir par ne plus supporter la vie ici et ça mettra en danger tous les efforts que nous avons fait.

James hocha la tête, soulagé. C'était cohérent.

- On n'y arrivera pas si on ne se soutient pas mutuellement, conclut-il.

- Ça veut dire qu'il faut qu'on parle. Qu'on exprime nos inquiétudes.

Elle l'embrassa à nouveau, un peu plus longuement cette fois.

- S'il te plaît, ne t'enferme pas sur toi-même, murmura-t-elle.Tu n'as pas à supporter ça tout seul.

- Toi non plus, observa-t-il en ramenant une mèche de ses cheveux vers l'arrière. Même si j'étais avec Sirius, tu aurais pu me dire que tu ne t'en sortais pas avec Harry.

- D'accord, souffla-t-elle avant de presser ses lèvres contre les siennes.

Une main dans son cou, James retint son visage contre le sien un long moment. Alors que les doigts de Lily glissaient dans ses cheveux, il pouffa contre ses lèvres :

- Regarde un peu comme on est matures.

- Tais-toi, mon chéri, rit-elle avant de basculer en arrière sur le canapé.

***

Marlène fut réveillée en sursaut lorsque le réveil qu'elle avait lié au sortilège d'alarme se mit à carillonner avec vigueur. Allongé près d'elle, Gary marmonna quelque chose d'incompréhensible. La jeune femme s'empressa de sortir de son lit pour éteindre le réveil. Elle s'habilla en quatrième vitesse et voulut attraper sa baguette sur sa table de chevet. Avant qu'elle n'ait pu compléter son mouvement, son mari lui saisit le poignet. Dans la chambre où filtrait un rayon de lune, elle aperçut son regard intense fixé sur elle.

- Fais attention, supplia-t-il d'une voix encore chargée de sommeil.

- Je t'aime, répondit-elle simplement à voix basse, avant de se dégager pour prendre sa baguette.

Elle s'enfuit avant qu'il n'ait pu dire autre chose. Ces simples mots voulaient tout dire, aussi bien « je ferai attention » que « merci pour cette merveilleuse vie passée ensemble ». Gary comprenait, elle en était certaine.

Elle ne s'arrêta pas devant la chambre de ses enfants, bien consciente qu'elle n'arriverait pas à partir si elle le faisait. Quelques minutes plus tard, elle se trouvait à nouveau dans la forêt de Sherwood, à seulement quelques mètres du Major Oak. Comme chez elle, la lune presque pleine éclairait les bois. Elle n'entendait ni ne voyait aucune activité. Un « Crac » sonore près d'elle la fit sursauter. Par réflexe, elle tendit sa baguette vers la source du bruit. Emmeline Vance se tenait à l'autre bout, l'air bougon, les mains levées.

- C'est moi. Tu n'aurais pas pu choisir un réveil plus sympathique ?

Marlène abaissa sa baguette avec un petit sourire.

- Ça n'aurait pas été assez efficace. Tu viens ? Ils doivent être à l'intérieur. Si on les prend par surprise il y a moyen qu'on prenne le dessus tout de suite.

- Entendu.

Les deux femmes s'avancèrent le plus discrètement possible malgré les feuilles mortes qui couvraient le sol. Marlène retrouva sans problème l'emplacement de la porte. Elles se placèrent chacune d'un côté, puis McKinnon appuya le bout de sa baguette contre l'écorce. Le réseau des rainures colorées s'illumina aussitôt. Les contours de la porte se découpèrent et elle s'ouvrit, révélant la petite pièce ronde éclairée par une lampe à huile, autour de laquelle étaient assemblés trois Mangemorts.

Emmeline profita de leur premier moment de stupeur pour jaillir dans l'embrasure de la porte et stupéfixer la personne qui se trouvait juste devant elle. Elle n'eut que le temps de se jeter à terre, du côté de Marlène, pour éviter la riposte. Son acolyte prit aussitôt le relais. Un maléfice lui entailla la joue mais elle fit fi de la douleur et parvint à blesser son attaquant. Elle tiqua lorsque le troisième réanima leur première victime. Elles n'étaient pas assez rapides. Elle se rabattit contre le tronc de l'arbre, le souffle haletant. Emmeline ouvrit la bouche pour proposer quelque chose mais Marlène la prit de vitesse :

- Couvre-moi ! Exigea-t-elle avant de se jeter à l'intérieur.

Elle entendit Vance jurer mais n'y prêta pas attention. Quelques sortilèges rebondirent sur son bouclier, qu'elle relâcha dès que les sorts d'Emmeline commencèrent à fuser par-dessus son épaule. La distraction fut efficace : Marlène parvint à assommer l'un des Mangemorts et à en stupéfixer un deuxième dans le même mouvement. Elle ne fut pas si chanceuse avec le troisième ; une brûlure intense, accompagnée d'un craquement, se répandit dans son épaule gauche alors que le deuxième Mangemort touchait à peine le sol. Elle vacilla sous le coup de la douleur. Un deuxième sort ouvrit une plaie au-dessus de sa hanche avant qu'elle n'ait eu le temps de se retourner. Lorsqu'elle parvint enfin à accomplir ce mouvement, le cœur au bord des lèvres, Emmeline se tenait au-dessus du corps inanimé du Mangemort, un rictus dégoûté sur les lèvres.

- Plus qu'à ramener tout ce monde au QG, commenta-t-elle.

Marlène voulut répondre, mais la douleur de son épaule était trop insoutenable. Loin de passer, elle était de pire en pire. Son bras pendait contre son flanc, complètement flasque. Le maléfice lui avait probablement démis l'épaule.

- Toi aussi on va te ramener, ajouta Emmeline, un air inquiet sur le visage. Assieds-toi, je dois avoir une potion de force. Ça t'aidera à transpla...

- Elle n'est pas dans les bois.

Les deux femmes tournèrent la tête vers la porte, où apparut un autre Mangemort... Un Mangemort au visage découvert que Marlène, malgré la douleur qui brouillait ses réflexions, parvint à identifier comme étant Severus Rogue. Il s'immobilisa, stupéfait. Ses yeux vagabondèrent sur les corps inanimés de ses camarades avant de croiser ceux de Marlène. Sa bouche se tordit, et il transplana.

La pression retomba tout d'un coup, et Marlène se retrouva au sol sans vraiment avoir conscience d'être tombée. Emmeline se précipita vers elle et fouilla dans sa sacoche. Quelques minutes plus tard, elle envoya un patronus au QG pour qu'on vienne les aider à ramener les Mangemorts inanimés.

***

Severus Rogue ne s'était pas senti aussi mal à l'aise depuis une éternité. Il trépignait devant la grille qui fermait le parc de Poudlard. Ce mois de novembre, déjà bien avancé, était particulièrement froid et humide. Il resserra les pans de sa cape autour de lui. L'heure avancée n'aidait pas ; Big Ben sonnait deux heures du matin lorsqu'il avait quitté Londres.

Il recommença à faire les cent pas, furieux d'être ainsi soumis à la volonté de Dumbledore. Le vieux Sorcier l'avait convoqué quelques jours plus tôt. Il ne pouvait évidemment se permettre de venir de jour à Poudlard. Si quelqu'un découvrait sa présence... Ce serait une mauvaise chose, aussi bien pour Dumbledore que pour lui-même. Ils ne s'étaient revus qu'une seule fois depuis le jour où les Potter avaient disparu. Rogue ne put s'empêcher de frissonner ; Voldemort avait été furieux. Il avait fini par se résigner, persuadé qu'ils finiraient par refaire surface. Par ailleurs, l'idée de la traque lui plaisait.

Rogue se concentra sur le souvenir de sa fureur pour tenter de se réconcilier avec le fait de rencontrer à nouveau Dumbledore. La protection de Lily en dépendait.

Une silhouette apparut finalement sur le chemin qui menait au château. Dumbledore ne tarda pas à arriver de l'autre côté de la grille ;

- Bonsoir, Severus, lança-t-il joyeusement. Excusez-moi, j'ai été retenu par Horace et son hydromel ; il s'est un peu attardé.

Rogue se contenta de lui adresser un regard blasé. Il n'était pas là pour entendre ses élucubrations. Sans se démonter, Dumbledore le fit entrer puis lui fit signe de le suivre. Au lieu de se diriger vers le château, ils coupèrent à travers l'herbe détrempée du parc. Les branches tordues du Saule Cogneur ne tardèrent pas à apparaître. Il n'en fallut pas plus à Rogue pour comprendre où ils se rendaient. En effet, quelques minutes plus tard, ils se trouvaient dans la Cabane Hurlante. Rogue n'avait encore jamais vu la pièce principale. James Potter l'avait arrêté avant, ce fameux soir de leur cinquième année où Sirius Black avait tenté de le jeter dans les griffes du loup-garou.

- Vous connaissez déjà cet endroit, si je ne m'abuse, dit Dumbledore sur un ton aimable tout en l'invitant à s'asseoir sur une chaise branlante.

- Plus ou moins, grinça Rogue.

- La prochaine fois que nous nous retrouverons, passez directement par Pré-au-Lard et attendez-moi là. Moins vous serez dans l'enceinte de Poudlard et mieux ce sera.

- Entendu.

Dumbledore croisa ses longs doigts sur la table poussiéreuse qui se trouvait entre eux et sonda un instant son vis-à-vis par-dessus ses lunettes en demi-lunes.

- Savez-vous pourquoi j'ai demandé à vous voir cette nuit, Severus ?

Le jeune homme haussa insolemment les épaules tout en évitant son regard. Il avait l'impression d'être à nouveau l'élève d'un vieux fou. Il avait troqué sa liberté contre la vie de Lily et, même s'il ne le regrettait pas, il détestait cela.

- Il y a quelques jours, reprit Dumbledore, deux agents de l'Ordre se sont retrouvées dans la forêt de Sherwood, opposées à trois Mangemorts qui avaient utilisé une pauvre Sorcière innocente à des fins abominables.

Severus se retint de lever les yeux au ciel. Ses bons sentiments le rendaient malade. Ils avaient certes manipulé cette femme, mais Dumbledore passait son temps à manipuler tout le monde. Simplement, il était plus subtil.

Comme le vieux Sorcier ne disait rien, Rogue se sentit obligé d'acquiescer :

- Certes.

- Puis vous êtes arrivé.

- Et je n'ai pas cherché à les empêcher d'agir, fit-il remarquer.

- Vous connaissiez donc l'existence de Magdalena Delaware, vous saviez qu'elle avait disparu et pourquoi. Vous ne m'en avez pourtant rien dit.

- C'était une mission que Myers, que McKinnon a arrêté, préparait depuis longtemps. Elle ne me concernait pas jusqu'à ce qu'on perde la trace de la fille.

- Miss Delaware, insista Dumbledore.

- Si vous voulez.

- Je ne veux pas, Severus, j'exige, rétorqua-t-il d'un ton sec. J'exige le respect dû à cette pauvre femme que vous avez arrachée à sa vie.

- Ce n'était pas moi !

- Je veux savoir ce qu'il se passe dans l'autre camp, martela Dumbledore, pas seulement quelles viles tâches on vous confie.

- Je...

- Non, écoutez-moi. Vous m'avez accordé ce que je voulais en l'échange de la protection de Lily Potter. Ce que je veux, c'est que vous soyez mes yeux et mes oreilles auprès de Lord Voldemort. Je veux être au courant de ce genre d'opérations.

- Alors quoi, je dois vous faire un rapport tous les jours ?

- Toutes les semaines suffira, trancha Dumbledore.

- Toutes les semaines ? Protesta-t-il. Je ne tiendrai jamais ma couverture à un rythme pareil !

- Vous en êtes capable, rétorqua son vis-à-vis d'un ton un peu radouci. Venez me déposer un parchemin avec les informations nécessaires dans cette cabane, disons tous les mercredis.

- Si vous déjouez toutes nos attaques, ils sauront qu'il y a un traître.

- Première chose, Severus : il ne s'agit plus de vos attaques mais des leurs. D'autre part, ne vous en faites pas pour ça.

Severus le dévisagea un moment, les sourcils froncés. Finalement, il demanda lentement :

- Alors c'est vous qui allez décider du destin des personnes concernées, c'est ça ?

- Laissez-moi gérer tout cela, répondit simplement Dumbledore. Ai-je été clair ?

- Très, répondit-il sèchement. Mais vous feriez mieux de vous rappeler que je ne suis plus un élève de Poudlard.

- Ne me menacez pas, Severus. Je peux vous perdre plus sûrement que vous ne pouvez agir contre moi.

Rogue se leva avec bruit. Il fusilla un instant son ancien directeur du regard avant de grincer :

- Comment sort-on vers Pré-au-Lard ?

- La porte est juste là, indiqua tranquillement Dumbledore.

Il ne le retint pas. Severus se trouva bientôt en train de traverser la lande embourbée, l'esprit en ébullition. Sa situation devenait de plus en plus risquée. Il allait devoir perfectionner son art de l'Occlumencie. Se surveiller en permanence. Surveiller les autres. Tout ça pour une cause en laquelle il ne croyait pas, pour une femme qui ne lui retournerait jamais son amour.

Il s'arrêta à la barrière qui séparait la lande de Pré-au-Lard. Après un instant d'hésitation, il reprit sa route.

Non, il ne parvenait pas à faire abstraction de son amour pour Lily. Encore plus furieux contre lui-même que contre Dumbledore, il se décida finalement à transplaner. 

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