Partie III - Chapitre 70

Chapitre 70

Le ciel était clair lorsqu'ils arrivèrent à Glasgow. Ils ignoraient tout de l'adresse des Prim – ils étaient retenus en otage dans leur propre maison – aussi Sirius prit-il sa forme d'Animagus. L'odeur des Sorciers étant reconnaissable, ils avaient des chances de trouver le bon endroit. Glasgow n'était pas connue pour abriter une forte communauté sorcière.

James suivait donc le grand chien noir dans les rues encore désertes de Glasgow, caché sous la cape d'invisibilité. Seuls quelques Moldus se hâtaient dans l'air frais, les yeux fatigués et les membres alourdis de sommeil. Lui-même était parfaitement réveillé malgré la nuit blanche qu'il venait de passer. La conscience claire, il envisageait divers scénarios possibles tout en surveillant les rues qu'ils traversaient. Il n'était pas affolé, pas inquiet, son cœur battait au même rythme lent et régulier que d'habitude. Il avait l'habitude des missions improvisées, des mauvais coups élaborés au dernier moment dans un recoin de Poudlard. Peut-être se serait-il plus inquiété s'il avait été seul ou avec quelqu'un d'autre, mais, accompagné d'un Maraudeur, il se savait prêt à parer toute éventualité.

Patmol trottinait toujours, tout en aboyant joyeusement çà et là lorsqu'il apercevait un pigeon ou un autre chien. Cependant son pas allègre devint tout à coup plus saccadé et il bifurqua dans une petite ruelle qui menait à un parc peu avenant mais complètement désert. James le suivit sans rien dire, les mains enfoncées dans ses poches, les doigts repliés sur sa baguette. Le chien disparut sous les branches d'un pin généreusement fourni. Sirius fit son apparition quelques secondes plus tard et James s'empressa de jeter les pans de la cape par-dessus sa tête. Son ami se gratta machinalement derrière les oreilles, comme il le faisait toujours lorsqu'il avait passé un peu de temps dans la peau de Patmol.

- On n'est plus très loin, annonça-t-il. Enfin, je pense. Il y a une concentration de Sorciers dans le coin et ça pue la peur à plein nez.

James grimaça légèrement.

- Quand tu dis « plus très loin », tu as une idée plus précise ?

- A cinq-cents mètres, grand maximum. Mais...

- Mais il doit y avoir des protections, compléta James, songeur. Qu'est-ce que tu proposes ?

Sirius réfléchit un instant avant de répondre :

- Les Animagi ne sont pas concernés par les barrières magiques – aucune chance qu'ils aient mis en place les deux seules qui nous empêchent de passer.

- Je ne suis pas sûr qu'un cerf passe inaperçu, fit remarquer James avec un sourire.

- J'y vais en éclaireur, je repère l'endroit où sont dressées les protections, on s'approche le plus possible sous la cape puis tu te transformes, passes, et reprends ta forme. Ça te prendra vingt secondes !

- Ça passe pour les braves habitants de Glasgow, mais qu'est-ce que tu fais des ravisseurs ? Ils vont nous voir.

Sirius haussa les épaules.

- On peut toujours essayer de désillusionner un Animagus.

- On a déjà essayé, avec Peter, soupira James. Ça ne marche pas.

- Sinon... (une lueur dangereuse s'alluma dans les yeux de Sirius), on fonce dans le tas. Avec tes bois, tu peux mettre deux Mangemorts K.O. en moins de deux, et je peux rendre les autres invalides en même temps.

- Et les otages ? Interrogea James, dubitatif.

- Quoi, « les otages » ? Tu crois qu'ils vont les tuer sous prétexte qu'on les attaque alors qu'un cerf et un chien gigantesque leur sautent à la gorge ? Ils auront autre chose à penser.

Malgré lui, James commençait à être séduit.

- C'est vrai que beaucoup de sortilèges sont inopérants sur les Animagi...

- Je ne garantis rien pour les Impardonnables, souligna Sirius.

James haussa les épaules.

- On a autant de chance de mourir dans un cas comme dans l'autre de toute façon. Très bien, va pour l'attaque frontale.

- Parfait, allo...

- Hé, pas si vite ! Coupa James en l'attrapant par le col de son t-shirt, alors qu'il cherchait déjà à quitter l'abri de la cape. Une fois à l'intérieur, qu'est-ce qu'on fait ?

Son ami lui adressa un grand sourire.

- Je me retransforme, je stupéfixie ceux qui ne sont pas inconscients, et on s'en va tranquillement.

- Tu sais que ça ne sera pas aussi facile.

- Une cicatrice de plus ou de moins, qui s'en soucie ? Allez, Cornedure, fais pas ta mijaurée. On a l'effet de surprise pour nous, ces Mangemorts sont apparemment des imbéciles incapables...

- Quoi ? Mais...

- ... et on s'en sort toujours de toute façon !

- Qui t'a dit que c'était des imbéciles ?

- On n'a jamais entendu parler d'eux et une prise d'otage pareille, sincèrement ? Il faut être un crétin. Allez, James ! Prend des risques !

James devait dire non. Lui imposer un plan un peu plus préparé, prendre le temps d'élaborer une issue de secours. Mais n'était-ce justement pas pour ça qu'il avait décidé de venir libérer les Prim ? Pour éviter un plan trop préparé, trop important et détaillé qui finirait, comme toujours, mal ? Sirius avait raison, ils avaient l'effet de surprise de leur côté. Voir un cerf les charger serait un sacré choc. Ils pouvaient s'en sortir.

- Je n'arrive pas à croire que je vais dire ça mais... Très bien. Allons-y.

Sirius poussa un cri de victoire. James lui asséna une tape à l'arrière du crâne pour le faire taire tout en tâchant de cacher son sourire réjoui.

- Une dernière chose, lança-t-il avant que Sirius ne prenne l'apparence du grand chien noir. Comment on évacue les otages ? Il y a forcément un sort anti-transplanage sur la maison.

- Ça vaut le coup de vérifier, fit remarquer Sirius. Avec ces imbéciles de Mangemorts on ne sait jamais. Mais si c'est le cas, eh bien...

- Je te couvre et tu les fais sortir de là. Il y a trois enfants, tu ne pourras pas transplaner avec tout le monde. Un Portoloin, c'est la meilleure solution.

- Pourquoi est-ce que toi tu devrais rester ? Protesta-t-il. Je peux le faire.

- C'est moi qui t'ai traîné jusqu'ici, alors c'est moi qui reste. Je vais quand même pas te laisser tout le fun ! De toute façon, il suffira de les immobiliser et ensuite je rentrerai au QG.

James lut dans le regard de Sirius que ça ne lui plaisait pas, mais il ne pouvait rien dire : ce plan était une improvisation totale de bout en bout et James avait acquiescé à toutes ses propositions absurdes. Il hocha donc la tête puis annonça :

- Je pars devant, tu me suis sous la cape, on repère la limite magique, tu essaies de trouver un angle mort pour te transformer et on fonce. Ça marche ?

- Ça marche.

***

Sirius, sous sa forme d'Animagus, retrouva la piste de la maison sans problème. Il passa la barrière magique une première fois sans le faire exprès et s'empressa de faire demi-tour. La très faible résistance du bouclier lui permit d'identifier sa limite exacte. Il trottina deux fois autour de James, invisible sous la cape mais donc il sentait très clairement l'odeur. Il s'assit ensuite et contempla la maison des Prim. C'était une bâtisse en briques d'un étage, dont la façade avait été blanchie à la chaux. Un minuscule jardin l'entourait ; Patmol et Cornedrue sauteraient par-dessus la barrière sans le moindre problème. Aux fenêtres, des bacs à fleur béaient sur la rue. Les Prim avaient été pris en otage trop tôt pour semer. Les volets étaient fermés, mais on n'était jamais trop prudent : Sirius battit de la queue sur le pavé et tourna la tête vers l'endroit où se trouvait James. Son meilleur ami s'éloigna jusqu'à disparaître de sa vue. Un instant plus tard, Sirius sentit un changement dans l'air et l'odeur de James se modifia singulièrement. L'habituel fumet de cervidé parvint jusqu'aux narines du chien, qui percevait malgré tout un peu de son odeur humaine sous les effluves plus fortes.

Patmol se redressa aussitôt, prêt à bondir. Son cœur de chien battait au rythme habituel mais il était sûr que, sous forme humaine, il aurait eu des sueurs froides dues autant à l'exaltation qu'à l'angoisse. Pour l'heure, tout ce qu'il sentait était l'énergie folle qui courait dans ses membres. Cornedrue n'allait pas tarder à débouler. Ils faisaient face au côté de la maison, où seules des fenêtres à mi-hauteur offraient une ouverture. Ils allaient devoir contourner la bâtisse pour passer par la porte.

Cette idée absurde fit aboyer le chien en ce qu'on aurait pu prendre pour un rire. Impatient, il trottina jusqu'à l'endroit où se trouvait James mais ne trouva personne. Inquiet, il tendit la tête vers la piste odorante qui partait vers une autre façade de la maison. Il parvint en terrain découvert juste à temps pour voir Cornedrue bondir lestement par-dessus la barrière qui fermait le jardin à l'arrière de la maison. Il visait la baie vitrée, obstruée uniquement de l'intérieur par des rideaux. Patmol se lança à sa suite et atterrit dans le jardin au moment où le cerf, lancé à pleine vitesse, détruisait la vitre avec toute la force de ses deux-cents kilos. Un hurlement de femme se fit entendre par-dessus le fracas du verre détruit. Patmol sauta par-dessus les éclats et pénétra à son tour dans ce qui devait être le salon. Les Prim étaient là, la mère et ses trois enfants ligotés chacun à un coin de la pièce. Le grand chien ne leur jeta qu'un bref coup d'œil circulaire puis avisa Cornedrue, qui tournait en rond devant la porte fermée. Patmol pouvait l'ouvrir mais les bois du cerf ne passeraient jamais. Ils devaient faire vite, les Mangemorts avaient dû entendre leur entrée fracassante. Ils ne devaient pas perdre leur effet de surprise.

Sirius reprit forme humaine l'espace de dix secondes, le temps de faire exploser le mur. Il profita de la poussière et du chaos suscité pour se transfomer à nouveau et suivit Cornedrue dans la cuisine où, par chance, étaient rassemblés les ravisseurs.

Le cerf envoya une haute silhouette valdinguer contre un mur puis donna un coup de tête à un autre, qui fut envoyé au tapis avec un cri de douleur. Patmol bondit sur un jeune type un peu terne. Ils chutèrent ensemble et le chien en profita pour mordre le bras qui tenait la baguette. Sa victime la lâcha avec un cri de douleur, qui fut le dernier son qu'il émit avant que le grand chien ne l'assomme d'un coup de patte. Lorsqu'il releva la tête, James se tenait devant lui, triomphant, quatre baguettes à la main. Sirius se métamorphosa donc et ligota magiquement son adversaire. Il tapa dans la main libre de son meilleur ami avant de lancer, un goût de sang dans la bouche – non pas le sien, mais celui du type qu'il avait mordu :

- Il faut qu'on efface leur mémoire. S'ils caftent que des animaux les ont attaqués, on est cuit.

- Je m'en charge, affirma James, qui ne pouvait s'empêcher de sourire. Va chercher les Prim et emmène-les, je te rejoins au QG.

- Ça marche, acquiesça Sirius en s'éloignant déjà dans les décombres. Fais attention à toi !

- Tu me connais !

Sirius marmonna que c'était pour cette raison qu'il s'inquiétait, enjamba un imposant morceau de parpaing puis pénétra dans le salon saccagé. D'un coup de baguette il libéra la famille Prim. Pourtant, ils restèrent tous immobiles, sans doute terrifiés à l'idée que ce soit un piège.

- Je m'appelle Sirius, annonça-t-il doucement sans se risquer à prononcer un nom de famille qui n'attirait jamais que la méfiance. Je travaille pour le Ministère. On va vous mettre à l'abri mais il faut partir sur le champ.

Mrs. Prim comprit l'urgence malgré son ton calme. Elle se redressa en chancelant un peu puis alla relever ses enfants. Les deux plus jeunes, qui n'avaient sans doute pas encore l'âge d'aller à Poudlard, pleuraient. L'aîné devait avoir quatorze ans tout au plus. Il dut s'appuyer sur sa mère pour marcher et Sirius se demanda avec une pointe de colère ce qu'on leur avait fait subir. Pendant qu'elle s'assurait que ses enfants allaient bien, Sirius murmura la formule qui permettait de repérer un sort anti-transplanage. La vibration de l'air qui s'en suivit le renseigna. Il grommela puis les pressa un peu ; malgré leur victoire, rester plus que nécessaire dans cette maison le rendait nerveux. Il attrapa un bibelot qui traînait au sol, près d'une table renversée, puis mena la marche hors du salon. D'un coup de baguette, il ouvrit un passage dans la barrière qui encerclait le jardin. Une minute plus tard, ils avaient quitté le périmètre de protection. Sirius posa sa baguette sur le bibelot, qui s'éclaira pendant un instant d'une lueur bleutée.

- Départ dans vingt secondes, annonça-t-il avant de le poser au sol et de poser son doigt dessus.

Mrs. Prim fit de même. Aussitôt, ses enfants prirent courage et firent de même. Au moment où la sensation qu'on le tirait par le nombril s'emparait de Sirius, il crut entendre un cri de douleur. Mais déjà, le Portoloin les emmenait loin de Glasgow.

***

James avait appris à doser correctement un sortilège d'oubli lors de son stage au Snargalouf. Il n'eut aucun mal à effacer de la mémoire des quatre Mangemorts les dernières heures écoulées. Il y avait trois hommes et une femme, tous d'âge divers. Le plus jeune était celui dont Patmol s'était occupé. Il avait vérifié : aucun d'eux ne portait la marque des Ténèbres. James aurait donné sa main à couper que Voldemort n'avait jamais ordonné cette prise d'otage.

Sa mission accomplie, il se redressa et se disposa à quitter la cuisine. Il aurait pu emmener les Mangemorts avec lui mais ce n'était pas le but de sa mission. Ils avaient sorti les Prim de là, c'était tout ce qui comptait.

Il s'apprêtait à quitter la cuisine lorsque le sortilège vint le cueillir dans le dos.

Il hurla. Il chuta en avant mais ne sentit même pas le choc avec les gravats, tout à la douleur insoutenable qui se répandait dans tout son corps. Aussi soudainement qu'elle avait pris possession de ses membres, elle le laissa haletant, le cœur battant à tout rompre, trop rompu pour faire le moindre mouvement. Une main attrapa le dos de son t-shirt pour le renverser sur le dos. Il aperçut un visage de femme, des cheveux noirs, des yeux qui lançaient des éclairs. Avant qu'il n'ait pu l'étudier plus avant, elle se redressa et lui asséna un coup de pied en plein visage. James grogna alors que ses lunettes se brisaient dans un tintement. Le monde se brouilla autour de lui, un goût de sang envahit sa bouche. La douleur résonnait dans tout son crâne, ravivant les vestiges du Doloris. La même main que précédemment saisit le col de son t-shirt, une haleine chaude souffla sur son visage meurtri :

- Comment tu t'appelles ?

Il ne répondit pas. Elle le secoua un peu, répéta la question qui resta sans réponse. La femme pointa sa baguette vers lui. A moitié assommé, sans ses lunettes, James était incapable de distinguer autre chose. Le sortilège qui percuta son épaule lui arracha un cri de douleur. Un instant, il se trouva de nouveau à Poudlard, sur le terrain de Quidditch. C'était exactement la même sensation que lorsqu'un Cognard le percutait. Des larmes de douleur perlèrent au coin de ses yeux.

- Ton nom ! Exigea-t-elle à nouveau, toujours d'un ton froid.

- James, articula-t-il péniblement à cause de sa mâchoire meurtrie.

Elle le gratifia d'un nouveau coup de pied, cette fois-ci dans son épaule démise. C'était mille fois pire.

- Je me contrefous de ton prénom ! James quoi ?

- Potter, gémit-il.

Son nom, elle pouvait bien avoir son nom. Mais il ne devait laisser échapper rien d'autre.

- Pour qui est-ce que tu travailles ?

Il ferma les yeux et déglutit. Il revoyait Maugrey, les mains sur les hanches, toisant les jeunes recrues de l'Ordre dans les sous-sols du Snargalouf. « S'ils ne savent pas déjà pour qui vous travaillez, gardez-le pour vous. Tout ce qu'ils ne savent pas déjà, gardez-le pour vous. S'ils pensent savoir quelque chose qui est en fait erroné, ne les détrompez pas. S'ils vous torturent, continuez à la fermer. »

***

Sirius et la famille Prim atterrirent en pleine forêt. Le temps était moins clément qu'à Glasgow et il pleuvait à verse. Mrs. Prim, une femme d'âge mûr aux cheveux grisonnants et à l'air présentement revêche, se dressa devant ses trois enfants, menaçante.

- Qui êtes-vous ? s'enquit-elle sèchement.

- Sirius, je vous l'ai dit. Je travaille pour le Ministère.

- Qu'est-ce qu'on fait là, alors ?

- Vous êtes en danger. Je ne pouvais pas vous amener directement auprès de votre époux.

La femme se détendit légèrement à la mention de son mari. Ses vêtements sales et déchirés commençaient à lui coller à la peau. Derrière elle, ses enfants tremblaient de tous leurs membres sans que Sirius n'arrive à déterminer si c'était le choc ou la pluie qui les mettait dans un état pareil.

- Je vais devoir vous laisser ici le temps que j'aille prévenir le Bureau des Aurors, dit-il doucement. Nous sommes au beau milieu d'une forêt dans le Derbyshire, il n'y aucune chance qu'on vous trouve. Je vais lancer des sorts de protection autour de vous. Je vous promets que je suis de retour dans un quart d'heure.

Il vit l'hésitation dans son regard. Elle n'avait aucune raison de lui faire confiance après ce qu'elle avait vécu. Seulement, elle ne pouvait pas faire autrement : ils étaient perdus en pleine forêt, sans baguette. La prévenance de Sirius à leur égard était pour le moment sa seule garantie.

- Très bien, lâcha-t-elle finalement entre ses dents serrées avant de se précipiter vers ses enfants.

Sans attendre, Sirius entreprit de jeter les sorts de protection usuels autour du petit groupe. Les enfants pleuraient à présent dans les bras de leur mère. Ils ne remarquèrent même pas que la pluie, grâce à un sortilège, avait cessé de leur tomber dessus. Alors qu'il allait transplaner, Sirius songea soudain qu'il ne pouvait pas partir comme ça : les Prim les avaient vus, James et lui, sous leur forme d'Animagi. Ils seraient forcément interrogés, ils parleraient... Bien qu'envahi par le remord, il dut prendre la décision qui s'imposait. En l'espace de quelques secondes, il immobilisa tous les membres de la famille. Quelques instants supplémentaires lui suffirent pour effacer de leur mémoire l'irruption du cerf et du chien et le sortilège qu'il venait de leur jeter. Lorsqu'ils se réveillèrent, il répéta mot pour mot son petit discours à une Mrs. Prim plus que confuse, qui hocha la tête sans conviction lorsqu'il lui dit qu'il devait les laisser là un moment. Il se décida finalement à partir, peu fier de lui mais bien conscient qu'il n'avait pas eu le choix.

Une fois au Ministère, il se faufila au milieu de la foule de Sorciers qui envahissaient les bureaux. Il n'avait pas réalisé qu'il était si tôt : James et lui avaient réglé la situation en moins d'une heure. Guilleret, il suivit les quelques Aurors qui se rendaient au Bureau en bavardant. Les lieux grouillaient déjà d'activité, des Aurors et secrétaires à l'air épuisé passaient la main en relatant les événements de la nuit passée à leurs collègues. Sirius entendit parler de missions d'espionnage, de filature... Autant de missions que l'Ordre n'avait pas à effectuer.

Il voulut gagner le bureau de Maugrey mais un jeune Auror l'arrêta en chemin et lui demanda sèchement ce qu'il faisait là. Sirius finit par apprendre que Maugrey était absent et demanda donc d'un ton impérieux à voir Mr. Prim. Le jeune Auror blêmit aussitôt.

- Comment... Confidentiel... je... ARKWRIGHT !

Un grand type baraqué sortit aussitôt d'un box, sa cape encore sur les épaules.

- Quoi ? Grommela-t-il.

Comme le jeune Auror agitait les bras en tous sens d'un air paniqué, il finit par s'approcher. Son interlocuteur murmura le nom de Prim. Le dénommé Arkwright dévisagea un instant Sirius, hocha la tête, puis prit la situation en main.

Sirius regagna le QG deux heures plus tard. Les Prim, le père compris, avaient été exfiltrés vers la France avec succès. De là, ils prendraient un avion pour les États-Unis. Les moyens de transport moldus étaient encore le meilleur moyen d'échapper à la surveillance de Voldemort.

Le jeune homme était plus que satisfait : ils avaient sauvé la situation sans la moindre effusion de sang – si on excluait les quelques morsures qu'il avait infligées. James avait dû rentrer avant même que Lily se réveille. Elle n'aurait pas à s'en vouloir pour cette potion renversée et ils pourraient tous les deux prendre une journée de repos bien méritée. Il passa la porte du manoir en sifflotant, se réjouit de l'odeur de pain grillé qui émanait de la cuisine et poussa le battant.

Lily se trouvait dans la pièce, l'air renfrogné. En face d'elle, Peter tentait sans grand succès de garder les yeux ouverts. Il devait tout juste revenir de la Cabane hurlante. Sirius sentit un mauvais pressentiment l'envahir lorsqu'il constata l'absence de James et l'expression maussade de Lily. La jeune femme lui jeta un regard las.

- Tu rentres tôt, lâcha-t-elle en guise de salutation.

Il déglutit, incapable de répondre, alors qu'un frisson courait le long de sa colonne vertébrale. Lily ne sembla pas remarquer son silence.

- Tu as vu James ce matin ? Tu sais où il est parti ?

- Tu veux dire..., parvint-il finalement à articuler. Tu veux dire qu'il n'est pas rentré ?

Ses grands yeux verts se braquèrent sur lui.

- Qu'est-ce que...

- BLACK !

Le cri coupa net la question de Lily. Les trois jeunes gens se tournèrent d'un bloc vers la porte de la cuisine, devant laquelle s'encadrait à présent un Alastor Maugrey furieux. Sirius n'eut même pas le temps d'ouvrir la bouche que déjà l'Auror hurlait :

- Je rentre d'une mission et qu'est-ce que j'apprends ? Que Potter et toi êtes allés jouer les héros chez les Prim ! Imbéciles incompétents ! Vous n'avez rien appris, en deux ans ? Tout le monde aurait pu y passer ! Vous...

- Où est James ?

L'intervention de Lily, bien que dite d'une voix calme, interrompit Maugrey aussi sûrement que si elle avait crié. Sirius était blême. C'était lui que Lily regardait.

- Où est James ? Répéta-t-elle.

Face à son regard, il fut incapable de mentir :

- Il aurait dû être rentré.

***

Les mots de Sirius claquèrent dans le silence précaire qui régnait dans la cuisine. Peter, à présent parfaitement réveillé, fixait Lily avec des grands yeux terrifiés. Sirius aussi la regardait, mais ses prunelles reflétaient la même angoisse que celle qui résonnait sourdement à ses oreilles. Ce fut Maugrey qui se décida à intervenir, d'une voix pleine d'une fureur contenue :

- Il est encore là-bas ?

- On les avait tous maîtrisés, souffla Sirius en lâchant le regard de Lily. Il devait juste... (il déglutit). Il devait vérifier je ne sais quoi pendant que j'emmenais les Prim à l'abri.

- Tu l'as laissé derrière ? Souffla Lily, estomaquée.

Au lieu de se défendre, une expression désolée se peignit sur son visage. La pièce tournait autour de Lily. Elle se fichait que les Prim soient saufs, que les Mangemorts n'obtiennent pas toutes ces horribles potions. Sirius avait laissé James en arrière et il ne reviendrait sans doute jamais.

- C'était il y a combien de temps ? Interrogea Maugrey d'une voix froide.

- Deux heures.

L'Auror prit une profonde inspiration, les yeux fermés.

- Je ne peux rien pour lui. Il savait les risques quand il a pris sur lui de mener cette opération sans en parler à personne. Le Bureau ne risquera la vie de personne pour le tirer de là, pas plus que l'Ordre. Quant à vous, je peux toujours vous interdire formellement d'y aller, je sais que vous ne m'écouterez pas. Alors allez au diable, tous autant que vous êtes !

Il fit volte-face et claqua la porte derrière lui. Lily l'entendit à peine, les oreilles bourdonnantes. Elle n'était même pas étonnée : les Prim étaient sauvés, Maugrey n'allait pas risquer une équipe pour sortir de là un membre de l'Ordre. Le silence régnait toujours, de plus en plus lourd. Les possibilités tourbillonnaient dans sa tête mais s'effaçaient aussitôt qu'elle les touchait du doigt, rendues insignifiantes face à la terreur qui la tenaillait : et si James était mort ? Finalement, Lily se leva, chancela légèrement, une main posée sur son ventre.

- Je vais le chercher.

- Hors de question !

Elle adressa un regard furieux à Sirius. Désespoir et colère s'affrontaient en son for intérieur.

- Si tu ne l'avais pas abandonné...

- Ça ne devait pas se passer comme ça ! On les avait tous maîtrisés !

- Apparemment pas ! Hurla-t-elle. Si je n'y vais pas personne ne lui viendra en aide !

- Moi, j'irai ! Et Peter, hein, Pete ?

Ils braquèrent tous deux leur regard sur le petit blond, qui se contenta de les fixer d'un air terrifié.

- Tu as entendu Maugrey, grinça Lily. Ça ne concerne plus l'Ordre. C'est à moi de sauver mon mari. Si c'est encore possible.

- Tu es enceinte ! s'écria Sirius, désespéré. James me tuera si je te laisse y aller !

- A condition qu'il ne soit pas déjà mort ! Répliqua-t-elle.

Ses propres mots la blessèrent autant qu'un maléfice. Elle faillit s'écrouler mais s'agrippa au dossier de sa chaise pour se donner une contenance. Sirius semblait hanté par cette possibilité, par la culpabilité de l'avoir laissé derrière, de l'avoir cru, comme toujours, invincible.

- C'est mon mari, répéta-t-elle à voix basse. C'est ma famille. Je dois y aller.

Des sanglots contenus perçaient dans sa voix à présent. Sirius la considéra en silence quelques instants. Plusieurs expressions se succédèrent sur ses traits. Finalement, son visage se fit dur.

- Désolé, Lily, mais il est hors de question que je te laisse risquer ta vie et celle du bébé comme ça.

Du coin de l'oeil, elle le vit lever sa baguette. Elle fut plus rapide : Sirius s'écroula sur le dallage de la cuisine, stupéfixé. Peter glapit, horrifié. Lily pointa aussitôt sa baguette sur lui. Il leva les mains en signe de reddition. Après lui avoir demandé de réanimer Sirius dix minutes après son départ, la jeune femme se prépara en quelques minutes, étrangement calme. Bien sûr, elle savait que c'était idiot. James en avait sans doute également conscience lorsqu'il s'était précipité au secours des Prim. Pourtant, il l'avait fait. Une main posée sur son ventre, debout devant la porte ouverte du QG, elle demanda intérieurement pardon au bébé. Car, dans le fond, avait-elle vraiment envie de fonder une famille sans James ?

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