Partie III - Chapitre 69

Chapitre 69

Lily contemplait la pluie qui tombait averse, bien calée dans son fauteuil près du feu. On était en mai, mais l'humidité excessive de la semaine passée justifiait les joyeuses flammes qui réchauffaient l'âtre. Une main posée sur son ventre, les jambes étendues devant elle, les chevilles croisées, son regard passait au-dessus de James sans le voir, concentré sur les gouttes d'eau et le vent qui hurlait au-dehors.

James était bien loin de s'en plaindre. Installé dans le fauteuil qui faisait face à celui de sa femme, il la contemplait à loisir, sans qu'elle lui pose de questions ou ne s'étonne de son regard fixe. Ses yeux suivirent le tracé des taches de rousseur que le soleil avait fait renaître sur son visage, gagnèrent son regard rêveur avant de dégringoler la cascade de ses cheveux, qui lui arrivaient à présent aux épaules et avaient repris leur couleur rousse naturelle. James n'oublierait jamais ce jour où il était rentré au QG pour découvrir qu'on avait massacré sa chevelure. Mais même avec ses courts cheveux châtains, il la trouvait toujours belle.

Il avait toujours adoré Lily – du moins à partir du moment où elle avait cessé de le détester. La différence entre cette jeune femme de vingt ans et la Sorcière de quinze ans dont il était tombé amoureux le frappa soudain. La première fois qu'il avait remarqué que Lily Evans était un être digne d'intérêt – entendez : lorsqu'il s'était rendu compte de l'existence du sexe opposé – elle était tout en bras et en jambe, dans cette phase bizarre de l'adolescence où tout le corps semble déséquilibré, à la recherche de son harmonie. Malgré cela il s'était aperçu qu'elle était mignonne, avec ses taches de rousseur et ses grands yeux verts. Pour être tout à fait honnête, c'était sans doute l'attrait de l'interdit qui l'avait d'abord interpellé. Ses joutes verbales avec Lily avaient constitué l'un des grands enchantements de sa vie jusqu'à ce qu'il comprenne que l'aversion qu'elle éprouvait pour lui n'était pas uniquement due à la colère mais existait bel et bien. Ça n'aurait pas dû être un problème, et pourtant James avait eu le cœur brisé. Un garçon moins fier que lui et moins obstiné aurait peut-être rongé son frein un temps avant de jeter son dévolu sur une autre jeune fille, plus douce et tout aussi jolie. Seulement, plusieurs facteurs avaient empêché James de faire une telle chose.

Tout d'abord, Lily était certainement jolie et pouvait être douce, il le savait. Dès qu'elle ne lui parlait pas, elle souriait. Un magnifique sourire, tantôt gentil, tantôt moqueur, mais toujours bienveillant. Puis ses yeux se posaient sur lui et son visage se fermait. C'était là le deuxième facteur : le fait de savoir qu'il était le seul à être privé de ce sourire heurtait ses sentiments – pour ne pas dire plus.

C'était sans doute là la base de tout le problème : James détestait qu'elle ait ce pouvoir sur lui. Il savait que Lily était drôle, intelligente, gentille et serviable, seulement elle ne le lui montrait jamais. Alors il tenta de se convaincre qu'elle était tout le contraire de ça. En somme, il tenta de la détester. De cette tentative naquit la Grande Obsession de James Potter, qui fit jaser bien des élèves lors de sa Sixième année. Trente fois, il lui demanda de sortir avec lui. Trente fois, Lily Evans l'envoya sur les roses de façon, il faut le dire, rarement délicate. Cependant il serait difficile d'en tenir rigueur à Lily, dans la mesure où c'était précisément ce que James cherchait. Il voulait qu'elle soit désagréable avec lui. Il voulait qu'elle l'insulte, qu'elle le blesse suffisamment pour qu'il cesse de l'aimer et se mette, enfin, à la détester. Plus d'une fois, il était dans un tel état de rage contenue qu'il pensait y être arrivé. Puis, dans un coin de la salle, le rire de Lily résonnait et, encore une fois, il se surprenait à vouloir être celui qui la faisait rire.

A la fin de l'année, Lily le détestait plus que jamais mais continuait à l'ignorer lorsqu'il ne lui demandait pas – encore – de sortir avec lui, et James... Eh bien, James cachait un cœur en miettes derrière sa fierté et prenait un grand plaisir à souligner ses prouesses diverses pour montrer au monde et surtout à lui-même que l'indifférence de Lily ne l'empêchait pas d'être génial. James avait quitté Poudlard avec une tête à peu près aussi gonflée qu'auparavant, une médaille de Quidditch à son nom et la réputation de harceleur privé de Lily Evans.

La nouvelle qui l'attendait à Godric's Hollow écrasa les morceaux épars de son cœur et renforça le mur orgueilleux qui protégeait cette part trop sensible de lui-même – du moins pour un temps. Au bout de quelques jours, James Potter finit par comprendre qu'il ne pouvait aimer sa mère sans souffrir. Il pleura pour la première fois depuis des années – pour une raison autre qu'une blessure particulièrement douloureuse – et devint le livre ouvert qu'il ne cessa plus jamais d'être. Il comprit qu'il pouvait rester maître de ses sentiments sans avoir à les cacher derrière un mur de fer. Cet été-là, il redevint un enfant pour le bénéfice de sa mère, avec la spontanéité propre à ce jeune âge. Lorsque la rentrée vint, James avait appris que l'amour n'est pas une faiblesse et que s'inquiéter pour sa mère ne le déshonorait pas.

Bien sûr, sa situation par rapport à Lily n'avait pas changé. Elle le détestait toujours. Cependant, il cessa d'essayer de la rejoindre sur ce terrain-là. Il s'aperçut que son cœur brisé mais résigné le faisait bien moins souffrir, maintenant qu'il n'y avait plus aucun orgueil à blesser. Il avait même commencé à se dire qu'une fois Poudlard fini, il pourrait oublier Lily Evans et rencontrer une autre jeune et brillante Sorcière.

C'était sans compter sur l'incroyable capacité qu'avait Lily de donner une seconde chance aux gens. La première fois qu'elle fut aimable avec lui, il n'en crut pas sa chance. Quand il devint clair qu'ils commençaient à devenir amis, James oublia toutes ses velléités de passer à autre chose. La première fois qu'il la fit rougir, il se rendit compte qu'il était à nouveau tombé amoureux d'elle. Non pas cet amour transi, basé sur de simples observations à distance, sa frustration et le plaisir suscité par leurs joutes verbales, mais quelque chose de bien plus profond et de bien plus vrai. Il avait enfin découvert Lily pour ce qu'elle était, avec ses sautes d'humeur, sa trop grande naïveté et sa hargne, mais aussi sa spontanéité, son rire et ses sourires, et l'éclat lumineux de ses yeux quand elle le regardait. Cette fois-ci, il le savait, c'était irrémédiable. Merlin en soit remercié, elle était d'accord lui.

- James ?

Le jeune homme revint à la réalité avec un sourire. Lily le regardait à présent, la tête légèrement penchée sur le côté.

- Qu'est-ce que tu regardes comme ça ?

- Je compte tes taches de rousseur, expliqua-t-il alors que les coins de sa bouche se tordaient en signe de son amusement contenu.

Elle fronça le nez, ce qui le fit rire.

- Le pire c'est que je me suis à peine exposée au soleil. Il paraît que ce n'est pas recommandé pendant une grossesse.

James grommela tout en jetant un regard mauvais à la pile de livres qui se trouvait au pied du fauteuil de Lily. Ils avaient tous été écrits par des Moldus et il était persuadé que ce n'était qu'un ramassis d'âneries destinés à angoisser les femmes pendant ces neuf mois de leur vie. Malheureusement, Alice était d'accord avec Lily et il se trouvait seul contre ses deux furies – Frank ne contredisait jamais sa femme depuis qu'il avait découvert que les hormones de grossesse la transformaient en démon avide du dernier mot.

- Sérieusement, à quoi tu pensais tout à l'heure ? Reprit-elle.

- A Poudlard. A nous deux.

- Ça ne devait pas être que d'agréables pensées, alors, plaisanta-t-elle.

James sourit avec elle mais ne dit rien. Il ne lui avait jamais fait part de son cœur brisé et n'était pas sûr d'en avoir envie. Peut-être le ferait-il un jour mais il n'était pas encore prêt. A la place, il choisit de lui exposer une réflexion qu'il s'était faite bien des semaines auparavant :

- Je me disais... On a toujours vécu entouré de tout un tas de gens, dont les Maraudeurs qui sont très...

- Prenants ? Tenta Lily.

- Envahissants, corrigea James avec un petit rire. Bref, ce que je veux dire c'est qu'on n'a jamais eu de foyer juste à nous.

Lily le regardait, les sourcils légèrement froncés, incertaine de ce qu'il cherchait à lui dire.

- Ce serait bien de commencer un jour, insista-t-il.

- Tu veux qu'on déménage ?

- Eh bien, pas tout de suite, mais une fois que le bébé sera né...

- Mais, l'Ordre, comment...

- Alice et Frank le font, l'interrompit-il. On se relayerait pour rester avec le bébé, comme ça tu pourrais reprendre les missions.

Prononcer ces mots lui brûlait les lèvres. Depuis presque trois mois, il savait en permanence que Lily était en sûreté et c'était un soulagement énorme. Il ne s'était pas rendu compte du poids de son inquiétude avant qu'on ne le lui ôte. Cependant, il n'avait aucun droit de lui demander de rester à la maison pendant qu'il allait sur le terrain.

- Et ensuite ? Remarqua Lily. On ne se voit que deux heures chaque jour et celui qui n'est pas en mission reste seul avec le bébé toute la journée ou toute la nuit ?

James ouvrit la bouche pour répondre mais ne put que la refermer aussitôt, à court de réplique. Il n'avait pas envisagé les choses sous cet angle. Déçu, il se renfonça dans son fauteuil. Lily lui adressa un sourire penaud.

- Crois-moi, j'aimerais aussi qu'on ait notre propre maison, qu'on puisse enfin s'installer comme on le souhaite et avoir une vraie vie privée, mais je ne suis pas sûre que ce soit le bon moment.

Il marmonna une réponse incompréhensible, bien conscient de faire l'enfant mais trop agacé pour s'en empêcher. Avec un soupir, Lily se leva et vint s'asseoir sur le bras de son fauteuil. Elle posa sa joue sur ses cheveux en bataille.

- La guerre ne durera pas éternellement, murmura-t-elle.

- Tu parles. On aura déjà trois enfants et des cheveux blancs quand ça se terminera.

Elle pouffa.

- Laisse cet enfant-là naître, avant d'en inventer d'autres. Quant à tes cheveux.... (elle fit glisser une mèche noire comme le jais entre ses doigts)... Je pense qu'ils survivront.

James grommela à nouveau avant d'appuyer sa tête contre le ventre de sa femme.

- Qu'est-ce que tu veux dire par « une vraie privée » ? finit-il par relever.

Le ventre de Lily tressauta légèrement sous sa joue lorsqu'elle exhala un petit rire.

- Eh bien, pouvoir passer plus d'une heure avec toi sans que l'un ou l'autre des Maraudeurs débarque et fasse des commentaires salaces.

Il se redressa, les lèvres tordues en un rictus sarcastique, un sourcil levé plus haut que l'autre.

- Parce que tu crois vraiment que ça va s'arrêter un jour ?

Une expression d'horreur pure se dessina sur le visage de Lily et il laissa finalement libre court à son amusement.

- Mais James !

- Oh, Merlin, tu es vraiment beaucoup trop naïve.

Cette phrase arrêta net l'agacement de Lily.

- Ça veut dire que tu te moques de moi et qu'on ne devra pas supporter leurs interruptions permanentes toute notre vie ?

- Non, ça veut dire que tu es vraiment mignonne à croire que les Maraudeurs ne débarqueront pas à l'improviste chez nous.

Elle gémit, une main plaquée sur les yeux, alors que James riait de plus belle. Finalement, il glissa une main derrière sa nuque et attira son visage vers le sien. Lily mit un peu de temps à lui rendre son baiser, sans doute pour manifester son mécontentement, mais elle finit par passer ses doigts dans ses cheveux. Il voulut incliner un peu plus son visage vers le sien mais, en raison de la position précaire de Lily sur l'accoudoir de son fauteuil, elle lui tomba dessus avec un petit cri, qui se changea bien vite en rire. Elle finit par s'asseoir sur lui et, à peine gênée par son ventre, retrouva bien vite ses lèvres.

Lily avait à peine commencé à déboutonner sa chemise que la porte de leur chambre s'ouvrit avec fracas.

- CORNEDRUE ! Lunard ne veut pas avouer que j'ai rai... Eh, salut Lily, pourquoi t'es rouge comme ça ?

La jeune femme jeta un regard meurtrier par-dessus le dossier du fauteuil avant de se tourner vers James avec une expression qui signifiait clairement : « Qu'est-ce que je disais ? ». James devait bien avouer qu'il aurait également pu étriper Sirius, qui le fixait à présent par-dessus l'épaule de Lily avec un grand sourire.

- Je vous dérange, peut-être ? Interrogea-t-il avec un air innocent.

Lily quitta le fauteuil, lui asséna une tape à l'arrière du crâne et sortit aussi dignement que possible de la pièce. James, affalé contre le dossier, la respiration toujours un peu chaotique et sa chemise entrouverte, haussa un sourcil.

- Ça t'amuse, hein ?

Le sourire de Sirius se transforma en rictus moqueur.

- Tu n'imagines même pas.

James bondit sur ses pieds et le gratifia d'un coup de poing dans l'épaule, auquel Sirius réagit aussitôt en coinçant sa tête sous son bras. Le premier se mit à brailler comme un veau et à insulter copieusement son meilleur ami. Mais alors qu'il se débattait, il ne pensait qu'à quel point il était heureux de savoir que l'ancien Sirius était toujours là.

***

Lorsque Peter revint au QG avec un bout de chair en moins au niveau de l'épaule, l'Ordre commença à se poser des questions. Puis les journaux moldus commencèrent à évoquer des histoires à dormir debout concernant des zombies, et l'Ordre comme le Ministère plongèrent en pleine panique.

Au milieu du chaos, Lily tentait tant bien que mal de terminer les potions qu'on lui avait assignées, bien décider à sauver la famille Prim. Elle en perdit le sommeil, trop occupée à veiller ses potions jour et nuit pour prendre le temps de se reposer. Elle ne s'éloignait de l'infirmerie que lorsque les potions devaient reposer pendant plus d'une heure. Elle passait en général ces moments-là avec James qui, trop épuisé lui-même, ne s'aperçut pas tout de suite qu'elle se ruinait la santé au-dessus de ses chaudrons. Malgré son agacement envers Sirius lorsqu'il les avait interrompus, elle avait été obligée de le remercier intérieurement car elle était retournée auprès de ses potions juste à temps pour glisser du crin de licorne dans l'un des chaudrons.

Quatre jours avant la date butoir fixée par les Mangemorts, les potions étaient presque prêtes. Lily avait suivi toutes les instructions à la lettre, mais ignorait totalement si les mélanges fonctionneraient. Les consignes étaient pour la plupart vagues, parfois carrément cryptiques. Néanmoins, elle avait fait ce qu'elle avait pu.

La jeune femme baissa un peu le feu sous l'un de ses chaudrons avant de se laisser tomber sur un haut tabouret de préparateur, épuisée. Son ventre la faisait un peu souffrir, ce qui n'arrangeait rien à son état général. Elle s'autorisa à fermer les yeux un instant.

Une minute avait à peine passé lorsque la porte de l'infirmerie s'ouvrit avec fracas. Un hurlement sauvage retentit alors que Sirius et James tentaient de retenir Benjy, qui ruait en tous sens.

- Lily ! Cria James par-dessus les feulements de Benjy. Une potion anesthésiante, un somnifère, n'importe quoi !

- Pourquoi vous ne l'avez pas stupéfixé ? Hurla-t-elle en retour tout en fouillant frénétiquement dans ses armoires.

- Marche pas ! Gronda Sirius. Bordel, Fenwick !

Lily fit volte-face, son anesthésiant le plus fort dans les mains, mais fut incapable de s'approcher plus, trop choquée par l'allure de Benjy. Il écumait littéralement, tel un chien enragé. Son visage était cramoisi alors qu'il tentait de mordre Sirius et James. Il parvint à se libérer de la poigne de ce dernier et donna un coup de coude dans le ventre de Sirius, intentionnellement ou non – ses mouvements étaient tellement hiératiques qu'il était difficile d'en juger. Sa victime se plia en deux, le souffle coupé. James jura, ceintura Benjy et le plaqua au sol. Il l'écrasait de tout son poids mais l'homme était bien plus massif que lui et il projeta James loin de lui sans la moindre difficulté, ses forces décuplées par l'état dans lequel il se trouvait. Sirius avait entre-temps repris un semblant de contenance et il écrasa son pied dans le plexus solaire de Benjy avant de lui asséner un coup de poing tellement violent qu'ils entendirent son nez se briser.

- La potion ! Cria Sirius par-dessus son épaule, les deux genoux posés sur le torse d'un Benjy seulement partiellement assommé.

Lily s'empressa de la lui donner, voulut l'avertir qu'il ne devait lui en donner qu'une gorgée mais Sirius avait déjà pincé le nez de Benjy, ouvert grand sa bouche et vidé le contenu de la fiole au fond de sa gorge. Il s'étouffa, tant de recracher, parvint à asséner un dernier coup de poing dans le visage de Sirius avant de s'immobiliser enfin, les yeux révulsés, la bouche entrouverte.

- Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Exhala finalement Lily alors que Sirius se redressait, légèrement chancelant.

- Ensorcelé, marmonna-t-il avant d'attraper le récipient le plus proche et de cracher dedans.

Il contempla un instant sa salive veinée de sang avant de reprendre :

- Bonne chance pour trouver le contre-sort. On n'a pas la moindre idée ce que c'était. Il s'est écroulé pendant plusieurs minutes, puis il s'est jeté sur James pour essayer de le bouffer.

Lily sursauta à la mention de son mari et tourna un regard coupable vers l'endroit où James avait été projeté. Son cœur s'arrêta lorsqu'elle vit ce qu'il avait percuté : l'une de ses tables de préparation était recouverte d'une substance jaunâtre qui était autrefois sa potion, et qui s'écoulait sans s'arrêter du chaudron retourné. Même un sortilège ne la sauverait pas : une telle potion était hautement instable et devait déjà être ruinée. James s'était redressé et cherchait son regard, blême. Elle déglutit, prit une profonde inspiration puis se tourna à nouveau vers Sirius.

- Où est-ce que vous étiez ? Pour quelle mission ?

Sirius, qui n'avait rien manqué du désastre de l'atterrissage de James et de ses implications, adressa un regard incertain à Lily avant de répondre :

- Une attaque d'Inferis. On est arrivés trop tard. Au moins une dizaine de morts, tous des Moldus. Par un quelconque miracle, quelque chose a pris feu dans la panique et l'incendie a tué les Inferis avant même qu'on n'arrive. Benjy a été touché alors qu'on sécurisait le terrain. Impossible de savoir d'où ça venait.

Lily s'accroupit près de l'homme inconscient, sans relever que James s'était approché d'eux. Après avoir observé un instant Benjy, elle trouva le lieu de l'impact : ses vêtements étaient calcinés sur une petite zone au milieu de son abdomen. Elle dénuda son torse et grimaça, alors que Sirius émettait un bruit de gorge dégoutté. La peau, là où le sortilège l'avait touchée, était nécrosée et dégageait une odeur nauséabonde qui rappela aussitôt la morgue de Ste-Mangouste à Lily. Elle s'empressa de recouvrir la blessure, légèrement paniquée. Elle n'était pas assez qualifiée pour traiter ce genre de blessures. Elle se redressa, nauséeuse, alors que Sirius continuait à fixer Benjy, les sourcils froncés. James toucha légèrement le bras de Lily et marmotta :

- Lily, je...

- Un problème à la fois, coupa-t-elle d'une voix étonnamment calme qui l'étonna elle-même. Benjy est la priorité.

Il ouvrit la bouche, la referma puis enfonça ses mains dans ses poches avant de poser lui aussi les yeux sur la victime évanouie à leurs pieds.

- J'ai une théorie, commença Sirius, mais c'est probablement fumeux.

Si la situation avait été moins dramatique, Lily lui aurait fait remarquer que ses théories l'étaient toujours. A la place, elle l'invita du regard à continuer.

- Cette blessure, là... On dirait un morceau de cadavre décomposé. Or en ce moment, quand vous me dites « cadavre », je pense à « Inferi », et on ne peut pas nier que les tendances cannibales de Fenwick ressemblent à celles de ces foutus zombies.

Lily poursuivit intérieurement son raisonnement avant de demander :

- Tu sais comment on crée un Inferi ?

- Pas la moindre idée.

- Il faut ensorceler un cadavre, intervint James d'une voix morne.

Lily sentit un élan de colère monter contre lui, de façon tout à fait irrationnelle. Elle ravala ses sentiments et éloigna de son esprit la pensée de sa potion renversée. Sirius fixait son meilleur ami avec une expression stupéfaite.

- On peut savoir comment tu sais ça ?

James haussa les épaules.

- On en a parlé une fois, avec mon père. Pas la moindre idée de pourquoi.

Sirius hocha la tête avant de reporter son attention sur Benjy.

- Est-ce qu'il y aurait la moindre chance que ça fonctionne sur quelqu'un de vivant ?

- Avec la magie noire, on ne sait jamais, murmura Lily. Ça expliquerait sa résistance aux sortilèges, en tout cas. Je ne vois pas ce que je pourrais faire pour lui, il faut l'emmener à Ste-Mangouste.

- Ouais, acquiesça sombrement Sirius. Avant qu'il ne se réveille et essaie à nouveau de bouffer quelqu'un.

- Vu la dose que tu lui as administré, il devrait être inconscient pendant un moment.

- Parfait. Ça me laisse le temps d'aller chercher Vance.

Sans demander son reste, il quitta l'infirmerie en prenant soin d'enjamber la flaque de potion qui se formait au sol et claqua la porte derrière lui.

Le silence qu'il laissa dans la pièce était assourdissant. James pointa sa baguette sur Benjy et le fit léviter jusque sur le lit. Lily prenait soin de ne pas le regarder alors que la panique commençait à la submerger. Elle savait que ce n'était pas sa faute. Elle faisait de son mieux pour se contrôler, pour ne pas diriger contre lui sa frustration et son inquiétude. Elle finit donc par rencontrer son regard.

- Ta potion, commença-t-il. Peut-être que...

- Non. C'était un mélange très délicat et instable. Impossible de la récupérer maintenant.

Il déglutit avant de proférer :

- Je suis dé...

- Ce n'est pas ta faute, coupa-t-elle à nouveau.

- Mais tu es énervée contre moi, pointa-t-il.

Elle prit une profonde inspiration avant d'articuler :

- Pas contre toi. C'est juste... Toutes ces semaines de travail et... et la famille Prim, je ... Qu'est-ce que je vais dire à Maugrey ?

- Que Benjy s'est transformé en zombie assoiffée de chair humaine ? Proposa-t-il faiblement.

Lily se laissa tomber sur son tabouret et enfouit son visage entre ses mains, au bord des larmes.

- Le travail de tout le monde est fichu, exhala-t-elle. Caradoc et ses préparateurs, toutes ces potions... La condition, c'était qu'ils obtiennent toutes les potions demandées. S'il en manque une...

- Ils négocieront, dit James avec autant d'assurance que possible. On trouvera un moyen.

Lily secoua la tête. Les Mangemorts qui avaient pris les Prim en otage voulaient seulement se venger. Le non-respect du contrat leur fournirait l'occasion idéale. Maugrey tenterait sans doute de mettre un plan au point, de gagner encore du temps... Les deux côtés n'avaient fait que retarder une issue inévitable. Le compte à rebours était terminé.

- Tout ça pour une stupide potion renversée, souffla-t-elle dans un sanglot.

James s'approcha d'elle, prit gentiment ses poignets pour éloigner ses mains de son visage et l'attira dans ses bras.

- On trouvera un moyen, répéta-t-il.

Lily ne prononça pas un mot de la soirée et ne dormit pas de la nuit. Elle avait envoyé une lettre à Maugrey et attendait sa réponse avec appréhension. Etendue dans son lit, les yeux grands ouverts, elle ne parvenait à songer qu'aux Prim qui allaient mourir parce qu'un chaudron avait été renversé. James, à côté d'elle, ne dormait pas non plus, elle l'aurait juré. Pourtant il ne dit rien, resta étendu sur le côté, dos à elle, la respiration régulière mais les épaules tendues. Lily finit par s'endormir alors que les premières lueurs de l'aube atteignaient leur chambre. L'épuisement de ces dernières semaines eut alors raison d'elle et elle sombra dans un profond sommeil sans rêve.

***

C'était certainement stupide, probablement immature, et mortellement dangereux. Pourtant, James voyait une logique derrière tout cela. Allongé dos à Lily, il attendait patiemment qu'elle s'endorme. Pendant ce temps-là, il peaufina son plan.

L'affaire Prim était hautement confidentielle, pourtant James était au courant. Lily ne souhaitait pas lui cacher des choses et lui avait donc confié les tenants et aboutissants de l'affaire en lui faisant promettre le secret. Il avait bien sûr obtempéré.

Il était donc parfaitement au courant de ce que la perte de la potion de Lily signifiait. Maugrey avait quatre jours pour mettre au point un plan qui permettrait de sauver les Prim – plan qui inclurait sans doute une attaque massive d'Aurors et une effusion de sang.

Pour James, une opération furtive aurait bien plus de chances de réussir, d'autant plus si personne n'était au courant. Il n'aimait pas la paranoïa de Maugrey, mais devait bien admettre que les secrets du Ministère et de l'Ordre semblaient se répandre chez les Mangemorts de manière bien trop libérale. Il faisait donc plus confiance à son sens de l'improvisation qu'à un plan compliqué du Bureau des Aurors.

Plus que tout, il savait que les Maraudeurs étaient capables de bien des choses que nul ne soupçonnait.

Lorsque Lily s'endormit enfin, il se leva et s'habilla sans bruit. Remus était à Poudlard pour la pleine lune, Peter auprès de lui. Leur rôle auprès de l'Ordre les empêchait d'être tous réunis dans la Cabane hurlante, aussi se relayaient-ils pour ne pas laisser le lycanthrope seul. Il ne restait donc que Sirius au QG. James alla le réveiller et grimaça lorsque Sirius, par réflexe, pointa sa baguette contre son visage. Dans la lueur verdâtre émise par la baguette de James, il distinguait les yeux perdus de Sirius et ses paupières bouffies de sommeil.

- Urgence ? Marmonna-t-il de manière presque incompréhensible.

- Si on veut, répondit tout bas James avant de lui expliquer la situation et ses réflexions.

Lorsqu'il eut terminé, Sirius était assis dans son lit, parfaitement réveillé. James pouvait voir son cerveau travailler.

- Lily va t'assassiner, fut la première réflexion dont il lui fit part.

- Je m'occuperai de ça plus tard.

- C'est stupide.

- Depuis quand ça te dérange ?

A cette réponse, un sourire amusé étira un coin de la bouche de Sirius.

- Pas faux.

- On est des Maraudeurs, enchaîna James. Entrer en douce dans des endroits interdits, c'est notre spécialité.

Le sourire de Sirius s'élargit. James devait bien l'admettre, par-dessus son envie de sauver les Prim et d'éviter toute culpabilité à Lily, se dressait à présent le bon vieux goût du risque.

- Tu viens ?

- Évidemment. Rendez-vous dans la cuisine dans cinq minutes ?

- Vendu.

James récupéra sa cape d'invisibilité dans sa chambre, jeta un dernier regard à Lily, dont la forme endormie se distinguait à peine dans les lueurs de l'aube. Un court instant, il douta de son projet, puis songea qu'on n'obtenait rien sans risque. Décidé, il referma doucement la porte derrière lui.

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