Partie III - Chapitre 68


Chapitre 68

Emmeline donna un coup de pied au petit homme qui se trouvait près d'elle, dont la moitié supérieure du corps disparaissait dans un coffre ensorcelé. Il glapit, laissa échapper un juron et tenta de lui rendre son coup, ce qui eut pour seul effet de le faire tomber tête la première dans la malle. Emmeline l'attrapa par le pied de justesse et le tira sans douceur jusqu'à ce qu'il émerge enfin, haletant et crachotant.

- Bouge-toi un peu, Ding ! Siffla-t-elle entre ses dents serrées.

- Ce truc est un gouffre sans fond, répliqua-t-il, furieux, comment veux-tu que je trouve ?

Emmeline marmonna une réponse incompréhensible alors que Mondingus Fletcher continuait ses fouilles. Ils avaient essayé un sortilège d'attraction mais cela n'avait pas fonctionné. La malle devait être protégée contre ce genre d'intrusion. Sans les talents de voleur de Ding, ils n'auraient tout simplement pas réussi à l'ouvrir.

La jeune femme jeta un regard inquiet autour d'eux. Ils se trouvaient dans la boutique de Barjow et Beurk, à sa plus grande horreur. Benjy avait créé une diversion dans la rue, mais ils commençaient à être à court de temps. A la suite de la mésaventure de Fabian et du squelette, lorsqu'il était venu chercher le registre des clients de la boutique, ils avaient préféré venir de jour.

Fletcher lança un volume derrière son épaule. L'énorme bouquin poussiéreux s'écrasa avec un bruit sourd près d'un tome à peu près similaire, qu'il avait exhumé de la malle un peu plus tôt.

- On n'a pas le temps d'en chercher d'autres, ces deux-là étaient les titres principaux, conclut-il en se redressant avec une grimace, tout en agitant la liste qu'il avait à la main.

Emmeline hocha la tête, fourra les grimoires dans son sac au fond extensible et désillusionna Ding avant qu'il ne fasse la même chose pour elle. Ils sortirent de la boutique au moment même où Caractacus Beurk passait le seuil de sa porte en grommelant, couvert d'une substance verte et nauséabonde. Emmeline leva les yeux au ciel. Benjy n'était qu'un insupportable gamin.

Le chaos le plus total régnait dans la rue défigurée par la substance qu'avait utilisée Benjy. Une Sorcière qui disait la bonne aventure rassemblait ses cartes souillées en insultant les passants à voix haute tandis qu'un chat traversait dignement la rue, malgré la moitié de son corps teinte en verte. Emmeline et Mondingus quittèrent l'Allée des Embrumes sans se faire repérer. Une fois sur le Chemin de Traverse, ils ne tardèrent pas à réapparaître. A cause de la pluie, les passants étaient encore moins nombreux. Emmeline songea avec amertume que le climat actuel de danger qui régnait sur la Grande Bretagne ne semblait pas le moins du monde gêner les habitués de l'Allée des Embrumes. Le marché noir prospérait, en ces temps où le Ministère avait d'autres chats à fouetter. Les enquêtes de l'Ordre sur les clients de Barjow et Beurk ne semblaient pas avoir affecté les Sorciers de ces recoins obscurs. Peut-être devraient-ils assigner quelqu'un à l'Allée des Embrumes de façon permanente...

Emmeline gloussa toute seule en imaginant Gideon grimée en diseuse de bonne aventure, avec une chouette déplumée sur l'épaule. Fletcher lui jeta un regard méfiant, qu'elle ignora superbement. Elle se fichait éperdument de l'avis d'un tas de guenilles.

- Vous laissez des empreintes vertes derrière vous, les informa une voix derrière eux.

La jeune femme ne prit même pas la peine de se retourner. Ils étaient presque arrivés au Chaudron Baveur.

- A qui la faute ?

- Je parie qu'on voyait vos traces de pas dans l'Allée des Embrumes, fit remarquer Benjy en arrivant à leur hauteur.

- C'est normal, là-bas, grogna Fletcher.

- Tu le sais bien, puisque tu y passes ton temps pour revendre tes larcins, persifla-t-elle.

Ce fut au tour du petit homme de l'ignorer. Alors qu'elle allait continuer à le titiller, une pensée lui vint soudain.

- Ne me dis pas... commença-t-elle, incrédule, alors que Benjy la poussait à l'intérieur du Chaudron Baveur.

- Que quoi ? s'agaça Mondingus en la suivant.

Emmeline se faufila entre quelques tables vides et se laissa tomber sur une chaise au fond de la pièce, là où les membres de l'Ordre avaient l'habitude de s'installer. Ding prit place en face d'elle, méfiant.

- Maugrey t'a demandé de surveiller l'Allée des Embrumes ? Interrogea-t-elle à voix basse.

- T'en auras mis du temps à piger, Vance, marmonna-t-il alors que Tom leur apportait leur consommation habituelle.

Benjy le remercia distraitement, les yeux rivés sur le sac d'Emmeline. La jeune femme fut plus aimable avec le barman, qui lui adressa un grand sourire édenté avant de jeter un regard méfiant à Mondingus. Celui-ci n'en tint pas compte et avala une gorgée de sa bière avec un visage béat.

- Vous les avez trouvés ? Interrogea Benjy une fois que Tom les eut quittés.

- Deux seulement. Pas eu le temps de chercher les autres.

Benjy hocha lentement la tête avant de marmonner :

- Ce qui m'agace le plus c'est qu'on ne sait même pas ce qu'ils veulent faire de ces potions.

Emmeline haussa les épaules. Au début, la nouvelle règle de Maugrey l'avait agacée. Elle détestait se méfier de tout, tout le temps. De plus, devoir trouver Maugrey pour obtenir son ordre de mission était une perte de temps considérable. Les livres qu'ils avaient volés – puisque c'était bien ce dont il s'agissait – étaient destinés à Lily, afin qu'elle puisse réaliser les potions que Caradoc Dearborn lui avait demandées. Dans la mesure où les seuls livres recelant les instructions pour les fabriquer se trouvaient chez Barjow et Beurk, Emmeline n'était pas tout à fait sûre d'avoir envie que l'Ordre utilise ces potions.

Ding siffla sa bière sans sourciller, sous l'œil médusé d'Emmeline. Elle ignorait qu'un si petit homme, et chétif avec ça, pouvait avaler une pinte aussi vite. Il se leva sans chanceler et leur adressa un bref signe de tête.

- C'est pas tout ça, mais j'ai du recel d'objets volés à faire.

Il s'éclipsa sans attendre, leur laissant le soin de régler sa boisson. Emmeline adressa un regard consterné à Benjy.

- Est-ce qu'il est sérieux ?

- Seulement à moitié, d'après moi, répondit Benjy d'un air détaché. C'est marrant, il y a deux groupes dans l'Ordre. Les criminels repentis – ou en partie – et puis... (il sourit) les justiciers.

- Les justiciers ? Vraiment ?

- Regarde les gamins, ils sont tous complètement idéalistes. Ça fait d'eux des justiciers.

- Et moi, tu me ranges dans quelle catégorie ?

- Les justiciers, bien sûr, sourit-il. Préfète-en-chef, tu te rappelles ?

Elle sourit malgré elle.

- Ça fait une éternité.

- Bientôt dix ans. On en a tué des gens, hein, depuis ?

- Oh, Benjy...murmura-t-elle, choquée. C'est faux.

Elle posa une main sur son genou mais il ne réagit pas, les yeux fixés sur son verre.

- Je déteste l'idée qu'on soit tous considéré comme des traîtres potentiels, souffla-t-il tout bas. Je déteste cette guerre, Emmeline, mais je sais qu'on est obligé de la mener.

La jeune femme pressa doucement son genou.

- Allons donner ses livres à Lily, dit-elle doucement. Ce qu'ils font de ces potions n'est pas de notre ressort.

- Tu crois ? Rétorqua-t-il avec morgue, les yeux étincelants.

- On n'a pas le choix. Nous n'avons plus aucune marge de manœuvre, Benjy. Il faut faire ce qu'on nous ordonne, parce qu'on ne peut plus être sûr de personne.

Le bruit de la porte d'entrée qui s'ouvrait coupa Benjy dans sa réponse. Les deux jeunes gens tournèrent par réflexe leur regard vers l'entrée. Un homme parlait à Tom, tout en gardant la porte ouverte. Le soleil entrait à flot dans la sombre taverne. Benjy soupira profondément.

- J'adorais le printemps, avant. Comme tout le monde j'imagine. Mais cette fois, on a vécu un hiver abominable sans même avoir la joie de se dire que tout ça est derrière nous parce que ça ne va faire qu'empirer.

Emmeline fut bien obligée d'acquiescer. Il y avait eu la bataille d'Inverness, l'amputation de Maugrey, la mort d'Amanda, celle de Sally, la trahison d'Ethel.... Sans compter les blessures que tous les membres de l'Ordre avaient subies et dont certains souffraient encore.

- Il y a les bébés, trouva-t-elle finalement à répondre.

Cette remarque arracha un sourire à Benjy.

- Lily aussi t'a obligée à venir sentir le bébé ?

- Oui, rit-elle avec un léger pincement au cœur.

A vingt-six ans, Emmeline commençait elle aussi à avoir des rêves de maternité. Malheureusement l'heure n'était pas, pour elle, à ce genre de considération.

- Tu crois qu'ils vont rester dans l'Ordre, après la naissance du bébé ? Interrogea-t-elle.

- Je pense. Potter ne partirait pas comme ça.

Elle hocha la tête, songeuse. Lily, son gros ventre et ses excentricités de femme enceinte allégeaient considérablement l'ambiance du QG. Elle avait du mal, après plus de deux mois de sa présence constante, à imaginer les lieux sans elle.

- Allons-y, répéta-t-elle. Je suis sûre qu'il y a tout un tas d'autres missions à nous confier.

Benjy grommela quelque chose à propos du fait qu'ils allaient devoir traquer Maugrey avant de se lever et de laisser quelques pièces sur la table. Il vitupéra un peu plus contre Mondingus et ses manies de pique-assiette avant de glisser le bras d'Emmeline sous le sien. Elle sourit et ils quittèrent la taverne, non pas de meilleure humeur, mais plus déterminés.

***

Lily, assise sur son lit, grommela. Mettre ses chaussures devenait de plus en plus difficile alors qu'elle terminait son sixième mois de grossesse. Cependant elle ne pouvait pas décemment se rendre au Bureau des Aurors pieds-nus – mettre des chaussettes étant également une épreuve. Elle termina finalement de nouer ses lacets et se redressa, le dos douloureux. Elle aimait être enceinte, vraiment. Elle aimait ce lien avec son bébé, elle aimait le sentir bouger, lui parler, elle aimait même son allure de femme enceinte. Mais certaines choses étaient tout de même hautement désagréables.

Elle prit une profonde inspiration, s'appuya des deux mains sur le matelas et exerça une pression pour se relever. Elle chancela un peu, se retint au pilier du baldaquin puis se stabilisa finalement. Elle n'osait même pas imaginer l'effort qu'elle allait devoir fournir pour sortir d'une chaise lorsqu'elle en serait à neuf mois de grossesse.

Malgré tous ces inconvénients, elle se réjouissait de sa sortie. Elle n'avait pas quitté les environs du QG depuis sa sortie shopping avec James. Cette fois-ci, elle allait voir Maugrey. Elle devait absolument lui parler de l'utilisation des potions de Caradoc. Un rapide coup d'oeil dans les grimoires qu'Emmeline et Benjy lui avaient apporté lui avait suffi pour comprendre qu'il ne pouvait résulter rien de bon de ces potions.

La jeune femme rajusta les pans de sa robe avec un sourire satisfait tout en quittant sa chambre. Personne au Ministère n'irait s'imaginer qu'elle travaillait pour l'Ordre en voyant débarquer une femme enceinte vêtue de vêtements moldus. Maugrey, qui exigeait non seulement que les membres de l'Ordre viennent le voir en personne mais soient discrets, ne pourrait que s'en estimer satisfait. Quant à elle, elle se réjouissait encore de ne plus être habillée comme un sac à patate. Elle sourit en pensant à leur expédition shopping, tout en descendant prudemment l'escalier – ce qui n'avait rien d'évident dans la mesure où ses pieds étaient de moins en moins visibles. Dans un magasin, alors qu'elle regardait des robes d'été, James s'était éloigné pour contempler des vêtements de bébé. Elle s'était approchée sans bruit et l'avait trouvé devant des pyjamas pour nouveau-nés, une expression qu'elle ne lui connaissait pas sur le visage. Ce n'était pas le jeune homme facétieux, ni le combattant sérieux, pas plus que le mari aimant. C'était le père, qui réalisait enfin quel être minuscule et sans défense il allait accueillir. Il avait souri sans la regarder. Puis, presque timidement, il avait demandé s'ils pouvaient déjà choisir des vêtements pour le bébé. Ils avaient fait des folies ce jour-là, achetant de quoi vêtir cet enfant jusqu'à son premier anniversaire, qu'il s'agisse d'une fille ou d'un garçon. De toute façon, ils comptaient bien avoir d'autres enfants. Lily sourit toute seule, juste avant de transplaner. Une tripotée d'enfants.

Le Bureau des Aurors assista à une scène inédite lorsque Lily fit son entrée, tel un bateau toutes voiles dehors, avec son ventre en avant et sa robe d'été jaune soleil – peu lui importait qu'on ne soit qu'au tout début du mois de mai, l'hiver avait duré bien assez longtemps comme ça. Un jeune Aurors gringalet, sans doute fraîchement sorti de l'Académie, se précipita pour lui proposer son aide. Elle demanda donc à voir Maugrey, au plus grand étonnement du jeune Auror. Les rares visiteurs au Bureau cherchaient en général à tout prix à l'éviter.

Au même instant, la porte du bureau de Maugrey claqua contre le mur. Lily adressa un grand sourire au propriétaire des lieux, qui la dévisagea en échange pendant quelques secondes, apparemment incapable de la remettre. Lorsqu'enfin la lumière se fut faite dans son esprit, sa bouche se tordit de manière peu avenante.

- Mrs. ... Porter, salua-t-il lentement. Je vous attendais.

Il pivota sur ses talons et regagna la pièce qu'il venait de quitter, suivi de Lily. La jeune femme se laissa tomber sur le fauteuil en cuir avec un soupir soulagé alors que Maugrey s'asseyait en face d'elle. Il hésitait visiblement entre la colère et la perplexité.

- On peut savoir ce que tu fais là ?

- J'ai reçu les grimoires, répondit-elle en perdant aussitôt sa bonne humeur. Il est hors de question que je fasse ces potions.

- Oh si, tu vas les faire, rétorqua-t-il d'un ton calme.

Elle croisa les bras sur son ventre, agacée.

- Pourquoi en avez-vous besoin ?

Maugrey soupira profondément avant de se pincer l'arête du nez.

- Je vais te le dire parce que je ne sais que tu ne les feras pas sinon, mais tu ne dois en toucher mot à personne. Seuls Caradoc et Dorcas sont au courant. Il y a une prise d'otages en cours à Glasgow. Une famille de Sang-mêlés, dont l'une des filles a servi au Bureau Des Aurors. Elle est morte pendant la bataille d'Inverness, mais pas sans emmener quelques partisans de Voldemort avec elle. Les otages sont ses deux jeunes frères, sa petite sœur et sa mère. Son père travaille ici, au département des Mystères. On l'a laissé faire la négociation parce qu'on savait qu'il ne perdrait pas son calme... tout ce qu'il a obtenu c'est cette liste de potions. Apparemment ils n'ont personne d'assez bons pour la réaliser chez eux et ce marchandage est le seul moyen qu'ils ont trouvé pour les obtenir.

Lily écouta tout son discours en silence, blême. Elle oubliait souvent que le Bureau des Aurors avait ses propres batailles à mener. Bien sûr, dans ces conditions, elle réaliserait les potions. Elle se doutait bien que les Aurors avaient déjà dû essayer ce qu'ils pouvaient pour libérer les otages. Si Maugrey le lui demandait, alors c'est qu'il n'avait pas le choix. Pourtant, quelque chose la perturbait : s'il y avait bien un Sorcier en Grande Bretagne capable de réaliser ces potions, c'était Severus Rogue. Pourquoi ne le faisait-il pas ?

- Je suis la seule à essayer ? Interrogea-t-elle d'une voix légèrement tremblante.

- Non. Dearborn a ses deux meilleurs préparateurs sur le coup. Fenwick a dupliqué les grimoires pour eux.

- Les ravisseurs ont imposé une limite de temps ?

Maugrey tenta de lisser le pli soucieux creusé entre ses yeux mais n'y parvint pas.

- Un mois et trois jours. C'est le temps exact qu'il faut préparer la plus longue des potions. Caradoc s'y est mis le jour même alors qu'il n'avait pas les instructions nécessaires.

La jeune femme put lire toute l'admiration de Maugrey pour Caradoc Dearborn derrière cette phrase, fait suffisamment incroyable pour être noté. Bien que, à la réflexion, Maugrey ne soit pas du genre à se considérer comme le seul Sorcier génial de son époque. Il suffisait de voir les missions qu'il confiait à l'Ordre : il les en croyait tous capables. Seulement, il n'exprimait jamais ses sentiments. Si c'était le cas, elle était à peu près certaine qu'il lui aurait dit que Caradoc était un génie. Un satané génie, capable de préparer une potion dont il avait sans doute uniquement entendu parler. Malgré l'urgence de la situation, Lily ne put s'empêcher d'espérer atteindre un jour ce niveau, même si elle savait que c'était hautement improbable. D'après ses observations, on naissait génie. On ne le devenait pas.

Ces considérations, qui ne durèrent que quelques secondes, lui remirent Severus en tête. Elle confia ses interrogations à Maugrey qui l'écouta attentivement, les sourcils froncés.

- Informations intéressantes en effet, murmura-t-il. Maintenant Potter, si tu veux bien m'excuser ... on a obtenu un délai supplémentaire de deux semaines, le temps de trouver les grimoires que tu viens de recevoir, mais le temps est compté.

- A ce propos, une dernière question. Pourquoi a-t-on volé les grimoires chez Barjow et Beurk au lieu de les demander aux Mangemorts ?

- Parce qu'on ne travaille pas avec eux, Evans !

Son éclat de voix la fit sursauter. Son expression soucieuse avait fondu en l'espace d'une seconde pour se changer en un masque furieux.

- On a peut-être été obligé de marchander mais nous ne travaillons pas avec eux, gronda-t-il. D'abord par principe, ensuite parce que si ça venait à s'apprendre, la presse nous enterrerait tous six pieds sous terre. Métaphoriquement parlant. Maintenant, hors de ma vue.

La jeune femme quitta la pièce sans demander son reste, bien loin d'être plus tranquille que lorsqu'elle y était entrée. Le jeune Auror qui l'avait accueillie lui souhaita une bonne journée mais elle ne parvint qu'à lui sourire faiblement.

***

Martin, assis seul dans la salle de réunion du QG, fixait le tableau posé contre le mur. Des noms de Mangemorts ou de partisans en couvraient la surface, reliés par des ramifications compliquées. Quelques patronymes entourés désignaient les chefs de réseaux. Lestrange était l'un d'entre eux. Remus avait permis d'identifier Sven Hansen, le frère d'Ethel. Malheureusement, ils n'avaient pas la moindre idée de qui étaient exactement toutes les personnes présentes au QG des Mangemorts. Une seule chose était sûre : ils n'étaient que de la chair à canon.

Le jeune homme plissa les yeux en lisant « Jugson ??? ». Son nom errait quelque part entre le réseau de Rabastan Lestrange et celui de son frère, Rodolphus. A sa connaissance, aucun membre de l'Ordre n'avait encore eu affaire à ce dernier personnellement mais Sirius avait donné son nom.

Martin posa le doigt sur le nom de Rabastan avant de suivre les ramifications qui en partaient. Il lut « Severus Rogue » et fronça les sourcils. Il ne s'était jamais penché sur la question auparavant, mais ils étaient à peu près certains que la bande d'amis de Rogue à Poudlard faisait partie des Mangemorts. Il saisit donc le crayon qui traînait toujours près du tableau et, dans un coin libre, écrivit « Rosier » et « Wilkes ».

Il recula d'un pas tout en mâchouillant le crayon sans y penser. L'Ordre continuait à rassembler le plus de noms possibles mais l'image finale était loin d'être satisfaisante. Martin n'avait pas l'impression d'être plus avancé. Il cessa de manger le stylo pour le faire tourner nerveusement entre ses doigts. Ces questions d'identité étaient sensibles pour Martin. Il savait, d'après le récit de Remus, que le Mangemort qui avait tué Anne était masqué. Il aurait donné n'importe quoi pour pouvoir apercevoir le visage sous le masque, pouvoir y attribuer un nom... Donner un os à ronger à son besoin de vengeance.

Le crayon lui échappa et s'écrasa au sol avec un claquement sec. Martin sursauta légèrement et s'aperçut qu'il avait les épaules et la mâchoire douloureusement crispées. Anne avait été tuée un peu moins de trois mois auparavant, et la douleur était toujours aussi intense. Il avait pensé un temps que la mort d'Ethel lui permettrait d'en parler avec Sirius, mais ce dernier n'évoquait jamais Ethel et se fermait dès que son nom était prononcé. Sally avait été d'une grande aide, mais il l'avait également perdue.

Il battit des paupières pour tenter de chasser de ses yeux les larmes qui s'y accumulaient, mais l'une d'elles glissa tout de même sur sa joue. Il la chassa d'un revers de main. Il devait se remettre... Seul. Le seul moyen auquel il pensait pour y parvenir était la vengeance.

Il rejeta la tête en arrière alors que plus de larmes dégringolaient le long de ses joues, glissaient sur son nez en laissant un goût de sel sur ses lèvres. Les crises survenaient moins souvent qu'avant. Il ne s'effondrait plus au beau milieu de missions, ne quittait plus précipitamment le salon du QG pour aller cacher sa détresse dans sa chambre. Mais lorsqu'elles le prenaient, elles étaient toujours aussi violentes. Colère et peine se nourrissaient l'une de l'autre pour le noyer sous un mélange de larmes de frustration et de détresse. Il se perdait en lui-même, quelque part entre les souvenirs d'Anne et ses rêves de vengeance.

Il se laissa finalement tomber au sol, le visage caché contre ses genoux. Des sanglots douloureux le secouaient, incontrôlables. Il entendit à peine la porte s'ouvrir. Quelques secondes plus tard, quelqu'un murmura derrière lui « Oh, Martin... ». Il voulut chasser l'intrus, mais ne réussit qu'à lever vers celui-ci un visage couvert de larmes. Malgré sa vision trouble, il reconnut Margaret. La jeune femme était si discrète qu'il la connaissait mal. Malgré tout, elle s'agenouilla devant lui et le prit dans ses bras. Elle glissa une main dans ses cheveux et posa sa joue contre sa tempe avant de murmurer :

- Un jour, ça ira mieux. Je te le promets.

Il aurait voulu protester, secouer la tête, mais la partie de lui qui avait désespérément besoin de réconfort enroula ses bras autour de Margaret et se laissa aller.

Lorsque ses larmes se calmèrent enfin, il avait mal à la tête et l'esprit complètement vide. Margaret s'écarta un peu et lui adressa un faible sourire. Elle était pâle et avait les yeux rouges.

- Je suis désolée, dit-elle contre toute attente. Je sais qu'il n'y a rien de pire que t'entendre des gens t'assurer qu'un jour tu cesseras de souffrir, surtout quand ils n'ont pas la moindre idée de ce que tu ressens.

Incapable de trouver quoi répondre à cela, Martin secoua la tête. Il n'avait pas vraiment prêté attention aux paroles de Margaret, trop perdu dans la vague de détresse qui l'avait submergé. Il finit par balbutier un remerciement qui fit un peu rougir la jeune femme.

- J'avais aussi besoin d'une bonne occasion de pleurer, confia-t-elle.

Si Martin avait été moins épuisé physiquement et émotionnellement, il l'aurait poussée à parler. Mais ce soir-là, il n'en avait pas la force. Il se contenta donc de se relever, puis lui tendit la main pour l'aider à faire de même.

- Qu'est-ce que tu faisais là, tout seul ? Interrogea-t-elle alors qu'ils quittaient la pièce.

Martin jeta un dernier regard au tableau. Sa crise de larmes passée, il avait l'impression de n'être plus qu'une coquille vide, qui ne ressentait ni peine ni douleur – sentiment qui, malheureusement, ne durerait pas. Cependant, au fond de lui, le désir de vengeance s'agitait toujours. Ses yeux parcoururent rapidement les noms griffonnés sur la surface blanche avec le désir d'y trouver, en lettres de feu, le nom de celui qui avait tué Anne.

- Rien d'intéressant, murmura-t-il avant de refermer la porte.

***

Severus Rogue jeta un coup d'oeil désintéressé à la scène qui se déroulait devant ses yeux avant de se concentrer à nouveau sur son grimoire. Un cri de douleur retentit et il grimaça. Ne pouvait-il pas faire ça proprement ?

- Rogue !

Il leva les yeux vers Berthold Wilkes, un être patibulaire à qui il manquait trois dents depuis que nul autre que Benjy Fenwick lui avait donné un coup de pied en plein visage. Pour une raison obscure, il n'avait pas fait combler le trou. D'après ce que Severus avait compris, il gardait son sourire édenté pour alimenter son désir de vengeance envers Fenwick.

Pour l'heure, ce fameux sourire était joyeux, alors que le cadavre d'un moldu sans abri se vidait de son sang à cinq mètres d'eux. Wilkes désigna un groupe qui venait d'arriver en discutant joyeusement, malgré les lourds sacs qu'ils portaient tous. Severus referma son grimoire, les lèvres pincées.

Ils se trouvaient au bord d'une petite rivière qui traversait le Yorkshire, aux alentours d'un vieux pont de pierre uniquement utilisé par les quelques habitants du village le plus proche. Les bords de la rivière verdoyaient grâce à la température plus que clémente de ce printemps anglais. Cependant le cours d'eau était une petite chose malingre à la couleur glauque, que même le soleil ne parvenait pas à rendre fascinant. Les villageois avaient l'habitude de l'homme qui vivait sous ce pont, avec son vieux matelas et son barbecue en piteux état. Severus baissa les yeux vers le cadavre ensanglanté abandonné un peu plus loin par Wilkes. Le vieux pont n'accueillait plus personne.

Les nouveaux arrivants déposèrent les sacs auprès du corps, tout en plaisantant à qui mieux mieux. Quelques visages étaient familiers à Severus, mais il n'y avait aucune personne d'importance. Il était en charge, ce jour-là. Aucun Lestrange, Black ou Macnair pour lui donner des ordres. Il caressa machinalement la Marque des Ténèbres sur son bras avant de se relever.

- Bienvenue à tous ! Lança-t-il d'un ton froid qui démentait ses paroles. Merci pour vos... Offrandes.

Il jeta un regard vaguement dégoûté aux sacs posés au sol. Chacun d'entre eux contenait un cadavre – ceux de Moldus insignifiants, de poids mort pour la société. Faire disparaître des personnes de plus grandes importances aurait certes fait sensation, mais Voldemort ne voulait pas se révéler trop vite au grand public. Le temps viendrait mais avant cela, le Ministère devait tomber.

- Cette expérience a été tentée en France il y a quelques temps, avec succès, reprit-il.

Il en savait quelque chose, puisqu'il était là-bas.

- Maintenant que nous savons pouvoir réussir du premier coup sans être inquiétés entre temps par les Aurors, il est temps de faire sortir du tombeau la deuxième armée de notre maître !

Il y eut des exclamations joyeuses et quelqu'un fit apparaître la Marque des Ténèbres dans le ciel. Severus grogna. L'attention du Bureau des Aurors allait tout de suite être attirée. Cependant, après un an et demi d'étude et quelques mois de pratique, il était capable de créer un Inferi en seulement quelques minutes. Il fallait un peu plus de temps aux autres, mais peu importait. Une petite altercation avec le Bureau ou l'Ordre n'était jamais une mauvaise chose.

Il sourit tout en retroussant ses manches et en se dirigeant vers le cadavre tout frais dû à Wilkes. L'Ordre était à bout de souffle, il en était sûr. Aucune de leurs misérables tactiques ne fonctionnaient. Au contraire, chaque coup des Mangemorts était un succès – parfois mitigé, mais un succès quand même. La seule véritable défaite qu'ils avaient essuyé récemment était l'élection de Bagnold, qui semblait bien plus déterminée que ne l'avait jamais été Minchum. Ils avaient essayé de placer leur propre pion à la tête du Ministère mais avaient échoué. Ils auraient donc recours à la manière forte, tôt ou tard.

Les pensées de Severus cessèrent de vagabonder alors qu'il pointait sa baguette vers le cadavre. Alors qu'il murmurait les mots de pouvoir, l'aspect de l'homme changea. Sa peau devint d'une blancheur de marbre, sa chair sembla s'évaporer, ses cheveux et sa barbe tombèrent. Il ouvrit brusquement les yeux alors que la magie évoluait toujours en volutes brumeuses autour de lui. Ses pupilles étaient d'un bleu presque blanc. Il fallut encore quelques instants avant qu'il ne se redresse avec des gestes saccadés et se plante devant Severus, immobile. Il attendait ses ordres.

Satisfait, le jeune homme baissa sa baguette. Autour de lui, ses camarades s'étaient également attelés à la tâche. Le sourire de Severus s'agrandit. Toute sa vie il avait été un suiveur, mais il adorait être à la tête d'un groupe. Il savait qu'il commençait à se faire une réputation au sein des Mangemorts et se délectait de cette idée. Voldemort lui adressait à présent personnellement la parole, alors qu'auparavant tout ce qu'il souhaitait lui communiquer passait par Bellatrix ou Rabastan. Lui, Severus Rogue, commençait à devenir quelqu'un.

Alors que d'autres Inferis se levaient autour de lui, un « BANG » sonore lui indiqua que quelqu'un avait remarqué leurs activités illégales. Il aperçut la cape noire d'un Auror qui chargeait sur le groupe, baguette au clair. Wilkes poussa un cri de joie et se jeta sur lui. Severus ne s'attarda pas plus : une escarmouche était peut-être toujours la bienvenue mais il n'avait pas envie de se battre. Ses sbires s'en chargeraient pour lui.

Il transplana donc sans demander son reste et apparut à l'extérieur du manoir Lestrange, une belle bâtisse en pierres perdue dans la campagne. Il entra sans faire de manière et gagna la bibliothèque, où se tenaient toujours les réunions importantes. C'était dans cette même bibliothèque qu'il avait joué aux échecs avec Rabastan avant l'attaque à Pré-au-Lard. Severus avait appris quelques semaines plus tôt que la fille qu'il avait tuée était Anne Shirley, la copine de longue date de cet insupportable Martin Ranger. Il se fichait éperdument de l'un comme de l'autre, mais avoir atteint indirectement un membre de l'Ordre était une victoire. Depuis qu'il avait appris cela, il attendait impatiemment une confrontation avec Ranger.

La bibliothèque, pièce agréable garnie d'une multitude de plantes vertes, abritait pour l'heure trois personnes très agacées. Rodolphus Lestrange, Corban Yaxley et Tobie Silas se fixaient d'un air mauvais. A en juger par leur disposition autour de la table en ébène, Silas était seul contre les deux autres.

Ils tournèrent tous la tête vers Severus lorsqu'il entra. Lestrange pinça les lèvres avant de demander :

- Alors ?

- Pas de problème. Un Auror a débarqué – ou peut-être d'autres. Je les ai laissés. Rien de préoccupant.

Lestrange le fixa un peu plus avant de reporter son attention sur Silas, un jeune homme au teint pâle et aux cheveux noirs, qui n'avait rien de remarquable. Severus ne put que se réjouir de son changement de cible : Rodolphus n'avait pas l'attitude nonchalante de son frère et son regard n'était jamais rien d'autre que dur.

- Cette situation doit cesser, tonna-t-il à l'encontre de Silas.

- La famille Prim doit payer ! Rugit ce dernier. Mon frère ...

- Je me contrefous de ton frère ! Cette prise d'otages n'a aucun sens !

La lumière se fit dans l'esprit de Severus. Quelques semaines plutôt, Silas et quelques comparses avaient, de leur propre initiative, pris la famille Prim en otage. D'après ce qu'il avait compris, ils cherchaient autant la vengeance que la reconnaissance. Ils avaient entendu dire que Voldemort souhaitait voir réaliser quelques potions pratiquement infaisables et s'étaient dit que c'était l'occasion de faire d'une pierre deux coups. Il était de notoriété publique que Caradoc Dearborn était probablement le meilleur préparateur de potions de leur époque. Severus pinça les lèvres à cette pensée : personne ne s'était jamais soucié de son propre talent. Si Silas et ses acolytes ne s'étaient pas précipités dans cette stupide aventure, il aurait essayé.

- Si l'Ordre arrive à réaliser les potions..., commença Silas avant d'être interrompu une nouvelle fois, cette fois par Yaxley.

- Si l'Ordre y arrive, ta tête sera sans doute sauvée. Sinon, tu peux être sûr que dès que le délai imposé à Maugrey expirera, le Maître réclamera ta tête. Il ne l'a pas déjà fait au cas où cette stupide manœuvre fonctionnerait. En attendant, il est hors de question que les Prim soient molestés, tu m'entends ? L'obtention de ces potions est la seule chose qui compte, et si la famille est dans un trop mauvais état ils n'accepteront jamais de faire l'échange.

Sa voix froide et sèche fit frissonner Seveurs, qui s'était assis dans un fauteuil confortable, un livre de potions entre les mains. Il l'avait ouvert à une page au hasard et n'en avait pas lu un mot depuis.

Il y eut un silence tendu, puis Silas finit par capituler, avant de marmonner quelque chose que Severus n'entendit pas. Seule la réponse de Rodolphus lui parvint :

- LUI RENDRE SON ORTEIL ?

- Il nous provoquait !

- Bon sang, espèce de ...

Il y eut un bruit d'explosion, un flash de lumière puis le son d'un corps qui s'écrase au sol. Severus se retourna vivement. Rodolphus, sa baguette toujours tendue, fixait le corps inerte de Silas. Il respirait trop fort, en proie à la colère. Yaxley, sans se départir de son flegme habituel, marcha jusqu'à l'homme étendu au sol. Il l'attrapa par le col de sa robe et le gifla violemment. Ses paupières papillonnèrent alors qu'il gémissait faiblement. Du sang s'écoulait de l'arrière de son crâne et tachait le parquet parfaitement ciré.

- Donne lui l'un de tes orteils s'il le faut, mais ne gâche pas la situation encore plus que tu ne l'as déjà fait. Le Maître n'a nullement besoin d'imbécile dans ton genre, mais puisqu'il faut faire avec... Rentre à Glasgow et essaie de sauver la situation.

Il le lâcha et la tête de Silas retomba lourdement au sol. Il poussa un cri de douleur auquel personne ne prêta attention. Severus reporta son attention sur son livre alors que Rodolphus quittait la pièce à grands pas. Yaxley se posta près de la baie vitrée et ne bougea plus jusqu'à ce que Silas titube hors de la bibliothèque. Lorsqu'il eut quitté le manoir, Yaxley sortit à son tour. Resté seul, Severus referma doucement son livre, perdu dans ses pensées. Les partisans de Voldemort étaient de plus en plus nombreux, mais guère plus organisés. Les fauteurs de troubles comme Silas ne cherchaient pas à atteindre l'idéal de Voldemort, seulement à faire du grabuge. Une telle attitude était dangereuse pour leur entreprise.

Il ferma les yeux et, pour se rassurer, songea àtous les Inferis qu'ils allaient bientôt avoir à leur côté. Eux, au moins, neréfléchissaient pas. L'impulsivité humaine était véritablement une plaie. Laraison, froide et calculatrice, les ferait gagner. Pas les sentiments.

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