Partie III - Chapitre 63
Chapitre 63
Le café dans lequel Marlène et Sturgis Podmore se trouvaient, au croisement entre la rue Bonaparte et le Boulevard St-Germain, n'accueillait pas n'importe qui. Marlène pouvait en juger au prix de la tasse de café, qui dépassait tout ce qu'elle avait jamais pu observer. C'était un établissement typique, avec de grands miroirs, des petites tables en bois patiné et des chaises tout aussi vieilles et passablement inconfortables. Des serveurs en gilet rouge et tablier blanc évoluaient entre les clients avec la grâce de l'habitude. Aucun plateau ne vacillait malgré leur valse incessante ; sans doute fallait-il éviter de renverser une goutte du précieux café hors de prix. Des jeunes gens riaient fort en terrasse pendant que des retraités s'échinaient sur les mots croisés du Figaro, leurs lunettes posées sur le bout du nez.
Marlène sourit, sa tasse appuyée contre ses lèvres pour en cacher les coins qui se relevaient. Sturgis aurait sans doute cru qu'elle se moquait de lui. Le pauvre homme, ses cheveux fins et de plus en plus rares plaqués en arrière pur cacher sa calvitie naissante, jetait autour de lui des regards méfiants tout en marmonnant des imprécations en anglais contre leurs voisins d'outre-Manche. Après avoir entendu mentionner Austerlitz puis Waterloo, Marlène ne put plus se retenir :
- Aurais-tu par hasard pris part aux guerres contre Napoléon ?
Il se redressa, pointa le menton en l'air et annonça fièrement :
- L'un de mes aïeuls est le petit-cousin du Duc de Wellington. La haine anti-Français coule dans mes veines aussi sûrement que la magie.
- Ne me dis pas que le Duc de Wellington était un Sorcier, pouffa-t-elle.
- Non, mais son petit cousin l'était.
- Comme quoi, commenta-t-elle, nous sommes bien plus liés à l'histoire moldue que d'aucun aime à le penser.
- Evidemment, acquiesça Sturgis, que cette conversation semblait avoir détourné de son objectif, à savoir insulter tout bas la France entière. Regarde, les Potter : leur disgrâce vient du rôle qu'ils ont joué dans la Première Guerre mondiale.
- J'avais oublié. Un Potter souhaitait venir en aide aux Moldus, c'est bien ça ?
- Henry Potter, confirma-t-il. Il s'en est pris directement au Ministre de l'époque.
- On devrait faire un cours d'histoire moldue et sorcière, à Poudlard, lança Marlène. Ça éviterait peut-être ce genre de désastre.
- Quoi, les onze années de guerre dans laquelle nous nous sommes enlisés ? Releva Sturgis avec un rire sardonique.
Marlène ne répondit pas, son attention attirée par un homme bien vêtu qui venait de disparaître par une petite porte, dissimulée derrière un rideau.
- Je crois qu'on a notre cible, souffla-t-elle.
Sturgis cessa aussitôt de marmonna contre Voldemort et les Français – la même engeance, apparemment – et posa délicatement sa tasse, sans prendre le risque de tourner la tête vers l'endroit que Marlène regardait.
- Mais encore ?
- Petite quarantaine, bien mis, a disparu sans raison alors qu'il lisait le journal.
- On le suit ?
- J'y vais. Tu veux bien provoquer un esclandre pour faire diversion ?
- Pourquoi moi ? Râla-t-il. Je suis toujours celui qui se ridiculise.
- Parce que ce n'est pas très galant de laisser une jolie femme faire ce genre de choses, expliqua Marlène avec un charmant sourire.
- Ne joue pas à la midinette avec moi. Je suis sûr que tu as une dague cachée sous ta jupe.
Le sourire de la jeune femme s'agrandit mais elle lui pinça légèrement le dessus de la main.
- On n'a pas de temps à perdre, Podmore. Exécution ! Rejoins-moi après.
Avec un profond soupir, Sturgis attrapa sa tasse encore à demi-pleine et se leva, comme s'il souhaitait profiter du soleil de mars qui dardait ses feux sur les devants du café. Alors qu'il se dirigeait vers la sortie, il se prit les pieds dans la chaise d'une honorable vieille dame et s'écroula dans son giron, jetant par la même occasion le contenu de sa tasse sur le mari. L'agitation commençant à attirer l'attention des serveurs, Marlène se leva et commença à gagner la porte dissimulée. Dans la salle, de nouveaux hurlements retentir alors que Podmore, dans une vaine tentative pour se relever, faisait s'écraser la table par terre.
Marlène se glissa derrière le rideau juste à temps pour ne pas être repérée par le personnel qui sortait de la cuisine. Le cœur battant, elle tâtonna pour trouver la poignée et la tourna sans difficulté. De l'autre côté s'étendait un couloir faiblement éclairé. Une porte, sur sa droite, portait l'inscription « Cuisine ». En face se trouvait le local à poubelles. Le couloir se terminait par une autre porte, que Marlène poussa avec précaution. Elle déboucha dans une petite cour bien entretenue, qui devait sans doute servir aux livraisons. Aucune trace de l'homme qu'elle avait vu passer par là. Elle maudit intérieurement Sturgis et ses bavardages tout en observant attentivement autour d'elle. Après s'être assurée qu'elle était seule, elle tira sa baguette de sa manche et la promena contre les murs de brique, à la recherche d'un passage dissimulé.
Après quelques minutes de recherche, elle dut se rendre à l'évidence : elle ne retrouverait pas la trace de l'homme.
Agacée, elle sortit dans la petite rue qui longeait l'arrière du café. Sturgis et elle étaient en France depuis trois jours, dans l'espoir de continuer à remonter l'un des réseaux des partisans de Voldemort. L'Ordre, en enquêtant en Angleterre, s'était vite aperçu que les ramifications de plusieurs réseaux s'étendaient à l'étranger. La France était le pays le plus proche et le moins dangereux, aussi Maugrey avait-il accepté d'envoyer des membres de l'Ordre. En revanche, certaines liaisons les menaient jusqu'en Europe de l'Est et du Nord. Face à l'ampleur présumée de ce réseau-ci, il avait préféré envoyer ses meilleurs Aurors.
Marlène fit le tour du bâtiment pour regagner le Boulevard St-Germain, où les voitures et autobus se disputaient la chaussée à coup de klaxon. Elle tomba nez-à-nez avec Sturgis, qui lui adressa un regard mauvais.
- J'espère que mon humiliation a servi à quelque chose.
- Non, répondit Marlène plus sèchement qu'elle ne le voulait. Notre homme a disparu.
- Oh, Merlin, grommela-t-il. Quelle est la suite du plan ?
La jeune femme, l'esprit en ébullition, ne voulait pas encore donner de réponse. Ils avaient plusieurs pistes quant à la présence de partisans en France, mais celle qu'ils venaient de rater était la plus sûre. Il était fort probable que les autres renseignements ne les mènent à rien, tout en les obligeant à se rendre à Dunkerque.
- Viens, allons faire un tour.
Elle fit volte-face et s'engagea à nouveau dans la petite rue qui passait derrière le café. Les yeux fixés sur ses pieds, elle réfléchissait, tout en se dirigeant machinalement en direction de la Seine.
- Qu'est-ce que tu dirais de prendre un petit goûter à quatre heures ? Lança soudain Sturgis.
- On vient de prendre un café, marmonna-t-elle.
- Mais la réunion est à huit heures, ajouta-t-il comme s'il ne l'écoutait pas. Il y aura quoi, trois ou quatre personnes ? Je déteste ces types, tous tête-en-l'air.
Marlène tiqua au dernier mot, que Sturgis avec articulé exagérément. Elle leva les yeux de ses chaussures pour le regarder mais dut tourner la tête car il se tenait trois pas en arrière. Ce faisant, elle aperçut du coin de l'oeil une silhouette qui se déplaçait sur les toits, vingt-cinq mètres au-dessus d'eux. Elle ouvrit la bouche mais un regard insistant de Sturgis réussit à la faire taire. Elle reprit donc sa route comme si de rien n'était, tout en rejouant dans son esprit ce que son collègue venait de lui dire.
Il avait donc repéré trois ou quatre personnes qui les suivaient, de chaque côté de la rue. Une haute silhouette se détacha soudain devant eux. Marlène reconnut aussitôt l'homme du café. Il marchait à grands pas, sans regarder en arrière, mais elle était sûre qu'il avait conscience d'être suivi.
- Prêt à te jeter dans la gueule du loup ? Interrogea-t-elle calmement.
Sturgis l'avait rattrapée. Il haussa les épaules.
- A-t-on le choix ?
- On est en sacrée infériorité numérique. Et ils savent probablement qu'on les a repérés.
- Tu crois qu'ils étaient prévenus de notre venue ?
- Pas impossible.
Podmore lâcha un juron en français, aussi tonitruant que possible. Cela arracha un sourire à Marlène. Ils suivirent l'homme dans un dédale de petites rues puis s'engagèrent dans ce qui ressemblait à une impasse.
- Plus personne derrière, chuchota Sturgis.
La jeune femme hocha la tête. Ils avaient dû redescendre pour les prendre à revers. Devant eux, l'homme ralentit. Marlène saisit le bout de sa baguette tandis que Sturgis défaisait l'attache de sa cape pour s'en débarrasser. Elle entendit le vêtement tomber au sol au moment où leur guide se retournait.
***
Un maléfice fila vers eux en sifflant. Ils s'aplatirent au sol dans un même mouvement, mais Sturgis eut la présence d'esprit de rouler sur le dos pour couvrir leurs arrières. Cependant, son bouclier ne put rien contre le couteau qui visait sa tête. Avec un cri de surprise, il se baissa juste à temps.
- Qu'est-ce que c'est que ce bordel, vociféra-t-il. Je savais bien que les Français n'étaient pas des gens civilisés !
Il envoya valser plus loin l'homme aux couteaux avant qu'il n'ait pu en sortir un nouveau, mais son acolyte semblait versé dans le même genre de style de combat. Ils devaient d'ailleurs être jumeaux, tous deux grands, bruns et équipés de tout un arsenal d'armes blanches. En retrait se tenaient deux femmes, une petite à l'air venimeux et une blonde pulpeuse qui observait le combat avec intérêt.
Sturgis s'empressa de s'en prendre au jumeau restant, mais celui-ci fut plus rapide : alors que le Sorcier finissait son incantation, un poignard vint se ficher dans son épaule. Il poussa un hurlement de douleur avant d'arracher le couteau d'un geste brusque. Des flots de sang jaillirent de la blessure, mais il ne s'en soucia pas. Furieux, la vision rendue trouble par la douleur, il tenta de reprendre pied dans le combat.
Son adversaire gisait au sol ; son attaque magique avait donc dû atteindre sa cible. La blonde prit alors sa place et s'en prit à lui sans perdre de temps. Il sauta de côté juste à temps pour éviter un sort mais fut déséquilibré et roula sur le bitume. Il contre-attaqua, se redressa avec un grognement de douleur puis engagea le duel avec la Sorcière, qui s'était rapprochée. Son air intéressé avait cédé la place à une intense concentration. Elle s'en tirait bien, mais pas aussi bien que Sturgis. S'il n'avait pas été blessé, il l'aurait mise hors-jeu en un rien de temps.
Alors qu'il défendait chèrement sa peau, un sortilège fila à quelques centimètres de sa tête, venu non pas de la blonde mais de derrière. Il lui fallut toute la volonté du monde pour ne pas tourner la tête et voir comment Marlène s'en sortait. La deuxième femme ayant disparu de son champ de vision, il se demanda si elle était allée prêter main forte à l'adversaire de Marlène. Au bout de la rue, il vit les jumeaux décamper. Il pria pour qu'ils n'aillent pas chercher des renforts.
Un maléfice lui passa sous le bras et alla percuter un mur quelques mètres plus loin, dans un grand bruit d'explosion. La blonde hurla en français que la police allait débarquer – Sturgis détestait tellement ce peuple qu'il avait appris leur langue pour être sûr de toujours comprendre ce qu'on disait devant lui lorsqu'il était face à des Français. Son bras gauche, inerte, pendait contre son flanc depuis que Sturgis avait réussi à la toucher. Elle commença à reculer, au plus grand bonheur de Sturgis, lorsqu'un sort l'atteignit en plein genou. Il tomba au sol avec un cri de douleur, le choc contre le bitume accentuant la sensation de brûlure qui se répandait dans sa jambe. Il beugla un juron en français, ce qui poussa la blonde à lui adresser un doigt d'honneur avec un grand sourire sardonique. Ce même sourire se figea soudain ; stupéfait, Sturgis contempla la Française, figée un pied en l'air dans une posture grotesque. Il voulut se retourner pour voir si c'était Marlène qui était venue à sa rescousse mais la pointe d'une baguette vint se ficher dans le creux de son cou. Le souffle coupé, il se figea. Une voix grave, venue de sa droite, lui demanda alors en français :
- Pour qui travaillez-vous ?
- Gouvernement britannique, articula Podmore d'une voix étranglée.
- La brune frisée est avec vous ?
Il hocha la tête.
- Tant mieux, je viens d'immobiliser ses deux adv...
Il se tut soudain, et Sturgis ne put s'empêcher de tourner la tête vers lui. C'était un grand blond, vêtu comme un Moldu, avec un sweat à capuche et un jean usé jusqu'à la corde. Il ne devait pas avoir plus de trente ou trente-cinq ans. Une cigarette éteinte était coincée au coin de ses lèvres, qui étaient pour le moment tordue en un drôle de rictus. Cela tenait sans doute au fait que Marlène pressait sa baguette contre son crâne.
- On peut savoir qui vous êtes ? Interrogea-t-elle en anglais. Avant de répondre, ôtez votre baguette de la gorge de mon camarade.
Comme il ne semblait pas comprendre, Sturgis s'empressa de traduire. Le Français s'exécuta alors. Podmore s'éloigna aussitôt en se traînant au sol, son genou blessé trop douloureux pour qu'il se relève. Il ne sentait plus son bras gauche, trempé de sang. Assis au beau milieu de la route, il observa avec satisfaction le Français déglutir, sa baguette jetée à ses pieds.
- Gendarmerie magique, unité parisienne, troisième secteur, répondit-il enfin. Caporal Borne.
Sturgis s'improvisa traducteur alors que Marlène continuait son interrogatoire :
- Qu'est-ce que vous fichez ici ?
- C'est mon boulot, rétorqua-t-il d'un ton rogue. Je file certains de ces individus depuis un bon moment. Vos satanées affaires anglaises sont venues mettre le bazar chez nous.
- Comment peut-on être sûrs qu'il dit la vérité ? Intervint Sturgis. C'est peut-être une ruse.
- Vigilance constante, acquiesça sombrement Marlène.
Alors qu'elle réfléchissait, sa baguette toujours pointée sur Borne, son visage s'illumina soudain.
- Le code ! Demande-lui quel est le code !
- Quoi ? Quel code ?
- Un truc dont Maugrey m'a parlé avant qu'on parte. Demande !
Sturgis s'exécuta donc. Le Français répondit aussitôt :
- Trente-six, Elisabeth, Chambord, Buckingham, cinq... sandwich.
Marlène cessa de le menacer avant même que Sturgis n'ait pu traduire. Le caporal Borne se retourna et leur adressa un regard mauvais.
- Méfiants, ces Anglais.
- C'est la guerre civile chez nous, rétorqua Sturgis. C'était quoi, ce code ?
Borne eut l'air surpris de la question mais répondit néanmoins :
- Tous les membres de la gendarmerie le connaissent. Il y en a un pour toutes les polices magiques du monde occidental. C'est le code qui garantit notre loyauté au Ministère anglais si on vient à croiser un de ces agents.
- Et pourquoi je n'en avais jamais entendu parler ? Demanda Sturgis, s'adressant cette fois à Marlène.
- Maugrey ne les communique que lorsqu'on sort de Grande-Bretagne, expliqua-t-elle. Il préfère éviter de répandre ce genre d'informations.
- Venez, intervint le caporal. Mes hommes vont arriver pour récupérer ces trois-là. Nous préférerions que vous ne les voyiez pas. Vous pouvez vous lever ? Ajouta-t-il à l'attention de Sturgis.
Marlène sembla seulement remarquer qu'il était couvert de sang et elle se précipita vers lui avec un cri horrifié. Son hémorragie fut arrêtée en un rien de temps, et la douleur dans son genou ne tarda pas à refluer, bien qu'elle soit toujours présente.
- Je te donnerai une potion et une pommade quand on rentrera, promit-elle en l'aidant à se redresser.
Borne, qui avait délaissé son air morose pour une expression bien plus joviale, glissa son bras sous les épaules de Sturgis pour le soutenir. Un simple « recurvit » ne suffisant pas à enlever tout le sang qui imprégnait ses vêtements, il finit par ôter son sweat pour le lui prêter. Le bout de la rue avait été protégé des Moldus par un sortilège mais ils allaient devoir revenir dans des coins plus fréquentés. Un homme couvert de sang aurait risqué d'attirer l'attention. Quant à Marlène, elle était à peine décoiffée.
Le caporal les emmena dans un dédale de petites rues. Lorsqu'ils s'arrêtèrent enfin, ils apercevaient les quais de la Seine. Borne les fit entrer dans un minuscule troquet, sombre mais sympathique. La serveuse leur apporta des cafés tandis que Borne expliquait à mi-voix :
- On ignore comment ils sont entrés en contact avec les partisans de votre mage noir. C'est très récent, ça date d'il y a moins d'un an. Des tags ont commencé à apparaître avec son serpent et sa tête de mort. On cherche un agent anglais depuis tout ce temps mais impossible de lui mettre la main dessus.
- Ils ont perpétré des crimes en son nom sur votre territoire ? S'enquit Marlène, les sourcils froncés.
- Rien de grave. Principalement des vols de grimoire et de vieux objets magiques. Tous reliés à la magie noire, évidemment. Le plus inquiétant est la disparition de quelques personnes que nous gardions sous surveillance.
Sturgis se garda bien de commenter le peu d'efficacité de la surveillance et se contenta de traduire.
- Pourquoi étaient-ils surveillés ?
- Possession d'objets suspects et soupçons d'expérimentation illégale, notamment sur des cadavres, expliqua Borne, suscitant une grimace de dégoût. On a eu quelques cas d'Inferis, récemment.
- Merlin tout puissant, marmonna Sturgis. Voilà une abomination à laquelle on n'a pas encore eu droit.
- Ça risque de vous tomber dessus bientôt, prévint-il. L'impression générale de l'État-Major, c'est qu'on sert de terrain d'expérimentation.
- Mais pourquoi en France ? Pourquoi pas directement en Angleterre ?
- Pour tout vous avouer, vous n'êtes pas notre souci principal. Seul mon secteur et une unité de Calais sont chargés de gérer ces cas-là. Le général de la gendarmerie magique ne cesse de répéter que nous ne sommes pas une antenne du Bureau des Aurors et que ce n'est pas à nous de faire votre boulot. Alors on limite les dégâts, on arrête des gens quand on peut, mais personne n'enquête vraiment. Conclusion, ils sont bien plus libres ici.
- Les gens que vous avez interceptés..., demanda Marlène. Où vont-ils être emmenés ?
- Le bureau de secteur. Je ne peux pas vous y emmener.
- Vous allez les interroger ?
- Bien sûr.
Elle hocha la tête puis alla demander du papier et un crayon au bar. Après avoir écrit une série de questions, elle le tendit à Sturgis qui les traduisit. C'était les questions classiques, celles qui permettaient de remonter toujours plus haut dans le réseau. Elle en avait ajouté quelques-unes quant à leurs activités spécifiques en France. Elle tendit ensuite le papier au caporal.
- Vous voulez bien leur demander ça pour moi ?
Il accepta gravement la mission, avant de lui adresser un grand sourire.
- Et vous, vous voulez bien venir dîner avec moi ?
Marlène éclata de rire puis agita sa main gauche sous son nez.
- Je suis mariée, mais merci quand même.
Sturgis leva les yeux au ciel. Les gens étaient incapables de rester sérieux.
***
Le Bureau des Aurors était désert. Il était plus d'une heure du matin. Marlène reposa le dossier qu'elle consultait lorsque Maugrey cessa enfin d'écrire.
- Tu es censé te reposer, tu sais. Tu as repris le travail il y a à peine plus d'un mois.
L'Auror leva les yeux vers elle après avoir sablé son parchemin.
- La guerre n'attend pas.
- Très bien, laisse-moi reformuler. Tu as été amputé d'une jambe il y a moins de six mois.
- Toujours l'air aussi féroce, McKinnon. Maintenant je sais pourquoi ton mari a peur de toi.
- Alastor, arrête. Tu es épuisé. Et tu as une nouvelle cicatrice sur la main.
Il lorgna sa main gauche, qui offrait en effet aux regards une hideuse balafre blanchâtre. Elle courait de la base de son majeur jusqu'à son poignet, puis disparaissait sous sa manche.
- Les risques du métier. On n'est pas là pour parler santé ; qu'est-ce que vous avez trouvé ?
Marlène lissa la liasse de parchemins qu'elle avait déposée sur le bureau, une heure plus tôt. C'était la traduction des interrogatoires menés par la gendarmerie magique.
- Trois Sorciers ont été arrêtés, expliqua-t-elle. Deux femmes, Eleonore Ponsard et Marguerite Paray, et un homme, Arthur Ditch.
Maugrey grimaça.
- Anglais ?
- Par son père, mais il a toujours vécu en France. J'y reviendrai. Eleonore est diplômée de l'université de Sortilèges, spécialité architecture et construction. A priori, pas un milieu particulièrement dangereux. C'est elle qui a affronté Podmore. Marguerite a une histoire plus floue : elle a absolument refusé de dire aux gendarmes ce qu'elle avait fait une fois diplômée de Beauxbâtons. Ils n'ont pas jugé l'information assez importante pour tenter de la lui arracher à tout prix. Le lien entre les deux est Arthur Ditch. Je crois qu'il a subi l'interrogatoire le plus musclé... Quoi qu'il en soit, on lui a arraché une information intéressante : il connaît Malcolm Goyle. Un ami d'un cousin du côté de son père, je crois.
Elle parcourut les transcriptions dactylographiées jusqu'à retrouver la bonne page.
- C'est ça, confirma-t-elle. Un ami de son cousin, Anthony Ditch. Inconnu de nos renseignements, je crois ?
- Ça ne me dit rien, mais ça vaut le coup de vérifier, répondit Alastor, les sourcils froncés. Malcolm Goyle... Client de Barjow et Beurk ?
- Et grand ami des Malefoy.
- Donc le lien avec Voldemort se trouverait là ?
- Tout juste. Apparemment les inspecteurs n'ont pas réussi à tout rassembler, mais ils sont certains qu'il a séjourné en Angleterre pendant deux mois, durant l'été 1977. Il a rencontré Ponsard lors d'une série de conférences sur l'Histoire de la magie en France. La conférencière n'était nulle autre que Marguerite Paray. Les gars de la gendarmerie m'ont transmis des pamphlets qu'ils ont récupéré là-bas à l'époque : la thèse principale est qu'il faut faire payer aux Moldus la chasse aux Sorcières, puisqu'ils ont essayé de nous anéantir.
Maugrey haussa un sourcil.
- Tout le monde sait qu'aucun Sorcier n'est mort sur un bûcher.
- C'est l'intention qui compte, paraît-il.
- C'était quand, cette affaire ?
- Il y a six mois. Le Mercure Sorcier a dénoncé ce cycle de conférences mais ça n'a pas empêché certaines personnes d'adhérer aux idées exposées, surtout compte tenu des événements en Grande-Bretagne. Même si les gendarmes n'ont obtenu aucun autre nom, ils sont bien décidés à enquêter de ce côté-là pour voir s'il y a d'autres partisans de Voldemort. Bref, Ditch, Ponsard et Paray se sont donc rencontrés là-bas et ont apparemment décidé d'offrir leur service à Voldemort, en passant par l'intermédiaire de Malcolm Goyle. On est à peu près sûrs de ça.
- A peu près ? Grogna-t-il.
Marlène parcourut rapidement une page du regard.
- Ditch dit quelque chose de peu cohérent... Voilà, écoute ça : « Malcolm avait besoin d'aide, on l'a menacé pour qu'il fasse marcher ses contacts en France. On nous a demandé d'intercepter cette femme et cet homme, mais on ne savait pas pourquoi. Anthony a dit que si on le faisait ça sauverait la vie de Malcolm, alors on s'est exécuté. »
- Quel ramassis de bobards, marmonna Maugrey. Toujours les mêmes excuses pitoyables. Est-ce qu'ils n'ont aucun honneur ?
Marlène haussa les épaules. Ce qu'il se passait dans la tête de ces malades ne l'intéressait guère.
- C'est là qu'il explique qui étaient les jumeaux.
- Les types qui ont planté Sturgis ? Gloussa Alastor.
- Le pauvre a souffert le martyre pendant le trajet de retour !
- Mais tu t'es débrouillée pour revenir indemne alors qu'il s'est fait poignarder par un Moldu.
- Ils se battaient quatre contre un, protesta Marlène. Bref, il ne donne pas leur nom mais dit seulement que ce sont des Moldus qu'ils ont rencontré dans un bar. Apparemment ils se sont battus et, en voyant leur compétence, Ditch s'est dit qu'ils pourraient être utiles et que ça créerait un effet de surprise.
- Pas complètement idiot, comme raisonnement. Dommage qu'ils se soient dégonflés.
- Comme ce sont des paumés, ils ont accepté dès qu'on leur a parlé de salaire. Il leur a fallu un peu de temps pour digérer la magie mais ça ne s'est visiblement pas trop mal passé.
- Ils n'ont pas de clause de secret magique, en France ? Grommela Maugrey.
- C'est moins sévère que chez nous, semble-t-il. Les Sorciers révolutionnaires ont décrété qu'on devait être libres de vivre au grand jour, même si cela a dû être modéré quelque peu par la suite.
- Les Américains ne doivent pas aimer ça. Bon, où est-ce que ça nous mène, tout ça ?
- Attends, je n'ai pas fini. Ditch a raconté ses aventures en Angleterre. Goyle les a emmenés, lui et son cousin, voir un vieux manoir dans le Lincolnshire. Ils étaient avec une fille que Goyle voulait impressionner, d'après Ditch. Une Sorcière, évidemment. Il leur a assuré que c'était secret et qu'ils ne devaient pas révéler ce qu'ils avaient vu, à personne.
Maugrey se carra dans son fauteuil, les mains jointes sous son menton. Malgré son air calme, Marlène pouvait voir qu'il trépignait.
- Ils ne sont pas entrés mais ont vu la maison de loin. Goyle leur a assuré que c'était là que se prenaient toutes les décisions des Mangemorts. Franchement, je ne comprends pas pourquoi Ditch a essayé de nous faire croire que leurs ordres ne venaient pas des Mangemorts après avoir raconté ça.
- Marlène ! Vociféra Maugrey en abattant son poing sur la table. Je n'arrive pas à croire que tu m'aies raconté tout ça alors qu'on a l'emplacement de leur QG !
Ses yeux brillaient d'excitation – à moins que ce ne soit de fièvre, épuisé comme il l'était. Marlène espérait sincèrement que non.
- Qui te dit qu'on a l'emplacement ? C'est grand, le Lincolnshire.
Il ouvrit la bouche avant de la refermer, puis un pli barra son front.
- Il n'a rien dit d'autre ?
- Il a peut-être mentionné que c'était dans le marais de Kirton...
Maugrey asséna une nouvelle fois son poing sur la table, sans exclamation cette fois-ci. Néanmoins, Marlène le voyait jubiler.
- On attaque dans deux semaines, annonça-t-il finalement. Fenwick, Gideon et Londubat seront en charge de monter l'opération. Je veux tout le monde sur le terrain et...
- On organisera tout ça à tête reposée, intervint Marlène. Il est deux heures trente ; on devrait tous les deux aller se coucher.
- Parle pour toi.
Elle secoua la tête, bien consciente qu'elle ne lui imposerait pas son bon sens. Elle se leva donc et saisit sa cape.
- Une dernière chose, Alastor ?
- Ouais ?
- Ditch a dit qu'on les avait prévenus de notre venue.
Maugrey resta impassible.
- On sait déjà qu'on nous piste.
- Ils ont eu le temps de monter tout un groupe pour nous intercepter. C'est bien plus que du simple pistage, quelqu'un savait qu'on allait à Paris, et pourquoi. Tu as parlé de cette mission ici, au Bureau ?
- Non. C'était interne à l'Ordre.
Le visage de Marlène s'assombrit.
- Alors tu sais aussi bien que moi ce que ça veut dire.
Il fixa un moment le plafond de son bureau avant de décider :
- On en parlera plus tard. Faire des conjectures sur d'éventuels complots au beau milieu de la nuit n'est jamais une bonne idée.
Marlène acquiesça, bien consciente qu'elle ne pouvait rien répondre puisqu'il venait de retourner son propre argument contre elle.
- Repose-toi, asséna-t-elle. Ordre d'un ancien Médicomage.
Puis elle jeta sa cape sur ses épaules et quitta le Bureau pour s'en retourner chez elle. Ses enfants dormaient, mais ça ne l'empêcherait pas d'aller les voir. Elle sourit et enfonça le bouton d'appel de l'ascenseur.
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