Partie III - Chapitre 53

Chapitre 53

Fabian se glissa dans la rue, un délicieux frisson d'excitation lui secouant l'échine. Tout le monde prenait les frères Prewett pour des brutes épaisses qui n'aimaient rien tant que la bataille, mais ce que Fabian préférait, c'était ce genre de mission. Rapidité, discrétion...Savoir-faire.

Il lança un sortilège de Désillusion avant de faire un pas dans la ruelle, loin des lueurs blafardes des lampadaires. Il s'immobilisa bien vite, aux aguets. Il s'agissait de ne pas se faire bêtement repérer – surtout après s'être vanté auprès de Ranger. Il murmura donc une formule, sa baguette tendue devant lui. Comme rien ne se passait, il continua à avancer en prenant garde à la lumière. Les sortilèges de Désillusion étaient très peu efficaces en plein éclairage.

La devanture de Barjow et Beurk apparut enfin. Derrière la vitrine, il aperçut un amoncellement de vieux grimoires, de vases poussiéreux et d'objet hétéroclites apparemment sans le moindre lien. Un portait de vieux Sorcier semblait le suivre des yeux. Fabian émit un reniflement hautain. Tout cela puait la magie noire.

Sans s'attarder, il contourna la bâtisse pour s'engager dans la ruelle plus que sordide qui la longeait. L'existence de cet endroit était une chance, malgré l'odeur nauséabonde qui s'en dégageait. Il se plaqua contre la paroi de pierre, l'oreille pressée contre le granit. Au début, il n'entendit rien, ne sentit rien d'autre que l'humidité du mur. Une minute passa, puis deux, puis trois. Mais Fabian était patient. Il s'obligea à faire abstraction des battements de son cœur, du froid qui le pénétrait jusqu'aux os. Il laissa même s'évaporer le sortilège qui le rendait invisible aux autres hommes pour se concentrer tout entier sur le mur. Enfin, il perçut un grésillement. Il sourit de toutes ses dents alors que le bruit devenait une pulsation au bout de ses doigts.

Peu de personnes le savaient, mais Fabian Prewett était premier de sa classe en Sortilèges, lorsqu'il était à Poudlard. Il avait passé deux ans à l'Académie de Sortilèges avant d'entrer dans l'Ordre du Phénix, interrompant ainsi ses études et probablement toute possibilité de carrière. Car ce que Fabian voulait, c'était être Briseur de sorts. Il n'aimait rien tant qu'identifier un sortilège ou un maléfice, se creuser la cervelle pour trouver le contre-sort. C'était un travail subtil, qui demandait beaucoup de concentration – et faisait monter l'adrénaline de façon incroyable. Fabian avait déjà ouvert des boîtes, armoires et pièces suspectes en tout genre pour le compte de l'Ordre et n'avait jamais été aussi anxieux que dans ces moments-là – ni aussi ravi. La moindre erreur pouvait se retourner contre le Briseur de sorts, par exemple en déclenchant une réaction en chaîne impossible à arrêter. Parfois, les efforts fournis n'étaient pas à la hauteur du contenu. Au moins, cette fois-ci, Fabian était-il sûr que son travail en vaudrait la peine. Le registre des clients de Barjow et Beurk existait bel et bien et se trouvait dans la boutique, c'était un fait avéré par plusieurs observateurs. Tout ce qu'il lui fallait faire, c'était passer outre toutes les protections mises en place contre les intrus.

La plupart des Sorciers l'ignorait, mais la magie avait ses sons propres qu'il fallait apprendre à reconnaître. On ne pratiquait pas du tout ce genre de magie à Poudlard, aussi seuls initiés en Sortilèges étaient-ils capables de cela : reconnaître le son d'un sortilège, savoir quel contre-sort le briserait. C'était loin d'être de la musique. Il s'agissait plutôt d'ondes, plus ou moins graves ou aiguës, rapides ou lentes, régulières ou chaotiques. Une superposition de sortilèges formait un amas complexe qu'il fallait savoir démêler.

C'était ce que percevait Fabian, pressé contre le mur de Barjow et Beurk. Il dénombra cinq sortilèges de défense et deux d'attaque. Si deux boucliers étaient basiques, il avait du mal à déterminer la composition des trois derniers. Quant aux maléfices d'attaque, sans doute s'agissait-il de magie noire. Il allait devoir se débrouiller à l'oreille.

Il posa sa baguette sur le mur et désamorça les sortilèges qu'il avait identifiés. Cela fait, il écouta à nouveau attentivement avant de tenter autre chose. Apparemment, il n'avait déclenché aucune réaction.

Il tâtonna encore un long moment, si longtemps qu'il ne sentait plus ni ses pieds ni ses doigts lorsque le dernier bouclier sauta enfin. Pourtant, son front dégoulinait de sueur. Il l'essuya d'un revers de main, inspira profondément et se replongea dans sa tâche. Ranger devait s'être changé en statue, depuis le temps qu'il poireautait là-haut. Il n'y avait plus qu'à espérer qu'il n'avait pas quitté son poste.

Il entreprit de lancer des impulsions magiques dans la pierre pour voir comment réagissaient les maléfices. A l'Académie, il avait appris des mots de pouvoir, généralement utilisés dans les contre-sorts. Il s'agissait à vrai dire plutôt de syllabes qui, agencées différemment, pouvaient changer complètement d'effets. S'il ne parvenait pas à venir à bout des maléfices avec ça, qui était un peu le passe-partout des Briseurs de sorts, il allait devoir entrer là-dedans et affronter les attaques qu'on avait réservées pour les intrus. Heureusement, il avait désactivé le système d'alarme avant le dernier bouclier. S'il résistait sans faire trop de bruit, il parviendrait sans doute à passer les dernières défenses et trouver le registre.

Après de nombreux essais infructueux et angoissants, Fabian fit disparaître l'une des attaques sans que tout le bâtiment ne lui tombe sur la tête. Le souffle court, épuisé par la concentration fournie, il tenta de venir à bout du dernier maléfice. Mais après vingt minutes d'efforts supplémentaires, il dut se rendre à l'évidence : il n'aurait pas celui-ci. Vexé dans son amour-propre de faux Briseur de sorts, il s'écarta du mur et jeta un œil vers le ciel. La course de la lune avait bien progressé ; cela faisait sans doute deux heures qu'il était là. Il aurait dû prévenir le gamin que cela risquait d'être long. Avec un soupir, il remit en place son sortilège de Désillusion et alla se placer devant la porte de Barjow et Beurk. Elle n'était évidemment pas verrouillée – à quoi bon, dans le monde magique ? Surtout avec les multiples précautions qu'ils avaient prises. Fabian songea également au nombre d'artefacts stockés là-dedans ; il n'avait évidemment pas senti leur magie à travers la pierre car ils étaient imprégnés de magie comme un Sorcier l'était – la magie faisait partie intégrante d'eux et ne pouvait donc pas être annihilée. Il était possible que certaines choses lui sautent à la figure, surtout s'il se trouvait obligé d'utiliser la magie pour contrer le maléfice restant.

Avec un grognement, il prit son courage à deux mains et poussa la porte, un bouclier magique brandit devant lui. Pendant un instant, il ne se passa rien. Puis, soudain, les portes d'une armoire s'ouvrit à la volée et des tas de fioles vinrent s'écraser sur son bouclier à une vitesse vertigineuse, répandant autour de lui des potions qui faisaient fondre le sol avec des sifflements de mauvais augure. Fabian recula précipitamment pour ne pas être touché, sautillant sur la pointe des pieds tout en rassemblant la bonne formule ; il ne s'agissait que d'un sortilège de lévitation agrémenté d'un peu d'un maléfice offensif. C'était le mélange des deux qui l'avait empêché de comprendre de quoi il retournait, mais maintenant qu'il avait la magie sous les yeux, la solution était simple. Laissant tomber son bouclier, il articula un simple mot. Les fioles qui volaient vers lui s'écrasèrent avec fracas et l'armoire redevint une simple armoire, béant stupidement dans la pièce noire.

Avec un soupir de soulagement, Fabian fit disparaître les potions corrosives qui jonchaient le sol tout en tendant l'oreille. Le verre cassé avait sans doute fait un certain raffut. Pourtant, rien ne vint. A tâtons, il entreprit de commencer ses recherches. La lumière fournie par la rue lui permettait de bénéficier d'un éclairage minimum mais il ne voulait pas utiliser sa baguette.

Il se dirigea vers l'endroit qu'on lui avait indiqué et qui était, somme toute, le plus logique : le comptoir où se trouvait la caisse. Dessus, un crâne coiffé d'une couronne en or fondu lui souriait tandis qu'un sapin miniature agitait ses branches au rythme d'un vent inexistant. Réprimant un frisson, Fabian ouvrit un tiroir. Dedans se trouvait, comme prévu, le grimoire convoité. Il l'ouvrit pour vérifier qu'il s'agissait bien de la liste de la clientèle et se détendit légèrement. Il avait ce qu'il cherchait, il pouvait maintenant rejoindre Ranger.

Mais alors qu'il allait sortir, le grimoire sous le bras, une impulsion le saisit. Il se tourna vers l'armoire grande ouverte avant de dévier légèrement son regard. Une porte fermée attira son attention. Curieux, il s'approcha et colla son oreille au battant de bois pour vérifier qu'aucune autre protection ne gardait cette partie de la boutique. Une fois rassuré, il poussa le battant et scruta les ténèbres. Après un instant d'hésitation, il se décida à allumer sa baguette. La faible lumière verte lui révéla un amoncellement de cartons. Il en ouvrit précautionneusement un et en tira une feuille de papier. S'y trouvait dessiné un Sorcier qui, le menton fièrement levé, dirigeait sa baguette vers une silhouette humanoïde prosternée à ses pieds. En caractères gras était imprimé en-dessous : « La suprématie du Sorcier : un nouvel âge pour notre monde ! ». En moindre taille était imprimé : « La fin d'un millénaire de clandestinité ». Dans un coin, il aperçut le symbole du Ministère de la Magie. Une autre légende stipulait : « Voici ceux qui sont incapables de garantir vos droits face aux Moldus ».

Fabian fronça le nez. Maugrey avait donc raison : les Mangemorts avaient lancé toute une entreprise de propagande. Puisqu'ils ne pouvaient avoir ni les Géants ni les loups-garous comme alliés, il fallait bien qu'ils trouvent quelqu'un d'autre. Il jura tout bas en constatant le nombre de cartons qui se trouvait là. Il ne pouvait prendre lui-même la décision de mettre le feu à la boutique pour détruire tout cela. Il plia donc la feuille et la fourra dans le registre avant de faire volte-face.

- Alors, on fouille ?

Fabian sursauta si fort qu'il faillit lâcher le registre. Le cœur battant à toute allure, baguette brandie, il tenta de trouver qui l'avait découvert. Une fine silhouette finit par se détacher de l'ombre, dans l'embrasure de la porte qui l'avait mené à l'arrière-boutique. Horrifié, il se rendit vite compte qu'il s'agissait d'un squelette. Sans doute l'un des artefacts que vendaient Barjow et Beurk et peut-être leur dernière ligne de défense. Il lui jeta un sort qui l'envoya se répondre en mille morceaux au sol et courut vers la sortie. Seulement, le squelette commença à se reconstituer. Sa main attrapa la jambe de Fabian et y enfonça ses doigts d'os. Il grogna sous l'effet de la douleur et tenta de se débarrasser de son assaillant en secouant la jambe. A quelques centimètres de lui, le crâne caquetait :

- Tu crois pouvoir t'échapper comme ça, voleur ? L'alarme a retenti depuis belle lurette !

Jugeant préférable de ne pas l'informer qu'il avait mis hors d'état de nuire ladite alarme, Fabian jeta un nouveau sortilège qui envoya la main valser loin de lui. Il repartit au pas de course en ignorant le sang qui coulait à flot de sa jambe. L'abomination lui avait labouré le mollet.

Un projectile, probablement un os, l'atteignit à l'épaule alors qu'il ouvrait la porte. Il sortit précipitamment, sans même se soucier de son sortilège de Désillusion qui avait disparu quand était entré en scène le squelette. Il se rabattit vers l'ombre en jurant. Sa jambe le lançait atrocement et l'obligeait à boiter. Ignorant de son mieux la douleur, il rebroussa chemin pour rejoindre Ranger. C'était sans doute presque l'aube.

La montée des marches jusqu'à la chambre sous les toits fut un calvaire. Lorsqu'il ouvrit la porte derrière laquelle se trouvait son cadet, la douleur était remontée jusqu'à son abdomen et l'empêchait presque de respirer. La sale bête l'avait sans doute gratifié d'un mal quelconque. Après tout, c'était un artefact créé par la magie noire.

Un Martin à peu près correctement réveillé l'accueillit. Son soulagement évident se changea cependant en panique lorsque Fabian s'effondra, incapable de tenir plus longtemps sur sa jambe.

- Squelette, marmonna-t-il avant de s'évanouir.

***

- Il est temps de changer de stratégie, les enfants, annonça Maugrey tout en faisant tourner sa baguette entre ses doigts.

Peter fixait le bout de bois, anxieux. Il avait toujours détesté que l'Auror joue avec ; cela lui donnait l'impression qu'il allait jeter un sort à l'un d'entre eux sans sommation. Il déglutit et tâcha de porter son attention sur autre chose ; cet énorme portrait qui surplombait la salle de réunion lui paraissait être une bonne cible.

- C'était déjà plus ou moins prévu, poursuivit l'Auror, mais la mésaventure de Prewett nous informe qu'il est temps de s'y mettre.

Martin avait ramené un Fabian salement amoché au QG. Une fois drainé le poison que le squelette avait instillé dans ses plaies, le Sorcier avait été capable de raconter ce qu'il avait vu.

Maugrey déposa sur la table un énorme livre à la tranche de cuir abîmée. Les Maraudeurs, assis à la gauche de Peter, et les plus jeunes recrues, sur sa droite, se penchèrent pour mieux voir le volume. Peter ne bougea pas, peu désireux d'approcher un objet ayant traîné dans la boutique de Barjow et Beurk.

- Voici le registre des clients de Barjow et Beurk. Nous allons devoir les convaincre que nous valons mieux que les sbires de Voldemort.

- Parce que toutes les personnes ayant acheté une bête amulette là-bas sont des Mangemorts en puissance ? Interrogea James, sceptique.

Les sourcils froncés de Remus indiquaient qu'il pensait la même chose. Quant à Sirius, il resta de marbre.

Maugrey grommela dans sa barbe avant de répondre :

- Non. Je n'ai pas dit que nous allions tous les arrêter ; il faut juste s'assurer qu'ils ne serviront pas Voldemort. Quelqu'un qui touche à la magie noire du bout des doigts en a forcément peur, et rien n'est plus convaincant que la peur. Ça fait presque dix ans que Voldemort sème la terreur partout, et nous n'avons pas été assez bon pour contrer cela. Les gens ne se sentent pas en sécurité, et sont donc plus enclin à rejoindre l'autre camp. Coopérer pourrait leur assurer la vie sauve, ils le savent bien.

- Alors qu'est-ce qu'on peut leur offrir ? Couina Peter.

- La sécurité. L'offre de les cacher s'ils le souhaitent, de les envoyer à l'étranger, les démarches habituelles ! Seulement, cette fois, nous allons devoir sortir de la clandestinité. Voldemort laisse savoir au monde entier qu'il est passé par là quand la Marque des Ténèbres flotte dans le ciel. A nous de montrer que nous sommes aussi présents. Le registre de Barjow et Beurk nous fournit une première piste à suivre. A part les gens qui baignent dans la magie noire jusqu'au cou, les autres sont très certainement influençables – dans n'importe quelle direction.

- Vous croyez vraiment que ça va marcher ? Commenta James, peu convaincu.

- On perd du terrain, Potter. (Il attrapa une feuille pliée en deux et la lui tendit par-dessus la table). Il faut qu'on fasse ce qu'on peut pour se rattraper.

Peter se pencha vers son ami pour voir le feuillet. Il s'agissait du fameux tract que Fabian avait ramené. Il ouvrit de grands yeux tout en le lisant. A ses yeux, cela portait les hostilités à un tout autre niveau. C'était comme s'ils étaient sûrs de leur victoire. Comme si... comme s'il s'agissait d'un simple combat politique alors que l'Ordre et les Mangemorts se battaient à mort.

Avec un frisson, il passa le tract à Amanda. Maugrey les observait, sa baguette à présent toujours immobile entre les doigts.

- Est-ce que vous voyez à présent l'utilité de sortir de la clandestinité ? Demanda-t-il d'un ton bourru.

- Mais notre sécurité ? Protesta Remus. Le QG ? Les journalistes de la Gazette vont forcément être sur nos traces. Comment mener la moindre mission qui demande de la discrétion ?

- Tu ne connais pas la moitié des membres de l'Ordre, Lupin, rétorqua Maugrey avec un brin de suffisance. Vous tous, vous n'êtes que la partie émergée de l'iceberg. Vous serez les seuls en pleine lumière. Les autres sont placés à des positions stratégiques et ne peuvent se permettre de révéler leur véritable affiliation. Evans nous sera également d'une certaine utilité.

A ses mots, James plissa les yeux. Peter pouvait dire à la tension de son corps à quelle point cette idée lui déplaisait. Lily, occupée à veiller sur Fabian à l'infirmerie, ne pouvait même pas parler en son nom.

- Comment ça ? Interrogea le jeune homme.

- J'en parlerai avec elle. Après tout, sa grossesse ne se verra pas avant un certain temps.

- Elle est fragile, protesta-t-il.

- C'est à elle d'en juger, Potter.

Sans doute James savait-il pertinemment que Lily lui en voudrait à mort s'il commençait à prendre des décisions à sa place, aussi n'ajouta-t-il rien. A la place, il se renfonça dans son siège, le visage fermé.

- Je vous préviens tout de suite, ça risque fort de nous mener à des combats en pleine ville. Minchum va faire une crise cardiaque quand je lui demanderai des Oubliators mais nous n'avons plus le choix. Les Sorciers doivent cesser d'avoir peur.

- Être pris entre deux feux aidera sûrement, marmonna Sirius.

- Un problème avec mes ordres, Black ?

Le jeune homme se contenta de grommeler une réponse.

- Très bien, conclut Maugrey. Hardley, Potter, vous ferez partie de l'escorte du Ministre ce soir pour le dîner avec l'ambassadeur français. Cette fois vous n'aurez pas l'uniforme officiel des Aurors. Si jamais on vous demande qui vous êtes, répondez franchement.

Les deux jeunes hommes hochèrent la tête. James avait toujours l'air aussi buté.

- Vous êtes attendus à dix-neuf heures alors ne traînez pas.

Sans tarder, William et James se levèrent dans un raclement de chaise et quittèrent la pièce. Peter se ratatina sur son siège. Il n'avait aucune envie de sortir de son anonymat, d'être interrogé par des journalistes. Il n'avait pas envie d'être poursuivi par tous les alliés de Voldemort. Merlin ! Il n'avait aucune envie qu'on les traque jusqu'au QG, qu'on le tue parce qu'il avait voulu protéger des gens. Lui aussi voulait la sécurité. Il la voulait désespérément.

***

Carrie sursauta lorsqu'une voiture accéléra brutalement près d'elle. Ces temps-ci, le moindre bruit un peu trop fort la faisait sursauter. Elle mettait cela en partie sur le compte de la fatigue ; la bataille d'Inverness lui avait fait passer d'innombrables nuits blanches. Ses études en pâtissaient mais elle ne voulait en aucun cas abandonner ce travail, dut-elle encore passer des heures à négocier des contrats avec Minchum et Thatcher.

L'autre raison qui la faisait bondir à la moindre alerte était beaucoup moins bénigne. Depuis peu, Carrie se sentait épiée. Elle redoublait de prudence pour se rendre aussi bien au 10 Downing Street qu'au Ministère de la Magie. Il lui semblait pourtant qu'une ombre veillait à chaque coin de rue, derrière chaque fenêtre, dans chaque ombre. Elle avait bien caressé l'idée, un jour, d'emporter un couteau avec elle, mais s'était vite reprise. Cela ne lui servirait à rien face à un Sorcier et, de toute façon, elle n'oserait jamais s'en servir.

Ce soir-là, il n'y avait pas eu de réunion. Elle rentrait tout simplement du lycée mais, l'hiver venant, la nuit tombait de plus en plus tôt. Elle n'avait qu'une hâte, c'était que les vacances arrivent. Elle pourrait ainsi enfin se reposer, même si Minchum comme Thatcher avaient une fâcheuse tendance à la convoquer à des heures indues. Au moins pourrait-elle faire la sieste ailleurs qu'en cours – elle avait déjà écopé de deux avertissements pour avoir piqué du nez à son bureau.

La jeune fille renifla et tira sur sa jupe d'uniforme, que sa marche rapide faisait légèrement remonter. Alors qu'elle s'engageait dans son quartier, un type adossé à un lampadaire la salua bruyamment. Trop surprise pour vraiment réagir, elle se contenta de hocher la tête sans ralentir l'allure. Seulement, elle s'aperçut vite qu'il lui avait emboîté le pas. Elle jura intérieurement et accéléra encore. Elle se trouvait prise dans une guerre de Sorciers, et voilà qu'un imbécile la suivait dans la rue. Elle était certaine que ce n'était pas un Sorcier car il était rien moins que subtile – et subtile, son ombre l'était très certainement.

Les pas, derrière elle, s'accélérèrent. Elle avait beau marcher vite, l'homme était plus grand et faisait donc de plus grandes enjambées. Alors que, le cœur battant follement, elle allait se résoudre à partir en courant, on attrapa son poignet. D'une brusque torsion, son agresseur l'obligea à faire volte-face. Carrie essaya de lui envoyer son poing libre dans la figure mais il se contenta de l'attraper et de sourire de toutes ses dents. Une barbe brune cachait son rictus. Elle tenta bien de se dégager mais il se contenta de resserrer sa poigne ; il s'agissait d'un homme plutôt jeune et donc bien plus fort qu'elle.

Alors que la panique s'emparait vraiment d'elle, les yeux de l'homme se révulsèrent brusquement et il s'écroula sur le côté. Elle faillit bien le suivre dans sa chute, trop sonnée pour songer à libérer ses poignets. Cependant, on l'attrapa par le bras et elle se vit entraîner à grands pas dans une rue adjacente. Une fois qu'elle eut suffisamment repris ses esprits, elle s'arrêta net, encore plus paniquée. Pourtant, le rythme de son cœur se calma un peu lorsque la personne qui la tenait par la main se retourna ; il s'agissait d'une jeune femme aux cheveux bruns remontés en chignon. Ses doux yeux marrons scrutaient les alentours. Dans sa main libre, elle tenait une baguette.

C'était donc elle, l'ombre.

A cette pensée, Carrie se dégagea brusquement. Et s'il s'agissait d'un des partisans de ce Voldemort ? Sa raison lui soufflait qu'alors elle l'aurait laissé aux mainq du vaurien, mais elle ne pouvait s'empêcher de paniquer. Elle fit un pas en arrière, une question au bord des lèvres :

- Qui...

- Je suis une amie de Gideon Prewett, expliqua la fille à voix basse. On ferait mieux de partir avant qu'il ne reprenne conscience.

- Gideon ?

La jeune femme hocha la tête et lui sourit gentiment.

- Ne t'en fais pas pour ce type. Ça nous est toutes arrivées, malheureusement. Tu habites dans le coin ?

- Euh oui, mais...

Carrie consulta sa montre ; ses parents ne rentreraient pas avant au moins une demi-heure.

- Viens, je te raccompagne. Il faut qu'on parle, de toute façon.

Sa sauveuse lui lâcha la main et fit un pas de côté pour l'inviter à lui montrer le chemin. Carrie, toujours sonnée et vaguement nauséeuse après la peur que le type lui avait fichue, prit les devants. Il ne lui fallut pas plus de deux minutes pour rejoindre son domicile et faire entrer la fille, qui n'avait plus soufflé mot.

Une fois à l'intérieur de la petite maison en briques, la jeune femme commença à faire les cent pas devant la porte, baguette brandie et lèvres remuantes. Carrie se figea, son manteau à mi-chemin de la patère. Elle n'avait que rarement l'occasion de voir la magie à l'œuvre. La Sorcière s'immobilisa finalement et se tourna vers son hôte, qui la fixait toujours. Un air amusé se peignit sur ses traits alors qu'elle expliquait :

- J'ai jeté quelques sortilèges de protection mineurs, pour être sûre qu'on ne nous entende pas.

- Parce qu'on nous écoute ?

- Peut-être bien. Je vais t'expliquer.

- Comment vous vous appelez ?

- Oh ! Excuse-moi, j'aurais dû commencer par là... Margaret.

- Carrie, répondit stupidement la jeune fille.

La Sorcière lui sourit à nouveau avant de faire un pas dans la maison.

- On pourrait... s'asseoir quelque part ?

- Euh, je... oui, oui, bien sûr.

Carrie s'empressa de lui montrer le salon et de l'inviter à prendre place dans un fauteuil. Elle se sentait idiote d'être aussi empotée mais une part de son esprit ne cessait de se demander ce que le type lui aurait fait si Margaret n'était pas intervenue. Pensée qui la conduisit à demander :

- Vous me suiviez ?

- Oui, acquiesça son interlocutrice, qui se tenait très droite, les mains croisées sur ses genoux. Un des membres de l'Ordre te suit tous les jours depuis quelque temps.

- Pourquoi ? Je veux dire, j'imagine bien que c'est pour me protéger, mais pourquoi maintenant ?

- Voldemort essaie de monter les Sorciers contre les Moldus – encore plus qu'avant. Or, tu es une aide précieuse au maintien de la bonne entente entre nos deux mondes. Nous avons grand besoin de toi et il le sait très bien.

Carrie déglutit, sa mésaventure oubliée. Ce que Margaret lui disait là était autrement plus grave.

- Il... Il va chercher à me tuer ?

La jeune femme soutint son regard sans ciller.

- Très certainement.

- Ma famille ? Elle est en sécurité ?

- La maison devrait être placée sous certains sortilèges très bientôt, mais nous... nous ne pouvons pas faire plus.

Elle prit une profonde inspiration :

- Donc il pourrait se servir de mes parents ?

- C'est difficile à dire. Nous n'en voyons pas l'intérêt mais Voldemort a tendance à privilégier la cruauté à la stratégie.

Carrie hocha lentement la tête alors que l'horreur déferlait en elle. Jamais elle n'avait pensé que ses parents pourraient être menacés.

- Est-ce que tu souhaites arrêter ? Reprit Margaret d'une voix douce.

La Moldue planta ses yeux dans ceux de la Sorcière pour répondre d'un ton catégorique :

- Non.

- Gideon avait dit que tu répondrais ça, sourit la jeune femme. (Soudain, ses yeux se perdirent dans la vague). Il a dit que tu lui rappelais ...

Comme sa phrase restait en suspens, Carrie insista :

- Que je lui rappelais qui ?

Margaret revint à la réalité dans un battement de paupières.

- Une amie, répondit-elle d'une voix morne. Une amie qui est morte.

- Pendant...pendant la Bataille d'Inverness ?

Comme Margaret hochait sèchement la tête, Carrie jugea préférable de changer de sujet.

- Est-ce que je dois faire quelque chose spécial pour me protéger ?

- Nous faire confiance, répondit-elle alors que l'ombre quittait ses yeux. Faire tout ce qu'on te dit en cas de besoin. Si nous sommes attaqués, tu ne dois en aucun cas contester nos ordres. Je suis assignée à ta garde avec un autre membre de l'Ordre, William Hardley.

Elle lui tendit une photo en noir et blanc qui, Carrie s'en aperçut aussitôt, bougeait. Un jeune homme à l'air timide souriait à l'objectif et, de temps en temps, agitait la main.

- Il viendra sans doute se présenter à toi s'il en a l'occasion, reprit Margaret. Comme ça tu n'auras pas à te poser de question si nous devons un jour te sortir d'un mauvais pas. Si jamais tu te fais attaquer un jour, tu ne pourras sans doute plus revenir ici.

Le visage de Carrie resta impassible mais ses mains tremblaient légèrement.

- Dans ce cas-là, nous vous exfiltrerons, ta famille et toi. J'espère de tout cœur que ça n'arrivera pas.

- Moi aussi, assura Carrie d'une voix enrouée.

Margaret fouilla dans ses poches avant de lui tendre un morceau de parchemin vierge.

- Une fois que les sortilèges de protection seront en place, nous ne monterons plus la garde dès que tu franchiras le pas de cette porte. Mais si jamais la maison se trouve assaillie, brûle ça. Nous viendrons.

- D'accord.

Carrie ferma résolument le poing sur le papier tout en se promettant intérieurement de toujours avoir un briquet sur elle, à l'avenir.

La jeune femme se leva alors et s'efforça à nouveau de lui sourire.

- Je suis vraiment désolée que tu aies à vivre tout ça. Nous te sommes infiniment reconnaissant pour tout ce que tu fais pour notre Ministère.

Son interlocutrice jaillit de son siège pour l'escorter jusqu'à la porte.

- Vous pensez... Vous pensez que cette guerre va encore durer longtemps ?

Margaret se figea, la main sur la poignée. Son visage avait repris son expression lointaine et triste.

- J'aimerais te dire que non. J'aimerais vraiment.

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