Partie III - Chapitre 52
Chapitre 52
Sirius sortit une cigarette de son paquet et grogna en apercevant le fond de la boîte. Il allait bientôt être à court. Sa consommation de tabac avait considérablement augmenté au cours du mois écoulé. Il alluma le fin rouleau à l'aide d'un briquet, pour le simple plaisir de se croire Moldu un court instant.
Un Moldu ne pouvait pas être un Black.
Il se laissa tomber dans l'herbe rase, peu soucieux du froid. Le soleil d'hiver brillait, rendant un peu plus supportable l'air glacial. Un peu plus loin, au-delà des arbustes derrière lesquels il était tapi, la mer se fracassait contre les falaises de Cornouailles. Un moment, il se rappela du plongeon de James. Ce souvenir fut bien vite remplacé par celui d'un éclair vert – de deux éclairs verts.
Un jour, Sirius avait passé la nuit dans la Réserve avec James. Ils avaient parcouru tout un tas d'ouvrages interdits. L'un d'eux avait marqué le jeune homme ; il évoquait les Sortilèges Impardonnables. Une phrase, notamment, ne cessait de le hanter : prendre la vie d'un homme, c'était déchirer son âme. Fallait-il donner un morceau de sa vie pour payer le prix de celle qu'on venait de prendre ?
Il exhala un nuage de fumée, qui se confondit avec la buée dans les rayons du soleil. Quoi qu'il en soit, il avait assassiné cet homme. Comme sa cousine Bellatrix, ou encore Lucius Malefoy. Tant de gens qui lui étaient liés par le sang.
- Putain de consanguinité, marmonna-t-il.
Dommage que « Toujours Pur » soit une devise si réelle.
Un bruissement tira Sirius de ses sombres pensées. En un rien de temps, il se trouva debout, sa baguette en main et sa cigarette fumante à ses pieds. Au lieu d'un homme, c'est un grand cerf qui émergea du bosquet. L'homme et le cervidé se fixèrent quelques secondes. Le cerf pencha la tête sur le côté, son impressionnante ramure suivant le mouvement. Ses yeux bruns étaient par trop reconnaissables. Avant que Sirius ait pu prononcer un mot, il fit demi-tour et partit au galop. Le jeune homme se lança à sa poursuite et, au beau milieu d'une foulée, se changea en grand chien noir. Il rattrapa sans peine le cerf et ils coururent côte à côté dans la bruyère. Sirius ignorait depuis combien de temps ils n'avaient pas fait ça. Il y avait une éternité qu'ils n'avaient pas accompagné Remus pour la pleine lune. C'était trop compliqué à gérer, avec les missions. Tellement compliqué qu'il en avait presque oublié qu'il était un Maraudeur.
Au bout d'un moment, le cerf s'engagea dans un petit bois. Pris de court, Patmol fit quelques pas de trop en avant. Il fit demi-tour, sauta par-dessus un tronc d'arbre couché et freina des quatre fers. James était assis sur une souche, occupé à nettoyer ses lunettes. Sirius reprit aussitôt sa forme normale et se passa la main dans les cheveux pour les aplatir – geste que James n'avait évidemment pas pris la peine de faire.
- Tu rouilles, mon vieux, commenta ce dernier. Je t'ai semé.
- Tu m'as pris de court.
- C'est bien ce que je dis.
Il lui lança un sourire provocateur, auquel Sirius ne prit pas la peine de répondre. Il alla s'adosser à un tronc d'arbre et sortit une nouvelle cigarette.
- Je t'ai cherché partout, avant de me dire que Cornedrue te trouverait facilement. Est-ce que tu es seulement passé au QG après ta mission ?
- De toute évidence, sinon tu n'aurais pas su que j'étais rentré.
- Question rhétorique. J'ai l'impression que tu nous fuis, en ce moment.
- Alors pourquoi prendre la peine de me pourchasser ?
- Merde, t'es vraiment d'une humeur de chien.
- Est-ce que je dois vraiment prendre la peine de te redire à quel point cette blague est nulle ?
Sirius daigne enfin lever les yeux vers James, qui le fixait d'un air soucieux.
- Qu'est-ce qui se passe ?
- T'es censé être mon meilleur ami, non ? Tu le sais sans doute.
- « Censé » ?
James se leva, les yeux étincelants de colère.
- J'ai fait quelque chose ?
- Non.
- Remus ? Peter ?
Agacé, Sirius donna un coup de poing dans le tronc d'arbre derrière lui.
- Personne n'a rien fait.
- C'est ça le problème ? On t'a délaissé ? On ne savait pas quoi faire, d'accord ! On ne comprend pas... On ne comprend pas pourquoi c'est si dur. Ce type, il a tué Jenny et...
- Je sais ! Tout le monde me rabâche ça en permanence, mais ça ne change rien ! Je l'ai assassiné ! Je suis un meurtrier, quoi que tu en dises !
- C'est la guerre ! On savait qu'on en viendrait à ça !
- Savoir et vivre sont deux choses différentes, tu le sais très bien. Et est-ce que tu t'attendais à jeter des sortilèges de mort ? A réussir ? N'essaie pas de me faire croire ça, Potter !
James se figea.
- Alors c'est ça, hein ?
- Quoi ? Éructa Sirius.
- C'est encore les Black, le problème ?
- Ouais, t'as raison, c'est juste moi le problème, gronda-t-il.
Agacé, James leva les yeux au ciel.
- Tu sais très bien que ce n'est pas ce que je voulais dire. Ce n'est pas parce que tu as tué un homme que ça te rend comme eux.
- Bien sûr que si. Il faut être aussi taré, et je le dis au sens propre du terme, pour utiliser ce genre de sortilège sans entraînement.
- Non.
- Tu n'aurais jamais réussi.
- Si on avait assassiné l'un des miens sous mes yeux ? Si.
- Tu n'en aurais pas eu la force.
- Arrête de faire la victime. Benjy a tué quelqu'un, et de façon bien pire que toi. Pourtant il s'appelle Fenwick. Lily a essayé de torturer Yaxley !
- Et a échoué ! Je suis un Black, quoi que je fasse ! Un putain de meurtrier, comme le reste de ma famille.
James le fusilla du regard.
- Arrête avec ça ! Tu t'appelles peut-être Black mais tu n'as rien à voir avec eux.
- Facile à dire quand on a une famille parfaite, marmonna Sirius, les doigts crispés sur sa cigarette qui se consumait lentement.
- Quoi ?
- Je sais très bien pourquoi tu es venu me voir.
Il fixa ses yeux brillants de colère sur James.
- Peter n'a jamais été très bon pour les surprises. Lily est enceinte, hein ?
James cilla.
- Je... Ouais. Ouais, on va avoir un bébé.
- Il te fallait au moins ça pour venir me chercher.
- Je t'ai dit qu'on ne savait pas quoi faire pour toi !
- Et m'assommer avec ta petite vie parfaite, ça t'a paru être une bonne solution ? Avec les nouvelles de ta femme et de ton bébé ?
- Je... Tu... Tu pourrais l'avoir, cette vie ! Tu crois que personne ne t'aime ? On est tous inquiet pour toi !
- A tel point qu'il a fallu que ta femme tombe enceinte pour que tu daignes venir me parler !
- Lily ! Éructa James. Ma femme s'appelle Lily, ce que tu sais très bien puisqu'elle te considère comme faisant partie de la famille, que tu as été son témoin autant que le mien.
- Tu sais quoi ? Tire-toi.
- Pas tant que tu n'auras pas entendu raison.
- Tu es venu pour me prouver à quel point j'ai tort, alors ? Merci, c'est très réconfortant.
- Plutôt à quel point tu es égocentrique, riposta James, les poings serrés.
- Égocentrique ? Hoqueta Sirius.
- On est tous là pour toi et toi, tu...
Avant qu'il n'ait pu finir sa phrase, Sirius lui envoya son poing droit en plein visage. James chancela, trébucha mais parvint à rester debout. Ils se fixèrent un court instant, yeux étincelants de colère, puis James se jeta sur lui. Ils partirent en arrière, valsèrent au sol à cause d'une racine. James asséna un coup de coude dans les côtés de Sirius pour tenter de se dégager mais celui-ci riposta d'un coup de genou dans le haut de la cuisse. James le lâcha avec un cri de douleur et Sirius en profita pour le frapper à nouveau au visage. Alors qu'il allait réitérer son coup, il s'immobilisa, le poing en l'air. James saignait à cause d'une coupure à la lèvre et d'une autre, au niveau du nez, sans doute due au moment où ses lunettes s'étaient brisées.
- Bordel.
Il se redressa brusquement, attrapa sa baguette qui avait roulé au sol et partit en courant sous sa forme d'animagus.
***
Le temps que James regagne le QG, sa colère était retombée. Il n'aurait jamais dû lui rendre ses coups. C'était la première fois qu'il se battait de la sorte avec Sirius. Leur denier véritable conflit datait de leur Cinquième année et ils ne s'étaient pas frappés ainsi, comme des Moldus. Il sentait à peine ses quelques contusions, trop préoccupé par la fracture irréversible que cette altercation avait peut-être causé dans leur amitié.
Sirius avait raison sur certains points ; sans doute le négligeait-il quelque peu depuis qu'il était marié, et en particulier depuis la Bataille d'Inverness. La mort de Jenny avait porté un rude coup à Lily, puis elle avait été si fatiguée... Il n'avait pas eu l'intention de blesser Sirius en lui annonçant la grossesse de Lily. Jamais il n'avait pensé que son meilleur ami pouvait être jaloux de son mariage. D'ailleurs, l'était-il vraiment ou avait-il seulement saisi le premier prétexte venu ?
James essuya le sang qui coulait le long de son menton avant d'entrer dans le parc du manoir. Il espérait que Sirius était rentré ; peut-être pourraient-ils parler plus calmement, de préférence en présence de Remus et Peter. Avec tristesse, il se demanda si les Maraudeurs existaient toujours.
Il poussa la porte d'entrée et se figea, un juron au bord des lèvres : Lily était allongée sur le canapé, apparemment rentrée plus tôt que prévu de sa mission. Elle ouvrit les yeux, prête à saluer le nouveau venu, mais son sourire se changea en expression choquée lorsqu'elle le vit.
- James ! Merlin, mais qu'est-ce qui t'es arrivé ?
Incapable de songer à un mensonge quelconque, il répondit :
- Me suis battu avec Sirius.
- Quoi ?
- Tu l'as vu ?
- Non, mais...
- Il faut que je le trouve.
Il s'apprêtait à faire demi-tour.
- Attends ! Laisse-moi soigner ça.
- C'est rien du tout, protesta-t-il.
- James. Viens là.
Avec un soupir, il prit place sur le canapé et la laissa faire. Sa baguette glissa doucement sur son visage pour refermer les plaies mais cela n'apaisa qu'à peine la souffrance.
- Laisse-le revenir de lui-même, conseilla-t-elle en lui tâtant les côtes.
- Mais...
- Je ne sais pas pourquoi vous vous êtes battus et tu n'as pas besoin de me le dire, mais tu devrais lui laisser du temps. Et à toi aussi.
Il grommela et se laissa aller dans le canapé.
- Je ne le comprends plus.
- Ce Mangemort...
- Je sais. Mais ça ne lui donne pas le droit d'être exécrable.
- Ça a toujours été compliqué avec Sirius, tu le sais bien.
- Il rend les choses compliquées.
- Tu as vu sa famille ?
- Justement, il ramène tout à ça, c'est stupide.
- Tu ne comprends pas parce que tu n'as pas de problèmes familiaux mais...
- Ma mère est morte, fit-il remarquer.
- La mienne aussi, mon père également et ma sœur me déteste. Tout comme la mère de Sirius le déteste, ainsi que son frère et le reste de sa famille.
- Mais on est là !
- Il n'empêche, il a trahi tout ce en quoi sa famille croyait. Pas étonnant que ce soit difficile pour lui.
- Je ne vois toujours pas le rapport avec le Mangemort qu'il a tué.
- Il se targuait d'être différent de sa famille à ce propos, non ? Tout s'écroule. Il ne sait plus où il en est.
- Tu as parlé avec lui ou quoi ? Marmonna James, suspicieux.
- Non, je suis juste une femme. Je ne frappe pas les gens.
- C'est lui qui a commencé !
- Je te taquinais, imbécile. Je te rappelle que j'ai passé la moitié de notre scolarité à te frapper.
Elle lui sourit et posa la main sur sa joue amochée.
- Il va revenir, vous vous excuserez et tout ira bien.
- Tu crois ?
- Vous êtes les Maraudeurs. Vous êtes inséparables.
- Je ne sais pas, Lily. On...
- Eh, Potter, est-ce que ce n'est pas toi qui es censé être le plus optimiste de la bande ? Arrête de te morfondre. Sirius a besoin de temps, c'est tout.
- Ça fait un mois.
- Il m'en a fallu plus pour me remettre de ton plongea, rappela-t-elle.
Il grommela à nouveau mais ne tenta plus de partir.
- Comment s'est passée ta mission ? Interrogea-t-il tout en réparant ses lunettes d'un coup de baguette.
- Sans problème. Ils ont pris leur bateau et doivent être en France à l'heure qu'il est.
- Merlin, j'aimerais pouvoir faire la même chose, parfois. Prendre des vacances dans le sud de la France.
Lily pouffa.
- Plus tard, si tu veux.
- Et qu'est-ce qu'on fera de notre bébé ?
- Remus le gardera.
- Pourquoi Remus ?
- Laisse-moi réfléchir... Parce qu'il n'a pas de moto magique et ne risque pas de le faire tomber dès qu'il se mettra à pleurer ?
- Peter ne fera pas... Bon, si, très bien. Il pourrait faire ça.
La jeune femme rit tout en se calant un peu plus confortablement dans le canapé.
- Merlin, je suis épuisée.
James considéra un instant sa femme, un pli soucieux lui barrant le front. Tout à son euphorie, il avait négligé certains détails relatifs à leur situation plus qu'inhabituelle.
- Dis-moi... Tu es sûre que c'est prudent de continuer à faire des missions ?
Lily, qui avait fermé les yeux, ouvrit un œil vindicatif.
- Est-ce que tu es en train de me suggérer de ne rien faire pendant au moins neuf mois ?
- Je veux juste dire que...
- James, coupa-t-elle, si tu ne veux pas te disputer avec moi en plus de Sirius, tu ferais mieux de te taire tout de suite.
Ce fut à son tour de la fusiller du regard.
- Seulement si tu me promets qu'on en reparlera.
Elle pinça les lèvres mais hocha la tête avant de changer subitement de sujet :
- Tu as écrit à ton père pour le prévenir qu'on allait venir le voir ?
- Pas eu le temps. Je le ferai ce soir.
Avant que Lily n'ait eu le temps de commencer à râler, la porte s'ouvrit une nouvelle fois, livrant passage non à Sirius, comme James l'espérait, mais à Alice et Frank Londubat. Les joues rougies par le soleil, le jeune couple semblait rayonner.
- Bonsoir ! S'exclama Frank. On s'invite à dîner !
- Vous n'avez peur de rien, commenta James en se levant pour lui serrer la main. Maugrey est là.
- Ouais, il paraît. Ça tombe bien, ça nous évitera de devoir le prévenir en plus.
- Le prévenir de quoi ?
- Non ?
L'exclamation de Lily arracha les deux hommes à leur conversation et ils se tournèrent vers leurs femmes.
- Tu..., commença Alice avant de se mettre à rire.
- Toi aussi !
Elles tombèrent dans les bras l'une de l'autre, riant aux éclats. James dévisagea Frank, incrédule. D'une même voix, ils demandèrent :
- Vous allez avoir un bébé ?
Puis éclatèrent de rire et entreprirent de se congratuler à grand renfort de tapes dans le dos.
***
Sirius coupa le contact avant de passer la grille. Il pénétra dans le jardin en poussant la moto, dans l'obscurité la plus complète. Ça ne le gênait pas. Il contempla la masse sombre qu'était le manoir, incertain. Seule la fenêtre du salon brillait. Étant donné les horaires chaotiques de tout le monde, il était impossible de savoir s'ils seraient tous rassemblés dans le salon, ou dans la cuisine, ou éparpillés entre les deux Il était même impossible de savoir qui était là. Il ne savait trop s'il espérait ou non que Remus et Peter seraient rentrés. Cette situation ne lui rappelait que trop leur altercation, en Cinquième année. Seulement, cette fois-ci, il ne se sentait pas seul fautif.
Arrivé derrière le bâtiment, il mit la béquille de sa moto et la couvrit d'une bâche avant de se diriger vers la porte d'entrée. Il poussa timidement le battant, pour finalement ne trouver qu'un feu pétillant dans la pièce. Des éclats de voix lui parvenaient de la cuisine. Alors qu'il refermait la porte, celle de la pièce adjacente s'ouvrit et livra passage à James. Leurs regards se croisèrent furtivement mais ils baissèrent tous les deux les yeux le temps que James referme derrière lui. Le bruit de voix s'estompa.
Sirius était orgueilleux, c'était un fait. Il en avait très bien conscience et savait parfaitement en jouer. Mais il savait aussi mettre son orgueil de côté quand il le fallait. Avoir mis son poing dans la figure de James le valait bien, ce soir-là.
- Je suis désolé, lança-t-il tout de go.
James se frotta la nuque, gêné, avant de répondre.
- Ouais. Moi aussi. Je sais... Je sais que ça fait longtemps qu'on a pas fait un truc entre Maraudeurs.
- Je n'avais peut-être pas l'air très enclin à sortir avec vous, en même temps.
- Ouais. Ouais, peut-être.
Après un instant de silence, Sirius commenta :
- Tu t'es fait exploser comme une fillette.
- Hé ! Pas du tout ! Je ne voulais pas te faire mal.
- C'est ça. Maintenant je sais pourquoi tu voulais toujours qu'on se batte sous nos formes d'Animagi.
James haussa un sourcil alors qu'un sourire jouait sur ses lèvres.
- Tu veux vraiment provoquer Cornedrue ?
- Tu crois que tu me fais peur, biquette ?
La biquette en question ouvrit la bouche, vraisemblablement pour l'insulter, mais la porte s'ouvrit à nouveau et Lily passa timidement la tête dans l'entrebâillement.
- Salut ?
- Lily ! S'exclama Sirius alors qu'une nouvelle bouffée de honte l'envahissait.
Il lui en avait voulu atrocement dès l'instant où il avait compris qu'elle était enceinte. La nouvelle lui avait donné l'impression que son meilleur ami s'éloignait de plus en plus de lui, et que tout avait commencé le jour où il avait épousé Lily. Seulement, James avait raison. Lily était, elle aussi, l'une de ses plus proches amies. Il croyait fermement ce qu'il avait dit le jour de son mariage : il n'avait pas perdu un ami mais gagné une sœur.
Enhardie par son humeur engageante, Lily entra pour de bon. Aussitôt, Sirius se précipita vers elle et la souleva du sol en s'exclamant :
- Alors comme ça on va avoir un bébé ?
Lily poussa un cri et se débattit tout en riant. Sirius la reposa doucement avant de lui ébouriffer les cheveux.
- Je peux choisir le prénom ? Il s'appellera Sirius ? Ou Patmol ? Cornedrue ? Oh non, je sais ! Elvendork !
James et Sirius partirent d'un grand rire alors que la jeune femme leur jetait un regard suspicieux.
- Ça sent le mauvais coup, commenta-t-elle.
- Arrête, Lily, c'est fabuleux comme prénom ! S'exclama James.
La jeune femme grommela dans sa barbe avant de leur ébouriffer à tous deux les cheveux.
- Bande de grands gamins. Je ne sais pas trop si vous aurez le droit d'approcher ce bébé.
- Eh ! C'est mon bébé aussi ! Protesta James.
- Ce qui ne veut pas dire que tu es assez mature pour t'en occuper. Est-ce que tu sais changer une couche ?
James fronça les sourcils avant de répondre :
- Disons que j'ai neuf mois pour m'exercer.
- Quand est-ce qu'il doit naître ? Interrogea Sirius.
- Début août, a priori, sourit Lily. Comme le bébé d'Alice !
- Quoi ? Alice et Frank aussi ?
- Ouais, ils sont là ! Viens !
Elle l'attrapa par le bras et le tira vers la cuisine.
***
Plus tard ce soir-là, alors que la plupart des membres de l'Ordre étaient allés se coucher, les deux couples de futurs parents se retrouvèrent dans le salon. James en profita pour reprendre la conversation que Lily avait délibérément interrompue :
- Dis-moi Frank, tu trouves ça prudent qu'Alice et Lily continuent les missions sur le terrain ?
Les deux jeunes femmes interrompirent leur conversation pour les fusiller du regard.
- James, la ferme, grogna Lily.
- Tu as promis qu'on reprendrait cette conversation, rappela-t-il.
- Je ne vois vraiment pas ce que tu attends de tout ça. On ne va pas rester sans rien faire.
- Il n'a pas tort, intervint Frank.
- Hé ! Protesta Alice. Lily non plus n'a pas tort.
- Ça pourrait être dangereux pour le bébé, non ? Reprit James.
- Je sais me défendre, rétorqua Lily, butée.
- Oh, je sais. Et je sais qu'un coup dans le ventre ou un vol plané ne te tuera pas, en temps normal, mais quel effet ça aura sur le bébé ?
A la façon dont elle le regardait, James vit bien qu'elle n'avait pas envisagé les choses sous cet angle.
- Je sais que tu es capable de te défendre, répéta-t-il, mais le bébé ne l'est pas. Je n'ai pas... Je n'ai pas envie qu'ils vous arrivent malheur à cause d'un mauvais coup qui ne t'aurait rien fait normalement.
- Et donc on va être inutile pendant pratiquement un an pour vivre dans du coton ? Interrogea Alice, les bras croisés sur la poitrine.
- Il y a sans doute des choses à faire qui n'impliqueront pas que vous preniez des coups, protesta James. Il faudra voir avec Maugrey. Lily, est-ce que tu veux bien arrêter de me fixer comme si tu allais m'assassiner s'il-te-plaît ?
- Ça m'agace, répondit-elle. Ça m'agace parce que tu as raison, et parce que je n'ai pas envie d'être une faible chose.
- Tu ne l'es pas. C'est le bébé qui l'est.
- Admettons. En attendant c'est moi qui deviens inutile et encombrante.
Il leva les yeux au ciel.
- J'ai une utilité toute trouvée pour toi : refaire le stock de potions et t'occuper de l'infirmerie.
- Mais James, gémit-elle, ça a été un calvaire de le faire l'an dernier !
- Cette fois tu n'y seras pas obligée !
- Ça n'a rien de réconfortant, marmonna-t-elle.
Elle s'enfonça dans le canapé, une expression d'agacement enfantin sur le visage.
- Maintenant tu me rappelles qu'il y a des tas de choses à faire pour et que je n'ai pas la moindre idée de la façon dont ça fonctionne dans le monde magique.
Comme James se contentait de la regarder d'un air stupide, Alice demanda prudemment :
- Tu veux dire... Niveau médical ?
La jeune femme grogna un assentiment.
- Tu veux m'accompagner chez mes parents la semaine prochaine ? Je dois en parler avec ma mère.
- Oh oui, Merlin, merci !
James observa soigneusement sa femme alors qu'elle discutait de leur arrangement avec Alice. Il n'avait pas trop réalisé jusque-là que ce devait être difficile pour elle de ne pas avoir sa mère à ses côtés. Si encore elle s'entendait avec sa sœur...
- Je n'oublierai jamais la tête de Maugrey quand on lui a annoncé, lança Frank, qui regardait aussi sa femme.
- Merlin, j'ai bien cru qu'il allait nous arracher la tête ! Tu vas voir, je suis sûr qu'il leur aura déjà trouvé une tâche demain.
- Une tâche qui ne donnera pas des envies de meurtre à Lily, de préférence.
Frank se mit à rire. James ne se rappelait pas l'avoir vu aussi détendu depuis Poudlard.
- Ça risque d'être difficile.
***
Martin laissa retomber son verre sans bruit. Il allait devoir y aller même s'il n'en avait aucune envie. Les quelques consommateurs qui se trouvaient encore là lui jetèrent un regard désabusé lorsqu'il se dirigea vers la seconde porte du Chaudron Baveur. Une fois face au mur de briques qui barrait l'entrée du Chemin de Traverse, il tapota les pierres dans le bon ordre et prit une profonde inspiration en attendant l'ouverture du passage. L'air froid qui hérissa les petits cheveux de sa nuque lui sembla différent de celui de Londres. Sa baguette toujours en main, il fit quelques pas dans le Chemin de Traverse. Tout lui semblait terriblement hostile ; la rue commerçante n'était pas complètement morte, mais elle ne dégageait plus la même atmosphère de frivolité qu'autrefois. Martin se rappelait très bien ses premiers achats ici, pour sa première rentrée à Poudlard. Il y avait tant de monde qu'il avait bien cru perdre sa mère dans la cohue ! La dernière fois qu'il était venu pour ses fournitures scolaires, il avait pu circuler sans encombre dans une rue aux façades trop ternes.
Alors qu'il longeait les établissements fermés, il songea avec un frisson à l'Allée des Embrumes. Dommage que ce soit précisément l'endroit où il se rendait.
Comme on le lui avait indiqué, il prit la deuxième à gauche, compta trois portes et poussa un battant qui s'ouvrit en grinçant. Il monta prudemment les marches, à tâtons de peur de se faire repérer, et atteignit finalement le deuxième étage. Il ne put faire que trois pas dans le couloir avant qu'une baguette ne se plante dans sa gorge. Par réflexe, il rejeta le menton en arrière, le souffle coupé.
- Mot de passe ? Gronda une voix masculine.
- « La dix-huitième loi de Merlin stipule que toute étincelle de magie est une étincelle de vie », s'étrangla Martin.
- « En tant que telle, la magie doit être considérée comme un être vivant à part entière qui vivrait par devers le Sorcier et pour le Sorcier », compléta l'homme avant d'abaisser sa baguette.
Une lueur verte se diffusa dans le couloir et Martin put apprécier le sourire de Fabian Prewett sous cet éclairage plus que douteux.
- Tu es presque en retard, Ranger.
- Presque.
Sans rien ajouter de plus, Fabian prit la tête de la marche. Ils gagnèrent un escalier de service qui les mena sur le toit. Celui-ci, bien qu'en pente douce, n'inspira pas confiance à Martin.
- T'es sûr qu'on va par-là ?
- T'es un joueur de Quidditch oui ou non ? Bien sûr qu'on va par-là.
Sans la moindre hésitation, Fabian gagna le bord du toit et sauta sur le toit d'à côté, éloigné de cinquante centimètres tout au plus. Résigné, Martin le suivit. Les tuiles glissaient et s'entrechoquaient, mais cela ne semblait pas déranger son guide. Il s'arrêta finalement au bord d'une fenêtre restée ouverte et se glissa à l'intérieur. Martin le rejoignit avant de grogner :
- On n'aurait pas pu passer par la rue ? Les sortilèges de Désillusion, tu connais ?
- Un sortilège, ça se repère. L'avantage des Mangemorts c'est qu'ils méprisent tellement les Moldus qu'ils n'imaginent pas qu'on puisse faire les choses comme eux.
Martin grommela, toujours persuadé que Fabian avait seulement trouvé cela plus amusant de passer par les toits. Ils se trouvaient à présent dans une chambre de bonne poussiéreuse. Un vieux lit grinçant et une armoire de guingois constituaient le mobilier. Une flamme magique enfermée dans un bocal éclairait le tout.
- Alors ?
- Tu vois Barjow et Beurk ? La vieille maison avec les trois cheminées.
Le jeune homme plissa les yeux ; il était difficile de distinguer les bâtiments dans la nuit. Finalement, il trouva la boutique dont lui parlait Fabian et hocha la tête.
- Parfait, enchaîna ce dernier. Tu gardes un œil dessus et sur les alentours. Si quelqu'un arrive, tu le stupéfixes. Pas de quartier, d'accord ? Si j'ai un souci, je tâcherai de lancer des étincelles rouges. Dans ce cas-là, envoie un message au QG et ensuite rejoins moi.
Martin acquiesça à nouveau avant de demander, perplexe :
- Qu'est-ce que tu vas faire là-bas, au juste ?
Fabian sourit de toutes ces dents :
- Voler le registre des clients.
- Quoi ? Sérieusement ? On va arrêter tous les gens qui achètent des amulettes chez eux ?
- Non, on va s'assurer qu'ils ne tombent pas dans le camp de Voldemort.
Peu convaincu, Martin haussa les sourcils.
- Parce que tous leurs clients sont des tueurs en puissance ?
- Des gens faciles à convaincre pour tout un tas de raisons que je t'expliquerai plus tard. Il faut que j'aille récupérer ce registre.
Fabian fila une grande claque dans le dos de Martin pour lui souhaiter bonne chance. Il se dirigea ensuite vers la porte, laissant le jeune homme face à la fenêtre ouverte.
- Par où est-ce que tu vas passer ? Le héla-t-il.
- Par la porte, jeune blanc-bec, rétorqua Fabian.
- Donc il n'y avait vraiment aucune raison pour qu'on passe par les toits ?
- Oh, si. Moi je sais éviter les sortilèges qui piègent une rue, mais pas toi.
Vexé, Martin le fusilla du regard. Fabian eut unsourire moqueur avant de quitter définitivement la pièce. Son cadet finit parprendre son poste de surveillance, peu convaincu de son utilité – voire même del'utilité de cette mission. Il doutait qu'un simple registre puisse changer lecours de la guerre. Alors qu'il frissonnait dans l'air froid de la nuit, ilsongea à tous les rêves qu'il avait formé quant à l'Ordre du Phénix lorsqu'ilfinissait ses études à Poudlard. Il avait espéré pouvoir changer les choses.
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