Partie III - Chapitre 50
Chapitre 50
Martin émergeait des bois lorsqu'il aperçut Lily et Sirius, dont il percevait les traits grâce à la lumière de leur baguette. Le jeune homme frotta le bras cassé qu'il était allé faire ressouder auprès des Soigneurs ; on lui avait défendu de repartir aussitôt mais il n'avait pas écouté. Malgré le sort plus qu'incertain de Maugrey et le tour sanglant qu'avaient pris les événements, il refusait de se terrer sous une tente.
Il s'approcha des deux jeunes gens pour leur demander un compte-rendu de la situation et, ce faisant, se rendit compte que Lily était pâle comme la mort. Quant à Sirius, son visage n'exprimait rien du tout. Inquiet, il les rejoignit pour de bon. En l'entendant approcher, ils se tournèrent vivement vers lui, baguettes brandies. Lorsqu'elle le reconnut, le visage de Lily se brouilla et des larmes dégringolèrent le long de ses joues. Paniqué, Martin chercha le regard de Sirius, ne rencontra que le vide puis aperçut le corps à leurs pieds. Glacé jusqu'au sang, il balbutia :
- C'est...
- Mangemort, hoqueta Lily.
- Putain de Mangemort, ajouta Sirius d'une voix morne.
- Il...
- Mort. Comme Jenny.
Les doigts de Martin, crispés sur sa baguette, se mirent à trembler.
- Quoi ?
- C'est ce qu'on appelle un vrai baptême du feu.
Lily était à présent agitée de sanglots incontrôlables, le visage enfoui entre ses mains. Sirius posa une main dans son dos et la poussa doucement vers Martin.
- Tu veux bien la conduire à la tente à infirmerie ? Si jamais tu tombes sur James, ça ne lui fera pas de mal non plus.
Trop estomaqué pour protester, Martin hocha la tête. Lily tenta de dire quelque chose mais elle n'eut pas le force d'aller au bout. Leur cadet prit son bras mais, avant de partir, demanda :
- Jenny ? Où... Où est son corps ?
- Là où il l'a tuée. J'ai jeté un sortilège pour la protéger et allumé une torche auprès d'elle. J'irai la chercher quand ce sera fini.
- La bataille... Tu sais où on en est ?
- Aucune idée. Avant que tu n'arrives, Lily m'a dit que Maugrey était quasiment condamné.
- Ouais, une jambe arrachée. Ethel a fait ce qu'elle a pu.
- Ethel ... ?
Une ombre de vie traversa le visage torturé de Sirius, puis il porta le regard vers les éclairs de magie qu'on apercevait, un peu plus au nord.
- Je ne suis pas sûr que les Aurors veuillent de notre aide.
- Aucune idée, souffla Martin alors que Lily tentait de reprendre le contrôle d'elle-même, sans grand succès.
Sirius fit un petit signe vers le sud.
- Emmène-la.
- Ouais, d'accord.
Alors qu'ils progressaient entre les arbres, Lily le repoussa soudain. Elle se redressa en reniflant, le visage ravagé par les larmes.
- Pas besoin d'aller à l'infirmerie, balbutia-t-elle.
- Tu ne risqueras rien là-bas, protesta-t-il. Dans ton état...
- Ça... ça va, c'est juste que... Quand je t'ai vu...
Un sanglot l'interrompit mais elle reprit bien vite :
- Tu viens d'arriver et... ça aurait pu être toi ou... Et puis il va falloir le dire aux autres... Oh, Merlin ! L'Ordre a besoin de nous, je ne veux pas rester à... à ne rien faire, alors que Jenny a été tuée au combat.
La gorge serrée, les larmes aux yeux, Martin hocha la tête. Ils firent demi-tour de concert et regagnèrent la zone des combats. Quelques Géants gisaient là, abandonnés par leurs congénères, blessés ou morts ; Martin n'aurait su dire. Il y avait également des Aurors. Les deux jeunes gens considérèrent un instant l'endroit où l'on se battait encore ; les traits de magie se faisaient de plus en plus nombreux, ainsi que les hurlements rauques des Géants. Grâce à leurs yeux à présent habitués à l'obscurité, ils distinguèrent quelques silhouettes gigantesques qui semblaient s'enfuir.
- C'est presque fini, chuchota Martin.
- Ils n'ont pas besoin de nous, statua Lily d'une voix plus ferme qu'auparavant. Autant essayer de voir s'il y a des survivants de ce côté-ci et faire ce qu'on peut pour eux.
La jeune recrue hocha la tête, impressionnée par la façon dont elle s'était reprise. Ensemble, ils entreprirent de s'agenouiller auprès de chaque corps qu'ils voyaient. Certains restaient aussi inertes que la pierre, d'autres poussaient un faible gémissement, d'autres encore ne réagissaient pas mais leur pouls battait. En une heure, ils dénombrèrent sept morts et six blessés. Ils accompagnèrent ces derniers jusqu'à la tente à infirmerie. Au terme de cette heure, les combats avaient enfin cessé. Le silence serait retombé sur la forêt si l'écho de la fuite effrénée des Géants n'avait pas résonné dans les montagnes. La terre tremblait toujours, mais de moins en moins fort. Au-delà de la clairière labourée par les Géants, d'immenses cadavres jonchaient les bois.
Par petits groupes, les Aurors revinrent vers la première zone d'affrontement. Alors qu'ils s'efforçaient de jucher un malheureux sur un brancard, Martin et Lily les virent s'assembler autour de la tente où l'on essayait de sauver Maugrey. Silencieux, ombres noires dans la nuit noire, ils attendaient. Des retardataires arrivaient en boitillant, blessés mais toujours loyaux. Quelques baguettes s'illuminèrent et les deux membres de l'Ordre virent des Aurors prendre la place de Fabian, Marlène et Peter pour protéger la tente.
- Martin ? Appela doucement Lily.
- Oui ?
- Tu veux bien l'accompagner à l'infirmerie sans moi ? interrogea-t-elle en désignant le Sorcier qu'ils tentaient de secourir.
- Bien sûr.
Elle hocha la tête, alors que des larmes coulaient à nouveau le long de ses joues, comme elles l'avaient fait à intervalles réguliers pendant toute l'heure précédente. Il donna donc un petit coup de baguette qui mit le brancard en mouvement et s'éloigna dans les bois, tandis que Lily se dirigeait vers les autres membres de l'Ordre.
***
Lily tenta de ravaler ses larmes. Elle devait leur annoncer la nouvelle, dut-elle ensuite s'effondrer. Le Bureau des Aurors veillait, et l'Ordre se devait de faire la même chose.
Marlène l'aperçut la première. A la lueur de sa baguette, elle la scruta avec inquiétude. Ses trois compagnons se tournèrent vers elle. Comme Peter demandait si elle était blessée, elle secoua la tête et chercha le regard de Fabian avant d'annoncer :
- Jenny a été tuée.
Tous se figèrent. Le silence régna un instant puis Fabian souffla :
- J'espère que celui qui a fait ça est loin d'ici, sans quoi Gideon va l'écorcher vif.
- Il est mort, répondit Lily. Sirius... Sirius l'a tué.
Peter couina alors que Marlène se renfrognait.
- Tu as des nouvelles des autres ? Interrogea cette dernière.
- Pas du tout. On s'est occupé des blessés, avec Martin. Et vous ?
- Gideon et Benjy tiennent conseil quelque part par-là, répondit Fabian d'un ton morne. Ils ont pris le commandement.
- A juste titre, commenta Lily.
Les autres hochèrent la tête. Peter fouillait les ténèbres du regard, inquiet. Marlène se tournait de temps en temps vers la tente où on soignait Maugrey, tandis que Fabian guettait le retour de son frère.
- Je crois que la question est de savoir si nous rentrons au QG tout de suite ou non, poursuivit Marlène. Quand ils auront décidé, on tâchera de retrouver tout le monde.
- Tu sais où est Jenny ? Interrogea Fabian.
- Vaguement. Sirius sait, lui.
Lily déglutit alors que la peine lui serrait à nouveau la gorge.
- Il l'a vraiment assassiné ? Chuchota Peter.
- Sirius ? Il semblerait. Merlin, je n'ai aucune idée de l'endroit où il est allé, j'espère qu'il...
Elle prit une profonde inspiration pour se calmer puis annonça :
- Je vais aller voir là-bas, au cas où des gens auraient besoin d'aide.
- Lily, protesta Marlène d'une voix douce, ce n'est pas à toi de faire ça. Des Guérisseurs de Ste-Mangouste sont là et...
- Maugrey nous a dit de les aider dans la mesure du possible. Je ne fais qu'exécuter ses ordres.
Sans attendre, elle partit. Elle passa devant les Aurors et leur veille silencieuse, songea à Jenny, seule dans la forêt. Elle poursuivit néanmoins sa route, consciente que les vivants avaient plus besoin d'elle que les morts.
Un bruit de course lui parvint et Marlène arriva à sa hauteur, légèrement essoufflée. Sans un mot, elle chemina à ses côtés. Les deux femmes parvinrent bien vite sur le deuxième lieu d'affrontement. Les corps des Géants jonchaient le terrain, aussi inertes que les montagnes où ils avaient vécu. Mais, par moment, un gémissement s'élevait dans la nuit. Lily et Marlène s'activèrent ; elles réduisirent quelques fractures, distribuèrent des potions de force, assistèrent une femme qui rendait son dernier souffle. Alors qu'elles contournaient la jambe d'un Géant, des lueurs leur parvinrent. Elles s'immobilisèrent, inquiètes, mais une voix bien connue leur parvint :
- Qui va là ?
Lily fut tellement soulagée qu'elle faillit se remettre à pleurer. Elle répondit :
- C'est Lily, je suis avec Marlène.
- Oh, Merlin...
Des bruits de pas précipités se firent entendre, puis James l'enlaça. Elle referma ses bras autour de son cou alors que quelqu'un d'autre approchait dans son dos.
- Tu vas bien ? Souffla James dans ses cheveux.
- Quelques égratignures, c'est tout. Et toi ?
- Nez cassé, mais Sirius m'a réparé.
Elle s'écarta pour tâter ton visage. Il avait perdu ses lunettes et elle sentit ce qui devait être du sang séché sous des doigts.
- Sirius t'a dit ?
Il hocha la tête.
- Tu sais s'il y a d'autres victimes ?
- Marlène, Benjy, Peter et Gideon vont bien. Pas de trace des autres. Et Maugrey...
- Ouais, je sais. Sirius et moi on... on cherchait Remus. Je l'ai vu pour la dernière fois à peu près au moment où Maugrey a été blessé.
- Je suis sûre qu'il va bien, souffla Lily.
- J'en conclus que vous ne l'avez pas vu de votre côté ? Intervint Sirius.
- Uniquement des Aurors, répondit Marlène.
- Il nous reste une zone à quadriller, de ce côté-ci, indiqua James en tendant le bras dans la nuit.
- Je viens avec vous, décida Lily, bien décidée à ne plus lâcher son mari.
Celui-ci, apparemment du même avis, lui attrapa la main. Suivis de Sirius et Marlène, ils continuèrent leur ronde. Ils ne tardèrent pas à croiser un autre Sorcier, agenouillé au sol. Les Maraudeurs reconnurent Remus sans peine. Les trois garçons se tombèrent dans les bras. Ils achevèrent ensemble d'aider les blessés et de fermer les yeux des morts. Pour un Géant mort, au moins trois Aurors étaient tombés. Alors qu'ils s'éloignaient d'un nouveau corps, Lily entendit Marlène murmurer :
- Ça n'en valait vraiment pas la peine...
- Vous pensez que Maugrey va être furieux, quand il se réveillera ? Interrogea Lily.
Marlène lui adressa un drôle de regard avant de répondre :
- Oui... Certainement.
- Qu'est-ce qu'on va faire de tous ces corps de Géants ? Souffla Sirius alors qu'ils retournaient vers l'endroit où étaient rassemblés tous les Aurors. On ne va pas pouvoir cacher ça aux Moldus.
Lily n'avait pas de réponse, et si Marlène en avait une, elle s'abstint de la donner.
Un peu à l'écart du groupe d'Aurors, un autre petit groupe se distinguait. A la lueur des baguettes, ils reconnurent Peter et Fabian, mais aussi Gideon, Benjy, Amanda, Alice, Frank, Martin et Margaret. Cette dernière fondit en larmes en voyant Lily, qui eut bien du mal à ne pas faire pareil. Remus, après un instant d'hésitation, passa un bras autour de ses épaules et la serra contre lui. Gideon, un peu à l'écart du cercle, fixait le sol d'un air absent, le teint blafard.
Benjy annonça aux nouveaux venus :
- Maintenant qu'on a récupéré tous ceux qui sont sur pied, on va rentrer. Ethel, Will et Sally sont auprès des Guérisseurs, mais ils s'en sortiront sans problème. Quant à Jenny, nous allons ramener son corps pour la rendre à ses parents. Ensuite, les Aurors mettront le feu à la forêt.
- Quoi ? Hoqueta James.
- C'est le seul moyen de se débarrasser de tous les corps de Géants qu'il y a ici. On en a parlé avec l'adjoint de Maugrey. Il en prend toute la responsabilité. Le feu sera sous contrôle du Bureau, il ne devrait pas y avoir de débordement.
- Mais....
- Potter, coupa Benjy, je sais que ça peut paraître drastique comme mesure, mais c'est la plus raisonnable. Et maintenant, allons chercher Jenny, et rentrons chez nous.
Lily n'oublierait jamais la marche silencieuse qui les mena à l'endroit où Jenny était tombée. Comme Sirius le lui avait dit, il l'avait entourée de flambeaux dont la lumière faisait flamboyer ses cheveux blonds. Sans un mot, Gideon s'approcha et la souleva dans ses bras. Son visage se contracta une infime seconde mais il se reprit vite. Ils transplanèrent directement au QG, sauf Sirius qui insista pour attendre que les blessés soient en état de rentrer – ou plutôt, qui mourait d'envie de voir Ethel.
Lorsque les embruns de Cornouailles fouettèrent son visage, Lily prit une profonde inspiration. C'était déjà presque le matin mais l'aube, en ce mois d'octobre, était encore loin. Elle espéra que le vent qui la glaçait jusqu'à l'os saurait emporter l'odeur du bûcher loin d'Inverness.
***
- Ils ont quoi ?
- Mis le feu à la forêt.
Minchum ferma plus étroitement les pans de sa robe de chambre couleur bordeaux et dévisagea Gary McKinnon, atterré. L'homme, vêtu de noir et le regard sévère, détonnait dans le petit salon remplis de peinture maritimes du Ministre.
- Thatcher va avoir ma peau, gémit-il. Des milliards d'hectares !
- Je m'arrêterais à des milliers, commenta McKinnon. Et encore.
- Mais à quoi ont-ils pensé, Merlin !
- Alastor ...
- Je m'en contrefous ! Alastor n'est pas leur dieu, que je sache ! Ils ont un cerveau ! Ils savent agir intelligemment même sans Maugrey !
- Il paraît invincible, c'est difficile de....
- C'est difficile de diriger un pays en guerre, McKinnon ! Rugit Minchum en abattant le poing sur le haut du dossier de l'une de ses bergères. Je sais ce que Maugrey représente, et je n'ai pas plus envie que vous qu'il meurt, mais serait-ce trop demander que de réclamer un peu de bon sens ? Si je ne peux plus compter sur mes Aurors, alors sur qui ?
- Maugrey, répondit son interlocuteur sans la moindre hésitation.
- Il est sur son lit de mort !
- Il est sauvé, d'après Manstreet.
- Avec une jambe en moins.
- Ça ne l'empêchera pas de reprendre son poste.
Minchum soupira avant de se frotter un instant les yeux.
- Comment voulez-vous que nous gagnions, souffla-t-il. L'un de nos plus grands atouts est estropié à vie.
- Maugrey ne menait pas cette guerre seul.
- Visiblement si, puisque le Bureau a entrepris d'éliminer tous les Géants de Grande-Bretagne une fois Maugrey éliminé.
McKinnon soupira et désigna l'un des fauteuils d'un geste las.
- Je peux ?
- Allez-y, marmonna Minchum. Ça a dû être une longue nuit.
- En effet. Ma femme était sur le champ de bataille.
Le Ministre se crispa à la simple mention du mot « femme » et se détourna vivement. Le départ de la sienne était toujours un sujet douloureux.
- La Gazette est-elle déjà au courant ? Interrogea-t-il, le visage tourné vers le papier peint crème de son salon.
- Je pense, oui. Ils sortiront sans doute une édition spéciale dans l'après-midi, s'ils n'ont pas eu le temps de mettre un article sous presse avant la publication de ce matin.
- Ça va faire scandale, hein ?
- Pas tant que ça ; tout le monde déteste les Géants. Ils seront obligés de dire qu'ils étaient alliés de Voldemort : ça calmera les esprits.
- Et la presse moldue ?
- Depuis quand suis-je votre espion, M. le Ministre ?
- Depuis que Maugrey a une jambe en moins et a failli me laisser seul dans ce merdier, répondit Minchum d'un brusque en se tournant à nouveau vers son interlocuteur.
McKinnon soupira et répondit finalement :
- Ils vont se poser des questions, comme d'habitude. Et si ce n'est pas la faute de l'IRA, alors un imbécile aura laissé sa cigarette tomber dans la bruyère.
- On est en octobre, observa le Ministre. En Écosse. Je ne vois pas comment un tel incendie pourrait se produire accidentellement.
- Ils trouveront une explication rationnelle, promit Gary. Ils l'ont toujours fait. Vous connaissez l'IRA ?
- Je vous retourne la question.
- Je m'informe.
- Je traite avec Margaret Thatcher, riposta le Ministre.
Pris d'une idée subite, il claqua des doigts.
- Allez me chercher Carrie ! Tirez-la du lit s'il faut, mais j'ai besoin d'elle !
- Carrie ? La petite Moldue ?
- La petite Moldue qui devra expliquer à Thatcher que cet acte était indépendant de ma volonté et que les caisses du Ministère n'ont rien à lui donner.
- Elle ne gobera jamais ça.
- Ne sous-estimez pas Carrie.
- Très bien, j'y vais. Si vous me promettez qu'Alastor pourra récupérer son poste de chef du Bureau des Aurors s'il le souhaite.
Minchum tritura la ceinture de sa robe de chambre.
- Ce marché n'a rien d'équitable.
- Allez-y, posez vos conditions.
- Il pourra reprendre sa place mais celui ou ceux qui ont mené la charge contre les Géants seront démis de leur fonction et jugés pour insubordination.
- Et si tous les Aurors sont concernés ?
- Alors Maugrey sera chef d'un Bureau entièrement renouvelé.
Les deux hommes s'affrontèrent du regard un moment, puis Gary lâcha :
- Très bien.
Sans rien ajouter, il se détourna et quitta les appartements du Ministre, fermement convaincu qu'il ne toucherait jamais au Bureau. Il avait trop besoin d'eux pour cela.
Gary regagna le Ministère tout en essayant de lister toutes les choses qu'il avait à faire. Ce n'était nullement son travail de servir d'émissaire au Ministre, mais, étant donné l'implication de Marlène, il était un rapporteur privilégié des événements de la nuit passée. Minchum voulait savoir combien d'Aurors ils avaient perdu, combien étaient blessés, combien le Ministère devait à Ste-Mangouste pour avoir réquisitionné des Guérisseurs. Il avait bien envie de l'envoyer se faire voir, mais la situation était tellement chaotique qu'il s'était abstenu. Même si tout le monde s'accordait pour dire que Maugrey était un être détestable, l'annonce de son amputation avait plongé l'Atrium dans une effervescence angoissée. Nul ne se souciait des Géants ; la question était surtout de savoir s'il s'agissait ou non d'une victoire pour le Ministère. Quant à l'Ordre, nul ne le mentionnait. De l'avis de Gary, c'était mieux ainsi.
***
La fenêtre était terriblement froide mais Lily refusait de s'en éloigner. Elle scrutait Gideon et Fabian, aidés de Benjy, qui transportaient un cercueil en bois clair. A l'intérieur reposait Jenny ; le couvercle n'avait pas été fermé pour que les mages de Ste-Mangouste s'occupent de la toilette mortuaire. Après cela, Jenny serait rendue à sa famille. Il n'y aurait pas d'enterrement public, c'était un ordre du Ministère. Nul ne devait savoir qu'elle était tombée au service de l'Ordre.
Ils avaient bu en son honneur, aux premières lueurs de l'aube. Personne n'avait prononcé le moindre hommage. Ils étaient ensuite tous allés se coucher, sauf Gideon qui avait veillé. Lily n'avait pas la moindre idée de ce qu'il ressentait, de ce qu'il avait éprouvé pour Jenny... Mais il semblait en tout cas attaché à elle. Elle espérait que Jenny le savait.
Il faisait à présent grand jour et l'heure du déjeuner était passée depuis longtemps. Lily était persuadée, lorsqu'elle était allée se coucher, qu'elle serait réveillée par des cauchemars. Seulement elle était tellement épuisée qu'elle avait dormi d'une traite. A présent, la faim la tenaillait mais James dormait toujours profondément et elle refusait de se trouver seule dans la cuisine.
Le portail du parc se referma en claquant. Les trois hommes avancèrent encore un peu puis transplanèrent. La gorge serrée, Lily ne put retenir un sanglot. Elle ne reverrait plus jamais son amie. Jenny, si vive Jenny avec qui elle avait eu tant de différends, mais avec qui elle avait tant ri ! L'ambiance au QG ne serait plus jamais la même sans elle pour donner la réplique aux Maraudeurs. Lily voyait avec chagrin ses amies disparaître ; Val d'abord, qui avait cessé de donner de ses nouvelles, perdue qu'elle était en Australie, et maintenant Jenny, perdue pour toujours.
James se retourna avec un profond soupir et grogna un peu. Lily se détourna de la fenêtre pour le regarder. Aussi forte que soit sa peine, la joie de savoir James en vie et en bonne santé l'empêchait de s'effondrer. Elle ne se rappelait que trop bien de cette horrible nuit du mois de mars où elle avait cru le perdre. Une fois débarrassé du sang qui lui couvrait le visage, elle avait retrouvé son mari, épuisé, touché par le deuil, mais entier. Elle vint s'allonger près de lui et se cala contre son dos, un bras passé autour de son torse. Son ventre gronda à ce moment-là et il marmonna :
- Faim.
Surpris de l'entendre, elle se redressa légèrement :
- James ?
- Mmh.
- Tu as faim ?
- Toi.
- Je peux attendre.
Il se retourna, les yeux toujours fermés, et nicha sa tête contre son cou.
- Non, non.
Malgré elle, elle se prit à sourire.
- Il faut que tu arrêtes de dire un truc et de faire son contraire.
- Laisse-moi juste ... (il bâilla) me réveiller.
- Remarque... on est pas si mal, ici.
- Hmmm. Fait froid, en bas.
- Pire qu'à Poudlard.
- Nan. Poudlard, c'était le paradis.
Elle ne répondit pas. Il soupira et la serra un peu plus contre lui.
- J'en ai marre.
- Je sais. Moi aussi.
- On a parlé de ça, il y a un an, reprit-il d'une voix étouffée. Du fait qu'on ne pouvait pas arrêter.
- Ouais.
- Tu le penses toujours ?
Après un silence, Lily répondit :
- Oui.
- Je savais que tu répondrais ça.
Il roula sur le dos et ouvrit difficilement les yeux. Privée de sa chaleur, Lily s'empressa de se presser contre lui à nouveau.
- Tu attendais autre chose ?
- Non. Peut-être.
- Si tu avais le ventre plein tu m'aurais simplement répondu « non ».
Un bref sourire étira ses lèvres et il tourna la tête pour la regarder. Il scruta un instant ses yeux et dit :
- Non.
- « Non » quoi ?
- Non, je n'attendais pas autre chose.
Elle sourit tout en chassant les mèches de cheveux qui folâtraient sur son front. Au même moment, une porte s'ouvrit en grinçant dans le couloir et, après avoir tendu l'oreille, ils entendirent quelqu'un descendre lourdement les marches.
- On descend ? Proposa James, alors que le ventre de Lily lui faisait écho dans un gargouillement.
Quelques minutes plus tard, chaudement emmitouflés, ils gagnèrent la cuisine où entrait à flots le soleil d'hiver. Ils eurent la surprise de trouver attablé là Sirius, qui sirotait un énorme bol de soupe. Vu l'état de sa mine, il n'avait pas dormi. Lily craignit un instant pour la vie d'Ethel mais l'esquisse de sourire du jeune homme la rassura.
James lui asséna une tape dans le dos avant de se laisser tomber sur une chaise près de lui. Lily s'installa en face et demanda simplement :
- Ethel ?
- Elle va bien. Je l'ai ramenée il y a deux heures. Elle a juste besoin de repos, maintenant.
- Et les autres ?
- On m'a dit que Sally avait pris un sort dans les yeux donc ça va demander un peu plus de temps. Quant à Will, il a une jambe cassée. Ils ont réduit la fracture mais ils préfèrent attendre vingt-quatre heures avant de le laisser rentrer.
Lily soupira, soulagée, mais James enchaîna :
- Et Maugrey ? Tu as des nouvelles ?
Aussitôt, Sirius s'assombrit.
- Ouais. Il vit, mais on lui a coupé la jambe au-dessus du genou. Il a perdu une quantité de sang phénoménal mais Ethel a limité les dégâts donc il devrait rapidement reprendre des forces. Les Guérisseurs espèrent juste que le moignon ne va pas s'infecter à cause du sortilège de magie noire qu'il a reçu. Ce qui me fait peur, c'est sa réaction quand il se réveillera. Maugrey diminué...
- Il se battra, affirma Lily. Je suis sûre qu'il y a des prothèses ou je ne sais quoi dans le monde magique ! C'est Maugrey... Il se battra forcément.
Les deux garçons lui adressèrent un regard dubitatif qui faillit la flaire flancher, mais elle insista :
- Vous verrez. Ce sera la terreur de Ste-Mangouste et il n'aura qu'une envie, reprendre sa place au Bureau des Aurors.
- Si Minchum la lui laisse, observa James. Les Aurors ont pété un plomb.
- Pas sous son commandement.
- Alors d'autres têtes vont tomber.
- Pas notre affaire.
Dans un sursaut, ils se tournèrent tous vers la porte qui communiquait avec le salon. Gideon entra d'un pas traînant et se laissa tomber près de Lily. Après un instant d'hésitation, elle demanda :
- Fabian et Benjy ne sont pas avec toi ?
- Non.
Lily hocha la tête sans savoir quoi dire, à nouveau prise d'une envie de pleurer sur la mort de Jenny.
- Pour le Bureau, faut pas vous inquiéter, reprit Gideon contre toute attente. Pas nos affaires. A part les Aurors et la haute administration, personne ne sait qu'on y était. Ce n'est pas notre scandale.
Lily, étonnée par ces paroles rassurantes, posa une main sur son bras. Il lui jeta un bref regard puis, sans un mot, pressa légèrement ses doigts entre les siens. Lorsque Lily se releva pour aller chercher de la soupe pour tout le monde, James attrapa sa main au vol et y déposa un baiser avant de venir l'aider.
Les autres membres de l'Ordre se joignirent à eux petit à petit. Martin, tout ébouriffé à cause de son oreiller, Peter et son air effaré, Remus et ses cernes, Maggy et ses yeux rouges... Ils s'attablèrent tous ensemble, sans beaucoup rire ou parler mais les quelques mots qu'ils échangeaient étaient suffisants pour leur corps et leur âme blessés. Le Bureau des Aurors était peut-être complètement disloqué, mais l'Ordre tenait bon.
Alors qu'ils faisaient la vaisselle côte à côte, sans magie afin de s'occuper, James lança à Lily :
- C'est pour ça que, finalement, je t'ai dit non.
- Comment ça ?
- Quand tu m'as demandé si j'attendais autre chose qu'un « oui nous continuons ». On ne peut pas lâcher l'Ordre. Si nous étions juste Aurors ou... (il secoua la tête). Non, même là. Eux aussi ont l'air de former une famille, même si elle est bien plus grande que la nôtre. Tu imagines, si on lâchait les autres ?
- Je ne préfère pas, répondit Lily en rinçant le dernier bol que James lui tendait.
Après l'avoir essuyé, elle le rangea et s'adossa au plan de travail. Les autres avaient gagné le salon pour se reposer devant le feu.
- Si tu m'avais dit que tu voulais partir, je t'aurais suivi sans protester, lui dit-elle.
Appuyé contre la table, James la scruta intensément.
- Vraiment ?
- Bien sûr. Tu es mon mari et si ça pouvait te rendre plus heureux de partir, alors on l'aurait fait. Et puis ce n'est pas comme si l'idée me répugnait complètement.
- Tu n'aurais pas été... déçue ? Par moi, je veux dire.
Elle secoua la tête.
- Tu ne seras plus exactement l'homme que j'ai épousé dans dix ans – tout comme moi. Rester, c'est téméraire, et tu l'es moins qu'avant. Vouloir partir n'a rien de lâche. Surtout quand on sait que tu veux une famille et que ce n'est clairement pas le meilleur moment pour en fonder une.
James baissa le nez.
- Tu n'en as plus envie ?
- Si, bien sûr. Quand je vois tous les gens mourir autour de nous... ça m'a l'air d'être la seule chose à faire.
Un bref sourire étira les lèvres de son mari.
- Ça n'a aucune logique, ce que tu dis là.
- Si. Dans ma tête.
Il sourit un peu plus largement et s'approcha d'elle pour l'embrasser.
- Nous sommes tous complètement fous, soupira-t-il alors qu'elle nichait sa tête contre son cou.
- Ça devrait être la devise de l'Ordre.
- « La folie est la meilleure arme » ?
Elle pouffa.
- C'est complètement vrai, en plus.
- Viens, on va la proposer aux autres.
Elle se laissa traîner dans le salon, un petitsourire aux lèvres malgré l'écho de la bataille de la nuit précédente qui, tapidans un coin de son esprit, n'attendait qu'un moment de solitude pour venir lahanter.
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