Partie III - Chapitre 46
Chapitre 46
Maugrey observa les nouvelles recrues avachies sur le sol, l'air épuisé. Les deux garçons se disputaient une bouteille d'eau alors que les filles discutaient à voix basse. Le Snargalouf était aussi sombre et silencieux qu'à l'accoutumée ; Maugrey était heureux de s'être à peine occupé de la formation des nouvelles recrues cette année-là - Le Snargalouf était loin d'être un endroit très agréable. À tout prendre, il préférait le manoir de son enfance avec sa bande de gamins braillards et indisciplinés. L'Auror se détourna de la scène pour s'adresser à Gideon :
- Ils sont prêts ?
Gideon haussa les épaules.
- Tu étais prêt quand tu as quitté l'Académie ?
Un sourire tordu étira les lèvres de Maugrey.
- Non. Ils survivront ?
- J'imagine oui. Ils sont débrouillards. Mais je ne suis pas sûr qu'ils aient bien compris ce qui les attendait.
- Ceux de l'année dernière non plus.
- Et on les balance là-dedans encore plus tôt que l'an dernier.
Maugrey sentit bien le reproche dans sa voix mais il ne prit pas la peine de le relever. Depuis le temps que durait cette guerre, il avait l'habitude qu'on conteste ses décisions.
- On n'a pas le choix. Je vous attends ce soir au QG.
Maugrey fit un geste pour quitter la pièce mais Gideon l'attrapa par le bras.
- Alastor... Est-ce qu'on est au pied du mur ?
L'Auror eut un sourire aussi assuré que terrifiant.
- Pas encore, Prewett. Pour une fois, on va essayer de les prendre de vitesse. J'ai l'appui du Bureau, à défaut d'avoir celui sans condition de Minchum.
- Qu'est-ce qu'il nous reproche encore ?
- Les choses habituelles. Notamment de lui coûter trop cher, d'ailleurs.
- Parfois je me demande vraiment ce qu'il souhaite, marmonna Gideon.
- La tranquillité, soupira Maugrey. Je le comprends en un sens : Sur le plan politique, c'est dangereux d'entretenir un ordre clandestin. Ça pourrait le faire tomber, et nous avec.
- On peut survivre sans lui, protesta Gideon.
- Ce serait difficile. On est nourri et équipé par le Ministère. La situation deviendra compliquée si on tombe complètement dans la clandestinité.
Gideon tourna la tête vers les nouvelles recrues, qui discutaient à présent toutes ensembles. Son visage crispé trahissait ses pensées.
- Tu crois qu'il y a une chance qu'on en arrive là ?
- A moins que la guerre ne dure encore vingt ans, non. Mais au rythme où ça va j'en doute. Dans vingt ans, soit ils nous auront tous tués, soit on aura gagné.
Son interlocuteur eut un petit rire dur et répondit, un sourire carnassier sur les lèvres :
- Très bien, ils seront au QG ce soir. Je ne garantis pas leur fraîcheur.
- Fais les en baver une dernière fois, pour qu'ils n'oublient pas ce bon vieux Snargalouf, marmonna Maugrey.
- Compte sur moi.
L'Auror resta un instant à la porte pour observer la scène : Gideon sortit sa baguette sans prévenir les jeunes gens, qui devisaient toujours, la pointa au-dessus de leur tête et jeta un sort. Un trait de magie bleu percuta le mur, faisant dégringoler du plâtre sur les recrues qui criaient encore de surprise. Le temps qu'ils se relèvent, Gideon avait continué ses attaques. Le regard de Maugrey fut attiré par l'un des jeunes hommes, pas très grands ni baraqués mais l'air malin et agile. Il était déjà debout et protégeait ses camarades d'un bouclier. Son expression concentrée n'échappa pas à Maugrey. Il pinça les lèvres en songeant à Martin Ranger tel qu'il l'avait rencontré à son arrivée au Snargalouf ; des joues encore un peu rondes, une lueur espiègle dans le regard en toute circonstance... Bref, l'air innocent. Il ignorait ce que les frères Prewett leur avaient raconté pendant ces deux mois, mais cette allure innocente commençait déjà à s'estomper. Si Maugrey devait définir l'expression de Ranger à l'heure actuelle, il la décrirait comme « déterminée ».
Les autres recrues reprirent enfin du poil de la bête et contre-attaquèrent. Maugrey ferma la porte sans bruit puis quitta le Snargalouf à grands pas. Il avait une réunion à organiser.
***
Lily avala une nouvelle gorgée de bière avant de jeter un regard inquiet autour d'elle.
- Tu es sûr que ça va marcher ?
- Arrête de paniquer, râla Sirius. Bill et Valery ont passé des heures ici, ils savent ce qu'ils font.
- Voilà qui a dû être fatigant, railla-t-elle en regardant « Bill et Valery », à savoir Benjy et Emmeline Vance, qui jouaient au billard.
- Vu la fréquentation de ce bar, ouais, répondit Sirius sérieusement.
La jeune femme promena son regard sur la salle mal éclairée qui sentait l'alcool bon marché. Des Sorciers sirotaient leurs verres, avachis sur des banquettes ou dans des fauteuils défoncés, tandis que des bouteilles et des bols pleins de cacahuètes volaient entre les clients. A quelques mètres du bar se trouvait le billard, autour duquel Benjy et Vance s'affairaient avec force braillements.
- Tu crois que c'est pendant qu'ils traînaient là qu'ils ont développé ce talent pour le billard ? Interrogea Lily.
- Ça fait partie de leur couverture.
- Tu sais jouer, toi ?
- Un peu. Il nous est arrivé de traîner dans des bars avec les Maraudeurs.
- Ouais, je suis au courant. Ça ressemblait à ça, le Scamanbar ?
- C'était pire.
Sirius fronça les sourcils, son verre arrêté à mi-chemin entre la table et sa bouche.
- Cornedrue t'a raconté ce qu'il s'était passé là-bas ?
- Absolument tout, répondit Lily avec un sourire ravi.
Le jeune homme jura.
- On avait promis de garder tout ça pour nous !
- James m'a toujours tout dit depuis que je suis au courant pour Lunard, répliqua Lily en riant. Tu devrais savoir qu'il est affreusement bavard.
- Mais les Maraudeurs avant les filles ! Gémit-il.
- Sa femme avant les Maraudeurs, apparemment.
- Attends une minute, s'il finit par tout te balancer, ça veut dire qu'on va pouvoir t'emmener !
- Je ne suis pas sûre que ...
- En plus tu as un sacré style avec cette veste.
Lily jeta un regard dubitatif à la veste en cuir que Sirius lui avait prêtée.
- Tu parles. Je ne comprends toujours pas pourquoi tu as tenu à ce que je la mette d'ailleurs. Depuis quand est-ce qu'il faut avoir l'air d'un motard pour aller au bar ?
- Ça m'amusait juste de te déguiser, pouffa-t-il.
Elle lui donna un coup de pied sous la table, ce qui ne fit que redoubler son hilarité.
- Si tu veux tout savoir, c'était un pari avec Queudver. Ça fait deux ans que j'essaie de te la faire mettre.
La jeune femme haussa un sourcil.
- Tu n'as pas essayé très fort, si tu veux mon avis.
- Seulement quand on était en septième année.
- Qu'est-ce que tu as gagné ?
- Queudver va devoir porter ton pull rose pendant toute une journée.
- Est-ce que j'ai donné mon accord pour ça ?
- Oh, allez ! Sois sympa ! Ça va être marrant !
Elle leva les yeux ciel mais un sourire étirait ses lèvres.
- Bon, très bien.
Ravi, il entrechoqua son verre avec le sien et avala une nouvelle gorgée de bière.
- Ils sont déjà là ?
- C'est à Bill et Valery de gérer ça.
Lily pinça les lèvres tout en observant à la dérobée les différents consommateurs.
- J'avoue que ça me dépasse un peu. Tu crois vraiment qu'ils braillent ça sur tous les toits ?
- Ça permet de se faire mousser, suggéra Sirius en haussant les épaules.
- Et s'ils bluffent ?
- Encore une fois, c'est l'affaire de Bill et Valery
- J'ai l'impression que plus le temps passe, moins on est au courant de ce qu'il se passe, marmonna Lily.
- Trop de fuites, j'imagine. Mais c'est vrai que c'est inquiétant.
Elle leva les yeux vers lui.
- On a arrêté de chercher du côté du Ministère ?
- Aucune idée. Al est particulièrement silencieux, depuis quelques mois.
Il fallut un petit temps à Lily pour comprendre qu'il parlait de Maugrey. Elle hocha finalement la tête, songeuse. Entre les missions qu'ils effectuaient presque à l'aveugle, le but inconnu du voyage de Dorcas et le silence de Maugrey, Lily avait de plus en plus l'impression de marcher au bord d'un précipice qu'elle ne pouvait même pas voir.
Des éclats de voix la tirèrent de ses pensées. Près du billard, Emmeline s'énervait contre un grand type trois fois plus épais qu'elle.
- T'as touché la table et ça a fait dévier ma boule ! Cria Emmeline.
- Tu l'as juste touchée comme un pied !
- Quoi ? Répète un peu pour voir !
Sirius se tourna vers lui pour chuchoter, amusé :
- Tu crois qu'elle est juste très bonne actrice ou qu'elle est saoule ?
- Ça n'a rien de drôle, siffla Lily. Prépare-toi.
Emmeline continuait à brailler contre l'homme, qui finit par s'approcher d'elle, menaçant. Aussitôt, Benjy s'interposa. Emmeline le repoussa et il percuta l'homme. Celui-ci donna un coup de coude dans l'estomac du jeune homme, qui se plia en deux, le souffle coupé. Emmeline se jeta sur l'homme avec un feulement.
L'éclat de rire de Sirius fut couvert par les encouragements des clients et les cris du barman. Lily fusilla du regard son ami, les doigts serrés sur sa baguette. Elle s'étonnait que des sorts n'aient pas encore volé.
Au moment où elle pensait cela, un homme qui ne faisait pas partie du conflit de départ fut projeté à l'autre bout du bar. Ce fut le véritable signal de la pagaille : les amis de la victime se jetèrent dans la bataille et des étincelles de magie se mirent à voleter dans tous les sens, au milieu des éclats de verre et des boules de billard. Au milieu de cette zizanie, Lily et Sirius virent Emmeline se frayer un chemin à coups de poing à travers la foule pour se diriger vers les deux seuls hommes qui étaient encore assis au bar et qui commentaient la scène en riant grassement. Aussitôt, les deux jeunes gens se levèrent pour aller lui prêter main forte. Benjy semblait avoir été submergé.
Emmeline, débarrassée un court instant de tout assaillant, profita de cette opportunité pour se jeter sur les deux hommes. Sirius se rua dans sa direction pour l'aider. Lily voulut le suivre, mais un homme, éjecté de la bagarre, lui rentra dedans de plein fouet. Ils s'écroulèrent tous deux au sol et elle n'eut d'autres choix que de le frapper pour qu'il cesse de l'écraser. L'homme n'apprécia guère ce traitement car, une fois sur ses pieds, il l'attrapa par les pans de sa veste et la souleva à sa hauteur dans l'intention manifeste de lui donner un coup de boule. Lily lui mit un coup de poing juste à temps. Sa poigne se desserra suffisamment pour qu'elle se libère. La main douloureuse, elle attrapa sa baguette et voulut se diriger vers Sirius et Emmeline, qui étaient aux prises avec leurs deux victimes – des Mangemorts, d'après Benjy et Vance. Avant qu'elle n'ait pu faire un pas, l'homme avec qui elle se battait l'attrapa par les cheveux. Elle poussa un cri de douleur en portant par réflexe les mains à sa tête. L'homme en profita pour lui rendre le coup de poing dont elle l'avait gratifié. Lily sentit sa tête partir violemment sur le côté alors qu'un goût de sang envahissait sa bouche. Son agresseur la lâcha avec un bruit de dégoût. La douleur redoubla dans son crâne lorsque sa tête percuta le sol. Après un instant d'étourdissement, elle se releva difficilement, sa baguette heureusement toujours en main. Sa vision trouble se stabilisa en quelques secondes. Devant elle, Sirius se battait à mains nues avec l'un des Mangemorts, un type brun et maigre, alors qu'Emmeline fauchait l'autre d'un coup de pied – contrairement à ce que Lily avait tout d'abord pensé, il s'agissait d'une femme, au visage maigre et aux cheveux si courts qu'elle passait facilement pour un homme. Emmeline l'immobilisa grâce à un sort, se pencha et la chargea sur son épaule avant de quitter le bar aussi vite que possible, laissant Sirius aux prises avec l'autre Mangemort et Benjy Dieu sait où.
Lily allait immobiliser l'adversaire de Sirius de loin lorsqu'il attrapa Sirius par le cou, fit volte-face et fixa Lily droit dans les yeux avec un sourire sarcastique, Sirius tenu devant lui comme un bouclier. Merlin en soit remercié, il ne pouvait pas récupérer sa baguette, qui gisait au sol avec celle de Sirius à quelques mètres de là.
La jeune femme tentait vainement de trouver quoi faire lorsque les yeux du Mangemort se révulsèrent. Il s'écroula, entraînant Sirius dans sa chute. Benjy apparut dans le champ de vision de Lily, le visage en sang, sa baguette à la main.
- On se tire ! Cria-t-il par-dessus le tumulte.
La jeune femme se jeta sur les baguettes abandonnées, aida Sirius à se relever pendant que Benjy chargeait le Mangemort sur son épaule et ils coururent vers la sortie du bar. Lily ouvrit la porte d'entrée à la volée pour se retrouver face au tenancier du bar accompagné de cinq agents de la Brigade Magique. Sans réfléchir, elle en stupéfixa un, qui tomba sur ses collègues. L'un d'eux tenta de contre-attaquer mais Sirius lui mit un coup de coude en plein visage. Le tenancier, terrifié, observait la scène sans réagir. Benjy et Lily stupéfixèrent les derniers membres de la Brigade puis le petit groupe enjamba les corps. Benjy poussa Sirius vers Lily, leur cria « QG ! » puis transplana, son fardeau sur l'épaule. Lily attrapa donc la main de Sirius et pivota.
***
Sirius s'étala au sol lorsqu'ils atterrirent en Cornouailles. Il entendit Lily vomir quelque part derrière lui.
- Ça va ? Coassa-t-il.
- Hmm, répondit-elle d'une voix faible. J'ai juste pris quelques coups sur la tête.
Il se redressa en grognant et lui tendit la main. Il ne voyait pas bien son visage dans l'obscurité mais il était certain que si James se trouvait au QG, il allait lui passer un savon pour l'avoir laissée se faire tabasser. Pourtant, ce n'était pas comme si Lily était dû genre à se faire protéger par les autres.
Elle glissa son bras sous le sien et ils se dirigèrent clopin-clopant vers le manoir.
- Je pensais que Benjy et Emmeline nous retrouveraient là, commenta Lily d'une voix un peu plus assurée alors qu'ils passaient la grille.
- Ils ont dû amener les Mangemorts au Ministère.
- Sans doute. Merlin, si Maugrey apprend qu'on a tabassé des agents de la Brigade...
- On les a stupéfixés, corrigea Sirius. Ils iront très bien.
- Minchum va encore en faire tout un foin.
- En attendant, on a réussi à choper ces types. Il pourrait s'estimer heureux, cet imbécile.
Lily pouffa avant de pousser la porte du manoir. La lumière les aveugla un instant mais lorsqu'ils furent habitués, ils constatèrent que la pièce était relativement pleine : quatre jeunes gens les fixaient avec un étonnement qui se mua bien vite en horreur.
Surpris, Lily et Sirius considérèrent en silence les quatre personnes qu'ils n'avaient pas l'habitude de voir au manoir : Amanda Selteen, Sally Lester, Martin Ranger et...
- William ? S'exclama Lily, incrédule.
- Salut Lily, répondit l'interpellé, qui venait de s'extirper de son fauteuil, avec un petit rire nerveux.
Sirius grogna en reconnaissant William Hardley, leur ancien camarade de classe et l'ex-petit-ami de Lily. Son visage s'était aminci depuis leur cinquième année et il s'était laissé pousser la barbe, raison pour laquelle il ne l'avait pas reconnu tout de suite.
- Qu'est-ce qu'il vous est arrivé ? Balbutia Martin, assis devant le feu.
Sirius détourna son attention des nouveaux arrivants pour observer le visage de Lily ; elle saignait du nez et un bleu commençait à apparaître sur sa joue. Lui-même ne devait pas avoir bien meilleure mine.
- Une bataille d'ivrognes, répondit Lily comme si de rien n'était. On va aller se soigner, d'ailleurs. Allez, viens Patmol.
Il se laissa traîner à travers la pièce dans un silence de plomb. Ils passèrent le seuil de la cuisine, où ils tombèrent nez à nez avec Gideon. Celui-ci poussa un soupir affligé en les voyant.
- Ils vont avoir les pétoches maintenant. Qu'est-ce qui vous est arrivé ?
Lily répéta ce qu'elle avait dit aux nouvelles recrues, cette fois avec un rire nerveux qui inquiéta Sirius. A son tour, il entraîna Lily derrière lui jusqu'à l'infirmerie, à l'étage supérieur. Maintenant un habitué des lieux, il sortit ce qu'il fallait des placards pour soigner leurs coupures et autres contusions alors que Lily farfouillait parmi leur stock de potions. Le silence ne régna qu'un court instant, vite interrompu par les grognements de Lily.
- Il n'y est pas allé de main morte, marmonna-t-elle.
- Qui est-ce qui t'a frappé comme ça ?
- Un type qui m'est tombé dessus et que j'ai chassé un peu violemment. Il n'a pas apprécié. Merlin, on dirait qu'un orchestre de nains est en train de jouer du tambour dans mon crâne. J'ai l'impression d'entendre les tambours de la Moria.
- Quoi ?
- Référence moldue.
Sirius grommela avant d'interroger :
- Est-ce que la Mangemort a fait exploser mon arcade sourcilière ?
Lily l'observa un court instant puis tapota le lit sur lequel elle était assise.
- Viens-là. Je vais arranger ça.
Il s'exécuta docilement et observa son visage concentré pendant qu'elle le soignait. Il finit par demander :
- Les recrues sont arrivées plus tôt que nous l'an dernier, non ?
- Hmm.
- C'est la présence d'Hardley qui te préoccupe ?
Son regard sincèrement étonné lui répondit.
- William ? Je suis très heureuse de revoir William. Non, je suis embêtée parce qu'on sera bientôt à court de tout un tas de potions essentielles, notamment des solutions de force. Je pense que je vais devoir rester au manoir quelques jours pour en refaire un stock. (Elle grimaça:) Ou quelques semaines.
- Tu n'es pas obligée de t'en charger, fit remarquer Sirius, qui n'aurait pas supporté de rester aussi longtemps enfermé au manoir pour surveiller un chaudron.
- Margaret déteste préparer des potions. Et Ethel, tu sais si ça lui plaît ?
- Aucune idée.
Lily leva les yeux au ciel mais il ne releva pas. Elle laissa retomber ses mains, son travail de soin achevé, mais au lieu de se détourner elle demanda :
- Tu crois que ça va poser un problème à James que William ait rejoint l'Ordre ?
- Tu es tellement naïve que s'en est presque mignon.
- La ferme, crétin, rétorqua-t-elle en croisant les bras sur sa poitrine. Il ne va pas me faire une crise de jalousie ?
- Je pense que si. Il était affreusement jaloux quand on était en cinquième année.
- Merlin, marmonna Lily en faisant volte-face pour se diriger vers la porte, je vais le tuer.
- Ce serait quand même dommage, répliqua Sirius en la suivant. Eh, Lily, je rêve ou tu as mis du sang sur ma veste ?
- C'est toi qui as insisté pour que je la porte alors ne te plains pas. A ton avis, comment William s'est retrouvé ici ?
- N'essaie pas de changer de sujet ! Tu as mis du sang sur ma veste !
Au bas des escaliers, ils tombèrent nez à nez avec Gideon, qui menait la procession des nouveaux. Le visage grave, il leur indiqua :
- Réunion avec Maugrey, ça vous concerne aussi.
- Mais on a faim ! Gémit Sirius, une marche au-dessus de tout le monde.
- Au moins une chose qui n'a pas changé, commenta Martin.
- Un peu de respect pour tes aînés, Ranger, rétorqua Sirius.
- Parce que tu m'as respecté un jour, peut-être ? Coupa Gideon avec un sourire furtif. Allez, fini les enfantillages, Alastor nous attend.
Il reprit son chemin, suivi docilement par les quatre jeunes gens. William sembla vouloir s'arrêter pour parler à Lily mais Martin le poussa et il fut obligé de continuer sa route. Lily, les mains sur les hanches, considéra un instant la situation puis proposa :
- On prend les restes et on les rejoint pour dîner là-bas ?
- Ça c'est bien parlé !
Lorsqu'ils gagnèrent la salle de réunion un quart d'heure plus tard, les bras chargés de plateaux couverts de nourriture, Maugrey était en train d'expliquer le fonctionnement exact de l'Ordre aux nouveaux. Sirius repéra bien vite Remus, assis à un bout de la table. Après son retour de la forêt, il avait passé une semaine à se reposer au QG puis était reparti en mission. S'il semblait remis physiquement il affichait parfois un air soucieux qu'il refusait d'expliquer. Ce soir-là, il arborait précisément cette expression. Les deux jeunes gens s'assirent près de lui et entamèrent leur repas en espérant que Maugrey ferait court.
Les instructions de base cessèrent finalement et Maugrey laissa un silence gênant s'installer, uniquement rompu par les bruits de mastication de Lily et Sirius. Ce dernier tâchait de réprimer une furieuse envie de pouffer de façon hystérique, aidé en cela par les coups d'œil assassin de Remus. Lorsque l'Auror fut sûr que tout le monde était intérieurement en train de paniquer, il annonça :
- Nous avons actuellement un gros problème sur les bras.
- Plus gros que Voldemort ? Interrogea Sirius, la bouche pleine.
- Ferme-la Black, ou je te rends muet pour le reste de cette réunion, menaça Maugrey.
- Ça me rappelle quelque chose, souffla Lily avant de cacher son rire en avalant une gorgée d'eau.
L'arrivée de Fabian permit à Maugrey d'obtenir à nouveau le silence, d'autant plus que le nouveau venu semblait particulièrement sérieux.
- Je vais vous la faire courte, reprit l'Auror. Les géants se sont alliés à Voldemort et une bataille se prépare.
Sirius lâcha sa fourchette sans vraiment s'en rendre compte alors qu'à côté de lui Lily fixait Maugrey, les yeux ronds et la bouche pleine. Remus ne paraissait guère surpris. Quant aux nouvelles recrues, elles regardaient nerveusement leurs aînés.
Comme personne ne réagissait, Maugrey poursuivit :
- Dorcas Meadowes et Hagrid sont rentrés il y a trois jours des Highlands ; d'après Rubeus, on a encore un peu de temps devant nous. Certains géants ne sont pas encore complètement réveillés et ils sont encore en train de forger leurs armes. Ensuite, il leur faudra le temps de descendre des montagnes.
- Pourquoi est-ce qu'on leur laisse le temps de quitter les montagnes ? Intervint Sirius en repoussant son assiette.
- Ils auront l'avantage s'ils sont en terrain connu. On ne s'en sortira jamais en montant à leur rencontre.
- Et en plaine, on a une chance de s'en sortir ?
- Laisse-moi continuer et tu sauras.
Le jeune homme se renfonça dans son siège alors qu'un sourire moqueur effleurait les lèvres de Remus. Satisfait, l'Auror reprit :
- On ne peut pas battre des géants. Il faudrait une dizaine de Sorciers pour en immobiliser un, si ce n'est plus. La seule chance que nous ayons, c'est de rendre caduque leur alliance avec les Mangemorts. S'ils n'ont pas le soutien des Sorciers, ils ne persévéreront pas.
- Ils nous boufferont quand même entre temps, marmonna Sirius.
- La ferme, siffla Lily en lui gratifiant d'un coup de coude.
- Comment on brise l'alliance ? Interrogea Remus d'une voix lasse.
- D'après Hagrid, les géants ne feront confiance qu'aux Mangemorts avec lesquels ils ont discuté. Si on les met hors course sous les yeux des géants, ils devraient abandonner les Mangemorts.
- Pourquoi on ne les élimine pas tout de suite alors ?
Sirius tourna la tête vers l'entrée de la pièce : James se tenait adossé au linteau de la porte, l'air concentré.
- Parce qu'ils n'auront plus qu'à envoyer une nouvelle ambassade, soupira Maugrey. On gagnera certes du temps mais ça ne réglera pas le problème. Si on arrive à prouver que les Mangemorts ne sont pas fiables sous les yeux des géants on peut être à peu près sûr qu'ils ne prendront plus part à la guerre.
- « A peu près » ? releva Fabian.
Maugrey préféra le fusiller du regard plutôt que répondre et continua comme si de rien n'était :
- Voilà le plan : on prend l'initiative de déclencher la bataille, on garde le contrôle tout le long en essayant de ne pas se faire écraser ...
- Ou manger, souffla Sirius avant que Lily ne lui écrase le pied.
- ... et on arrête sous leurs yeux les Mangemorts qui ont négocié avec eux.
- Comment on sait de qui il s'agit ? Demanda Martin.
- J'ai du monde sur le coup.
Les recrues échangèrent un regard perplexe mais ne dirent rien. Sirius soupira, résigné, face à ce nouveau secret. Un silence pesant régna un court instant avant que Lily ne le rompe :
- On a combien de temps devant nous ?
- Probablement un mois. Je ne peux rien vous d'autre pour l'instant car on doit peaufiner les détails avec McKinnon, mais vous en saurez vite plus, promit Maugrey. Maintenant, vous m'excuserez, mais j'ai de la paperasse à faire.
Lily bondit aussitôt de son siège pour aller retrouver son mari tandis que Sirius se tournait vers Remus pour remarquer :
- Je crois que c'est la première fois qu'il utilise le mot « excuse ».
Son ami haussa un sourcil :
- C'est tout ce que tu as retenu ?
***
- Je croyais qu'il y avait une réunion au QG ce soir ?
Frank sourit tout en balançant joyeusement sa main entrelacée à celle de sa femme.
- On nous fera un compte-rendu !
Alice adressa un regard suspicieux à son mari.
- Tu es de bien belle humeur, dis-moi.
- Je suis juste content d'aller au restaurant avec ma femme. En plus on a déballé notre dernier carton !
- Je sais, c'est la troisième fois que tu le répètes.
- Tu sais ce que ça veut dire ? Qu'on va pouvoir accueillir mes parents à la maison !
La jeune femme s'immobilisa nette, l'air horrifié, et Frank éclata de rire.
- Je plaisante Lilice ! Et arrête de faire cette tête à chaque fois qu'on mentionne mes parents, ils ne sont pas si terrifiants.
- Ton père non, grommela-t-elle en reprenant sa marche, mais ta mère oui.
- Tu dis ça seulement parce qu'elle voulait qu'on peigne notre chambre en violet.
- Je dis ça seulement parce qu'elle passe son temps à dire que je devrais maigrir.
- Elle m'a dit ça toute ma vie, il n'y a pas de quoi en faire un drame.
- Tu te moques de moi ? Personne n'est aussi parfait que le petit Frank adoré.
- N'importe quoi ! L'autre jour elle m'a dit que je devrais me couper les cheveux.
- Non, elle a dit « Alice, c'est vous qui avez coupé les cheveux de Frank ? C'est un véritable désastre ».
- Mais comme ce n'est pas toi qui les as coupés...
- Je t'en prie, tu sais très bien ce qu'elle voulait dire.
Frank glissa un bras autour des épaules de sa femme pour l'attirer contre lui. Elle se laissa faire de bonne grâce et ils continuèrent leur progression dans les rues presque vides de Bath.
- J'aime bien cette ville, murmura Alice après un instant de silence. Ça me rappelle Jane Austen.
- Je sais. C'est pour ça que je t'ai emmenée là.
Alice s'immobilisa et glissa une main dans la nuque de son mari pour attirer son visage contre le sien. Au bout d'un moment, Frank souffla :
- On va être en retard pour notre réservation.
- On avait cinq minutes d'avance tout à l'heure, ça ira très bien.
Il s'apprêtait à répliquer lorsqu'un bruit capta son attention. Les sourcils froncés, il tendit l'oreille.
- Frank ?
- Tu n'entends pas ?
- Quoi ?
- Chut, écoute...
La jeune femme s'exécuta. Tout d'abord, ils ne perçurent que de vagues bruits de circulation. Puis, les sons d'une lutte leur parvinrent. Enfin, la fin d'un mot résonna dans la nuit :
- ... lliarmus !
Frank saisit fermement la main d'Alice, attrapa sa baguette, et se mit à courir.
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