Partie III - Chapitre 43
Chapitre 43
Peter, sous sa forme de rat, attendit que le camion s'arrête. Lorsque les portes du coffre s'ouvrirent, il reprit soudain forme humaine et assomma le livreur avant qu'il n'ait eu le temps de crier. Il tira le jeune homme entre les fleurs, ferma les portes de la camionnette en prenant soin de ne pas s'enfermer à l'intérieur et prit la veste de l'employé sur laquelle était indiqué le nom de l'entreprise. Après s'être assuré qu'il ne se réveillerait pas de sitôt, il sortit, consulta le bon de commande et remercia Merlin et tout Avalon que le nom des fleurs soient indiqués sur les pots. Il jeta un bref coup d'œil autour de lui, peu surpris de se trouver dans un quartier résidentiel affreusement banal. La pelouse de la maison qui lui faisait face était impeccablement tenue.
Il prit la commande et se dirigea vers la porte d'un pas assuré. Elle s'ouvrit avant même qu'il n'ait eu le temps de frapper. Une femme imposante, un petit chien agressif dans les bras, lui fit face.
- Encore des fleurs ? Aboya-t-elle.
- Euh... Il semblerait.
Peter songea qu'il aurait mieux fait de se taire lorsqu'elle le fusilla du regard. Elle se tourna à demi et hurla :
- Pétunia ! Encore des fleurs !
Une femme blonde et maigre fit son apparition. Étrangement, sa ressemblance avec Lily le frappa. C'était peut-être la forme du visage, ou cette expression déterminée dans son regard... Quoi qu'il en soit, les sœurs Evans, même si elles ne partageaient plus le même nom, avaient décidément quelque chose en commun.
Pétunia étudia un instant les fleurs avant de demander, un peu sèchement peut-être :
- Vous voulez bien les poser dans l'entrée, s'il-vous-plaît ?
Peter obtempéra tout en écoutant attentivement l'échange entre les deux femmes :
- Je ne comprends pas pourquoi tu as tout fait livrer chez toi.
- La maison est dans un état lamentable, Marge, et je n'avais pas envie d'y retourner. Ce ne sera pas si terrible de les transporter.
- Elles auraient pu être déposées au cimetière.
- Le soleil les aurait abîmés.
Le jeune homme profita de cette ouverture pour lancer :
- Je ne sais pas combien de temps vous comptez les garder, mais vous devriez les mettre dans l'eau, quelque part à l'abri, et peut-être...
Merlin en soit remercié, Marge l'interrompit avant qu'il n'ait à chercher d'autres instructions inutiles sur le soin des fleurs.
- Elles survivront très bien jusqu'à demain matin.
Peter hocha la tête et resta planté là jusqu'à ce que le regard plus qu'insistant des deux femmes lui fassent comprendre qu'il devait partir. Il s'excuse maladroitement et regagna sa camionnette. Une fois assis à la place du conducteur, il se rendit compte qu'il n'avait pas les clefs, et qu'il ne savait pas conduire. Avec un grognement, il alla fouiller les poches du commis, toujours inconscient à l'arrière, et revint à sa place, clefs en main. Grâce aux Maraudeurs, il avait acquis un certain nombre de compétences improbables, dont savoir conduire une moto. Ça ne devait pas être très différent avec les voitures.
Après s'être battu quelques instants avec la clef, il parvint à mettre le contact. Perplexe, il considéra les pédales. L'embrayage se trouvait sur la poignée gauche de la moto. Avec un peu de chance, c'était également le cas sur une voiture – à l'exception près qu'il n'y avait pas de poignée. Après avoir tâtonné un peu, il comprit finalement comment fonctionnait l'espèce de champignon se trouvant à sa droite. Le moteur rugit lorsqu'il essaya d'appuyer sur une autre pédale. Il sursauta, le front couvert de sueur, et aperçut le visage de Pétunia à la fenêtre de sa maison. Il était temps de partir.
Il attrapa un drôle de levier près de son siège, espéra très fort que c'était le frein à main et qu'il n'allait rien faire exploser, et parvint à le baisser. Avec un soupir de soulagement, il essaya à nouveau ce qui semblait être l'accélérateur. La camionnette avança d'un bond et il eut une pensée pour le pauvre type à l'arrière, sur qui toutes les plantes avaient dû tomber. A force de persévérance, il parvint à atteindre un endroit désert. Il arrêta la voiture au milieu de la route, descendit et se précipita dans un coin à l'abri des regards indiscrets. L'instant d'après, il avait disparu.
Le vent désormais familier de la Cornouailles l'accueillit. Soulagé, il se hâta à grands pas vers le QG. Obtenir la date des funérailles des Evans n'avait pas été très compliqué, finalement. Sirius et James avaient imaginé tout un tas de plans absurdes sans songer une seule seconde à demander son avis à Peter. Il avait donc pris les choses en main sans leur en parler. De toute façon, Lily avait fini par leur dire de laisser tomber. Elle aurait pu aller voir sa sœur, mais elle ne voulait pas attirer l'attention sur Pétunia. D'après Peter, elle avait également peur de la confrontation. Même si le Ministère et l'Ordre avaient maquillé la mort des Evans en un crime moldu, il était à peu près certain que Pétunia avait une assez bonne idée de ce qu'il s'était passé.
Une fois arrivé au manoir, il monta au deuxième étage et alla frapper à la porte de la chambre de Lily et James. Lily ouvrit, le visage pâle et les traits tirés. Elle lui sourit faiblement.
- Salut Peter.
- L'enterrement est demain matin, annonça-t-il sans préambule.
Ses yeux verts s'agrandirent.
- Quoi ? Comment est-ce que tu ...
Il haussa les épaules.
- Ça n'a pas été très compliqué. Je ne suis pas un Maraudeur pour rien !
Il dit cela avec un grand sourire en espérant que cela masquerait la rancune qu'il tentait de ravaler.
- Merlin, Peter, merci !
Elle le serra brièvement contre elle et lui sourit.
- Tu es bien plus efficace que les deux autres.
Il rougit légèrement, par habitude, puis interrogea :
- Tu vas y aller ?
- Je pense. Enfin, je ne m'approcherai pas. Je veux juste... Je veux juste m'assurer que tout se passe bien. Et si Pétunia me voit, elle va déclencher un scandale.
Ainsi, songea Peter, elle était bien consciente du fait que sa sœur allait reporter toute la faute sur elle. Non sans raison, à son avis. Si Lily n'avait pas intégré l'Ordre, ses parents seraient encore vivants, et James n'aurait pas une marque de brûlure sur l'épaule – ni la menace constante de se faire assassiner dans d'atroces souffrances pesant sur lui. Cependant, il s'abstint de tout commentaire, comme il l'avait fait toute sa vie. Peter ne s'exprimait pas. Il pensait beaucoup, mais ne s'exprimait jamais.
- Je t'accompagnerais bien, mais j'ai une mission dans l'est.
Elle hocha la tête.
- Je vais m'en tirer. Je ne pense pas qu'il se passe quoi que ce soit. C'est James et moi qui les intéressons.
Le calme avec lequel elle annonça cela l'impressionna. Même si tout le QG était au courant, le formuler aussi platement était une prouesse – ou un simple signe d'inconscience totale. Mais Lily n'était pas inconsciente, pas plus que ne l'était James, malgré les apparences. Alors que Lily le remerciait une dernière fois et qu'il remontait le couloir en sens inverse, il songea qu'ils allaient donner du fil à retordre à Voldemort.
***
Fin juillet
Remus mit son sac sur son dos, la peur au ventre. Dorcas jeta un bref regard derrière elle pour vérifier qu'ils étaient prêts puis reprit son chemin. Le jeune homme s'efforçait de suivre ses longues enjambées mais il trébuchait sans cesse. La pleine lune était dans deux jours et, déjà, ses effets se faisaient ressentir. Le fait qu'ils n'aient toujours pas trouvé les loups-garous n'arrangeait pas l'état de Remus. Il était terrifié pour ses compagnons, terrifié à l'idée de leur faire du mal. Il avait essayé d'en toucher un mot à Dorcas mais elle avait refusé de le laisser seul et de continuer avec Hagrid.
Remus buta une nouvelle fois contre une racine et, cette fois-ci, s'étala par terre. Il parvint à amortir la chute avec ses mains, mais les cailloux entaillèrent ses paumes. Il grogna et roula sur le dos. Le visage inquiet d'Hagrid prit la place du ciel gris et menaçant.
- Remus ?
- Il faut que je me repose. Je ne peux pas continuer.
- Bien sûr que si, intervint la voix acerbe de Dorcas.
Il se redressa sur ses coudes. Ce simple effort fut douloureux.
- Non. De toute façon, il faut que vous vous éloigniez.
Dorcas soupira et se laissa tomber par terre, laissant apparaître pour la première fois un signe de fatigue.
- Le problème c'est qu'on risque de foncer droit dans la gueule du loup, si tu veux bien me passer l'expression.
- Je ne suis pas sûr que rester avec moi soit une meilleure solution, marmonna-t-il.
- Tu vas survivre tout seul si on part ?
- Ouais.
Dorcas lui adressa un regard sceptique mais ne protesta pas.
- Très bien. Mais nous ne nous retrouverons pas ensuite, Lupin. Tu vas devoir chercher les loups-garous tout seul.
Remus haussa les épaules.
- La pleine lune risque de nous réunir. Une meute de loups-garous passe difficilement inaperçue, même s'ils sont loin.
Il secoua la tête, de plus en plus terrifié.
- Ils vous prendront en chasse, Dorcas. Il faut... Vous ne pouvez pas transplaner mais...
- On va construire un abri, coupa-t-elle. Je connais plusieurs sortilèges qui devraient repousser les loups-garous, ou en tout cas les empêcher de nous sentir.
- Alors il faut vous éloigner de moi.
- On ne peut pas te laisser ! Protesta Hagrid.
- Il a raison, soupira Dorcas. Nous devons continuer, et ça ne nous avancera à rien de rester avec le gamin. Allons-y, Rubeus.
- Mais...
- Il faut que vous trouviez les géants, Hagrid, lui rappela Remus avec un sourire. Si vous y arrivez, si vous réussissez à leur parler, vous nous aiderez tellement.
Hagrid, la larme à l'œil, hocha la tête.
- Tu es sûr que...
- Ça ira. Je suis un Maraudeur, non ?
Dorcas le dévisagea un instant, sans doute laissée perplexe par cette dernière phrase, puis se leva.
- Fais attention à tes rations. Si tu ne trouves pas la meute et que tu n'as plus rien pour survivre, rentre au QG. Ne joue pas au héros. Evite de mourir. Dumbledore n'a rien contre le fait que je me salisse les mains mais si je lui ramène le cadavre de l'un de ses protégés, il ne sera pas très content.
- Euh... D'accord.
Sans doute ne pouvait-il guère s'attendre à d'autres marques d'affection de la part de Dorcas, malgré le temps qu'ils avaient passé ensemble dans la nature.
- Bon. A bientôt, Lupin.
Elle tourna les talons et s'enfonça dans la forêt sans un regard en arrière. Hagrid jeta un dernier coup d'œil affolé au jeune homme puis lui emboîta le pas. Remus les observa tant qu'il put, amusé par les feuilles et les branches coincées dans la chevelure hirsute du garde-chasse. La végétation les engloutit bientôt et il se retrouva seul. Autour de lui, la nature bruissait de vie. Des oiseaux pépiaient, des branches craquaient sous les pattes de petits animaux. Un scarabée traversa le chemin en tout quiétude.
Remus se rendit compte, surpris, qu'il n'avait pas peur. La forêt de pins avait beau être affreusement sombre, il ne paniqua pas. Il se laissa tomber en arrière et croisa ses mains sous sa tête. Les yeux fixés sur la voûte bleutée formée par les branches, il songea que la vie sauvage, dans la nature, était une partie intrinsèque de son être. La forêt lui était familière, avec ses bruits et ses odeurs. Il s'y sentait chez lui.
De simples sortilèges de protection lui permirent de passer une nuit tranquille, même si l'adjectif « tranquille » était tout relatif dans la mesure où la pleine lune approchait. Remus détestait cela – l'impression que l'astre l'attirait, que quelque chose en lui tentait de s'échapper, de prendre le contrôle. En cela, la transformation était un soulagement, l'occasion de soulager enfin cette tension, de rendre réelle cette déchirure de son être qui se produisait à chaque pleine lune.
La journée précédent la pleine lune fut éprouvante. Il sentait l'astre rôder. Lorsque la nuit arriva finalement, il ferma les yeux et songea à quel point il aurait aimé que les Maraudeurs soient là.
Remus ouvrit difficilement les yeux. Comme d'habitude, il avait mal partout. L'un de ses bras lui faisait plus mal que le reste. Lorsque sa vision s'éclaircit, il s'aperçut qu'une morsure à la profondeur assez impressionnante lui barrait l'avant-bras. Il grogna. Madame Pomfresh n'était même pas là pour le soigner – Margaret non plus. Merlin, il aurait tant aimé qu'elle soit là.
- Réveillé ?
Il sursauta et cessa aussitôt d'imaginer Margaret à ses côtés. Il se redressa difficilement et la douleur dans son bras se fit plus vive. Face à lui, une silhouette l'observait, accroupie dans l'ombre. Il était seul au milieu d'une petite clairière.
- Tu es sur les terres de la meute, petit.
Sa voix était basse, rocailleuse. Remus songea qu'il devait plus être habitué à grogner qu'à parler. Il s'abstint de répondre, préférant attendre de voir l'homme pour parler.
- Qu'est-ce que tu viens faire ici ? La meute nous entoure. Si tu t'en prends à moi, ils te tueront. A notre façon.
Remus ne doutait pas que leur façon était tout ce qu'il y avait de plus sauvage. Comme l'homme ne décidait pas à s'avancer et qu'il n'avait pas envie de découvrir leur rituel, il se racla la gorge et annonça d'une voix éraillée :
- Je veux... je veux vivre avec vous.
Il s'attendait à ce qu'on lui rit au nez, mais l'homme resta un instant silencieux avant de demander :
- Tu as été chassé ? Poursuivi ? Tu n'as pas l'air blessé – pas par des hommes en tout cas.
Une autre voix s'éleva des fourrés, cassante :
- On ne vit plus au Moyen-Age, Jug. Il n'a pas été chassé à coup de pic et de fourche.
La personne qui venait de parler s'avança dans la clairière. C'était un homme trapu, au visage couturé de cicatrices. Lorsque la lumière du soleil tomba sur lui, Remus se rendit compte qu'il était à moitié nu. La crasse dont il était recouvert ne suffisait pas à cacher les marques d'anciennes blessures qui parcouraient son corps. Remus déglutit difficilement en se demandant à quel point la vie avec la meute allait être difficile.
- Lève-toi, ordonna-t-il.
Remus ne se le fit pas dire deux fois. Tout son corps hurla de protestation lorsqu'il s'exécuta mais il serra les dents et n'émit pas un son.
- Tu as failli arracher la jambe de Su.
Le jeune homme jeta un rapide coup d'œil à son bras en songeant qu'on avait sans doute essayé de lui arracher le bras en retour. Il chancela légèrement en voyant l'état de son bras et un regain de douleur faillit le faire s'évanouir. Les choses ne s'arrangèrent pas lorsque l'homme qui lui faisait face s'avança et pressa son large pouce dans la blessure. Remus hurla et tomba à genou, son bras toujours coincé dans la poigne de l'homme.
- Puisque tu as survécu à ta première nuit ici, siffla-t-il, tu es autorisé à rester. Mais ne compte pas sur nous pour te soigner. Ici, c'est chacun pour soi. La meute ne s'allie que lorsqu'un étranger arrive. En dehors des nuits de pleine lune, on n'attaque pas les membres de la meute. C'est tout. Compris ?
Remus, les dents serrées pour ne pas hurler, hocha la tête. L'homme le repoussa et il bascula sur le sol avec un cri étouffé. Autour de lui, les bois s'agitèrent, des bruits de pas lui parvinrent. Pourtant personne ne vint jusqu'à lui.
Lorsque la douleur reflua quelque peu et que le monde cessa de tourner autour de lui, il se leva précautionneusement. Après avoir erré un instant dans les bois, il trouva une piste vaguement tracée et la suivit. Au bout de quelques minutes, il déboucha dans un espace un peu plus dégagé. Des constructions sommaires parsemaient le terrain et il aperçut quelques traces de feu de camp. Entre les arbres évoluaient les membres de la meute. Il remarqua trois femmes, dont une qui boitait. Il s'agissait certainement de Su. Elle se laissa tomber devant un semblant de cabane et étendit sa jambe devant elle.
Remus fut saisi de remord lorsqu'il vit le sang qui maculait sa jambe. Même si son bras lui faisait un mal de chien, il s'en voulait. C'était presque plus douloureux que la blessure. Il prit une profonde inspiration. Il ignorait s'il parviendrait à survivre à la violence de la meute.
Il s'avança dans le « village » à pas hésitants. Un homme lui jeta un regard en biais avant de disparaître entre les pins. Deux autres hommes se trouvaient là mais il n'aperçut pas celui qui l'avait menacé dans la clairière.
Une main posée sur son épaule le fit sursauter. Il se retourna vivement, baguette levée, et fit face à un homme entre deux âges aux traits durs. Son regard se fit assassin lorsqu'il vit la baguette. Il tenta de la lui arracher des mains mais Remus l'esquiva et la mit hors de sa portée. L'homme grogna :
- Pas de baguette dans mes bois. Jamais. Casse-la, ou je le ferai.
- Non.
Un grondement monta de la poitrine de l'homme.
- C'est la loi de la meute.
- Il ne m'en a rien dit. Elle a ... elle appartenait à mon père, mentit-il pour se justifier. Je veux juste la garder. Je ne l'utiliserai pas.
- Très bien. Fais ce que tu veux. Mais si Jug l'apprend, il te tuera.
- D'accord.
Son vis-à-vis soupira, sans doute déçu par son manque de réaction. Il reprit la parole, toujours tendu :
- Je suis Ladder. Je suis en charge de la meute.
- Je croyais ...
- C'est peut-être chacun pour soi, mais ça ne nous empêche pas de communiquer. Il y a parfois des conseils, pour gérer nos ressources, ce genre de choses. Jug aime se débrouiller seul, mais tu n'es pas obligé d'en faire autant. Maintenant, trouve-toi un coin et évite de te faire remarquer.
Il le poussa en avant et Remus faillit s'étaler par terre. Il se rattrapa de justesse puis tituba jusqu'à un endroit qui semblait inoccupé, à bonne distance de Su et des autres. Il se laissa tomber sur le sol, épuisé et contempla son bras blessé, perplexe. Il n'avait pas la moindre idée de la façon dont il allait s'en tirer.
***
Lily rangea la cape de James dans l'armoire, là où il la mettait habituellement. Elle s'immobilisa devant la cheminée inutilisée et écouta un instant le son lent et régulier de la respiration de son mari. Il s'était à peine reposé entre ses deux dernières missions, comme, d'ailleurs, la plupart d'entre eux. L'Ordre tournait en sous-régime depuis le début de l'été à cause des membres qu'il fallait envoyer au Snargalouf pour former les nouvelles recrues. Le départ de Remus et Dorcas n'avait pas aidé.
Elle se tourna vers leur lit et s'en approcha sans bruit. James ne broncha pas lorsqu'elle s'y assit. Elle posa les yeux sur son visage détendu. Un peu de la tension qui l'habitait la quitta.
L'enterrement de ses parents s'était passé sans problème. Elle s'était tenue à distance, cachée sous la cape. Affronter Pétunia aurait provoqué un scandale. Elle préférait que sa sœur répande d'affreux ragots sur son compte, explique à toute la famille quelle fille ingrate elle était. Ça n'avait pas d'importance. Ça n'en avait plus. Sa famille n'en avait plus – la famille dans laquelle était née. Ses parents morts, plus rien ne la reliait à Pétunia, pas même leur nom.
Elle se concentra à nouveau sur celui qui avait pris leur place et se jura qu'elle ferait tout ce qu'elle pouvait pour le protéger. Voldemort ne détruirait pas sa seconde famille – ne détruirait pas James.
Lily se leva et quitta la pièce d'un pas décidé. Voldemort ne détruirait plus aucune famille. Elle ne le permettrait pas. Elle gagna la cuisine tout en se demandant comment mettre son plan à exécution et rentra de plein fouet dans quelqu'un au bas des marches.
- Doucement, Evans, grogna la personne qu'elle venait d'agresser.
N'en croyant pas sa chance, elle recula d'un pas et adressa un sourire contrit à Maugrey.
- Désolée. Vous avez un peu de temps ? Je voulais vous parler.
Il grogna et s'engagea dans le couloir sans rien dire. Lily le suivit jusqu'à son bureau, dans lequel elle entrait pour la première fois. Il se laissa tomber sur le fauteuil situé derrière le bureau et commença à fouiller dans des tiroirs. Lily s'assit sur la chaise en face de lui et l'observa avec surprise lorsqu'il posa un parchemin et une plume devant elle.
- Tout ce qu'on te demande, commença-t-il, c'est de signer ce contrat magique qui nous assurera que tu ne parleras de rien de ce que tu as vu ici. Ensuite tu pourras retourner à ta vie.
- Quoi ? Maugrey... Est-ce que vous pensez que je démissionne ?
Il haussa un sourcil.
- Ce n'est pas le cas ?
- Merlin, non.
Une lueur soulagée passa dans son regard et il récupéra ses papiers.
- Bon. Qu'est-ce que tu veux, alors ?
- Mes parents n'étaient pas protégés ?
Il se tendit.
- Non.
- Pourquoi ? Vous saviez qu'ils étaient la cible parfaite.
- Parce qu'on ne peut pas protéger tout le monde, Evans, et tu le sais.
- C'est Potter, rectifia-t-elle sèchement.
Il fit un geste négligent de la main comme pour mettre sa remarque de côté. Elle prit une profonde inspiration pour se calmer avant de reprendre :
- Si Voldemort était présent, c'était forcément prévu. Pourquoi est-ce qu'on ne l'a appris qu'après ?
- Est-ce que j'ai l'air d'avoir le troisième œil ou d'être un Mangemort ? Aboya-t-il.
- Non, mais vous êtes le chef de l'Ordre, c'est à vous de savoir qui aider, et quand !
- Mon rôle, Potter, est de me battre contre les Mangemorts, pas de protéger les civils !
- Vous vous foutez de moi ? Qu'est-ce qu'on passe notre temps à faire ?
- Ce que Dumbledore nous demande ! S'écria-t-il en abattant son poing sur la table.
Une pile de papiers s'effondra avec fracas alors qu'il se redressait, toisant Lily de toute sa hauteur.
- Je suis chef du département des Aurors avant d'être chef de l'Ordre, rectifia-t-il entre ses dents serrées. Mon but est d'arrêter les Mangemorts, de le faire parler, d'obtenir le plus d'informations possibles. C'était aussi le but de l'Ordre, ça l'est toujours, mais Dumbledore a plus de scrupules que moi. Alors je suis désolé pour tes parents, mais que voulais-tu qu'on fasse ? Envoyer un espion chez les Mangemorts pour qu'il leur soutire tous leurs plans d'attaque et reviennent ensuite nous les apporter sans la moindre anicroche ? Ce serait du suicide !
- Alors vous comptez laisser les gens mourir sans rien faire ? Arriver après pour nettoyer le carnage ? Protesta-t-elle, les larmes aux yeux malgré ses efforts pour se contrôler.
- Bon sang, Potter ! Rugit-il. Nous intervenons là où nous pouvons, quand nous le pouvons ! A ton avis, d'où viennent les ordres de mission qu'on vous envoie ? Des informations que mes Aurors ont obtenu en capturant des Mangemorts ! On parvient parfois à sauver des gens, mais nous n'avons pas toujours les bonnes informations au bon moment. C'est la loi de la guerre.
Il se laissa retomber dans son fauteuil, comme épuisé après sa tirade. Plus bas, mais non moins sèchement, il reprit :
- On fait ce qu'on peut, et je t'accorde que ce n'est pas assez. Mais on n'y peut rien.
- Mais...
- Hors de mon bureau.
- Si seulement on...
- Dehors Potter !
La vue brouillée par les larmes, Lily s'exécuta. Elle s'engouffra dans la salle de réunion pour se calmer. Le parc s'assombrissait doucement et c'est cette lueur crépusculaire qu'elle essuya ses larmes. Ce n'était pas l'éclat de Maugrey qui l'avait fait pleurer, mais la culpabilité de n'avoir rien pu faire pour ses parents – de ne rien pouvoir faire pour la famille des autres, pour tous ceux qui mourraient car l'Ordre manquait d'informations. Elle s'était imaginée des mois et des mois d'espionnage, des dizaines de personnes sauvées... Elle s'était créée, pendant quelques jours, un idéal de guerre où les gentils triomphaient des méchants en les prenant de court, en étant plus fort. Dommage, songea-t-elle, qu'ils ne soient pas les plus forts. Qu'ils n'y aient pas de vrais « gentils » dans cette guerre. S'il y en avait, elle n'aurait pas eu ce besoin urgent de venger ses parents en faisant couler le sang. Elle savait bien qu'elle n'en ferait rien – du moins pas à la manière cruelle des Mangemorts. Mais cette violence était là, au fond d'elle, tout comme elle l'était sans doute chez nombre des autres membres de l'Ordre.
Ecrasée par la peur, la douleur et la culpabilité, Lily n'eut soudain qu'une envie : redevenir une petite fille le temps d'une soirée, s'éloigner des soucis de la guerre. Après un instant d'hésitation, elle quitta la salle à grands pas.
Vingt minutes plus tard, elle se trouvait sur le perron de la maison des Potter, à Godric's Hollow. Elle frappa et attendit quelques minutes. Le battant s'ouvrit finalement alors que Fleamont disait :
- Depuis quand est-ce que tu... Oh.
Visiblement surpris, il fixa sa belle-fille quelques instants.
- Lily ? Est-ce que tout va bien ? James...
- Il va bien, s'empressa-t-elle de la rassurer en se demandant tout d'un coup pourquoi elle était venue. Il dort. Je ... je suis désolée de faire irruption comme ça, mais...
- Il n'y a pas de problème, entre, je t'en prie !
Il se décala pour lui libérer le passage mais elle resta plantée où elle était, le regard fixé sur ses chaussures.
- Lily ?
- Je voulais juste...
Elle leva les yeux vers lui, des yeux remplis de larmes, et une lueur de compassion passa dans les yeux de Fleamont.
- Oh, Lily, murmura-t-il avant de l'attirer contre lui.
Elle se laissa faire, l'enlaça sans timidité et se laissa aller à son étreinte paternelle.
***
Sirius se laissa tomber sur une chaise, épuisé. D'un coup de baguette magique, il fit venir à lui un verre d'eau et un paquet de gâteaux. Il n'avait pas la force de cuisiner quelque chose.
Alors qu'il bataillait avec l'emballage, James débarqua dans la cuisine, occupé à essayer de mettre ses chaussures tout en marchant. Il finit par s'asseoir et fit ses lacets avec un grognement de triomphe.
- Où est-ce que tu vas ? Interrogea Sirius avant de déchirer le paquet avec ses dents.
- Bonjour à toi aussi.
Sirius leva les yeux au ciel avant de le fixer avec insistance.
- Je vais dîner chez mon père.
- Qu'est-ce que tu as fait de Lily ?
- Elle est déjà là-bas. Papa m'a envoyé un hibou pour me prévenir.
- Oh.
L'air malheureux de James renseigna son meilleur ami sur son état d'esprit. Il était sans doute persuadé qu'il n'arrivait pas à aider sa femme, alors qu'il y parvenait au contraire merveilleusement.
James se reprit et interrogea :
- Tu veux venir ?
- Non, ça ira. Il faut que j'essaie de voir Ethel.
Un sourire éclaira le visage soucieux de James.
- Vous en êtes où ?
- Bonne question.
James secoua la tête avant de se lever.
- Eh bien j'espère que tu vas trouver une réponse bientôt.
Il quitta le manoir, laissant Sirius ruminer ses pensées, seul dans la cuisine. L'arrivée d'Ethel finit par le tirer de ses réflexions. L'air aussi fatiguée que lui, elle s'assit sur la chaise qu'occupait James un peu plus tôt et s'affala sur la table. Sirius rit et se pencha pour prendre sa main, étalée sur la table. Elle se laissa faire tout en grognant ce qui ressemblait à une salutation.
- Ça va ? Tenta-t-il.
- Faim.
- Si je te fais à manger, j'aurai droit à autre chose que des mono-syllabes ?
Elle hocha la tête avec enthousiasme, aussi sauta-t-il sur ses pieds pour se mettre en cuisine. Le garde-manger du QG étant, ce soir-là, presque vide, il ne put lui faire qu'une omelette aux champignons avec des pâtes, mais cela sembla lui convenir. Lorsqu'elle reposa finalement sa fourchette, elle lui sourit.
- Merci.
- Ça m'a demandé beaucoup d'efforts.
Elle rit doucement, ses yeux toujours rivés sur son visage. Au bout de quelques instants, elle rougit sensiblement. Sirius savait très bien à quoi elle pensait. Elle finit par détourner le regard et se leva pour faire la vaisselle – ou plutôt, pour laisser la magie faire la vaisselle. Sirius l'aida tout en racontant avec forces détails burlesques sa dernière mission. Il acheva son histoire en rangeant la dernière assiette dans le placard, Ethel juste devant lui, appuyée contre le plan de travail. Elle souriait, aussi proche que lorsqu'ils avaient dansé ensemble pendant le mariage de Lily et James.
Il ferma doucement le placard et, sans rien dire, se pencha pour l'embrasser. Elle le laissa faire et cette fois, au lieu de s'enfuir au bout de seulement quelques instants, elle glissa sa main derrière sa nuque et le retint contre elle.
- Tu en as mis du temps, souffla-t-elle lorsqu'ils se séparèrent.
- Tu te moques de moi ? Grommela-t-il. J'avais trop peur que tu t'envoles sur la moto pour ne jamais revenir.
- Ce n'est pas dans mes projets immédiats.
- Bien. Alors est-ce qu'on peut, s'il-te-plaît, arrêter de se tourner autour ?
- Ça me va. Mais n'essaie pas de m'embrasser devant les autres !
- Oh, ne t'en fais pas, je laisse ça à Lily et James.
- Ils sont plus discrets qu'à une époque, fit-elle remarquer.
Il ne répondit pas, trop occupé à étudier son visage.
- Ethel ?
- Oui ?
- Tu sais que je suis sérieux, n'est-ce pas ?
Il pensait la rassurer mais une expressionsoucieuse passa brièvement dans son regard avant qu'elle n'enfouisse son visagecontre son cou. Un instant surpris, il laissa vite de côté ses inquiétudes pourprofiter de son étreinte.
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