Partie III - Chapitre 41

Chapitre 41

- Rogue ? Tu m'écoutes ?

Le jeune homme posa les yeux sur Jugson, un Mangemort à peine plus âgé que lui qui l'avait toujours pris de haut.

Non, eut-il envie de répondre. Non je ne t'écoute pas, parce qu'elle a épousé Potter et que je n'ai rien fait pour empêcher ça.

Il n'avait pas eu beaucoup de mal à découvrir que Lily allait se marier à Carbone-les-Mines. On bavardait, entre voisins. Même si personne ne parlait aux Rogue, sa mère était pourvue d'oreilles. Il avait failli prévenir Lestrange. Il était persuadé que des membres de l'Ordre seraient là. Leurs défenses n'auraient sans doute pas été si difficiles à abattre. Seulement, Lily aurait été tuée. Il n'aurait pas pu l'empêcher. Lily Potter valait toujours mieux que Lily morte.

Il serra les poings en imaginant Lily et son mari. Il avait torturé un misérable agent du Ministère, le lendemain du mariage, dans l'espoir que cela calmerait sa colère. On avait dû l'arrêter avant qu'il ne tue le Sorcier.

- Rogue ! Tonna Jugson en abattant son poing sur la table.

- L'empêcher de faire n'importe quoi, j'ai entendu. Mener la mission à bien. C'est l'essentiel, non ?

Gibbon, débout près de Jugson, le fusilla du regard. Une mèche de cheveux d'un brun terne cachait son œil aveugle – un petit souvenir de la bataille de Trafalgar Square.

- Ne dévie pas de ton objectif.

- Pour aller faire quoi ? Je sais ce que je fais.

- Tire-toi, Rogue. Le Maître n'aime pas beaucoup l'insubordination.

Un rictus tordit la bouche de Severus. Il se leva en faisant racler sa chaise sur le sol.

- T'as raison. Être un larbin servile, ça vaut beaucoup mieux.

Gibbon voulut sortir sa baguette mais n'en eut pas le temps : Severus le menaçait déjà de la sienne.

- Fais attention, tu risquerais de perdre ton deuxième œil, susurra-t-il. Ce serait un regrettable accident.

- Espèce de ...

Sans attendre, Severus quitta la pièce, petite mais magnifiquement décorée. La fortune des Malefoy était décidément une aubaine. Il emprunta un couloir aux murs tendus de tissu pourpre. Le regard d'ancêtres Malefoy le suivait. Vivre dans ce manoir changeait agréablement du taudis de Carbone-les-Mines. Cependant il n'était pas dupe : Malefoy se cachait derrière sa fortune. C'était l'un des pires lâches qu'il ait jamais rencontré, même si personne ne semblait s'en rendre compte. Il émit un claquement de langue agacé. Lord Voldemort réunissait de nombreux partisans, mais peu étaient de réels fidèles. Il ne comptait même plus le nombre de partisans apeurés qu'il avait rencontré. A son sens, il fallait admirer le Seigneur des Ténèbres plutôt que le craindre. C'était ce que faisaient les Lestrange – ce qu'il faisait lui-même. Ce que Regulus Black semblait prêt à faire.

On lui avait refilé la garde du dernier rejeton de l'illustre famille Black. Apparemment, le fait qu'ils aient fréquenté Poudlard en même temps faisait de lui la nounou parfaite. Il aurait préféré n'avoir à veiller que sur lui-même, mais il était obligé d'exécuter les ordres. Peut-être que si le Seigneur le remarquait... Il aurait tant aimé avoir voix au chapitre, pouvoir participer aux réunions où se rendait Bella... Mais pour cela, il lui fallait accomplir quelque chose de grand. Quelque chose qui prouverait à tous qu'il était plus qu'un larbin juste bon à faire des potions un peu difficiles. La disparition de la maison du Ministre avait suscité quelques espoirs chez lui, mais le Maître ne lui avait pas accordé un seul regard. D'après Bella, c'était une mise à l'épreuve, rien de plus. Pour être un proche du Maître, il fallait faire plus que cela. Il ne lui avait pas demandé conseil, refusant de s'abaisser à cela. S'il devait réussir, il le ferait par ses propres moyens.

Arrivé dans une nouvelle aile du manoir, il emprunta un petit escalier en pierre et gagna le troisième étage. L'écho d'un cri retentit. Severus eut un sourire mauvais avant de pousser la porte de l'endroit où il dormait lorsqu'on le convoquait au manoir. Regulus, assis sur le lit, releva la tête avec espoir.

- On part demain, annonça sèchement Severus. Tu dormiras là ce soir.

- Et toi ?

- J'ai d'autres choses à faire.

- Où est-ce qu'on nous envoie ?

- Tu verras.

- Est-ce qu'on va capturer quelqu'un ?

- Ferme-la, Black. La curiosité est une mauvaise chose, ici. On pourrait te prendre pour un espion.

Il planta là Regulus en lui claquant la porte au nez et dévala les escaliers pour rejoindre la bibliothèque du manoir. Comme d'habitude, elle était vide. Personne n'y trouvait d'intérêt, à part lui. Pour cette raison, on lui confiait toutes les tâches fastidieuses et nécessitant quelques connaissances techniques très précises. Il partait rarement pour une mission banale, comme celle qu'il devait accomplir avec le jeune Black. A vrai dire, il ne s'en plaignait pas. Tuer, enlever ou torturer bêtement un opposant à Voldemort ne lui apportait aucune joie particulière. A son sens, la partie vraiment intéressante commencerait lorsque Voldemort aurait atteint le pouvoir. Là, ils pourraient réfléchir, mettre au point un ordre nouveau... Et pas seulement utiliser la force brute.

Severus traîna un moment au milieu des rayonnages avant de mettre la main sur ce qu'il cherchait. Il déposa le livre poussiéreux sur une table, le feuilleta un instant et tomba enfin sur ce qu'il cherchait : quelques pages sur les Inferi.

***

Remus vérifia une dernière fois qu'il avait tout ce qu'il fallait, et pas plus. Une tenue de rechange, un sac de couchage, la sacoche contenant les potions de première nécessité que Margaret lui avait préparée, une carte des Highlands. Dorcas devait gérer le ravitaillement. De toute façon, il n'aurait plus besoin de tout ça une fois qu'il aurait rejoint la meute.

Il rangea le tout dans son sac, sacrifia une paire de chaussettes et le boucla enfin.

- Pourquoi est-ce que tu n'utilises pas la magie pour l'agrandir ?

Remus se retourna vivement pour faire face à Peter, qui se tenait sur le seuil de la porte.

- Si je fais ça, je serai tenté de prendre plus d'affaires, alors que je n'en ai pas besoin. Dorcas serait capable de me faire bouffer le surplus.

Son ami frissonna.

- Cette femme est terrifiante.

- Ne m'en parle pas... Peut-être que ça suffira à nous protéger.

Peter eut un faible sourire.

- Ouais, peut-être. Mais dis-moi, pourquoi est-ce que vous allez camper ? Vous ne pouvez pas transplaner ?

- Les géants sont dans le coin aussi et il vaut mieux qu'on n'utilise pas la magie près d'eux. Ça les rend agressifs. Enfin, plus qu'ils ne le sont d'habitude. En plus, les loups-garous le sentent. Ça les attirerait.

- Comment tu vas faire, pour la pleine lune ?

- C'est dans trois semaines, rappela-t-il. J'espère être avec mes... semblables, à ce moment-là.

- Dorcas aura plutôt intérêt à avoir déguerpi.

- Les Highlands sont vastes... Mais normalement, leur mission auprès des géants ne devrait pas leur prendre trop longtemps.

Son ami hocha une nouvelle fois la tête. Il lui sembla pâle, mais Remus mit cela sur le compte de la fatigue et de sa récente gueule de bois. Il n'avait pas lésiné sur l'alcool, pendant le mariage.

- Fais attention.

- Ouais, merci. Toi aussi ! Essaie d'éviter que Sirius et James fassent n'importe quoi pendant mon absence !

Peter eut un petit rire alors que son ami le serrait brièvement contre lui.

- Comme si j'avais jamais eu le moindre pouvoir sur eux. Tu pars tout de suite ?

- Dans une dizaine de minutes. Je dois retrouver Dorcas et Hagrid du côté d'Inverness.

- Okay. (Il lui tapota une dernière fois l'épaule). Bonne chance, Lunard.

Il quitta la pièce sans rien ajouter et Remus songea combien Peter se faisait discret ces temps derniers, plus discret qu'il ne l'était avant. Il ne l'avait jamais vu avoir l'air si inquiet lors d'un départ en mission de l'un de ses amis. Remus devait bien admettre que sa tâche sortait de l'ordinaire. Un membre de l'Ordre restait rarement plus de douze heures au poste auquel on l'avait affecté.

Remus laça ses chaussures, attrapa sa cape d'hiver – le temps pouvait être changeant en Écosse, et quitta sa chambre. Il ferma soigneusement la porte derrière lui, conscient qu'il n'y retournait sans doute pas avant au moins deux mois. Il ignorait combien de temps on espérait le voir passer dans la meute. Dorcas le lui dirait sans doute. Il récupéra la gourde qu'il avait laissée dans la cuisine vide et quitta enfin le QG, sans avoir dit au revoir à personne, à part Peter et les jeunes mariés, un jour plus tôt. Il n'avait prévenu presque personne qu'il partait ce jour-là – ou même qu'il partait tout court. Il savait que son nom n'apparaîtrait pas sur le tableau, dans la cuisine. C'était, d'après Maugrey, le meilleur moyen pour que les forces de Voldemort n'apprennent pas ce qu'il faisait et ne viennent pas tout faire échouer. Les loups-garous n'iraient jamais d'eux-mêmes le prévenir. Ils n'avaient jamais agi que sur invitation de Voldemort.

Il frissonna en traversant le parc du manoir, malgré les rayons que le soleil dardait sur la Cornouailles. Il avait beau savoir ce qui l'attendait, il ne s'y faisait pas pour autant – la vie sauvage, la chair crue des animaux, les nuits de pleine lune consacrée à la chasse. Peut-être allait-il être amené à tuer des hommes, mais sans en avoir conscience. Il n'avait pas abordé le sujet avec Dorcas... Il n'avait pas parlé du fait qu'il allait mettre de côté tout ce qui faisait son humanité pour devenir le monstre qu'il s'était toujours refusé à être.

Mais sans doute Dorcas s'en fichait-elle. A tout le moins, elle avait dû s'y habituer. En effet, Remus ne se faisait pas d'illusion : Dorcas était la main de l'Ordre, et peut-être même du Ministère, pour tout ce qui relevait des affaires sordides. Assassin, voleuse... Il ne savait pas jusqu'où s'étendait le champ de ses compétences. La seule chose dont il était certain était sa fidélité à l'Ordre et au Ministère. Pour le reste, elle demeurait un mystère qu'il doutait d'élucider durant le temps qu'ils allaient passer ensemble.

Après un transplanage aussi désagréable que d'habitude, il entreprit une petite randonnée qui l'éloigna d'Inverness et du Loch Ness. Dorcas lui avait transmis des informations précises par l'intermédiaire de Benjy Fenwick. Remus connaissait peu l'homme, mais il n'aurait pas été étonné que Dorcas et lui trempent dans le même genre d'affaires louches.

Il consulta sa carte une dernière fois et s'engagea dans un sentier qui serpentait entre les arbres. Son sac tirait déjà sur ses épaules mais il ne comptait pas se plaindre. Il suivrait Dorcas et Hagrid sans faillir. Penser au demi-géant le réconforta. Même s'il ne le connaissait pas aussi bien que Lily et James, il l'avait toujours apprécié. Et puis il savait ce que c'était, qu'être un hybride. De plus, avantage non négligeable, il était bien plus sympathique que Dorcas.

La tête hirsute du garde-chasse de Poudlard apparut justement au détour du chemin. Dorcas, l'air minuscule à côté de lui, observait sa carte, les sourcils froncés.

- Remus ! S'exclama joyeusement Hagrid en se hâtant vers lui pour lui asséner une claque à décorner un bœuf dans le dos. Je suis content de te voir !

Avant que le jeune homme n'ait pu répondre, Dorcas lança d'une voix coupante :

- Moins fort, Hagrid. Tu es en retard.

Remus grimaça tout en jetant un coup d'œil discret à sa montre. Il avait précisément quarante secondes de retard.

- Désolé, marmonna-t-il néanmoins.

- Allons-y, trancha Dorcas. Il faut qu'on soit là-haut avant la nuit.

- Là-haut ?

Elle désigna le haut de la colline qui surplombait le Loch Ness.

- En principe, il y a un ancien abri de bergers. Ça suffira pour la nuit. Après ça, on continuera vers le nord. Tâche de trouver des traces des loups-garous mais reste discret. Ne me lâchez pas d'une semelle. Remus, évite d'utiliser la magie. On veut trouver les loups-garous, mais pas qu'ils nous trouvent.

Sur ce, elle réajusta son sac sur son dos et partit d'un bon pas, un Hagrid muet sur les talons. Remus suivit, la mine sombre. La route allait être longue.

***

Sirius murmura une imprécation. Il avait terriblement chaud. Jamais il n'aurait pensé qu'on lui assignerait une mission si stupide. Si stupide et si proche du QG. Il était posté sur une plage de Cornouailles, perdu entre des enfants qui braillaient et des parents débordés. Un bébé passa en volant près de lui et il haussa les sourcils.

- Hazel ! Arrête ça tout de suite !

Un jeune homme catastrophé prit le bébé dans ses bras alors qu'une petite fille se mettait à pleurer, quelques pas plus loin. La minuscule crique que Sirius devait surveiller était l'une des très rares plages réservées aux Sorciers, aussi les situations absurdes s'enchaînaient-elles. Il avait dû aider à faire rapetisser un crabe devenu géant quelques heures plus tôt.

Si cela l'agaçait, il était, dans le fond, assez heureux que rien de plus grave ne soit arrivé. Il n'y avait que de jeunes couples avec leurs enfants. Le souvenir de l'explosion de l'école, à l'automne, était encore cuisant. La facilité de la mission lui permettait de s'abîmer dans ses pensées – qui concernaient pour la plupart Ethel. Ils avaient repris leur relation là où elle était, après le mariage. Elle n'avait pas parlé de leur baiser, alors il n'avait rien dit non plus. Pourtant, quelque chose avait changé. Elle était plus familière avec lui, le touchait plus facilement... Riait plus, aussi. Le souci était que, lorsqu'elle riait, il était pris d'une furieuse envie de l'embrasser. Sans doute finirait-il par céder à la tentation, ne serait-ce que pour voir quelle serait sa réaction.

- Excusez-moi ?

Il détourna son attention de la mer pour considérer la jeune fille blonde en short qui lui faisait face. Elle lui disait vaguement quelque chose mais il ne parvenait pas à l'identifier.

- Oui ?

- Si je vous dis « Scamanbar », ça vous évoque quelque chose ?

Sirius la dévisagea, la mâchoire décrochée.

- Qu'est-ce que vous savez sur ce qu'il s'est passé là-bas ?

La jeune fille fronça les sourcils.

- Rien du tout, c'était juste le mot que je devais utiliser pour être sûre de parler à la bonne personne. Gideon Prewett ne m'a pas dit ce qu'il signifiait.

- Prewett ? Balbutia Sirius en se détendant légèrement.

- Ouais. Je suis Carrie Butler.

La lumière se fit enfin dans l'esprit du jeune homme et il serra la main qu'on lui tendait. Tous les membres de l'Ordre connaissaient le rôle de Carrie mais peu l'avaient déjà rencontrée.

- Qu'est-ce qui t'amènes ?

Elle leva les yeux au ciel.

- Une querelle entre Minchum et Thatcher, encore. Apparemment l'occupation de cette crique par la communauté sorcière est illégale. Le traité signé en 1470 la cédant au Ministère ne serait pas valide car il a été paraphé par Henri VI.

Comme Sirius la fixait d'un œil vide, elle explicita :

- De Lancastre.

Il haussa un sourcil perplexe et elle laissa échapper un soupir de frustration.

- Le roi fou ! Bon sang, vous n'avez aucune culture, vous autres Sorciers. Je passe mon temps à expliquer l'histoire anglaise à Minchum.

- Hé, c'est faux, protesta Sirius. Je sais qui est Dittens.

- Dickens ?

- Ouais, c'est ça.

- Belle démonstration.

Sirius croisa les bras en songeant qu'elle était aussi agaçante que Lily dans ses pires moments.

- Qu'est-ce que ta présence peut bien changer à ça ? Reprit-il.

- Je dois vérifier que l'endroit ne présente aucun intérêt stratégique... Et aussi que vous n'êtes pas en train de préparer une bombe.

- Très amusant, marmonna-t-il.

- J'exécute les ordres, répliqua Carrie. Enfin, plutôt je vais dire que je suis passée et que j'ai tout observé et qu'il n'y a rien du tout, et au lieu de vraiment faire ça, je vais aller manger une glace.

Sirius la fixa, sceptique.

- T'es sûre d'être qualifiée pour ce job ?

Elle lui retourna un regard dur qui le prit de court.

- Non, mais je suis la seule à l'avoir accepté, alors si tu penses pouvoir le faire mieux que moi, vas-y je t'en prie.

- Euh... Non, ça ira.

Ses yeux le transpercèrent.

- Les gens normaux s'excusent.

- Ouais. Désolé.

Elle poussa un soupir agacé et fourra les mains dans les poches de son short.

- Fais en sorte qu'il n'y ait pas trop de disparitions pendant les prochains mois, si tu veux te faire pardonner.

- Malheureusement on n'y peut pas grand-chose, fit-il remarquer. C'est impossible à prévoir.

- Vous n'avez pas d'espion ?

- Aucune idée. On fait plutôt des missions de terrain, des trucs un peu...

- Bourrins ?

Il eut un petit sourire.

- Ouais, c'est ça.

Carrie soupira.

- J'imagine que ça permet déjà d'éviter certaines catastrophes.

Sirius hocha la tête, mal à l'aise. Le sentiment de son inutilité le frappa soudain. Il contempla la plage bondée, sur laquelle nulle menace ne semblait planer. Il devait bien y avoir un autre endroit en Grande-Bretagne où, exactement au même instant, les forces de Voldemort faisaient souffrir quelqu'un.

La jeune Moldue le tira de ses réflexions en lui demandant :

- Bon, c'est sûr, personne n'est en train de monter un complot contre le gouvernement moldu ?

- Certain, promit-il. Bonne glace.

Elle lui sourit, son accès de colère dissipé.

- Merci. Bon courage, et peut-être à une prochaine fois.

Elle s'éloigna avec un signe de la main. En la regardant marcher dans le sable, Sirius se demanda si quelqu'un se souciait de sa sécurité. La conciliation entre les deux ministres était essentielle et si quelqu'un venait à apprendre son implication dans la guerre, elle serait aussitôt menacée – cela était d'autant plus vrai qu'elle était moldue.

- Carrie ! S'écria-t-il.

Plusieurs personnes se retournèrent alors qu'il courait en trébuchant dans le sable. L'intéressée l'entendit et s'arrêta surprise.

- Quoi ? Interrogea-t-elle lorsqu'il s'arrêta près d'elle.

- Où est-ce que tu habites ?

Son visage se fit aussitôt méfiant.

- Dans Londres.

- Oui, mais quelle est ton adresse exacte ?

- Ça ne te regarde pas.

- Carrie, s'il te plaît. Je ne compte pas te harceler.

Après encore un instant d'hésitation, elle lui donna ce qu'il demandait. Il hocha la tête, satisfait.

- Merci.

- Je peux savoir à quoi ça va te servir ?

- Nan. L'Ordre préfère ne pas divulguer ses secrets.

- Hé !

Il eut un petit rire.

- Désolée, minette. Affaires de Sorciers.

Elle lui jeta un regard furieux et déguerpit sans demander son reste. Sirius comprenait pourquoi Gideon l'avait choisie : c'était une forte tête. Il la regarda s'éloigner, songeur. La question de l'espionnage le taraudait. Jamais il n'avait entendu parler d'un quartier général pour les Mangemorts et il n'avait pas la moindre idée de la façon dont ils fonctionnaient. Voldemort était le chef, certes, mais ensuite ? Il ne pouvait pas assigner leur tâche à tous ses partisans. Et avait-il seulement un plan d'ensemble, ou attaquait-il au hasard ? Les Mangemorts agissaient-ils toujours sur son ordre ? Consterné, il fut bien obligé d'admettre qu'il n'en savait rien. Il avait toujours eu l'impression que l'organisation bien rodée de l'Ordre répondait à une logique similaire, du côté ennemi, mais peut-être pas. Peut-être le camp de Voldemort était-il simplement imprévisible.

Il grogna distinctement et un enfant qui passait devant lui, vacillant sur ses jambes dodues, le dévisagea avec des yeux ronds avant d'imiter le bruit qu'il venait de faire. Sirius montra les dents. Le gamin déguerpit sans demander son reste, le laissant reprendre le sombre fil de ses pensées.

C'était logique, au fond. Ne pas avoir de plan était le meilleur moyen de s'assurer que l'Ordre ne leur mettrait pas de bâtons dans les roues. Ils étaient trop lents, réalisa Sirius. Ils étaient toujours trop lents, avaient toujours un train de retard. Et comment remédier à cela sans envoyer l'un des leurs, sous couverture, dans la gueule du loup ? Il frissonna malgré le soleil de cette fin juillet. Il ne souhaitait cela à personne. Benjy avait dit un jour que Voldemort était Legilimens – un très puissant Legilimens. Un espion chez les Mangemorts serait un mort en sursis.

Sirius fixa les yeux sur l'horizon. Il prit une profonde inspiration alors que cette humeur noire que le mois de juillet avait chassée revenait à la charge. Ils étaient déjà des morts en sursis.

***

Lily attrapa la pile de linge posée sur son lit en grommelant. James avait encore plié ses t-shirts n'importe comment. Elle soupira en rangeant les vêtements dans l'armoire. Ils se voyaient tellement peu que lui montrer à nouveau comment plier correctement le linge n'était pas sa priorité lorsqu'ils se retrouvaient.

Lorsqu'ils étaient rentrés au QG, deux jours après le mariage, deux ordres de mission les attendaient sur leur lit. L'un de jour pour James, l'autre de nuit pour Lily. Depuis, ils enchaînaient les veilles et les missions d'escorte, si bien qu'ils n'étaient que rarement au QG au même moment. Et quand c'était le cas, l'un d'eux tombait en général de fatigue.

Elle se figea, une paire de chaussettes à la main, alors qu'une subite pensée lui traversait l'esprit. Elle fixa longuement le fond de l'armoire sans le voir, respirant à peine, les chaussettes toujours en suspension. Enfin, elle les jeta sur les chemises de James, claqua la porte de l'armoire, attrapa sa baguette et descendit dans la cuisine quatre à quatre. Un rapide coup d'œil au tableau lui apprit que James se trouvait dans le Pays de Galles, à Pembroke.

En principe, elle n'avait pas le droit de faire ça. Si elle débarquait au milieu d'une situation tendue, elle pouvait ruiner la mission de James et le mettre en danger – les mettre tous les deux en danger. Mais il fallait qu'elle lui parle.

Par mesure de sécurité, elle transplana un peu à l'extérieur de la ville, au demeurant peu développée. Après avoir demandé son chemin à un passant, elle atteignit la rue où se trouvait son mari. Ou plutôt, où il devait théoriquement se trouver, puisqu'elle n'apercevait aucune trace de lui. La cape remplissait sans doute son office. Elle descendit donc la rue d'un pas tranquille, les mains dans les poches, jusqu'au moment où une poubelle siffla :

- Lily ? Qu'est-ce que tu fais là ? Il y a un problème ?

Elle voulut s'adosser à la poubelle, mais on saisit son coude et elle se trouva happée en arrière. Quelques instants plus tard, le tissu de la cape la recouvrit.

- Hello, chuchota-t-elle à un James inquiet.

- Qu'est-ce que tu fabriques ?

- Il faut qu'on parle.

- Ça ne pouvait pas attendre ?

- Non. Tu veux bien faire semblant d'avoir l'air content que je sois là ? J'ai l'impression de ne pas t'avoir vu depuis des années.

Un sourire étira enfin les lèvres de James, qui se pencha pour lui voler un baiser.

- Sept heures me paraît plus juste.

- Treize. Tu t'es endormi.

- Pas toi ?

- A quatre heures seulement. Je te rappelle que j'ai dormi jusqu'à dix-huit heures, hier.

- Merlin, quand est-ce qu'on a arrêté d'avoir un rythme de vie normale ?

- Depuis que Maugrey a décidé qu'on passait trop de temps ensemble ?

Il soupira et passa sa main dans ses cheveux, sans se soucier du fait que cela allait très certainement dévoiler leurs pieds.

- On aurait dû s'enfuir après le mariage.

Lily eut un sourire résigné puis attira son visage vers le sien pour l'embrasser. Il sourit contre ses lèvres.

- C'est pour ça que tu es venue ?

- Non, pouffa-t-elle. Enfin... ça a un rapport.

Curieux, il s'écarta et attendit qu'elle poursuive. Soudain gênée, Lily rougit et dut s'éclaircir la gorge pour dire :

- Je me suis rendue compte qu'on... que... que je n'avais pas pensé au sort de contraception depuis une éternité et... et j'ai l'impression que toi non plus.

James cligna plusieurs fois des yeux avant de balbutier :

- Tu.. tu n'es pas .... ?

- Non ! Merlin, non !

- Oh.

Il était manifestement déçu. Lily était bien incapable de dire ce que cela lui faisait. Comme il ne disait rien, elle reprit :

- On n'en a pas parlé.

- De quoi ?

- Les enfants. Un... un bébé.

Il y eut un nouvel instant de silence avant que James n'arrache soudain la cape qui les couvrait pour commencer à faire les cent pas.

- Qu'est-ce que...

- Je surveille juste, coupa-t-il. Ça n'a pas d'importance si on me voit pendant quelques instants, c'était juste pour que ça ne paraisse pas suspect aux voisins qu'un type reste planté devant chez eux toute la journée.

Elle hocha la tête, la gorge serrée. Il semblait agacé. Elle n'avait pas voulu ça. En fait... Elle n'avait pas la moindre idée de ce qu'elle voulait.

Enfin, il s'arrêta devant elle et elle s'aperçut qu'il n'avait pas tant l'air en colère que perdu.

- C'est vrai, annonça-t-il, je n'ai pas pensé aux sorts de contraception ces derniers temps. Je... Je ne sais pas, ça m'est juste sorti de l'esprit. Et puis je...

Il s'interrompit pour prendre les mains de sa femme dans les siennes. Le voir porter une bague était toujours un choc pour Lily.

- Lily, je...

- Tu en as envie ? Compléta-t-elle doucement.

Il releva les yeux vers elle. Après un court instant de silence, un sourire timide apparut sur son visage. Il hocha la tête.

- On a dix-neuf ans, rappela-t-elle.

- On est mariés.

- On est en pleine guerre.

- Et alors ?

- On n'a pas de revenus.

- J'ai de quoi nous faire vivre jusqu'à notre mort.

- Tu es terriblement présomptueux.

Il se mit à rire. Son visage, complètement fermé quelques minutes plus tôt, s'éclairait d'une lueur nouvelle. Lily ne put s'empêcher de sourire à son tour. Il serra un peu plus ses mains dans les siennes avant de reprendre :

- J'en ai envie, mais je ne suis pas le seul à prendre cette décision. Je ne veux pas t'imposer quoi que ce soit, Lily-Jolie.

- Tu ne m'imposes rien du tout, assura-t-elle. C'est juste... Ça me fait peur.

- La vie serait beaucoup moins marrante si on ne faisait pas de trucs terrifiants.

- James, le réprimanda-t-elle doucement. Ce n'est pas une blague.

Il lâcha l'une des ses mains pour caresser sa joue et souffla :

- Je sais. Je suis très sérieux. Autant que quand je t'ai demandé de m'épouser.

Lily soupira. Elle scruta un instant son visage plein d'espoir avant de proposer :

- On n'a qu'à dire qu'on ne cherche pas spécialement à avoir de bébé, mais qu'on ne fait rien contre non plus, ça te va ?

- Tu es sûre ? Si tu préfères attendre, on peut...

Elle l'embrassa pour l'interrompre.

- Vu comme ça, murmura-t-il contre ses lèvres, c'est un projet qui n'a rien de déplaisant.

Lily pouffa avant de l'embrasser à nouveau. Au point où ils en étaient, James pouvait bien être distrait de sa mission encore quelques instants. Elle s'écarta finalement, glissa hors de son étreinte et se mit à rire lorsqu'elle avisa son air déçu.

- Un problème, Potter ?

- Je n'ai aucune envie de rester là tout seul.

- Et si je reste là tu vas très certainement reprendre ta veille, railla-t-elle. A la prochaine !

- Mais Lily !

Elle s'éloignait déjà, un sourire jouant toujours sur ses lèvres.

Plus tard ce jour-là, alors que Lily commençait à s'endormir, la porte de sa chambre s'ouvrit. Elle grommela quelques mots indistincts et se retourna, les yeux toujours fermés, bien décidée à ne pas se laisser déranger par James. Mais, après s'être laissé tomber sur le lit, il murmura à quelques centimètres de son visage :

- Lily ?

- Hmmm.

- Je me disais...

- Quoi ?

- Tu as dit tout à l'heure qu'on n'avait qu'à ne pas prendre d'initiative dans un sens ou dans l'autre, pour le bébé, alors j'en ai conclu que ...

- Oh, Merlin, tu m'épuises, exhala-t-elle en comprenant où il voulait en venir. Laisse-moi dormir. Et arrête de voir des sous-entendus partout.

- Oh, allez ! On ne se voit jamais.

- Je te vois, là.

- Faux. Tu as les yeux fermés.

Elle souleva une paupière, distingua vaguement son visage dans la pénombre, et ferma à nouveau l'œil.

- Non.

- Lily, geignit-il avant de l'embrasser.

Elle grogna, ce qui le fit rire. Malgré elle, un sourire étira ses lèvres.

- Tu m'énerves, grommela-t-elle.

- Chez toi ça équivaut à un « je t'aime ».

- Non. A un « tu m'énerves ».

- C'est ce qui me rend si spécial.

Elle se mit à rire alors qu'il embrassait son visage un peu au hasard.

- J'ai gagné, hein ? Triompha-t-il.

- Imbécile.

Il pouffa et elle posa ses mains sur ses joues pour l'embrasser à nouveau. Un bruit de cavalcade leur parvint alors du couloir. Lily voulut repousser James mais il se contenta de grommeler. Ce n'est que lorsqu'on tambourina à leur porte qu'il s'écarta avec un soupir.

- Potter ? Evans ?

C'était Benjy.

- Une urgence. J'ai besoin de l'un de vous deux, fissa.

- J'arrive, cria aussitôt Lily.

- Je viens avec toi.

Elle ne protesta pas, heureuse de passer du temps avec James même si c'était pour une mission. Ils s'habillèrent en vitesse, mus par une longue habitude, et descendirent à la cuisine. James s'empara du bout de papier que Benjy leur avait laissé sur la table – il était déjà parti.

- On va où ? Interrogea Lily, occupée à s'attacher les cheveux.

James ne répondit pas, les yeux fixés sur le papier.

- James ?

Elle s'approcha mais il se retourna vivement. Son regard hanté la cloua sur place.

- Qu'est-ce qu'il y a ? balbutia-t-elle.

- Je... Reste là. J'y vais.

- Quoi ? Mais...

Il recula d'un pas lorsqu'elle s'avança vers lui, tout en serrant le bout de papier dans son poing.

- Reste là, répéta-t-il, de plus en plus blême tout en amorçant un geste vers la sortie.

Lily fut plus rapide ; elle lui bloqua le passage et saisit sa main. Il la fixa un court instant avant de lui donner ce qu'elle voulait. Elle défroissa le message et lut : « 19 rue Clement Attlee, Carbone-les-Mines ».

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