Partie III - Chapitre 37

Chapitre 37

Carrie trébucha, faillit laisser échapper ses feuilles et montra son badge au vigile qui se trouvait devant l'entrée de Downing Street. Elle s'étonnait toujours de réussir à entrer si facilement. Il vérifiait à peine que c'était elle. Pour être honnête, il avait tout de même fait tout un scandale la première fois qu'elle s'était présentée mais Carrie lui avait tenu tête. Et une fois entrée, elle s'était rendu compte que le gouvernement Callaghan venait d'être renversé. Mars et avril avaient été des mois difficiles, tant pour elle que pour le gouvernement britannique. Elle avait eu un mal fou à faire comprendre à Harold Minchum que la situation politique chez les Moldus était compliquée. Finalement, Margaret Thatcher avait été élue. Elle terrifiait Carrie, et sans doute bien plus Minchum. Dieu merci, ils ne s'étaient rencontrés qu'une seule fois.

La jeune fille grimpa à vive allure les escaliers qui menaient au bureau du Premier Ministre et frappa. On lui ordonna d'entrer d'une voix ferme. Elle s'empressa d'obéir. Elle n'aimait pas rester trop longtemps à Downing Street car on venait inévitablement lui poser des questions. Depuis qu'elle avait commencé ce travail, elle avait développé un certain talent pour le mensonge – dont ses parents faisaient régulièrement les frais.

Margaret Thatcher releva les yeux de ses dossiers et lui adressa un bref sourire avant de lui faire signe de s'asseoir.

- Vous êtes en retard, commenta-t-elle.

- Mon professeur de mathématiques nous a retenu, expliqua Carrie, essoufflée. J'ai les données du Ministère de la Magie, à propos des dommages qu'ils...

- Ministère de la Magie, marmonna Thatcher. Si je n'avais pas rencontré ce Minchum je n'y aurais jamais cru.

- ... Des réparations qu'ils veulent bien verser, poursuivit Carrie, imperturbable.

- A combien cela se monte-t-il ?

Carrie lui donna le chiffre. Thatcher pinça les lèvres.

- Ces gens se rendent-ils compte que j'ai tout un immeuble à reloger et que je ne peux même pas leur expliquer comment le feu a pris chez eux ? Ils leur ont effacé la mémoire, bon sang !

- Je ne suis pas sûre que Mr. Minchum se rendent compte de ça, répondit prudemment Carrie. Il a un peu de mal à comprendre le point de vue des Moldus.

« Comme vous avez du mal à comprendre le point de vue des Sorciers », songea-t-elle.

- Cette satanée guerre est en train de ruiner mon pays, marmonna Thatcher avant d'appuyer sur le bouton de son interphone pour demander du thé à sa secrétaire.

Le silence s'installa, le temps qu'on apporte le thé et deux tasses, puis le Premier Ministre reprit :

- Vous savez combien de personnes ont disparu, depuis le début du mois ?

Carrie le savait, mais elle ne répondit. Elle avait appris à reconnaître les questions rhétoriques, depuis deux mois.

- Sept ! Sept de mes citoyens ont mystérieusement disparu et je suis obligée de dire à la police criminelle de ne rien faire ! Je vais finir par avoir le MI6 sur le dos, tout ça à cause de ses satanées Sorciers !

- Il y en a autant de leur côté, vous savez, tenta Carrie.

- Mais ils n'ont pas besoin de mentir ! Dites à Minchum qu'il doit cesser cette guerre immédiatement ! L'Angleterre a suffisamment de difficultés comme ça sans avoir besoin de gérer un psychopathe qui enlève mes concitoyens pour en faire Dieu sait quoi !

D'après Minchum, c'était pour les torturer un peu avant de les tuer, mais Carrie s'abstint de lui faire part de cette information.

- Je vous donne ça, soupira-t-elle en posant sur son bureau le parchemin où Minchum établissait le nombre de Gallions qu'il versait à l'État britannique.

Thatcher ne le regarda même pas et continua à assurer à Carrie que cette guerre était une aberration. La jeune fille n'écouta que d'une oreille. Minchum passait aussi son temps à se plaindre de l'autre Ministre. Cependant, une phrase finit par attirer son attention :

- Je peux détruire leur société et mettre fin à cette absurdité !

- Quoi ? Bredouilla-t-elle.

- Nous avons l'arme nucléaire.

- Mais... Quoi ? Vous n'êtes pas sérieuse ?

- Les Américains le feraient sans doute, vous savez. Je ne suis pas sûre qu'ils acceptent aussi facilement que nous l'idée d'avoir une société souterraine.

- Mais vous... ce sont des humains, enfin !

- Les Anglais aussi, et ça n'empêche pas ce type de les enlever pour les assassiner sauvagement !

- Ce n'est pas la faute des Sorciers si Voldemort a décidé de mener cette guerre !

- Pourquoi ne l'arrêtent-ils pas ?

- Il est insaisissable ! Écoutez, vous vous rappelez du massacre de Trafalgar Square ?

- Bien sûr que oui. On nous a fait croire que c'était l'IRA ! Vous vous rendez compte que le gouvernement est obligé de mentir à ses concitoyens et d'en accuser d'autres ?

Carrie se retint de souligner que cela l'arrangeait sans doute de tout mettre sur le dos des Irlandais.

- Ce n'est pas la question, reprit-elle. Ce que je voulais dire, c'est que j'y étais, et que ce n'est pas si simple. Je ne sais pas comment la magie fonctionne, mais ce n'est pas si facile qu'on peut le penser. D'après ce qu'on m'a expliqué il y a des Sorciers très bon des deux côtés, dont certains qui n'ont aucun scrupule. C'est un peu comme si... comme si vous vous battiez contre une armée qui utilise l'arme chimique et que vous refusiez de vous abaisser à faire ça.

- Pourquoi refuserais-je ? Ils ont le droit de se battre à armes égales, rétorqua Thatcher.

Carrie fut prise d'une furieuse envie de se taper la tête contre le bureau mais choisit plutôt de se redresser dans son siège.

- Les Sorciers répugnent à utiliser la Magie Noire parce que ... eh bien, c'est de la Magie Noire. Ça ... ça noircirait leur âme.

Thatcher plissa les yeux, avala d'une traite sa tasse de thé et répondit :

- Il faut parfois se salir les mains. Allez donc dire ça à Minchum : s'il ne veut pas avoir la mort de ce Voldemort sur la conscience, j'irai le tuer moi-même.

Elle jeta un bref coup d'œil au parchemin que Carrie avait posé sur son bureau un peu plus tôt avant d'ajouter :

- Et dites-lui que ça ne me suffit pas. Il faut les reloger mais aussi leur verser des indemnités. Et le jour où je devrai soudoyer le MI6 pour qu'il ne m'accuse pas de haute trahison, qu'il soit prêt à payer.

- Le MI6 peut faire ça ?

- Le MI6 peut tout faire. Faites attention à votre tête, Miss Butler.

La jeune fille se raidit.

- Ne me menacez pas, Mrs. Thatcher. Si j'ai accepté de faire ce travail, c'est pour aider l'Angleterre. Ne faites pas comme si tout ça était de ma faute.

Le Premier Ministre se contenta de lui adresser un sourire sans joie avant de lui faire signe de déguerpir. Carrie ramassa son bazar et s'enfuit sans la moindre salutation. A quoi bon être polie avec quelqu'un qui ne la respectait pas le moins du monde ? Aussi intéressant que soit ce travail, Carrie avait parfois du mal à garder son calme. Minchum comme Thatcher voyaient en elle un espion de l'autre gouvernement.

Et en plus, elle avait un devoir maison de maths à finir.

***

- Mais où est-ce qu'il est ?

- Pas la moindre idée.

- Je vais l'assassiner. Je vous jure que je vais l'assassiner !

- Eh, calme-toi. On va le trouver.

- Il fallait vraiment qu'il fasse une mission la veille du mariage ? De SON mariage ? Bon sang, je vais le ...

- Hmm, Ethel, tu ne veux pas l'emmener faire un tour ?

La jeune femme acquiesça, passa son bras sous celui d'Alice et l'entraîna hors du salon des Londubat. Les Maraudeurs et Fabian, restés seuls dans le salon, soupirèrent de soulagement. Alice fulminait depuis plus d'une heure. Elle était censée se marier dans quelques minutes, sauf que son futur époux était aux abonnés absents.

- C'est vrai que faire cette mission n'était pas très malin, commenta Sirius.

- C'est Frank, releva Fabian en haussant les épaules. Qu'est-ce qu'on fait ? On va le chercher ?

- Et si ça faisait capoter sa mission ? S'inquiéta James.

- S'il arrive comme une fleur dans trois heures en disant qu'il a arrêté un Mangemort, je pense qu'Alice l'étripera quand même, commenta Peter en consultant sa montre.

- Vous savez où il est ?

- Pas pensé à regarder avant de partir, soupira Sirius. Queudver, tu viens avec moi ? On va le récupérer, restez là.

Le petit blond acquiesça et suivit Sirius à l'extérieur de la maison. Remus, James et Fabian restaient pour assurer la surveillance du lieu. Le problème, quand on faisait partie de l'Ordre, ce qu'il était difficile d'inviter ses amis à son mariage puisqu'ils ne pouvaient guère tous abandonner leur poste le temps d'une journée, d'autant plus qu'un tel rassemblement hors du QG constituait une cible de choix. Néanmoins, ils s'étaient arrangés pour échanger de poste en milieu de journée, avant que chacun ait la possibilité de passer un peu de temps avec Alice et Frank.

A condition que Frank daigne se pointer.

Sirius et Peter gagnèrent l'endroit où ils avaient transplané la première fois pour se rendre au QG. Dans la cuisine vide, ils se plantèrent devant le panneau et grognèrent à l'unisson. Frank se trouvait dans un endroit perdu, en plein Midlands.

- Qu'est-ce qu'ils peuvent bien foutre là-bas ? Marmonna Sirius.

- Une maison menacée, ou un truc dans le genre. On y va ?

Le Worcestershire était sans doute un endroit tout à fait sympathique pour passer l'été mais Peter et Sirius n'y prêtèrent pas attention, trop occupés à chercher Frank dans le village où ils avaient transplané. Finalement, ils n'eurent pas à chercher longtemps : Peter tendit le bras vers l'ouest, où une colonne de fumée s'élevait dans le ciel.

- Mais quel con, marmonna Sirius.

- Je ne suis pas sûr que ce soit de sa faute.

- Bien sûr que si, personne ne lui en aurait voulu s'il avait refilé cette garde à quelqu'un d'autre ! Allez viens, il faut qu'on le ramène en bon état pour qu'Alice puisse ensuite le tuer.

Sirius piqua un sprint vers le lieu de l'incendie, talonné par Peter. Ils arrivèrent devant une maison à moitié en ruines. Bizarrement, il n'y avait personne autour.

- Pourquoi c'est pas plein de Moldus ? Murmura Peter alors qu'ils s'arrêtaient à bonne distance, baguette sortie.

- Ils ont dû jeter un sort. Ils le font tout le temps.

Sirius avait cessé de plaisanter ; il avait pâli et sa voix trahissait son angoisse.

- Tu penses qu'il est...

- J'en sais rien, coupa Peter. Merlin...

- Foutue époque.

- Ouais. On y va ? Je te couvre.

- Ça marche.

Sirius s'avança donc prudemment, concentré. Une pièce avait été complètement éventrée et l'étage s'était à moitié écroulé. Peter, de là où il se trouvait, apercevait un canapé renversé et des meubles en miettes. Aucune trace de vie.

Le jeune homme passa la grille qui pendait sur ses gonds. Il fit trois pas dans le jardin avant que sa baguette ne lui soit arrachée des mains. Peter jura et se précipita dans la rue, prêt à protéger son ami – mais en restant à bonne distance de la maison tout de même. Il fallait bien que quelqu'un puisse apporter la mauvaise nouvelle au QG, si les choses tournaient mal.

Pourtant, rien ne se passa. Sirius resta planté au milieu du gazon, les mains levées. Enfin, une voix interrogea :

- Qui êtes-vous ?

- Sirius Black, membre de l'Ordre du Phénix.

Peter commença par grimacer, avant de se faire la réflexion que si leur agresseur était un Mangemort, Sirius serait mort depuis belle lurette.

Une voix faible s'éleva des décombres.

- Si... Sirius ?

- Frank ? C'est toi ?

La première voix reprit :

- Il demande ce que vous avez mangé pour le dîner il y a trois jours.

Sirius baissa les mains avec un soupir agacé.

- J'en sais rien du tout, Londubat ! Attends... Le gâteau au citron cramé de Margaret ?

Quelques secondes plus tard, une petite vieille surgit des ruines. Elle ressemblait à une pomme fripée. Ses cheveux gris partaient dans tous les sens et elle avait du sang sur le front. Ça ne l'empêchait pas de pointer sa baguette vers Sirius avec détermination.

- Vous êtes un ami du jeune Londubat, donc ? Questionna-t-elle avec méfiance.

- Ouais, même qu'il est censé se marier... maintenant, en fait.

Un gémissement monta de derrière le canapé renversé, poussant Peter à s'avancer près de Sirius. La vieille femme braqua aussitôt sa baguette sur lui mais son ami assura qu'il répondait de lui.

- Si vous voulez qu'il se marie, il va falloir le retaper.

- Qu'est-ce qu'il lui est arrivé ? Enfin... la question se pose aussi pour votre maison.

La femme leur fit signe de la suivre et ils passèrent derrière le canapé. Frank était allongé sur le sol, couvert de sang – le sien, vraisemblablement. Peter réprima un haut-le-cœur.

- Les Mangemorts m'ont en ligne de mire depuis que j'ai enfermé mon petit-fils dans la cave pour l'empêcher de les rejoindre, répondit la petite vieille comme si c'était parfaitement normal. Ils l'ont appris allez savoir comment et sont venus récupérer cet imbécile de Harvey. Frank et moi avons essayé de le retenir mais ce pauvre garçon se tenait juste au-dessus de la cave quand les Mangemorts l'ont fait exploser.

Peter jeta un coup d'œil inquiet aux jambes de Frank, qui semblait sur le point de tourner de l'œil.

- Je ne sais pas trop pourquoi ils ne nous ont pas tué, poursuivit-elle distraitement. Peut-être qu'Harvey a eu des scrupules ! Enfin, quoi qu'il en soit, ils sont partis, et j'ai réduit les fractures ouvertes de Frank.

- « Les » ? releva Sirius avec une grimace dégoûtée. Oh, Merlin. Alice est furieuse, tu sais.

Frank gémit, les yeux fermés. Son visage était crispé par la souffrance.

- Je peux pas y aller, souffla-t-il. J'y arriverai jamais.

- Frank, mon petit ! Protesta la vieille femme. Vous n'allez pas laisser votre fiancée devant l'autel !

- On peut... on peut reporter.

- Et les laisser avoir cette satisfaction ? Certainement pas !

Elle semblait déterminée. Pourtant, Peter vit des larmes briller dans ses yeux.

- Ne les laissez pas détruire votre vie plus qu'ils ne l'ont déjà fait, supplia-t-elle.

Ils attendaient tous la réaction de Frank. Sirius le fixait, impénétrable. La petite vieille semblait toujours sur le point de pleurer. Peter détourna le regard du corps brisé de Frank pour observer la pièce ravagée autour de lui. Il aperçut plusieurs photos au verre fendu, dont une photo de mariage. Ils avaient tout détruit sans aucun scrupule, comme ils le faisaient à chaque fois. Peter contempla un instant les visages souriants des mariés sur la photo et déglutit. Frank était censé être en train de se marier. Ça aurait dû être un jour heureux. Au lieu de cela, on lui avait brisé les deux jambes. Et même s'il arrivait à se traîner jusqu'à Alice, aucun doute qu'il tomberait dans les pommes juste après avoir dit oui.

- Il va falloir m'aider, murmura finalement Frank.

Peter reporta son attention sur lui. La vieille femme eut un sourire fier, comme si elle prenait Frank pour son petit-fils après qu'on lui eut enlevé le sien.

- Je dois avoir une solution de force, quelque p...

Elle s'interrompit soudain et considéra son salon dévasté. Son petit corps déjà ratatiné s'affaissa un peu plus.

- Ou du moins j'en avais, acheva-t-elle dans un filet de voix.

- On va se débrouiller, assura Sirius d'une ferme. Je vais te faire léviter, tu t'accrocheras à moi et on va transplaner jusque chez toi, d'accord ? Ethel est là-bas, elle s'occupera de toi.

Frank hocha la tête, le teint blême. Deux minutes plus tard, ils avaient disparu. Peter, resté seul avec la petite Sorcière, se tourna vers elle. Elle contemplait les restes de sa maison, les mains sur les hanches.

- Je suis désolé.

- Vous m'en direz tant, marmonna-t-elle.

- Le Ministère va vous aider. On va vous trouver un autre logement.

- J'ai des amis qui m'hébergeront, répliqua-t-elle d'une voix sèche.

Peter se dandina, mal à l'aise. Il mourait d'envie de transplaner à la suite de Sirius mais l'éthique de l'Ordre lui demandait de l'aider.

- Je vais vous accompagner chez eux.

- Je n'ai pas besoin d'une baby-sitter !

Elle se retourna vers lui. Peter frémit en apercevant les traces de larmes sur ses joues.

- Je veux juste vous aider, balbutia-t-il.

- Ma maison est détruite, jeune homme et Frank n'a rien pu faire pour moi ! Vous croyez vraiment que vous pouvez m'aider ?

Peter blêmit.

- Nous... Nous faisons ce que nous pouvons.

La petite femme soupira. La lueur de rage dans ses yeux disparut.

- A quoi bon ? Murmura-t-elle. Il a déjà gagné.

Le jeune homme resta silencieux, le regard fixé sur une lampe brisée, le cœur battant à tout rompre. Il reporta son attention sur cette vieille Sorcière qui avait sans doute vu beaucoup d'horreur au cours de sa vie, connu nombres de malheurs et de souffrance – entre Grindelwald et les guerres moldues, le XXe siècle n'avait pas été de tout repos – et qui abandonnait face à Voldemort. La peur s'insinua dans le cœur de Peter sans qu'il ne puisse rien pour la contrer. C'était la présence d'autres membres de l'Ordre qui lui permettait de la tenir à distance en temps normal. Mais cette fois, il n'y avait personne pour lui faire croire que ce n'était rien.

Il se racla la gorge et annonça d'une voix qui tremblait :

- Rassemblez vos affaires, je vais vous emmener chez vos amis.

***

Ethel laissa retomber le rideau avec un soupir. Derrière elle, une voix interrogea :

- Toujours rien ?

- Non.

La jeune femme se retourna et tenta d'adresser un sourire à Alice, assise sur le lit de Frank.

- Il va arriver.

Alice leva ses yeux bleus rougis par les larmes vers ceux de son amie. Des mèches de cheveux s'échappaient de son chignon et son maquillage avait coulé.

- Je m'en fiche qu'il ne soit pas là pour le mariage, tu sais, balbutia Alice. Je veux juste qu'il revienne en vie.

- Les garçons vont le ramener, promit Ethel en s'agenouillant près d'elle.

La mariée renifla avant de reporter son attention sur la fenêtre. Ethel prit sa main mais le regretta un peu quand son amie commença à planter ses ongles dans sa peau. Néanmoins elle ne broncha pas, et l'attente recommença.

Les MacMillan et les Londubat patientaient dans le salon, au rez-de-chaussée, en compagnie de Dumbledore. Alice avait chassé tout le monde de la chambre de Frank mais Ethel avait réussi à résister à la tempête. Elle était le témoin d'Alice et voulait être là pour elle, quoi qu'il arrive.

- Cette robe est vraiment superbe, commenta-t-elle.

Un sourire crispé tordit la bouche de la mariée.

- Ne fais pas comme si les robes t'intéressaient.

- Elles ne m'intéressent pas, mais je suis quand même très admirative de la façon dont tu as transformé celle-ci.

Il s'agissait de la robe de mariée de Mrs. MacMillan, qu'Alice avait modifiée pour en faire quelque chose de plus moderne. Elle n'avait guère eu le temps d'aller faire les magasins.

- Ce n'était pas très compliqué. De toute façon, Frank n'est même pas là pour la voir.

- Il le sera bientôt.

- Arrête de dire ça. Tu n'en sais rien.

- Ne sois pas aussi défaitiste.

Alice eut un rire hystérique et lâcha la main d'Ethel pour chiffonner sa robe.

- J'attends de savoir si mon fiancé est toujours vivant à l'heure même où on devrait être en train de se marier et tu me demandes de ne pas être défaitiste ?

- Oui, parce que...

Un « crac » se fit entendre à l'extérieur, interrompant net Ethel dans son argumentation. Alice se précipita à la fenêtre. Elle arracha les rideaux dans sa hâte mais ne s'en rendit même pas compte.

- Il est là, hoqueta-t-elle.

Elle se rua hors de la pièce, le bas de sa robe remontée au-dessus du genou. Ethel prit sa place à la fenêtre et chancela en apercevant le sang dont Frank était maculé. Il était allongé au sol, Sirius penché au-dessus de lui. Elle ne s'attarda pas plus et se précipita à la suite de son amie. Lorsqu'elle arriva dans le jardin, elle trouva Alice assise près de son fiancé, sa robe blanche étalée dans le sang et la poussière. Les Londubat, les MacMillan et Dumbledore se tenaient un peu plus loin ; le directeur essayait de rassurer les parents. Avant qu'elle n'ait eu le temps de s'approcher plus, Sirius lui barra le passage pour murmurer :

- Il a les deux jambes cassées et a été soufflé par une explosion.

- Très bien. Surtout, ne le bougez pas pour le moment. Le faire transplaner était suffisamment risqué comme ça.

L'air sombre, Sirius voulut protester mais elle l'interrompit :

- Je ne t'accuse pas. C'était dangereux, mais aussi la meilleure chose à faire. Tu veux bien essayer de faire rentrer tout le monde ? Je préfère être tranquille pour m'occuper de lui.

Le jeune homme hocha la tête et fit mine de s'éloigner mais Ethel posa une main légère sur son bras.

- Merci de l'avoir ramené, souffla-t-elle avant de s'engouffrer dans la maison pour prendre ce dont elle avait besoin.

Lorsqu'elle revint, les MacMillan et les Londubat avaient regagné le salon, où Dumbledore s'appliquait à raconter des blagues idiotes. James arriva au même moment, de retour de sa patrouille dans le quartier. Il lui adressa un regard interrogateur auquel elle répondit par un sourire furtif avant de pousser la porte qui menait au jardin.

Alice n'avait pas bougé. Elle chuchotait des mots doux à Frank, qui la regardait sans répondre, perdu dans son monde de douleur. Ethel ne les interrompit que pour lui faire avaler quelques fioles puis elle se pencha sur ses jambes.

Une heure plus tard, Frank était installé sur le canapé du salon, sa main fermement serrée dans celle d'Alice. La jeune femme fixait Dumbledore d'un air déterminé, malgré sa robe sale et couverte de taches de sang. Peter était revenu, mais Fabian et James avaient cédé leur place à Lily et Margaret, qui observaient la scène d'un air effaré. Alice et Frank furent mariés malgré tout. Il n'y eut pas d'applaudissements quand ils eurent échangé leurs vœux, pas de sourires et d'étreintes. Il n'y eut que le soupir de soulagement de Frank qui se laissa glisser dans l'inconscience, ses doigts toujours refermés sur ceux de sa femme.

Augusta Londubat chassa tout le monde du salon pour laisser les mariés tranquilles. Ils se retrouvèrent dans la cuisine, où Ethel rejoignit Sirius. Il sirotait un verre d'alcool qu'on venait de lui tendre, appuyé contre le comptoir.

- Sacré mariage, commenta-t-il.

- Ouais. Pas l'idéal.

- Assez représentatif de notre époque, finalement.

Comme Ethel faisait la moue, il haussa un sourcil.

- Quoi ?

- Essaie d'être un peu plus optimiste, tu veux ?

- Hors de question.

- Alors tu penses que le mariage de Lily et James va être aussi abominable ?

- Non, parce que ces imbéciles s'en sortent toujours trop bien. Mais je pense qu'un jour Frank aura moins de chance. Que n'importe lequel d'entre nous aura moins de chance. J'imagine que c'est parce que tout le monde a conscience de ça qu'on croule sous les mariages.

Ethel haussa les épaules avant de lui chiper son verre pour en boire une gorgée. Il la laissa faire avec un air amusé.

- Pour que tu avales ça, tu dois aussi avoir des doutes sur nos chances de survie.

- Bien sûr que j'en ai. Je ne suis pas complètement inconsciente.

- Tu ne l'es même pas du tout.

- Oh, tu n'en sais rien.

- Je t'en prie, pouffa-t-il. Cite-moi un seul truc totalement inconscient que tu aies fait !

- Je n'ai pas d'exemple en tête, rétorqua-t-elle en lui rendant son verre, alors qu'elle savait très bien quoi dire.

- Tu t'enfonces, Ethel.

- Non. Et de toute façon, on s'en fiche. Arrête d'être aussi défaitiste : Frank va se remettre, ils sont mariés et une belle vie les attend.

- A qui est-ce que tu veux faire gober ça ? Et puis depuis quand tu es aussi optimiste ?

- Tu es insupportable, Sirius, marmonna-t-elle.

Il était en train de faire tomber cette confiance en l'avenir qu'elle s'appliquait à construire depuis des semaines.

- J'essaie d'être réaliste.

- A quoi bon quand la réalité ressemble à celle-là ?

- Tu trouves ça mieux de se réfugier dans de belles idées complètement fausses ? Releva-t-il.

- Elles ne sont pas fausses, elles sont à réaliser ! Partir perdant n'avance à rien !

Il plissa légèrement les yeux pour la scruter, pensif.

- C'est une façon de voir les choses, admit-il lentement.

- Eh bien tâche de les voir comme ça, conclut-elle en plantant ses yeux dans les siens. Sinon, tu es un homme mort.

- Dommage que tu aies fini comme ça, ça aurait presque pu être encourageant.

- Sirius, tais-toi.

Il ricana et avala le contenu de son verre d'un trait. Alice arriva alors dans la cuisine, dans sa robe tachée. Elle avait les yeux rouges mais s'efforçait de sourire.

- Et vive les mariés, commenta le jeune homme avantde déposer brutalement son verre sur le comptoir.

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