Partie III - Chapitre 34
Chapitre 34
La nuit n'allait pas tarder à tomber et le fond de l'air était frais, même si on était au mois de mai. Les quelques passants qu'il avait croisés avaient essayé de l'arrêter mais il les repoussait à chaque fois et continuait son chemin. C'était la consigne. Il parvint finalement devant la vitrine où attendaient des mannequins poussiéreux. L'un lui demanda l'objet de sa visite et il articula, malgré sa bouche tuméfiée, que c'était pour une urgence.
Le mannequin le laissa entrer dans le hall de Ste Mangouste. La lumière crue l'aveugla et il tituba. Il y eut un cri, peut-être le sien. Quelques instants plus tard, des mains le saisirent. On lui posa des questions mais il ne répondit pas. Il était trop confus et surtout, il souffrait. L'extrémité d'une baguette se posa sur sa tempe et il perdit conscience.
Il revint à lui plusieurs fois au cours des heures – ou peut-être des jours – qui suivirent, mais jamais très longtemps. Enfin, il reprit véritablement conscience. La douleur s'était considérablement atténuée. Il était dans une petite chambre au mur blanc. Le soleil du printemps entrait à flots par la fenêtre aux rideaux ouverts. Devant elle se tenait une jeune femme blonde. Elle se tourna vers lui en l'entendant bouger et il se renfonça aussitôt dans son lit. Il n'aimait pas les étrangers, surtout depuis qu'un étranger ayant frappé à sa porte avait détruit sa vie.
- Tout va bien, assura la jeune femme sans pour autant s'approcher. Ste Mangouste vous a pris en charge, vos blessures ont été soignées. Vous serez bientôt sur pied.
Elle lui souriait mais il continua à lui adresser un regard apeuré.
- Je m'appelle Ethel, se présenta-t-elle. Je suis apprenti-Médicomage. Vous pouvez me dire qui vous êtes ?
Toujours être le plus proche de la vérité possible, se rappela-t-il. Chassant son inquiétude, il prit une profonde inspiration et répondit :
- Arthur Pitt.
Sa voix sonna étrangement à ses oreilles... Peut-être avait-il trop hurlé.
- Que vous est-il arrivé, Mr. Pitt ? Est-ce que vous vous en rappelez ?
- J'ai été attaqué.
- Savez-vous par qui ?
- Je croyais que vous étiez Médicomage, coassa-t-il.
- Apprentie, corrigea-t-elle en rougissant. Mais je travaille aussi... pour le Ministère. Nous avons besoin de savoir ce qu'il s'est passé pour empêcher qu'une telle chose se reproduise, Mr. Pitt.
- Vous auriez dû l'empêcher avant ! Glapit-il. Avant que ça ne m'arrive !
- Nous faisons ce que nous pouvons, souffla-t-elle, désemparée. Je vous jure que nous faisons tout ce que nous pouvons mais...
Elle se tut, comme si elle comprenait que dire une telle chose à un homme qui avait été torturé n'arrangeait rien. Arthur Pitt ferma les yeux en tentant de retenir ses larmes. Il ne devait pas fléchir, ne devait pas se laisser gagner par la panique. S'il restait fort, peut-être s'en sortirait-il... peut-être s'en sortiraient-ils tous les deux. Il devait jouer son rôle.
- Je vais vous laisser, murmura la jeune femme.
- Non attendez ! La rappela-t-il en ouvrant les paupières. C'était... deux femmes et un homme. Des... des Mangemorts.
Elle se rapprocha du lit et tira un carnet de son sac, ainsi qu'une plume. Il remarqua ses mains fines, ses gestes mesurés. C'était une belle jeune femme. La guerre la briserait très certainement.
- Ils étaient masqués, j'imagine ?
- Oui, balbutia-t-il.
- Vous pouvez me donner des détails sur leur voix, leur taille, leurs cheveux peut-être ?
- L'une était blonde, mentit-il. Un peu ... un peu boulotte je crois. L'autre femme était brune, un peu plus grande et plus fine. Et l'homme... L'homme était de taille moyenne avec...
Il s'interrompit brusquement. Il s'apprêtait à décrire son fils, mais il avait dit qu'ils étaient masqués. Il ne pouvait donc donner la couleur de ses yeux.
- Oui ? L'encouragea-t-elle.
- Non... Je ne sais plus.
- Est-ce qu'ils vous avaient menacé, auparavant ?
Il secoua la tête, les yeux fixés sur le mur. Un silence pesant s'installa et Ethel finit par se lever. Alors qu'elle allait franchir le pas de la porte, il interrogea :
- Depuis combien de temps suis-je ici ?
- Cinq jours.
- Et je vais rester encore combien de temps ?
- Une semaine, probablement.
Il hocha la tête puis s'emmura à nouveau dans le silence, laissant Ethel quitter la pièce sans ajouter un mot.
***
- Tu le trouves étrange ?
- Je ne sais pas, il... il est très méfiant, tout d'un coup il s'ouvre complètement, et puis ensuite plus rien.
- Il a été torturé, lui rappela doucement Sirius.
Ethel secoua la tête, peu convaincue. Quelque chose lui paraissait étrange sans qu'elle soit capable de déterminer quoi. Puis soudain, elle claqua des doigts sous le nez de Sirius, qui sursauta et faillit se prendre un arbre à sa droite.
- La marque des Ténèbres !
- Quoi, « la marque des Ténèbres » ?
- Elle n'est pas apparue au-dessus de sa maison. Pourquoi ça ?
- C'est vrai que c'est rare qu'une victime des Mangemorts arrive bien gentiment toute seule à Ste-Mangouste, mais pourquoi pas.
- C'est nous qui les récupérons d'habitude ! Et pourquoi seulement l'avoir torturé ?
Elle se planta devant lui, l'empêchant d'avancer. Ils se promenaient dans le parc du manoir depuis qu'Ethel était rentrée, mal à l'aise à cause de son entretien avec Arthur Pitt.
- Ils cherchaient à obtenir quelque chose ?
- La seule raison qui expliquerait qu'il soit toujours vivant c'est qu'il la leur ait donnée, releva Ethel en chassant une mèche blonde de son visage. Auquel cas nous devons le savoir. Sauf qu'il affirme qu'il n'a pas été menacé. A croire qu'ils ont fait ça juste pour s'amuser.
- Ce ne serait pas la première fois, remarqua Sirius.
- Sauf que dans ces cas-là ils utilisent la marque des Ténèbres.
Le jeune homme grimaça.
- Comme pour Ashby ?
Ethel frissonna et acquiesça. Peter avait retrouvé Sean Ashby presque défiguré, une semaine plus tôt, dans son appartement de Manchester au-dessus duquel brillait la marque des Ténèbres. Les Mangemorts avaient poussé le vice jusqu'à laisser un mot annonçant qu'ils s'étaient bien amusés. Sean Ashby était Né-Moldu : c'était la seule explication rationnelle que l'Ordre avait trouvé à ce déchaînement de violence.
- Il y a quelque chose qui cloche, répéta-t-elle.
- Tu vas retourner le voir ?
- Je ne pense pas. Caradoc a déjà dû batailler pour que je l'interroge une fois. Les Médicomages veulent qu'on le laisse se reposer.
- Bon, de toute façon il ne peut pas faire grand mal pour le moment, n'est-ce pas ? La rassura Sirius. Laisse ça à Ste-Mangouste. S'il a filé une info aux Mangemorts, c'est trop tard pour réparer ça.
- Mais si jamais c'est important...
- On le saura en temps et en heure, relativisa-t-il. On ne contrôle plus rien depuis des semaines, de toute façon. Tout ce qu'on peut faire c'est attendre qu'ils nous tombent dessus.
Ethel soupira mais finit par se ranger à ses arguments. Ils reprirent leur déambulation dans le parc. De temps en temps, la main de Sirius venait toucher la sienne mais elle n'arrivait pas à se résoudre à la prendre.
- Tu as remarqué comme Maugrey a l'air inquiet, ces temps-ci ? Interrogea-t-elle.
- Ouais. C'est pas très rassurant.
- Tu penses que c'est à cause de ce qui est arrivé, en mars ?
Il secoua la tête, l'air soucieux.
- C'est plus récent. Et puis, s'il pouvait, il étriperait Minchum lui-même.
- Il s'en sort mieux depuis qu'il a été enlevé, protesta-t-elle. Il s'est repris en main.
- J'imagine que se donner l'image d'un héros a aidé, railla Sirius. Non, je ne sais pas ce qui a déclenché l'inquiétude de Maugrey mais c'est certainement une très mauvaise nouvelle.
Ethel ne répondit pas et le silence s'installa. Elle aimait ces silences avec Sirius – ils n'avaient rien de gênant, bien au contraire. Elle soupçonnait le jeune homme d'être d'accord avec elle. Après tout, il passait son temps à beugler avec les Maraudeurs. Changer un peu ne devait pas être désagréable.
Alors qu'ils s'approchaient du manoir, elle aperçut la bâche qui recouvrait la moto. Un petit sourire naquit sur ses lèvres alors qu'elle lançait :
- Eh, Sirius ?
- Oui ?
- Tu m'emmènes faire un tour ?
- Ce n'est pas ce qu'on vient de ... oh.
Elle lui jeta un coup d'œil amusé, alors que ses yeux faisaient la navette entre la jeune femme et la moto.
- Sérieusement ? Vérifia-t-il.
- Pourquoi pas ?
Un grand sourire étira ses lèvres et il l'attrapa par la main pour la tirer vers la moto avec un rire joyeux.
***
Il ne lui restait plus que deux jours. Après ça, il n'aurait plus aucune chance de revoir son fils vivant. Il avait repris suffisamment de force pour accomplir la mission qu'on lui avait confiée. Il devait juste trouver le courage de le faire. S'il était pris, il irait à Azkaban... et serait sans doute assassiné sur le chemin de la prison par un partisan de Voldemort. S'il ne le faisait pas, il serait tué.
Avec peine, il s'assit dans son lit. L'infirmière de garde était passée très exactement dix minutes plus tôt, ce qui signifiait qu'elle devait à présent avoir changé d'étage. Il avait réussi à se renseigner auprès d'infirmières en mal de conversation : le bureau de Caradoc Dearborn se trouvait au même étage que sa chambre, le quatrième. Si ce qu'on lui avait dit été exact, il devait y avoir une armoire dans cette même pièce.
Arthur Pitt s'assit dans son lit. Il avait cinquante-quatre ans et il s'apprêtait à commettre un acte de haute trahison, si tant est que cette terminologie existe toujours. Il n'y arriverait jamais. Merlin, il n'y arriverait pas.
Il prit une profonde inspiration sanglotante, se redressa, et sortit de la chambre sans un bruit. L'infirmière lui avait expliqué que tous les bureaux étaient situés dans une autre aile de l'hôpital. Il alla jusqu'aux escaliers, fit demi-tour lorsqu'il constata qu'il n'y avait aucune autre issue, et trouva finalement une porte en bois verrouillée qui ne comportait aucun numéro. C'était sans doute l'accès au couloir de l'administration. Il entra grâce à un simple alohomora et considéra, le cœur battant, les quelques portes qu'il distinguait à la lueur de l'unique lampe à gaz allumée dans le couloir. D'un pas traînant, il parcourut l'étage avant de lire enfin, sur la plaque en bronze fixée à une porte, « Caradoc Dearborn, Directeur de stage et chef du département de Pathologie des Sortilèges ».
Pitt déglutit. Un tel homme ne laissait sans doute pas son bureau sans protection or il n'avait jamais été très doué en sortilège. Après un instant d'hésitation, il tenta le tout pour le tout, jeta un alohomora et appuya sur la poignée. Le battant s'ouvrit sans un grincement, lui libérant l'accès à une pièce plus sombre encore que le couloir. Il alluma l'extrémité de sa baguette d'une voix tremblante, surpris qu'aucune alarme ne se soit déclenchée.
Il avança, hésitant, et découvrit sans peine l'armoire blanche qui trônait au fond de la pièce. Pitt jeta un regard par-dessus son épaule puis tendit la main. Il attrapa la poignée en métal du meuble et tira la porte à lui.
***
Caradoc renversa une bouteille d'encre sur son livre lorsque l'horloge posée sur son buffet commença à émettre des bruits stridents. Il jura, insulta vertement les sortilèges anti-transplanage et se précipita à l'extérieur de sa demeure pour transplaner directement à Ste-Mangouste.
C'était la panique dans le hall. L'infirmière de garde hurlait des directives que personne n'écoutait alors que des Guérisseurs couraient en tous sens. Il se précipita vers l'accueil où trônait une Sorcière à l'air revêche qui dictait un message à son patronus et l'interpella. Le patronus se dissipa dans un rayon bleuté alors qu'elle s'étonnait :
- Doc ? Je viens de vous envoyer un message ! Comment...
- Mon alarme personnelle a sonné, coupa-t-il. C'est mon bureau ?
- Votre ... Oui, mais...
Sans attendre, il se dirigea aussi vite que le lui permettait ses courtes jambes vers les escaliers et grimpa jusqu'au quatrième étage. Une épaisse fumée stagnait à l'étage des pathologies des sortilèges. Il jura et passa en trombe devant toutes les portes ouvertes. Au moins avait-on évacué les patients. Arrivé dans le couloir où se trouvait son bureau, la fumée se fit plus dense et plus nauséabonde. Il jura et continua son chemin. Jamais il n'aurait dû installer un système de défense aussi drastique. Un groupe de Guérisseurs était penché sur un homme étendu au sol, juste devant son bureau, mais Caradoc ne s'attarda pas. Il entra dans la pièce et gémit : tout était en ruine. Il ne restait rien des potions rares qu'il entreposait. Rien non plus du Véritaserum de l'Ordre. Il aurait dû lire plus attentivement les conseils qui figuraient en-dessous de la formule de ce sort protecteur : toujours, toujours enchanter les objets précieux à proximité pour éviter qu'ils ne soient détruits.
La seule bonne nouvelle, c'était que Maugrey allait bien être obligé de renoncer à son projet complètement fou.
Agacé, il pivota sur ses talons sans même accorder un regard à tous ses dossiers en miettes et alla se planter auprès de l'homme que les guérisseurs essayaient de ranimer. Quelqu'un avait eu l'excellente idée de jeter un sort au couloir et toute la fumée avait été repoussée vers les autres ailes du bâtiment. Caradoc voyait donc clairement le visage de l'homme qui venait de faire exploser des mois et des mois de travail.
C'était un homme de taille moyenne, aux traits peu remarquables. Le front et les tempes dégarnis, il ne semblait plus de première jeunesse. Il n'avait pas du tout l'allure d'un Mangemort mais Caradoc avait appris à se méfier. On n'était jamais à l'abri d'une vieille dame essayant de vous tuer.
- Qui est-ce que ? Interrogea-t-il sèchement.
- Arthur Pitt, monsieur, s'empressa de répondre l'un des Guérisseurs. Admis il y a dix jours pour cause de blessures par sortilèges.
- Et personne n'a pensé à vérifier que c'était un Mangemort ? Aboya Caradoc.
- Mais...
- A votre avis, pourquoi on demande les antécédents familiaux ? Tout le monde se fiche de savoir si votre chat a eu la dragoncelle ! Tout ce qu'on veut savoir, c'est s'il a été un Mangemort !
Les deux autres Guérisseurs, occupés à murmurer des sortilèges, leur baguette pointées sur Arthur Pitt, levèrent un regard dubitatif vers leur chef de service, qui haussa les sourcils sous ses épais verres de lunettes.
- Quoi ? Ranimez-moi ça et emmenez le dans la salle de réunion du deuxième !
Sans plus attendre, il quitta les lieux à pas vifs. Vingt minutes plus tard, deux Guérisseurs firent asseoir Pitt dans l'un des fauteuils de la salle de réunion. Face à lui se trouvait Caradoc, encadrés par Fabian et Emmeline. Merlin en soit remercié, il avait réussi à la joindre. L'Ordre avait tendance à lui envoyer de jeunes hommes stupides ces derniers temps. Emmeline avait la tête sur les épaules.
- Mr. Pitt ! S'exclama-t-il. Vous avez fait sauter mon bureau !
Arthur Pitt se recroquevilla dans son fauteuil. Sa peau était couverte d'égratignures et d'ecchymoses récoltées lorsque l'armoire avait explosé.
- Je m'en remettrai, vous savez, poursuivit Caradoc alors que Fabian reniflait de façon dubitative. Il n'y avait rien de très précieux là-dedans.
Emmeline toussota et Doc se retint de la fusiller du regard. Finalement, elle ne valait pas mieux que les autres.
- Pourquoi donc êtes-vous entré par effraction dans mon bureau, Mr. Pitt ? Reprit-il. Lorsque vous êtes arrivés ici, vous étiez plus mort que vif et vous avez accusé les Mangemorts de vous avoir mis dans cet état. Alors pourquoi avoir tenté d'ouvrir cette armoire ?
- Comment sait-on ce que ce sont les Mangemorts ? Murmura Fabian à sa droite.
- Si ce ne sont pas eux, c'est un agent de Minchum. Et les agents de Minchum, ça n'existe pas, siffla Caradoc. Nous ne vous ferons rien, Mr. Pitt. Dites-nous juste ce qu'il se passe et vous serez mis en sécurité.
Pitt les fixa tous les trois pendant un moment, l'air effaré, avant d'articuler faiblement :
- Mais mon fils...
- Votre fils ? Réagit aussi Emmeline. Ils l'ont capturé ?
- Non, c'est un... c'est un Mangemort. Ils vont le tuer, parce que j'ai échoué, se lamenta-t-il en enfouissant son visage dans ses mains. Ils ne le laisseront pas partir, et ils me tueront !
Les trois membres de l'Ordre échangèrent un regard effaré. C'était bien la première fois qu'ils avaient affaire à un tel cas. Emmeline s'approcha sans bruit de Pitt et s'agenouilla près de lui.
- Il faut tout nous dire, Mr. Pitt. Peut-être que nous pourrons aider votre fils.
Il secoua la tête, le corps secoué de sanglots.
Caradoc soupira, ôta ses lunettes puis interrogea d'une voix étonnamment douce :
- Pourquoi avez-vous essayé d'ouvrir cette armoire ? C'était pour le Véritaserum ?
Arthur Pitt leva les yeux vers lui et acquiesça.
- Tout a été détruit, vous savez, poursuivit Caradoc sur le même ton. Nous sommes les seuls à pouvoir vous aider maintenant. Ça n'a pas d'importance que vous ayez essayé de les aider. Nous ne vous laisserons pas tomber.
***
Il leur fallut encore presque un quart d'heure pour réussir à apprendre toute l'histoire. Edward Pitt, le fils unique d'Arthur âgé de vingt-trois ans, avait rejoint les Mangemorts six mois plus tôt. C'était le temps qu'il lui avait fallu pour prendre peur. Sans doute complètement inconscient, il avait demandé à Voldemort l'autorisation de quitter les Mangemorts. Contre toute attente, il avait dit oui... Oui, à la condition que son père vole la réserve de Véritaserum de l'Ordre, stockée à Ste-Mangouste. Pour éviter tout soupçon, les Mangemorts avaient torturé Arthur. Voldemort avait même obligé Edward à faire du mal à son père, sous prétexte de lui prouver qu'une fois qu'il aurait quitté les Mangemorts, il ne le trahirait pas.
Comme Caradoc continuait à parler doucement à Mr. Pitt, Emmeline en profita pour tirer Fabian un peu à l'écart.
- Il y a un truc que je ne pige pas, chuchota-t-elle. Pourquoi est-ce que Voldemort veut à tout prix notre Véritaserum ? Ils ne peuvent pas en produire eux-mêmes ?
- Voulait, corrigea machinalement Fabian, les yeux fixés sur Pitt. Tout a été détruit. Il me semble avoir entendu dire que tous les ingrédients nécessaires à sa fabrication avaient été mis sous clef par le Ministre. En plus la préparation de Véritaserum requiert un travail fou, et les Mangemorts sont plutôt occupés.
- Les potions sont toujours faites à partir d'éléments naturels, protesta Emmeline. Minchum ne peut pas empêcher les plantes de pousser et les serpents d'avoir des crochets.
- Eh, j'ai l'air d'être un taré des potions ? Demande à Marlène, elle saura sans doute mieux que moi.
Emmeline grommela mais laissa tomber. Ils reportèrent tous les deux leur attention sur Caradoc, qui était en train de confier Pitt aux bons soins de deux Guérisseurs. Il se tourna vers eux et claqua des doigts pour les enjoindre à s'approcher.
- Vous le gardez à l'œil, ordonna-t-il en scrutant les deux jeunes gens par-dessus ses lunettes. Vous ne le quittez pas d'une semelle ! Il ne doit rien lui arriver, c'est clair ? Je vais contacter Dumbledore au plus vite pour qu'on le mette en sécurité.
Emmeline et Fabian hochèrent la tête alors que Pitt les regardait d'un air apeuré, coincé entre ses deux Guérisseurs.
- Et pour le fils ? Risqua Fabian d'une voix à peine audible.
Caradoc se contenta de pincer les lèvres et s'écarta du chemin pour les laisser passer.
Pitt fut installé dans une pièce du deuxième étage. On fit apparaître des fauteuils pour Fabian et Emmeline, qui se relayaient pour monter la garde sur le pas de la porte pendant que l'autre restait avec Pitt. La nuit passa, angoissante. Mr. Pitt ne ferma pas l'œil, mais n'ouvrit pas la bouche non plus. Il sursautait au moindre bruit. Sa peur était communicative et Emmeline aurait donné n'importe quoi pour sortir de cet hôpital.
Enfin, Caradoc revint avec le matin et lança des vêtements moldus à Pitt en lui ordonnant de s'habiller – il n'avait toujours pas quitté sa blouse d'hôpital. Il entraîna Fabian à l'extérieur de la pièce où ils retrouvèrent Emmeline.
- Bon, commença-t-il, nous n'avons pas de nouvelles du garçon. J'ai mis Dorcas sur sa piste mais elle n'a rien trouvé jusque-là. Dumbledore a un endroit sûr où cacher Pitt ; vous allez pouvoir l'emmener là-bas.
- Où est-ce ? Interrogea Emmeline.
Caradoc lui tendit un parchemin roulé et scellé mais lui fit signe de ne pas l'ouvrir.
- Seul Pitt doit savoir ce qu'il y a écrit, expliqua-t-il. Il vous emmènera en transplanage d'escorte sur le lieu indiqué, où vous vérifierez les sortilèges de protection. En principe tout est en place. Une fois qu'il est installé, vous rentrez au QG. C'est clair.
Ils hochèrent la tête, le visage grave. Caradoc soupira puis toqua à la porte. Comme aucune réponse ne venait, il recommença. Une expression soucieuse se peignit sur ses traits et il appela :
- Mr. Pitt ? Nous pouvons entrer ? Mr. Pitt, est-ce que tout va bien ?
Seul le silence leur répondit. Fabian jura, poussa Caradoc et ouvrit la porte sans cérémonie. Emmeline se hissa sur la pointe des pieds pour voir par-dessus son épaule. Fabian jura à nouveau, mais moins fort cette fois.
Arthur Pitt était étendu sur le sol, au milieu d'éclats de verre. Ses yeux ouverts sur le vide ne laissaient aucun doute sur son état. Caradoc se faufila dans la pièce, observa un instant le corps, puis la fenêtre. Emmeline n'osait pas bouger, horrifiée. Il le leur avait pourtant bien ordonné : ne jamais le quitter des yeux.
- Qu'est-ce qu'il s'est passé ? Souffla Fabian.
- Un tireur, quelque part sur les toits ou dans un appartement en vis-à-vis, expliqua Caradoc d'une voix lente. Il a juste attendu qu'on le laisse. Merlin ! Quand je pense que c'est moi qui ai demandé à Fabian de nous rejoindre !
- Un tireur sacrément bon, commenta le jeune homme. A cette distance, ça requiert un certain talent.
- Et une certaine détermination, murmura Emmeline. J'imagine qu'il n'y a aucune chance que son fils...
- Non, coupa Caradoc en faisant volte-face. Non, aucune. Il n'y en a jamais eu.
***
Benjy grimaça lorsque la porte d'entrée s'ouvrit avec un grincement sonore. Il avait répété à Emmeline des dizaines de fois qu'elle devrait huiler les gonds. Elle avait un petit appartement à Cambridge, dont Benjy avait une clef depuis des années. Il n'en avait jamais compris l'utilité quand un simple sort permettait de déverrouiller la porte mais Emmeline lui disait toujours que c'était plus civilisé d'avoir une clef. Apparemment, ça faisait moins cambrioleur.
Il passa devant le salon pour atteindre la chambre, dont le battant était entrebâillé. Il eut un sourire triste en entrant ; elle l'attendait pour avoir des nouvelles. Néanmoins, la chambre était plongée dans l'obscurité. Il allait sortir lorsqu'une lumière verte s'alluma près du lit.
- Ben ? C'est toi ?
Il entra, ferma derrière lui et alla s'asseoir au bout du lit. Emmeline se redressa dans ses oreillers et ramena ses genoux contre sa poitrine.
- Alors ?
- On l'a retrouvé dans la Tamise.
- Dans quel état ?
- Tu ne veux pas le savoir.
- Benjy, je suis capable de supporter quelques horreurs supplémentaires, rappela-t-elle.
- En morceaux, lâcha-t-il. Sans le légiste de Ste-Mangouste on n'aurait jamais su que c'était lui.
- Où est-ce qu'ils vont être enterrés ?
- Avec la femme de Mr. Pitt, d'après ce que j'ai entendu.
Emmeline hocha la tête puis alluma sa lampe de chevet. Benjy considéra avec inquiétude ses traités tirés.
- Je n'aurais pas dû venir te réveiller.
- Bien sûr que si. Je ne dormais pas de toute façon.
- J'ai l'impression que tu dors peu, ces temps-ci.
- Comme tout le monde, observa-t-elle. Remus m'a raconté que Sirius et Ethel s'organisent des petits rendez-vous nocturnes, au manoir, quand ils font des insomnies. Et j'imagine que si Remus est au courant, c'est qu'il ne dort pas non plus. Quant à Maugrey, on a toujours su qu'il ne dormait jamais. Et toi, tu ne fais aucun effort. Si tu arrêtais de boire des cafés à minuit ça irait sans doute mieux.
- Emmeline, intervint-il, amusé, je suis à peu près sûr que le café n'aide pas du tout à me tenir éveillé.
Elle le fixa avec une moue sceptique avant de changer de sujet :
- Dis-moi, est-ce que tu sais pourquoi Voldemort tenait tellement à avoir notre Véritaserum ? Fabian m'a dit que le Ministre avait ordonné la mise sous scellé de tous les ingrédients nécessaires, mais les plantes repoussent, non ?
Benjy détourna le regard pour fixer son attention sur un tableau, face à lui. Après un instant, il prit une inspiration et commença :
- Tu te rappelles, quand je suis parti en mission, en janvier ?
- Bien sûr.
- J'étais avec Dorcas. On est allé à l'unique endroit de Grande-Bretagne où pousse la joubarbe verte des pins, qui est un ingrédient essentiel pour le Véritaserum. Et on a tout détruit.
- Mais ça va repou...
- Pas avec un Feudeymon, Emmeline.
- Oh, Benjy...
Il posa à nouveau les yeux sur elle, les lèvres plissées en une moue amère.
- C'est toi qui l'as lancé, j'imagine ? Soupira-t-elle.
- Bien sûr. Dorcas a beau être une espionne hors pair elle n'en est pas capable.
- Tu n'avais pas à le faire.
- Si. Tu sais aussi bien que moi que c'est pour ça que Maugrey m'a accepté dans l'Ordre, plutôt que de me laisser pourrir à Azkaban. On a toujours besoin de quelqu'un avec les mains plus sales que soi.
- Maugrey a déjà tué.
- Jamais volontairement.
- Ben, arrête. Tu n'es pas un monstre !
- Je pratique la Magie Noire.
- Tu ne l'aurais pas fait si on ne te l'avait pas demandé !
- Mais j'en suis capable, alors quelle est la différence ?
- Bon sang, Beny ! La différence est énorme ! Tu fais partie de l'Ordre, non ? Tu te bats contre eux ! Alors arrête ça tout de suite. Tu es le seul à croire que quelque chose cloche chez toi.
- Tu es la seule à croire que ce n'est pas le cas, riposta-t-il.
- Lily est de mon avis.
- Mais Potter me déteste.
Elle leva les yeux au ciel.
- Ça n'a aucun rapport. Il est jaloux.
- Bon, d'accord. Ce qui est complètement idiot.
- Ah ? Je n'en étais pas sûre.
- Emmeline ! Evans n'est pas du tout mon genre. Et je n'ai aucune envie de me faire assassiner par James.
- Tu sais aussi bien que moi que tu le battrais à plat de couture.
Il eut un petit sourire et Emmeline afficha un air satisfait.
- Et puis sérieusement, reprit-il, quel genre de type je serais si j'allais m'enticher de la fiancée d'un autre, plus jeune que moi de six ans...
- Ça n'a pas gêné Gideon.
- ... et qui ne m'attire clairement pas ?
- Elle est pourtant jolie.
- Je préfère les brunes, riposta-t-il en la fixant droit dans les yeux.
Elle piqua un fard, déclenchant le sourire de Benjy.
- Dix ans, et c'est toujours aussi drôle, commenta-t-il.
- Après tout ce temps, tu ne te lasses pas de faire semblant de flirter avec moi ? S'agaça-t-elle.
- Non, parce que ça a toujours l'air de te surprendre. J'arrêterai quand ça ne te fera plus rien.
Elle lâcha un soupir agacé et lui donna un petit coup de pied.
- Dégage de mon lit, Fenwick.
- Je peux rester ? C'est long de rentrer à Londres.
- Tu sais transplaner, rétorqua-t-elle.
- Mais il faut toujours vérifier que personne ne nous suit, et ça c'est long !
- Tu es vraiment le pire taré de la sécurité que je connaisse.
- Allez, Emmeline... Je sais que tu n'as pas envie de rester toute seule cette nuit, tenta-t-il, sans la moindre trace de moquerie cette fois.
La jeune femme le fixa un instant en pinçant leslèvres, grommela, puis s'allongea sans rien ajouter. Benjy eut un sourirevictorieux. Il se débarrassa de ses chaussures, enleva son t-shirt et allas'étendre de l'autre côté du lit après avoir éteint la lumière. Il savait quele lendemain matin, il se réveillerait sans doute avec Emmeline contre lui,sans savoir si c'était de sa faute ou de celle de la jeune femme. Ils enplaisanteraient tous les deux mais Emmeline rougirait. Depuis dix ans qu'ilsétaient amis, rien n'avait changé.
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