Partie III - Chapitre 30
Chapitre 30
Jenny sortit de la salle où siégeait le Magenmagot en se massant la nuque. L'Ordre menait une action secrète au sein du Ministère pour tenter de trouver le ou les traîtres qui s'y cachaient mais personne n'avait rien découvert jusque-là. Elle surveillait les procès qui se déroulaient presque tous les jours et fouillait des bureaux le reste du temps. Cette situation était bien plus stressante que n'importe quelle veille. Si elle se faisait attraper, Maugrey ne pourrait pas la couvrir auprès du Ministre, puisqu'il refusait d'admettre qu'il y avait des traîtres au Ministère. Elle aurait mieux fait de refuser cette tâche.
En traînant les pieds, elle gagna l'ascenseur, s'adossa à une paroi et attendit qu'il atteigne le bon étage. Elle joua des coudes pour sortir dans le couloir qui menait au Bureau des Aurors, marmonna quelques insultes et pria intérieurement pour que Maugrey soit là. Elle avait un rapport à faire, même si c'était pour annoncer que rien ne s'était passé. Et ensuite... Ensuite elle attendrait que les bureaux se vident pour aller fouiller quelques tiroirs en espérant avoir enlevé tous les sortilèges de protection appliqués sur les dits tiroirs.
- Par le caleçon de Merlin, marmonna-t-elle.
- Tu vas finir bossue si tu continues à te tenir comme ça, lança joyeusement une voix derrière elle.
Elle se retourna vivement et sourit en voyant Gideon.
- C'est le propre des Sorcières, d'après les Moldus. Je peux appliquer le cliché.
- Je ne préfère pas, sourit-il en posant une main dans le bas de son dos. Qu'est-ce que tu fais là, Halloway ?
Elle lui donna une tape sur le bras en se libérant de son emprise.
- Un rapport à faire à Maugrey. Et toi ?
- Carrie a dit oui ! Je viens peaufiner les détails avec Maugrey.
- C'est ta rencontre avec cette fille qui te met dans une telle joie ?
- Non, avec toi, assura-t-il alors qu'ils entraient dans le labyrinthe de boxes qui constituaient le Bureau des Aurors.
Il tenta à nouveau de l'attraper par la taille mais elle s'échappa, non sans lui adresser un regard perplexe. Il agissait comme un adolescent de quinze ans énamouré.
- Tu t'es pris une massue de troll sur la tête ou quoi ?
Il sourit de toutes ses dents avant de répondre :
- Je suis seulement content de te voir parce qu'on ne s'est pas parlé depuis l'attaque au Ministère.
- Parce que tu refuses d'avoir une conversation sérieuse, signala-t-elle en s'arrêtant devant la porte ouverte du bureau de Maugrey.
- Justement, et si on avait la fameuse conversation, hmm ?
Elle se figea et déglutit difficilement. La lueur de désir qui brillait dans ses yeux n'appelait pas franchement à la conversation. Maugrey lui épargna la difficile tâche de répondre en aboyant son nom. Un Auror à l'air effaré sortit du bureau et Jenny prit sa place, bien trop consciente de la présence de Gideon derrière elle.
- Alors, Halloway ?
- Rien à signaler, dit-elle laconiquement.
Maugrey grommela, ôta ses pieds de son bureau et tapota sur le plateau avec la pointe de sa plume.
- Et pour le reste, tu en es à quel département ?
- Toujours la Coopération Magique, répondit-elle en baissant la voix. Beaucoup trop de pièces et de sortilèges de protection là-dedans.
L'Auror hocha la tête.
- Très bien. Tu peux partir. Profite de ta pause.
Jenny hocha la tête, surprise de sa dernière phrase. Maugrey n'était pas vraiment le genre à leur souhaiter un bon repos, d'habitude.
Elle pivota sur ses talons, croisa le regard suggestif de Gideon et releva fièrement le menton. Elle n'allait pas se laisser impressionner par ses œillades.
- Tu m'attends dehors ? Souffla-t-il avant qu'elle ne sorte.
Elle se contenta de lever les yeux au ciel, décidée à le laisser mariner. Même si elle allait effectivement l'attendre. Merlin, elle ne devrait pas lui donner cette satisfaction, mais elle attendait qu'il fasse un mouvement vers elle depuis des mois.
Elle quitta le Bureau des Aurors et alla s'asseoir par terre dans le couloir sans se soucier des gens qu'elle dérangeait. Le Ministère était en train de se vider alors que la journée touchait à sa fin. Gideon resta avec Maugrey presque une heure – les Aurors étaient bien les seuls à rester au Ministère à n'importe quelle heure du jour et de la nuit. Lorsqu'il sortit enfin, Jenny s'était endormie trois fois. Il lui adressa un grand sourire, attrapa sa main et la tira sur ses pieds sans tenir compte du fait qu'elle était à moitié endormie. Elle marmonna quelques jurons en percutant son torse.
- Toujours envie de discuter ? Interrogea-t-il joyeusement.
- Mmmmh.
- Viens, on va trouver un bureau vide pour être tranquille.
Jenny le suivit en grommelant, le cœur battant. La dernière fois que Gideon Prewett l'avait emmenée dans une salle vide « pour être tranquille », elle avait fini assise sur une table, la main de Gideon largement remontée sous son t-shirt et ses lèvres écrasant les siennes. Il était bien possible que ce soit sa seule définition du mot « discussion ».
Il ouvrit une porte à la volée, poussa un cri de triomphe et tira Jenny à l'intérieur. Elle atterrit une nouvelle fois contre son torse – à croire qu'il en faisait exprès. Elle fut surprise lorsqu'il la serra tendrement contre lui. Ce n'était pas franchement son genre.
- Alors ? Interrogea-t-il alors qu'elle lui rendait son étreinte avec hésitation. Qu'est-ce que tu voulais me dire ?
Jenny sourit contre son pull et annonça :
- Crétin, sale babouin, je vais te tuer, tu es insupportable, arrête de jouer au héros, sale petit...
- T'as pris des cours avec Lily ? Interrompit-il en riant.
- Qu'est-ce que tu crois, c'est moi qui lui ai tout appris.
- C'est tout ce que tu voulais me dire ?
- Nan.
Elle se libéra de son étreinte et planta ses yeux dans les siens.
- Qu'est-ce qu'on est, tous les deux ? J'en ai marre de flirter, Prewett. A quoi tu joues ?
- Eh bien...
Jenny haussa un sourcil, attendant qu'il continue.
- « Eh bien » qu...Hmm !
Il écrasa ses lèvres sur les siennes tout en la bloquant contre lui. Elle avait beau se débattre, il était bien plus fort qu'elle. Il semblait à peine remarquer qu'elle le frappait. Elle lui mordit finalement la lèvre et il s'écarta avec un grognement.
- Qu'est-ce que tu fous, Halloway ?
- Qu'est-ce que je fous, moi ? C'est ta version d'une discussion, ça, gros crétin ?
- Avoue que c'est bien mieux.
- Prewett !
- Quoi ?
- Dis-moi ce que tu attends de moi, bon sang ! S'exclama-t-elle, hors d'elle. Tu veux juste coucher avec moi, c'est ça ?
Il pencha la tête sur le côté.
- Il y a un peu de ça, admit-il.
- Un peu ? Grinça-t-elle.
- Oh, allez, toi aussi.
- Pas pareil.
- Pourquoi ? Parce que tu as de stupides sentiments pour moi ?
Une subite envie de pleurer la prit mais elle tâcha de n'en rien montrer. Hors de question qu'il la prenne pour une stupide adolescente larmoyante.
- Parce que j'ai de l'affection pour toi, corrigea-t-elle d'une voix qu'elle espérait ferme.
- Super, conclut-il avant de l'attraper par la taille. On peut rentrer au QG et profiter de notre belle relation bien définie maintenant ?
Il haussa un sourcil suggestif, ses lèvres étirées en un sourire charmeur qui ne lui allait pas du tout. Même cela ne donna pas envie de rire à Jenny. Elle se dégagea une nouvelle fois.
- Je ne peux pas. J'ai encore des choses à faire ici. Je te rejoindrai plus tard si tu veux.
- Si c'est juste pour fouiller des satanés bureaux, je peux t'aider, offrit-il.
Jenny soupira. Elle aurait bien profité d'être seule pour pleurer toutes les larmes de son corps mais peut-être valait-il mieux éviter cette étape en restant avec Gideon.
- Très bien. Mais sois sage, sinon je te jette un sort.
Un sourire enfantin éclaira son visage couvert de taches de rousseur, accentuant sa ressemblance avec Fabian.
- On commence où ?
- Cinquième étage. Il doit être vide maintenant.
Il sortit de la pièce d'un pas élastique, laissant à Jenny le soin de le rattraper. Elle s'autorisa une seconde de pause, le temps qu'une unique larme s'échappe sur sa joue, puis elle gagna le couloir à son tour.
***
Alice faillit tomber tête la première dans l'escalier mais se rattrapa de justesse en s'appuyant contre le mur. Elle jura tout bas et acheva sa descente en faisant attention à ses lacets. Dans la cuisine elle tomba sur Frank, vêtu de pied en cape, qui lui adressa un grand sourire. Perplexe, elle se contenta de lui lancer un regard interrogateur avant d'aller d'un placard à l'autre pour trouver de quoi grignoter.
- Ah, Alice, quand est-ce qu'on est devenu tellement habitué l'un à l'autre que tu as arrêté de me sourire d'un air béat en me voyant ?
- Quand tu as arrêté de m'offrir des fleurs ?
- Tu es allergique !
- Ah oui, tiens.
Elle attrapa une barre chocolatée et la fourra à moitié dans sa bouche avant de demander, la bouche pleine :
- Qu'ech tu fais là ?
- Je t'accompagne !
- Hein ?
- En Irlande.
Elle avala sa bouchée, interdite, avant de répondre :
- Sérieusement ? Tu ne pars jamais avec moi !
- Une fois n'est pas coutume, répliqua-t-il en haussant les épaules. Tu viens ? On va être en retard. Le départ est à huit heures trente précises.
Elle hocha la tête, toujours surprise, attrapa sa cape négligemment jetée sur l'un des sièges et suivit Frank à l'extérieur du manoir. Il refusait d'habitude de faire des missions avec elle en disant que leur inquiétude l'un pour l'autre ne les aiderait pas. Alice avait toujours trouvé ça stupide. Elle s'inquiétait tout le temps pour lui, de toute manière.
Dix minutes plus tard, ils transplanèrent en pleine campagne irlandaise. Frank désigna une maison délabrée, au loin. Ils la distinguaient à peine dans la lueur de l'aube. Ils s'y dirigèrent d'un bon pas en luttant contre le vent. Alors qu'ils approchaient, un bouclier les repoussa soudain vers l'arrière. Alice rattrapa Frank avant qu'il ne tombe sur les fesses et faillit rire de son air offusqué, malheureusement un Sorcier braquait une baguette sur eux. Elle ne distinguait pas son visage à cause de la forte lumière que produisait sa baguette.
- Identifiez-vous, ordonna-t-il d'une voix sèche.
Alice se détendit en reconnaissant Fabian.
- Alice MacMillan, Frank Londubat, annonça la jeune femme. On se marie dans trois mois et c'est le professeur Dumbledore qui va diriger la cérémonie.
Fabian dirigea sa baguette vers son propre visage et leur adressa un sourire fatigué.
- Fabian Prewett, petit frère de Gideon Prewett. J'ai récemment teint toutes les chaussettes de Frank ici présent en rose.
- Ouais, merci pour ça d'ailleurs.
- Je vous laisse prendre le relais. Rien à signaler cette nuit. Le Portoloin est prévu pour huit heures trente.
Les fiancés hochèrent la tête et pénétrèrent dans la maison. Un sort avait été jeté pour garder une température agréable malgré les trous dans la toiture. Un couple d'une soixantaine d'années était assis près d'un feu magique. L'homme avait passé son bras autour des épaules de sa femme, qui fixait les flammes bleues d'un air vide.
- Tu sais qui ils sont ? Souffla-t-elle à Frank.
- Aucune idée.
Il tira sa montre de sa poche et ajouta :
- Le Portoloin est dans une demi-heure.
- Ils auraient attaqué plus tôt s'ils les voulaient vraiment, non ?
- Ça dépend de quel niveau du service des Portoloins ils ont infiltré. Si c'est les réservations, ils auraient pu savoir avant que celui-ci était pour eux. S'ils sont seulement au contrôle des frontières magiques, alors ils ne peuvent être informés de l'existence de ce Portoloin qu'au moment où il se chargera d'énergie magique.
Alice hocha la tête d'un air distrait. Elle repéra une vieille roue en bois appuyée contre un mur, à l'écart des autres débris qui jonchaient le sol. Sans doute le Portoloin.
- Je vais faire un tour dehors, annonça-t-elle.
- Sois prudente.
Elle leva les yeux au ciel mais déposa un rapide baiser sur ses lèvres avant de sortir.
Vingt minutes plus tard, aucun Mangemort ne s'était pointé. Alice gagna à nouveau la maison. Le couple tenait fermement la roue en bois. Frank, près d'eux, était sur ses gardes.
- Rien à signaler ?
- Non.
Son regard croisa un instant celui de la femme, qui s'empressa de regarder ailleurs. Elle avait l'air terrifiée. Huit minutes passèrent dans un silence pesant. Bientôt, il ne resta plus que trente secondes. C'était le moment décisif : Le Portoloin était en train de tracer sa trajectoire jusqu'en France, où le couple allait être récupéré par des Sorciers. Alice comptait tout bas. Il ne restait que quelques secondes...
Une explosion fit trembler le sol. La femme poussa un cri aigu, qui se changea en cri de douleur lorsque la roue explosa entre ses mains. Des éclats de bois tranchants volèrent dans tous les sens. Frank poussa un juron sonore, sa baguette tendue devant lui. Alice fouillait la maison du regard, paniquée. Finalement, une silhouette sortit de l'ombre, juste devant elle. Son souffle se bloqua dans sa gorge. Il ne portait pas de masque. Seul Voldemort ne portait pas de masque. Sa baguette se mit à trembler. Des sanglots brisèrent le silence, arrachant un sourire au Mage Noir.
- Bonjour, ma chère Sylvia.
- Tom... hoqueta la femme.
Alice supposa que c'était le prénom de son mari. Elle n'osait pas se retourner, le regard fixé sur l'homme qui approchait d'elle. Il finit par poser ses yeux sur elle avec un rictus amusé.
- Membre de l'Ordre, hein ? Vous pourriez m'attaquer, mademoiselle, au lieu de me fixer de la sorte. C'est terriblement malpoli.
Elle ouvrit une bouche tremblante mais fut incapable d'articuler un mot.
- Stupéfix !
Voldemort dévia l'attaque de Frank d'un geste négligent de sa baguette, amusé, et reporta son attention sur le jeune homme.
- Frank Londubat ! Je crois me rappeler que tu es un abominable meurtrier, non ? N'as-tu pas brisé la nuque d'un de mes Mangemorts, l'an passé ?
Alice sentit la rage l'envahir. Frank lui avait raconté cet épisode. Il ne s'en était jamais remis. Il n'avait pas voulu le tuer. Il s'était seulement défendu, et son adversaire était mal retombé.
- Étant donné que tu as noirci ta précieuse petite âme irrémédiablement, tu peux sans doute nous rejoindre ? Un Sang-Pur de plus est toujours appréciable. Non ? Tu ne veux pas répondre ? Eh bien j'imagine que tu ne veux pas. Dans ce cas...
- Expelliarmus ! S'écria Alice, mais sa voix tremblait.
Le sortilège fit à peine trembler la baguette de Voldemort dans sa main. Il se tourna pour la dévisager.
- Belle tentative. Vraiment, l'Ordre recrute n'importe qui de nos jours. Qui es-tu, exacte...
Un nouveau sortilège lancé par Frank l'obligea se retourner vivement. Le jeune homme enchaîna aussitôt, mettant fin au monologue de Voldemort. Alice fut incapable de réagir pendant un instant, impressionnée. Frank jetait sortilège sur sortilège sans ouvrir la bouche, concentré, tout en contrant les attaques de Voldemort.
Un sanglot la ramena à la réalité. Elle se précipita vers le couple et les poussa vers la sortie avant de se rappeler que si Voldemort était arrivé directement dans la maison, c'était sans doute qu'il avait fait sauter les protections antit-transplanage. Elle attrapa l'homme par les épaules pour l'obliger à l'écouter. Il avait l'air complètement perdu, avec ses cheveux gris en bataille et ses yeux qui regardaient de tout côté.
- Monsieur, écoutez-moi ! Il faut que vous transplaniez à un endroit où vous serez à l'abri !
Son regard se posa sur elle. Il ne l'avait pas écouté. A côté de lui, sa femme pleurait toutes les larmes de son corps. Ils ne seraient jamais capables de transplaner, pas dans cet état-là. Elle ne pouvait pas non plus les accompagner : hors de question qu'elle laisse Frank seul face à Voldemort. Elle jeta un coup d'œil du côté du duel et se mordit la lèvre jusqu'au sang. Frank reculait. Il était acculé au mur à présent. Du sang coulait d'une de ses jambes.
- Courez, asséna-t-elle finalement en poussant le couple vers la sortie. Courez le plus loin possible et transplanez quand vous en serez capable.
L'homme ouvrit la bouche... et s'écroula sur elle, les yeux révulsés. Alice chancela, écrasée par son poids, mais le corps bascula finalement au sol. Horrifiée, elle croisa le regard triomphant de Voldemort alors que la femme se mettait à hurler. Il tendit sa baguette vers elle et elle porta brusquement les mains à sa gorge. Frank, affalé contre le mur, pointait sa baguette tremblante sur une énorme entaille sur sa cuisse. Des flots de sang en jaillissaient, sans que la magie n'y change rien. Alice était pétrifiée face au désastre. Voldemort ne s'occupait pas d'elle, concentré sur la femme qu'il était en train d'étrangler par magie. S'il détournait son regard d'elle, le maléfice cesserait de faire effet... Mais il tuerait sans doute Alice.
Elle chercha frénétiquement autour d'elle, jusqu'à ce que ses yeux se posent sur une poutre en très mauvais état, juste au-dessus de Voldemort et elle. Sans réfléchir à ce qui allait lui arriver, elle leva doucement sa baguette, pour ne pas attirer l'attention de Voldemort, et se concentra. Il ne fallait pas qu'elle parle. Quelques instants plus tard, un craquement se fit entendre. Le Mage Noir leva les yeux, laissant un peu de répit à la femme au visage cramoisie. Ses yeux presque rouges s'écarquillèrent lorsque la poutre leur tomba dessus.
***
Voldemort fit un pas en arrière. Un pas pivotant. Lorsque la poutre toucha le sol avec fracas, il avait disparu. La poussière envahit la pièce, empêchant Frank de voir ce qu'il était advenu d'Alice et de la femme. Lorsqu'elle se dissipa enfin, il aperçut deux corps étendus juste à côté de l'endroit où était tombé l'énorme morceau de charpente. Il essaya d'appeler Alice mais sa voix ne franchit pas la barrière de ses lèvres. Le monde tournait autour de lui à cause du sang qui s'échappait de sa jambe. Quelques secondes plus tard, l'une des femmes à terre remua. Malgré la poussière, il aperçut des cheveux blonds. Le soulagement déferla dans ses veines, remplaçant l'adrénaline. Il s'affaissa un peu plus contre le mur, à bout de forces.
Alice s'agenouilla en toussant et posa la main sur le corps toujours au sol.
- Oh mon Dieu, suffoqua-t-elle en portant la main à ses lèvres.
- A... Alice...
Elle tourna vivement la tête vers lui et il aperçut des sillons tracés par les larmes sur ses joues couvertes de poussière.
- Frank... oh mon Dieu...
Elle se releva en chancelant et tituba jusqu'à lui. Elle pointa sa baguette sur sa blessure, les mains tremblantes. La concentration crispa ses traits quelques instants, puis une douce lumière jaillit enfin. Frank sentit la douleur refluer légèrement alors que la plaie se refermait un peu. Elle ne parvint pas à l'effacer tout à fait mais il avait au moins arrêté de saigner.
- Est-ce qu'elle...
- Elle est morte, balbutia Alice. Je... je l'ai tuée, Frank. Elle...
Il secoua la tête.
- Elle n'est pas sous la poutre. Tu l'as entraînée avec toi et tu vas bien. C'est... c'est lui. Il l'a étranglée.
Alice prit une profonde inspiration, la tête tournée vers les deux corps des gens qu'ils étaient censés protégés. Un sanglot gonfla dans sa poitrine.
- Qu'est-ce qu'on a fait, hoqueta-t-elle. Ils sont...
- Eh, murmura-t-il. Calme-toi. On va ... on va contacter l'Ordre, ça va aller.
Un quart d'heure plus tard, Margaret était là, penchée sur la cuisse de Frank. Alice se tenait près des corps en compagnie de Remus. Ils discutaient à voix basse.
- Tu sais qui ils étaient ? Interrogea Maggy tout en faisant glisser doucement sa baguette sur sa plaie.
- Aucune idée. Voldemort les connaissait... La femme en tout cas. Il l'a appelée par son prénom. Je crois que l'homme s'appelait Tom.
- Ils devaient être importants, pour que Voldemort se déplace seul.
- Je pense que c'est pour elle qu'il est venu... Sylvia. Il a tué l'homme d'un coup mais elle, il l'a regardé mourir.
Il se tut, dégoûté. Lui aussi l'avait regardé mourir. Ils n'avaient rien fait, ni lui ni Alice. Il refusait de le montrer à Alice parce qu'elle s'effondrerait mais la culpabilité lui serrait le cœur. Margaret s'en rendit compte et pressa doucement sa main.
- C'était Voldemort. Difficile de lui résister. Regarde, la dernière fois on a failli perdre James, Lily, Sirius et Benjy.
Il hocha la tête, peu convaincu.
- Fabian est au courant ? Il doit être furieux.
- Il dormait déjà quand le patronus d'Alice est arrivé. Il n'y a aucune raison qu'il soit furieux. Vous avez fait ce que vous avez pu.
Frank ne répondit pas, peu convaincu.
Un Auror arriva une heure plus tard avec ordre de ramener les corps au Ministère, où ils attendraient à la morgue que la famille vienne les chercher. Margaret, Remus, Alice et Frank gagnèrent le QG dans un silence embarrassant ; Alice fixait le vide, Frank avait la tête qui tournait et les deux autres jeunes gens semblaient s'éviter. Alors qu'ils s'apprêtaient à franchir la porte du manoir, Alice fondit soudain en larmes. Margaret et Remus s'empressèrent d'entrer, laissant Frank prendre sa fiancée dans ses bras. Il soupira et déposa un baiser sur le sommet de son crâne alors qu'elle sanglotait contre lui. Il ne pouvait même pas lui dire que ce n'était pas grave.
***
- LUNARD !
- Oui, j'arrive !
- On va être en retard !
- On va chez les Potter, pas au bal de la reine d'Angleterre, ça va.
- Mais on va voir Cornedrue ! Bon sang, ça fait quinze jours qu'on ne l'a pas vu !
- Et après tu veux me faire croire qu'il ne s'est rien passé entre vous ?
Un juron retentit et Remus sauta les dernières marches de l'escalier pour débouler dans la cuisine où Sirius et Peter l'attendaient. Sirius lui asséna une tape à l'arrière du crâne pour se venger de ses insinuations et Peter lui tapa dans la main avec un sourire satisfait. Amusé, Remus emboîta le pas de son ami et ils quittèrent tous les trois la cuisine. Il était plus que satisfait de quitter l'ambiance pesante du QG après le désastre qui avait eu lieu le matin même en Irlande.
Ils transplanèrent jusqu'à Godric's Hollow, où Sirius se mit à sautiller dans tous les sens jusqu'à ce qu'ils arrivent enfin chez les Potter. Il eut à peine le temps de frapper : la porte s'ouvrit à la volée, dévoilant un James tout sourire. Sirius poussa un cri de joie et se jeta sur lui, vite imité par Peter. Ils s'écroulèrent en riant et avec quelques coups de poing affectueux. Toujours sur ses deux pieds, Remus les regardait avec un air amusé.
- Bonsoir les garçons ! Lança la voix de Fleamont Potter depuis la cuisine.
- Eh, doucement ! Il n'est pas encore tout à fait réparé !
Remus fit un clin d'œil à Lily, qui attendait sur le pas de la porte de la cuisine, des plats dans les mains et un sourire sur les lèvres.
- Je ne suis pas une machine ! Protesta la voix de James, étouffée sous le poids de ses deux amis.
- Je peux t'aider ? Interrogea Remus en tendant les mains.
Lily lui donna un plat avec reconnaissance avant de contourner le tas de garçons qui encombrait le passage.
- Comment va-t-il ?
- Oh, très bien, répondit Lily en posant son assiette sur la table déjà couverte de nourriture. Il n'en peut plus d'être là. Enfin, il n'aimait pas non plus cette situation au départ mais comme il ne tenait pas debout ça n'avait pas grande importance. Maintenant il passe son temps à courir partout. J'ai dû le laisser aller voler hier, sinon il m'aurait sans doute jeté un sort.
Remus pouffa. Ne plus avoir à s'inquiéter de James était déjà un souci en moins sur ses épaules. Ne restaient plus que (de façon non exhaustive et dans le désordre) : sa lycanthropie, Margaret, les morts du matin, Voldemort.
- Remus ?
Il revint à la réalité et sourit à Lily.
- Désolé. Tu disais ?
- Va rejoindre les garçons, je vais m'occuper du reste. Il est tellement content de vous retrouver.
Il jeta un coup d'œil au salon pour s'apercevoir que les trois autres Maraudeurs s'y trouvaient à présent. Il se joignit à eux sans hésiter, non sans avoir remercié Lily.
- Lunard ! S'exclama James en le voyant approcher. Assieds-toi près de moi ! Pousse-toi de là Sirius.
- Eh ! Protesta l'intéressé alors que Remus lui assénait un coup de poing dans l'épaule pour qu'il bouge. Pourquoi lui ?
- Parce qu'il a l'air déprimé. Raconte tout à Papa James, mon petit loup.
- C'est parce qu'il s'est disputé avec Margaret, lança Peter.
Remus le fusilla du regard. Le sale traître.
- Quoi ? S'offusqua James. Mais pourquoi ? Personne ne se dispute jamais avec Margaret !
- Tu sais pourquoi, marmonna son ami en s'enfonçant un peu plus dans le canapé. Et il n'y a rien à en dire, merci Queudver.
L'intéressé leva les mains en signe de défense.
- Quoi, on se dit tout entre Maraudeurs, non ?
- Ouais c'est pour ça que tu t'es abstenu de nous dire que tu sortais avec cette Mildred Poklope en sixième année, se moqua Sirius en posant ses pieds sur la table.
- Je savais que vous alliez vous moquer de moi, marmonna Peter.
- En même temps, elle faisait une tête de plus que toi et trois fois ton épaisseur, souligna James.
- Mais du coup elle avait une super poitrine, ajouta Remus.
- Oh ! Vous avez fini ?
Les trois garçons rirent de concert alors que Peter les fusillait du regard. De peur que la conversation ne revienne sur lui, Remus s'empressa d'enchaîner :
- Paraît que t'as été insupportable avec Lily, Cornedrue.
- Quoi ? Qui a raconté ça ?
- Fenwick, annonça Sirius avec jubilation.
Remus soupira. Ils avaient discuté pendant des heures et des heures pour savoir si James était au courant ou non de la correspondance entre Benjy et Lily. Vu la tête qu'il faisait ce n'était sans doute pas le cas.
- Comment est-ce que Fenwick sait ça ?
- Lily lui a écrit plusieurs fois, expliqua doucement Remus. Il l'a beaucoup aidée, la semaine où tu as été ... hmm... malade.
« Pratiquement à l'agonie » aurait été plus juste mais il préférait éviter de contrarier James.
- Ah ouais ? Grinça-t-il.
- Mais comme il paraît que tu reçois du courrier de McGonagall, je ne vois pas où est le problème, intervint Peter.
Un sourire étira aussitôt les lèvres de James et il tira un parchemin de sa poche afin de le déplier triomphalement. Il n'avait pas écrit à ses amis durant ses deux semaines de convalescence, sauf une lettre lapidaire où il annonçait simplement avoir reçu un mot de leur ancien professeur de Métamorphose.
Il s'éclaircit la gorge et commença :
- « Cher Mr. Potter... »
- Oh, « cher Mr. Potter » ! pouffa Sirius. Je savais que tu lui plaisais.
- « J'ai appris par l'entremise du professeur Dumbledore votre récente mésaventure... »
- Belle façon de minimiser les choses, commenta Peter.
- « ... et la façon dont vous vous en êtes sorti. Vous avez toujours été mon meilleur étudiant en Métamorphose.... »
- Lily a survécu à ça ?
- J'ai entendu !
- « ... et je suis très fière de ce que vous avez accompli là-bas, James, surtout si cela vous a permis de survivre à cette terrible chute. Il s'agit là d'une très belle prouesse. Toutes mes félicitations ! Bon rétablissement », blablabla, Minerva McGonagall.
- Elle a signé Minerva ? S'exclama Sirius en se jetant sur le parchemin, écrasant Remus au passage.
- Tire-toi de là, sale clébard ! Tu m'écrases !
Sirius se redressa avec un cri de triomphe, le parchemin en main, et le parcourut rapidement.
- Ouah, elle a vraiment écrit « James ». Incroyable.
- N'est-ce pas, se rengorgea le susmentionné. Je viens d'ancrer un peu plus mon nom dans la gloire.
Remus secoua la tête en souriant alors que Sirius et James se battaient pour savoir qui serait le plus connu à travers les siècles.
- On sait tous que Peter marquera les esprits pour toujours, intervint-il.
- Ah bon ? S'étonna l'intéressé.
- Peter ? Renchérit Sirius.
- Notre Peter ? Ajouta James.
- Ouais, parce que je suis sûr qu'un jour il vous empêchera de faire exploser la planète. Peter Pettigrow, sauveur de l'univers !
- Eh ! Protesta Sirius. On ne va pas faire exploser la planète ! On n'a même pas réussi avec Poudlard.
- Pourtant Merlin sait qu'on a essayé, soupira dramatiquement James.
- Si PEC n'avait pas été là, ça aurait très certainement marché.
- On parle de moi ?
Lily se pencha sur le canapé, les bras passés autour du cou de James.
- Et de ton trop grand amour pour la discipline, ajouta Sirius.
Elle leva les yeux au ciel alors que James tournait légèrement la tête pour lui lancer un regard accusateur.
- Il paraît que tu entretiens une correspondance avec Fenwick derrière mon dos !
- Tu ne m'as jamais demandé qui m'écrivait, observa Lily en posant un rapide baiser sur sa joue.
- N'essaie même pas de m'amadouer comme ça ! Tu aurais pu me le dire par toi-même.
- Pas pensé, rétorqua-t-elle avec un sourire. Merlin, je ne t'avais pas vu jaloux depuis une éternité ! Surtout n'essaie pas de lui casser la figure, on sait très bien que c'est toi qui vas perdre.
- Lily !
Elle s'éloigna en pouffant alors que les trois autres Maraudeurs éclataient de rire.
- Vous m'êtes vraiment pas d'un très grand soutien, les mecs.
- Parce que ça fait trop longtemps qu'on ne t'a pas vu te faire chambrer par Evans, s'exclama joyeusement Sirius. Vous ne vous êtes pas trop tapés dessus pendant tout ce temps ? Ça faisait longtemps que vous n'aviez pas été livrés à vous-mêmes.
- On s'est un peu engueulés, admit James. Mais c'était sympa d'avoir un peu plus d'intimité qu'au QG.
Sirius et Peter ricanèrent alors que Remus rougissait légèrement. Heureusement, Lily était partie dans la cuisine où elle discutait avec Fleamont.
- Vous étiez seuls toute la journée ? Interrogea Peter avec un sourire plein de sous-entendus.
- Ouais. Évidemment ça arrivait à Bathilda de débarquer après le déjeuner mais...
- Quoi, même en milieu de journée ? S'esclaffa Sirius.
- Eh, on n'avait rien d'autre à faire !
- Les gars, on peut arrêter de parler de la libido de James, pitié ? Supplia Remus.
Les garçons lancèrent quelques plaisanteries mais il fut sauvé par l'arrivée de Bathilda. Lorsqu'ils regagnèrent leur place quelques minutes plus tard alors que la vieille Sorcière allait aider Lily et Fleamont, la conversation s'engagea heureusement sur un autre sujet.
- Quelles nouvelles du QG ? Interrogea James, les coudes posés sur ses genoux.
Remus déglutit. Finalement, il préférait la conversation précédente.
- Pas bonnes, répondit Sirius après avoir consulté les deux autres du regard. Voldemort s'est pointé ce matin. Il a tué un couple qui était censé fuir en France.
James serra la mâchoire.
- Toujours un traître au Ministère, alors ?
- Pas qu'un, si tu veux mon avis. Jenny y travaille mais elle n'a rien trouvé pour le moment. Le pire c'est que Minchum a fini par changer tout le personnel du Service des Portoloins mais les informations passent toujours. On n'a aucune piste.
- Il est temps qu'on revienne aider, marmonna James. Eh, Patmol, t'as rencontré les nouvelles recrues ? Combien sont-ils ?
Sirius grimaça.
- Trois.
- Quoi ?
- Ranger est dans le lot !
- Super. Voilà qui est consolant, railla-t-il. Sérieusement ? Trois ?
- Ouais.
- On est mal.
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