Partie III - Chapitre 25
Chapitre 25
Sirius regarda les Mangemorts s'effondrer les uns sur les autres, brûlant de rage. Peter et lui jetèrent des sortilèges sans vraiment viser pour réussir à rejoindre Lily et James. Peter le couvrit d'un bouclier pendant qu'il canardait les quelques Mangemorts qui avaient déjà repris leurs esprits. Sirius aida James à se relever pendant que Peter attrapait Lily par la taille pour la soutenir. Elle était bien plus amochée que son meilleur ami.
- Avada Ked...
- Stupéfix !
Du coin de l'œil, il aperçut Benjy qui couvrait leurs arrières. Il hurlait des sortilèges, désarmait des ennemis, faisait apparaître bouclier sur bouclier pendant que les quatre autres tentaient de se mettre à l'abri.
Sirius trouva enfin un talus derrière lequel il glissa, James toujours agrippé à son bras. Peter et Lily roulèrent près d'eux. Benjy ne tarda pas à les rejoindre, sa baguette levée pour leur fournir un bouclier pendant quelques minutes.
- On n'a pas beaucoup de temps, haleta-t-il. Il faut qu'on récupère Minchum avant que Voldemort ne se décide à le tuer.
- Maugrey n'enverra personne d'autre, informa Sirius, le souffle court. Il dit qu'il peut tenir un siège un bon bout de temps mais qu'il ne résistera jamais à une attaque de front, surtout si Voldemort est dans le coup.
- Il va sans doute envoyer des Mangemorts au Ministère. Si on pouvait retenir Voldemort ici, ce serait parfait.
- C'est du suicide, releva Sirius tout en fouillant dans le sac que Peter venait de lui tendre.
Il en sortit un assortiment de fioles qu'il tendit à une Lily livide. Elle fouilla dedans quelques instants à la lueur de sa baguette avant d'en sortir deux flacons. Elle avala le contenu du premier et tendit le second à James. Quelques instants plus tard, ils avaient repris des couleurs.
- On est cinq, c'est largement suffisant, reprit Fenwick. Il faut qu'on y aille ou ils vont nous encercler. Pettigrow, tu viens avec moi ? On va récupérer Minchum. Si cet imbécile pouvait reprendre conscience ça nous aiderait bien.
Peter hocha la tête malgré son air terrifié et Sirius lui donna une tape sur l'épaule pour le soutenir.
- Allez-y. On se retrouve en enfer, les gars.
Sans plus attendre, Sirius jaillit hors de leur cachette. Un éclair de lumière faillit le faucher mais il l'évita d'un bond et riposta aussitôt. Bien vite, des sortilèges commencèrent à jaillirent à sa gauche et il aperçut la silhouette de James, qui courait dans sa direction tout en hurlant tous les sorts qu'il connaissait.
Un sortilège de découpe entailla le bras de Sirius, distrait, et il jura avant de se réfugier derrière un arbre. En se penchant, il put voir l'ombre de deux personnes qui se détachait à la lueur projetée par les sortilèges. C'était Benjy et Peter, qui essayaient de se rapprocher de la maison à moitié détruite.
James le rejoignit enfin, le souffle court, et il lâcha une bordée de jurons.
- C'est quoi le plan ?
- Y a pas de plan !
Un bruit de course les obligea à tourner la tête et ils aperçurent Lily qui courait dans leur direction. Elle trébucha sur une racine et James la réceptionna alors qu'un sort brûlait la pointe de ses cheveux. Même si Sirius ne pouvait voir son visage à cause de l'obscurité, il sentait l'odeur du sang qui maculait son visage.
- Qu'est-ce que vous trafiquez ? Interrogea-t-elle entre deux profondes inspirations.
- Rien, on n'a pas de plan.
- Il faut qu'on fasse exploser la maison, souffla-t-elle.
- BLACK ! Sors de ta cachette ! Hurla une voix à quelques mètres de là.
- Pas la peine, suffit de lever le lièvre, ricana quelqu'un d'autre.
Un instant plus tard, une boule de feu vint enflammer les branches les plus hautes de l'arbre derrière lequel ils se cachaient.
- Super, marmonna Sirius. Des cousins, sans doute. Pourquoi on ferait exploser cette baraque ?
- Parce qu'ils sont trop nombreux et qu'on a une chance d'en blesser le plus possible comme ça !
- Mais Minchum est là, on ne peut rien faire tant que Benjy et Peter ne l'ont pas récupéré !
- On va se mettre en position, chacun d'un côté de la maison, et quand l'un de nous verra qu'ils sont en sûreté, il lancera des étincelles rouges dans le ciel.
- Et boum la maison, acquiesça James.
- C'est nul comme plan, commenta Sirius tout en jetant un coup d'œil aux branches qui les surplombaient et qui n'allaient pas tarder à leur tomber dessus. Mais ça marche. Adieu !
Il partit à nouveau comme une flèche et tomba presque dans les bras d'un Mangemort. L'avantage de l'incendie que les Mangemorts venaient d'allumer était qu'ils y voyaient à présent plus clair. Sirius put ainsi le viser en pleine tête, mais il ne réussit qu'à arracher la capuche de l'homme. Sans réelle surprise, il reconnut Rabastan Lestrange, le beau-frère de sa cousine Bellatrix.
- Salut le traître ! S'exclama-t-il joyeusement avant de lancer un sortilège de découpe droit vers la poitrine de son cousin au troisième ou quatrième degré – ces histoires de généalogies étaient trop compliquées pour Sirius, et à vrai dire il s'en fichait éperdument.
Il dévia le sort et se jeta à corps perdu dans le duel qui devait bientôt devenir un combat à cinq contre un, bien décidé à défendre chèrement sa peau.
***
Peter évita de justesse un sortilège en se baissant puis il regarda avec un étonnement mêlé de fascination l'impact noir qui marquait à présent le mur là où se trouvait sa tête un instant auparavant.
- Bouge-toi Pettigrow !
Il se remit à courir avec un sursaut, sauta par-dessus des débris et entra dans la maison à la suite de Benjy. Tout autour, on n'entendait que les cris de combattants, les hurlements de douleur et, bien plus faible, le bruit des vagues qui s'écrasaient au pied des falaises.
La cuisine était déserte mais ils ne s'y attardèrent pas. Minchum avait été déplacé de l'endroit où Benjy l'avait déposé quelques minutes plus tôt quand Voldemort lui en avait donné l'ordre. Ils passèrent dans un couloir obscur et Peter posa sa main libre sur le mur pour en suivre le tracé, terrifié. Il faillit allumer sa baguette mais Benjy ne l'ayant pas fait, il n'osa pas.
Une porte les mena droit dans un salon qui sentait la naphtaline, mais qui était tout aussi désert que les autres pièces. Benjy jura à mi-voix en tâtonnant autour de lui pour trouver une autre porte. Peter ne bougeait pas, aux aguets.
- Là-haut ! S'exclama-t-il soudain, persuadé d'avoir entendu un bruit de lutte.
Il se dirigea à l'aveuglette vers l'escalier qu'il devinait, sur sa droite. Il se prit le pied dans un fauteuil, renversa une lampe, mais il n'y prêta pas attention. Benjy faisait autant de bruit que lui. Il sentit enfin la rampe de l'escalier sous sa main et il monta les marches deux à deux tout en maudissant le secret qui entourait sa condition d'Animagus. S'il avait pu, il se serait transformé en rat pour bénéficier d'une vision nocturne.
Il atteignit le palier et suivit sans peine les bruits qui l'avaient attiré. Une lampe était allumée dans une pièce, au bout du couloir. Il couina et se jeta au sol lorsqu'un sort fit exploser la porte. Un instant plus tard, un homme en sortit. Il trébucha sur Peter qui était en train de se relever et chuta lourdement sur le jeune homme. Il n'eut même pas le temps d'essayer de se relever : Benjy l'attrapa par le col et enfonça sa baguette dans sa gorge.
- Vous n'êtes pas habillé comme un Mangemort, grogna-t-il.
- Parce que je suis Harold Minchum ! Ministre de la Magie !
- Peter ! Aboya Benjy. Va voir qui est dans la pièce !
Il s'exécuta sans protester et aperçut le corps étendu d'un homme encapuchonné. Du sang s'écoulait dans un bouillonnement noirâtre de son crâne.
- Un Mangemort, cria-t-il. En sale état !
- Très bien. Minchum, vous nous suivez à la trace !
- Mais qu'est-ce qu'il se passe, bon sang ?
- Fermez-là ! On n'a pas le temps de discuter !
Peter obligea le Ministre à passer devant lui. Ils dégringolèrent les escaliers et franchirent la porte d'entrée que Benjy avait ouvert à la volée. Peter avait à peine mis le nez dehors qu'un sort cuisant le frappa de plein fouet. Il roula au sol en gémissant, l'épaule en feu. Il entendit Benjy jurer, sentit qu'il le remettait sur pied. Sa vue brouillée revint peu à peu à la normale alors qu'ils couraient pour s'éloigner de la maison et des Mangemorts qui leur lançaient des sortilèges sans merci. Minchum se révélait d'une aide précieuse, créant des boucliers derrière eux sans s'arrêter. Il n'était apparemment pas tout à fait un incapable, contrairement à tout ce que Peter avait entendu dire jusqu'ici. Alors qu'ils s'étaient éloignés de presque dix mètres de la maison et que trois Mangemorts allaient les rattraper, des étincelles rouges s'élevèrent dans le ciel. Juste après, une explosion ébranla le sol et Peter trébucha. Lorsqu'il se redressa, sonné, il s'aperçut qu'un côté de la maison avait volé en éclat. Des débris tombaient encore au sol dans une succession de bruits mats. Quant aux Mangemorts qui les poursuivaient, ils avaient été violemment projetés au sol. Benjy s'occupait déjà de les entraver, mais une seconde explosion, très vite suivie d'une troisième, l'obligea à se jeter au sol.
Peter, les bras croisés sur sa tête, eut une pensée pour le Mangemort dont Minchum s'était débarrassé. De toute façon, il n'aurait sans doute pas survécu.
Un court instant de silence suivit l'explosion de la maison, qui n'était plus à présent qu'un brasier ardent. Mais très vite, des silhouettes titubantes se relevèrent. Benjy, Peter et le Ministre, suffisamment éloignés, n'étaient pas trop amochés. Benjy attrapa un Minchum un peu sonné et le poussa vers Peter.
- Transplanez au Ministère ! Ordonna-t-il. Raconte à Maugrey ce qu'il se passe !
Peter attrapa le bras du Ministre et obéit sans broncher.
***
James reculait depuis cinq minutes déjà, aux prises avec deux Mangemorts qui n'avaient pas trop apprécié le coup de l'explosion. Elle avait soufflé leur capuche. A la lueur de l'incendie qu'ils avaient déclenché, il voyait du sang briller sur la tempe de l'un d'eux, une grande brute au crâne chauve. L'autre tenait son bras droit serré contre sa poitrine. Cela ne les empêchait pas d'être de redoutables adversaires et James redoutait le moment où il allait se retrouver au bord de la falaise. Le bruit du va-et-vient des vagues se faisait de plus en plus fort. Si jamais il se faisait catapulter, il finirait trente mètres plus bas.
- Imbéciles !
Les deux Mangemorts tournèrent légèrement la tête en entendant l'imprécation de leur maître et James en profita pour les faucher tous les deux. Ils s'écroulèrent et furent stupéfixés en un rien de temps. James se laissa glisser au sol, épuisé, la main pressée sur son flanc. Il s'était pris un sortilège de découpe alors qu'il tentait de garder sa position d'un côté de la maison et la blessure était profonde. Néanmoins, il s'obligea à se relever pour voir ce qu'il se passait.
La lumière des flammes illuminait Voldemort qui se battait en duel... avec Lily. James tressaillit et prit sur lui pour courir vers eux. Lily perdait du terrain, se rapprochant dangereusement de l'incendie.
- Lily, va-t-en ! Hurla-t-il.
- Transplane ! Renchérit une autre voix que James reconnut comme celle de Benjy. Minchum est parti, transplane ! On va le retenir !
Au même moment, un sort effleura Voldemort et James aperçut Benjy qui arrivait derrière le Mage Noir. C'était sans doute la fuite de Minchum qui avait provoqué la colère de Voldemort.
- Non ! hurla Lily en réponse tout en repoussant un sort de Voldemort. Je ne partirai pas !
Un sort lui entailla la joue, poussant James à attaquer Voldemort à son tour. A défaut de s'enfuir, Lily en profita au moins pour s'éloigner du feu. Pendant quelques instants, ils furent trois contre un. C'était peut-être déloyal au possible mais James n'en avait cure. Mais des Mangemorts ne tardèrent pas à se joindre à eux et Lily et Benjy furent obligés de s'éloigner, poussés dans leurs retranchements par plusieurs Mangemorts. James se retrouva seul face à Voldemort. L'angoisse lui étreignit le ventre. Épuisé, blessé... et seul.
Malgré le froid glacial qui régnait en cette nuit de mars, il suait à grosses gouttes. Il sentait ses forces l'abandonner à mesure qu'il se vidait de son sang. Voldemort jouait avec lui ; au lieu de le tuer sur le champ, il lui envoyait une série de sorts et maléfices qu'il n'arrivait même pas à identifier. Il avait à peine le temps de riposter ; son cerveau fatigué faisait le strict minimum pour survivre, rien d'autre. La douleur, la peur l'anesthésiaient. Comme avec les deux Mangemorts, un peu plus tôt, il reculait. L'espace entre la mer et lui s'amenuisait. Un maléfice heurta violemment son bouclier et le choc lui fit faire trois pas en arrière. Un coup de vent lui apporta l'odeur iodée de la mer et il sentit les embruns sur son visage. Trop concentré sur son duel, il ne savait même pas ce que faisait les autres. Au point où il en était, il y avait peu de chance que quelqu'un lui vienne en aide. Il n'y avait que deux issues : la mer ou Voldemort. Un Sortilège de Mort ou un plongeon qui se terminerait forcément mal. James eut un rictus douloureux. Que choisir entre la mort ou la mort ?
Voldemort ricana comme s'il lisait dans ses pensées.
- Le feu ou l'eau, Potter, ta Sang-de-Bourbe ou toi... Apparemment ce sera toi, et par l'eau ! Et quand tu seras mort ce sera elle, dans ce si bel incendie que tu as allumé !
James ne répondit pas, trop occupé à riposter. Un nouveau choc le fit reculer et il sentit le vide dans son dos. Voldemort vit qu'il était au bord du précipice et cessa soudain ses attaques. Trop épuisé pour en profiter, James ne put que rester là, sa baguette levée, la respiration sifflante. La mort ou la mort. Ou alors...
- Alors Potter, il semble bien que ce soit la fin.
Il ne répondit pas, le corps brûlant de douleur et l'esprit en ébullition. Dans le dos de Voldemort, il vit Lily se débarrasser de son adversaire et courir vers eux. Une autre silhouette se joignit à elle alors que Benjy projetait au sol son dernier adversaire. Il n'y avait presque plus personne ... Les autres Mangemorts avaient dû gagner le Ministère.
- On est bien silencieux, Potter !
- Quoi ? Cracha-t-il. Vous voudriez que je vous félicite ?
- Eh bien oui, pourquoi pas, même si cet imbécile de Minchum s'est échappé. Mais ne t'en fais, je le tuerai une prochaine fois.
- Certainement pas.
- Oh, bien sûr que si. Mais d'abord je vais m'occuper de ton cas.
Lily se rapprochait et James reconnut Sirius. C'était le moment où jamais. Il leva un peu plus sa baguette pour tenter d'immobiliser Voldemort mais elle s'envola de ses mains et atterrit dans celle de son adversaire. Un rictus amusé sur les lèvres, il lança d'une voix forte :
- Au moindre geste, je le tue sur le champ !
Lily et Sirius s'immobilisèrent aussitôt. Plus loin, Benjy tenait en respect deux Mangemorts qui avaient surgi d'on ne sait où. Tout le monde semblait suspendu au sort de James.
- Une dernière volonté avant de mourir ?
- Laissez-les partir.
Voldemort pencha la tête sur le côté en entendant son ton déterminé avant de répondre :
- Très bien, j'accepte. Seulement parce que je reconnais ta force de caractère, Potter. Tu n'as pas hurlé comme une femmelette pendant des heures à cause de la douleur. Mais il y a une condition : ils ne tenteront rien contre moi.
James hocha la tête puis s'éclaircit la voix :
- Lily, Sirius, promettez que vous allez partir sans rien tenter !
- James !
La voix horrifiée de Lily lui tordit le cœur mais il insista. Il glissa la main dans sa poche et fit un pas de plus vers le bord de la falaise alors qu'il la suppliait d'accepter. Lui parler lui permettait d'oublier. Savoir qu'elle allait vivre, au moins pour cette fois, effaçait un peu le fait qu'il allait très certainement mourir. « Très certainement... La mort ou la mort, Potter, pas la peine de tergiverser ». Mais finalement sa voix se tut, laissant les battements de son cœur résonner dans sa tête, trop rapides, trop forts. Il entendit à peine Lily promettre, d'une voix brisée par les larmes, et Sirius faire de même.
Voldemort secoua la tête. C'était le moment. Il devait se concentrer, maintenant plus que jamais. Il fixa ses yeux sur les lèvres du Mage Noir, attendit qu'elles s'ouvrent une nouvelle fois. Il n'aurait pas de seconde chance. « Si tant est que ce soit une chance », songea-t-il juste avant que Voldemort n'éructe :
- Vous êtes si faibles. Adieu, Potter.
Il leva sa baguette. Mais avant qu'il n'ait eu le temps d'ouvrir la bouche, James se jeta dans le vide.
***
- NON !
- CORNEDRUE !
Lily hurla à son déchirer les cordes vocales, à s'en arracher le cœur. Elle tomba à genoux, les yeux fixés sur l'endroit où James se trouvait un instant plus tôt. Elle vit à peine Voldemort transplaner, furieux que sa victime lui eut échappé. Elle n'entendit pas non plus les « crac » qui signifiaient que tout était fini, que les Mangemorts étaient partis, ne vit pas Benjy retenir Sirius qui voulait se précipiter vers le bord de la falaise. Elle ne vit rien de tout ça, parce que la seule chose qui comptait était que James était mort.
Elle resta immobile, le cœur en miettes, les doigts pressés dans la terre gelée, à contempler la nuit noire comme s'il s'agissait de la mer qui venait d'engloutir James. Elle avait mal... tellement mal. Elle ne sentait même plus les contusions qui ornaient son visage, ni les multiples blessures que Yaxley lui avait infligées lorsqu'ils s'étaient battus, juste avant qu'elle ne se retrouve embarquée dans un duel avec Voldemort.
Elle finit par se lever, tituba jusqu'au bord de la falaise et s'y laissa tomber. Elle scruta l'eau, aussi noire que la nuit. La douleur fut soudain tellement insoutenable qu'elle planta ses ongles dans sa paume, dans le vague espoir que la souffrance physique éloignerait cette douleur sèche, insupportable, que seuls ceux à qui on vient d'arracher le cœur peuvent comprendre. James était mort, et Lily Evans n'était plus rien. Ses ongles percèrent sa peau.
- James...
Une unique larme perla au coin de son oeil alors qu'elle se penchait un peu plus vers la mer.
- Lily !
Des mains la saisirent, la tirèrent en arrière. Elle se débattit, furieuse qu'on la tire de l'abîme où elle aurait pu retrouver James.
- Lily, écoute-moi !
- Laisse-moi Sirius ! Va-t-en !
- Il ne peut pas être mort ! Lily, James ne peut pas être mort !
Elle s'arracha à l'abîme pour repousser violemment Sirius, qui tomba assis dans l'herbe, l'air hagard.
- Il vient de se jeter du haut d'une falaise, désarmé ! Bien sûr qu'il est mort !
- Et pourquoi est-ce qu'il aurait fait ça ? S'écria-t-il, désespéré. Pourquoi il aurait choisi une mort douloureuse alors que Voldemort l'aurait tué proprement ?
- Par pur orgueil ! Pour ne pas lui laisser la satisfaction de l'avoir tué !
Sirius voulut répondre, s'aperçut que l'explication de Lily tenait la route. Mais il ne voulait pas y croire, Lily le voyait dans son regard.
- Non. C'est hors de question.
Il se redressa brusquement et fourragea rageusement dans ses cheveux en fixant la mer.
- Cornedrue ! Hurla-t-il. Je te retrouverai !
Il partit d'un pas chancelant, longeant le bord de la falaise. Lily, le regard vide, resta seule. James n'avait que dix-huit ans. On ne mourait pas à dix-huit ans. On ne mourait pas quand on savait qu'on allait laisser un tel vide derrière soi. Mais peut-être ne le savait-il pas. Lily prit sa tête entre ses mains. Il y avait eu cette horrible soirée, mille ans plus tôt. Elle avait été désagréable avec lui la moitié de la nuit parce qu'elle lui en voulait.
- Je suis désolée, hoqueta-t-elle en serrant toujours plus les poings. James, je suis tellement désolée... Mais comment tu peux me faire ça ? Comment tu peux me faire ça, Potter ?
Elle sanglotait à présent, des sanglots durs, qui lui déchiraient la gorge.
- Lily...
- Laisse-moi !
Deux bras la saisirent et elle se retrouva happée contre le torse d'un homme plus fort que Sirius. Elle se débattit un instant, le temps de reconnaître Benjy. Benjy... il savait. Lui aussi, il connaissait la souffrance. Il ne viendrait pas lui dire que James était vivant. Elle cessa de se débattre et fondit en larmes contre lui.
- Je suis désolé, Lily, murmura-t-il en caressant doucement ses cheveux.
Elle ne répondit pas, parce qu'il n'y avait rien à dire. James était mort.
Benjy la garda dans ses bras bien après qu'elle eut fini de pleurer. Il avait trop peur qu'elle se jette dans le vide s'il la lâchait. Lily, contre lui, se sentait mal. Elle aurait dû être dans les bras de James, pas d'un autre homme. Il l'aurait écartée de lui, lui aurait souri, et se serait exclamé : « Lily-Jolie, arrête de pleurer ! ». Et elle aurait ri à travers ses larmes. Elle froissa les vêtements de Benjy entre ses doigts tachés de sang.
Le silence tomba sur ce tout petit morceau de côte où James avait perdu la vie. Elle n'entendait plus que la respiration de Benjy et le reflux des vagues. Le corps de James était là, quelque part. Mort, mort, mort.
- Lily...
Elle l'entendit à peine. A chaque battement de cœur de Benjy, la même rengaine : Mort. James était mort. Le cœur qui battait contre son oreille n'était pas le sien. Mort, mort, mort.
- Lily, regarde !
Il la détacha de lui et tendit le bras vers l'est, où des étincelles rouges brillaient dans le ciel. Elle ne comprenait pas. Quelques secondes plus tard, une lueur argentée les éclaira et un immense chien apparut. Il parla avec la voix de Sirius :
- Il est vivant !
Un violent battement de cœur secoua Lily, qui enfonça ses doigts dans les bras de Benjy sans s'en rendre compte. Malgré l'obscurité, elle voyait l'espoir sur son visage. Elle se retrouva embarquée dans une course folle, traînée par Benjy qui courait à une vitesse hallucinante malgré la fatigue. Elle trébuchait derrière lui, complètement perdue. Son cœur en miettes recommençait à battre bien malgré elle. Elle n'y croyait pas une seule seconde. Sirius avait perdu la tête, James ne pouvait pas être vivant. Mais si... Si malgré tout...
D'autres étincelles rouges volèrent dans le ciel, juste devant eux. Benjy fonça vers le bord de la falaise et pendant un horrible instant, Lily crut que lui aussi allait se jeter dans le vide. Mais il s'engagea dans un escalier glissant, taillé à même la craie, tirant toujours Lily derrière lui. Elle le suivit tant bien que mal, à présent gagnée elle aussi par l'espoir insensé que James soit vivant. Elle se serait sans doute fracassée le crâne sur la plage si Benjy ne l'avait pas retenue d'une main ferme à chaque fois qu'elle glissait. Enfin, elle posa le pied sur le sable.
La plage était très étroite, coincée entre des récifs. Et tout au bord de l'eau se tenait Sirius, agenouillé près d'un corps. Sa baguette émettait une douce lueur dorée de temps en temps.
Lily lâcha Benjy pour courir vers la mer. Elle trébucha juste devant Sirius, tomba à genoux dans le sable. C'est alors qu'elle l'entendit : la respiration chaotique et sifflante qui s'échappait de la poitrine de James.
***
- Ils sont partis !
La nouvelle se répandit comme une traînée de poudre. Elle résonna sous la voûte du Ministère de la Magie, soulageant ceux qui attendaient à l'intérieur de l'angoisse qui leur étreignait le cœur depuis plus de quatre heures.
Jenny se laissa tomber sur le seuil des toilettes qui permettaient l'accès au Ministère. Elle venait de tenir le siège de toilettes publiques. C'était bien la chose la plus ridicule qu'on lui ait jamais fait faire. A la lumière des réverbères, elle distingua Maugrey qui s'approchait. Il semblait exténué, et sans doute se serait-il aussi volontiers laissé tomber par terre.
- Tout va bien Halloway ?
- Rien à déplorer, souffla-t-elle. Et vous ?
- Il y a trois morts parmi la Brigade Magique. Et le jeune Terry Dundoe.
Jenny grimaça. Elle connaissait peu Terry parce qu'il ne logeait pas au QG et y passait assez peu de temps mais c'était le meilleur ami de Frank, comme l'avait été Jeremiah, mort le premier de l'an.
- Vous avez des nouvelles des autres, depuis que Peter est revenu ?
- Non.
Sans s'étendre plus longuement sur le sujet, il lui fit signe de dégager le passage et gagna l'intérieur du Ministère, où Dumbledore l'attendait. Elle l'avait vu rentrer quelques instants plus tôt, son chapeau de travers et sa barbe ébouriffée. Jenny préféra rester à l'extérieur. Elle fit le tour de la place qui bordait l'entrée du Ministère. Il y avait plusieurs blessés, mais personne ne semblait à l'agonie. Dans un coin, on avait aligné quatre corps. Elle détourna les yeux et croisa le regard de Gideon. Elle fronça les sourcils.
- Prewett ! Interpella-t-elle.
Il lui adressa un regard amusé malgré son visage tiré par la fatigue.
- Halloway ?
- Qu'est-ce que tu fous là ?
- Eh bien, la même chose que toi.
- Tu n'étais pas censé être en première ligne !
- Personne ne s'en est pris à moi parce que j'ai enfreint les ordres, en tout cas, souligna-t-il avec un sourire satisfait. Il était hors de question que je reste là-dedans pendant qu'on se battait dehors.
- Tu as failli mourir il y a deux mois, espèce de crétin ! Tu ne pouvais pas te ménager un peu ?
Il attrapa l'index avec lequel Jenny était en train de lui marteler la poitrine et coinça sa main derrière son dos.
- Je pense que la réponse est non. Et regarde, je vais très bien !
Elle le fusilla du regard, agacée qu'il ait réussi à la coincer contre lui de la sorte, et tenta de se dégager.
- La prochaine fois que tu seras à l'agonie, ne compte pas sur moi pour rester à ton chevet.
- Je ne t'ai jamais demandé ça, fit-il remarquer d'un ton plus sérieux.
- Peut-être que tu aurais dû.
- De quoi est-ce qu'on est en train de parler, là, Halloway ?
- A ton avis ?
- Je ne pense pas que ce soit le moment.
- Ce n'est jamais le moment avec toi !
- Jenny...
Elle se figea. Il l'appelait rarement par son prénom.
- Quoi ?
- Ce n'est vraiment pas le moment.
Elle se libéra d'un geste sec et s'éloigna. Elle aurait aimé qu'il comprenne.
Elle reprit son tour des lieux même si elle tombait de fatigue. Les Mangemorts leur étaient tombés dessus au moment où tout le monde pensait que rien ne viendrait. Ils n'étaient qu'une quinzaine mais ils avaient fait des ravages, sans vraiment chercher à s'introduire dans le Ministère. Minchum sain et sauf, Voldemort avait sans doute abandonné son plan et leur avait demandé d'aller faire le plus de dégâts possibles.
Voyant les Mangemorts arriver, ils avaient craint que Voldemort ne débarque. Même si Maugrey aurait pu tenir le siège sans peine, il savait qu'il leur aurait infligé de très lourdes pertes. Quatre morts, c'était terrible, mais cela aurait pu être bien pire.
Jenny frissonna. Quatre, sans compter ce qu'ils allaient trouver dans le Kent, là où Lily, James, Sirius et Benjy s'étaient retrouvés seuls pour affronter Voldemort, tout ça parce qu'il fallait défendre le saint des saints. Jenny détestait qu'on mît en avant la vie ou l'importance de certaines personnes ou de certains lieux. Si jamais l'un de ses amis étaient morts là-bas, Jenny en voudrait jusqu'aux restants de ses jours à Maugrey qui avait refusé qu'elle y aille.
Elle aperçut les cheveux châtains de Margaret et s'agenouilla près d'elle. La jeune fille faisait un pansement à un membre de la Brigade Magique qui avait été touché à l'abdomen. C'était un jeune homme qui ne devait avoir qu'un an ou deux de plus qu'elles, mais son visage ne disait rien à Jenny. Il regardait Margaret comme si c'était un ange venu le sauver.
- Ce n'est pas grand-chose, assura Margaret d'une voix douce en rabattant ses vêtements sur son ventre. Vous serez sur pied dans quelques jours. Je crois qu'un service de transport vers Ste Mangouste va être mis en place très vite.
- Merci, souffla-t-il. Merci pour tout.
Elle lui sourit avant de se relever et Jenny la rattrapa par le bras alors qu'elle chancelait.
- Tu devrais t'asseoir un peu.
- Plus tard. Il y a encore plein de gens à soigner.
- Les plus grièvement blessés ont déjà était pris en charge, insista Jenny. Repose-toi deux minutes.
Margaret capitula finalement avec un sourire reconnaissant et elles s'assirent dans un coin calme.
- Tu sais quelle heure il est ? Interrogea Maggy en fermant un instant les yeux.
- Trois heures passées je crois. Ça a été une longue nuit.
- Tu as vu les autres membres de l'Ordre ?
- J'ai croisé Fabian et Emmeline, et j'ai aussi vu Gideon. Je sais que Peter va bien. Quant à Remus je crois l'avoir vu en train de dormir dans un coin. Pour les autres, je ne sais pas.
- Alice est au troisième niveau mais j'ai soigné Frank, tout à l'heure. Il a seulement un bras cassé, rien de grave. Ethel s'occupe des blessés par là-bas. Je crois qu'elle a eu le nez cassé, mais c'est tout. Il y avait aussi des gens qui n'étaient ni des Aurors ni des membres de la Brigade... Sans doute des membres de l'Ordre sous couverture.
Jenny hocha la tête. Elle avait cru entendre quelqu'un appeler Dorcas Meadowes, une femme qu'elle n'avait jamais vue au QG mais qui était un membre actif de l'Ordre.
- Tu es au courant pour Terry ?
Margaret hocha la tête, le regard dans le vide.
- Oui. J'étais là quand Maugrey l'a dit à Frank. Il est dévasté.
- L'année est difficile pour lui.
Jenny se mordit la lèvre avant de poser la question qui la taraudait depuis plusieurs minutes :
- Tu n'as eu aucune nouvelle de Lily ou des autres ?
- On ne t'a pas dit ? Marlène a reçu un patronus de Benjy, l'un d'eux est grièvement blessé mais on ne sait pas qui c'est.
- Personne ne l'a accompagné ?
- Elle a refusé, soupira Margaret. Je lui ai proposé mais elle m'a dit qu'elle ne voulait pas avoir du monde dans les pattes, et puis elle est partie.
Jenny prit une profonde inspiration et ferma les yeux, complètement vidée.
- Si seulement l'un d'eux pouvait nous donner des nouvelles, murmura-t-elle. Juste nous dire...
Loin de là, sur une minuscule plage, personne ne songeait à envoyer de message parce que, allongé sur le sable mouillé, James Potter se battait pour sa vie.
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