Partie III - Chapitre 21

Chapitre 21

Remus remua légèrement contre le mur mais il n'osait pas changer de position, même si tous les membres du Magenmagot avaient les yeux fixés sur l'homme assis au centre de la pièce. Ses cheveux noirs, un peu trop longs, retombaient devant ses yeux écarquillés. Il était lié au siège par des chaînes magiques, qui le faisaient sans doute souffrir.

Une goutte de sueur coula le long de la tempe de Remus mais il ne bougea pas. Maugrey l'avait envoyé là pour remplacer un Auror qui était tombé brusquement malade. S'il avait su que ce serait comme ça, il aurait donné sa place à quelqu'un d'autre. C'était le troisième détenu de la journée et Remus se sentait de plus en plus mal à l'aise. Ce malaise n'était sans doute pas étranger à la présence des deux Détraqueurs qui encadraient la porte. Lui-même se tenait au fond de la pièce, plusieurs pas derrière le siège de l'accusé.

Cela faisait dix minutes que Barty Croupton interrogeait le Mangemort présumé. Entre les chaînes, on distinguait clairement la Marque des Ténèbres tatouée sur son bras. Pourtant, l'homme continuait à plaider non-coupable. Il pleurait à présent – Remus en avait la nausée. Il sanglotait, répétait qu'on l'avait soumis au sortilège de l'Imperium. Croupton se taisait depuis quelques minutes déjà, mais pour l'avoir vu à l'œuvre toute la matinée, Remus savait que c'était mauvais signe. Il ne tarda d'ailleurs pas à ouvrir la bouche :

- C'est faux, et vous le savez.

Sa voix était calme, basse. Sans ses sens aiguisés de lycanthrope, Remus ne l'aurait pas entendu. L'accusé continuait d'ailleurs à jurer qu'il n'y était pour rien.

- La Marque est le symbole des véritables partisans, reprit Croupton d'une voix plus forte, dégoulinante de mépris. Il ne l'appose pas sur ses esclaves.

- Je ne voulais pas, hoqueta le détenu. Je ne voulais pas ! Il m'a forcé ! Il connaît... il connaît des maléfices, des...

- Vous avez embrassé sa cause, Patmore ! Vous étiez là lorsque la famille Cartwright a été assassinée ! Vous y avez participé !

- Non ! Hurla Patmore. Je ne voulais pas ! Je ne voulais pas ! Il aurait tué mes enfants si je ne l'avais pas fait !

Les larmes l'étouffèrent. C'était un homme brisé. Remus sentait sa détresse, bien plus forte que chez les deux autres accusés qu'il avait vus. Alors qu'il était convaincu de sa culpabilité lorsqu'il était entré, il commençait à présent à douter.

- Mais vous l'avez fait, reprit Croupton d'une voix forte pour couvrir ses sanglots. Vous avez abattu toutes les défenses mises en place autour de la maison des Cartwright, y compris l'Auror Tim Latimer. Vous connaissiez tous les dispositifs grâce à votre place au Ministère ; il s'agissait d'information secrètes, Patmore. Vous avez trahi le Ministère et la Grande-Bretagne et vous êtes devenu un assassin !

- Ce n'était pas moi ! Je n'ai pas tué Latimer ! C'était... C'était...

Sa bouche continua à articuler des mots sans qu'aucun son n'en sorte. Remus fronça les sourcils alors que des murmures surpris se faisaient entendre. Ils devinrent rumeur lorsque le visage de Patmore vira subitement au violet. Il se convulsa sur sa chaise dans un râle, cherchant l'air. Horrifié, Remus se précipita vers sa chaise. Quelqu'un lui cria d'arrêter mais il n'en tint pas compte. Patmore suffoquait, l'écume aux lèvres. Les yeux révulsés, le teint violacé, il était au bord de l'asphyxie. Pendant quelques secondes, Remus tira sur les chaînes, leur jeta des sorts, hurla des imprécations, mais rien n'y fit : Patmore mourut sous ses yeux dans un gargouillis écœurant.

Un silence de plomb tomba sur le Magenmagot. Remus s'écarta, blême. Il fut soudain frigorifié et il se rendit compte que les Détraqueurs étaient juste à côté de lui. Il sortit sa baguette, prêt à invoquer son patronus, mais se ravisa au dernier moment. Il fit encore un pas en arrière, trébucha et rentra dans quelqu'un.

- Tout va bien, mon garçon, souffla l'homme qui l'avait rattrapé, de taille moyenne, aux cheveux ternes et aux yeux marrons. Attends-moi dans le couloir, la séance va être suspendue.

Remus hocha la tête. Il allait s'éloigner lorsque son interlocuteur lui serra soudain la main et déclara :

- Je suis Edgar Bones.

Sans rien ajouter de plus, il lâcha Remus mais laissa dans sa main un morceau de tissu que le jeune homme s'empressa de dérober à la vue des autres. Il gagna le couloir sans qu'on le retienne et se laissa aller contre le mur de pierre. Après avoir vérifié que personne ne traînait dans les parages, il ouvrit la main et contempla le phénix brodé sur un tissu blanc qu'Edgar Bones lui avait donné. Il poussa un soupir soulagé.

Cinq minutes plus tard, la majeure partie du Magenmagot quitta la salle dans un murmure effaré. Personne ne prêta attention à Remus, toujours adossé au mur. Par la porte restée ouverte, il aperçut Croupton et un autre homme en train d'observer à distance le corps de Patmore. Les deux Détraqueurs traînaient dans le fond de la salle. Bones était occupé à rassembler un tas de papiers qu'il avait apparemment fait tomber par terre.

Peu après, un Sorcier débarqua dans le couloir. Avant qu'il ne s'engouffre dans la salle, Remus eut le temps de distinguer l'insigne de la Brigade magique sur sa poitrine. Bones sortit juste après et entraîna le jeune homme dans son sillage sans lui laisser l'occasion d'observer la suite des événements.

Ils empruntèrent un autre couloir, toujours en silence, puis Bones poussa une porte et invita Remus à entrer. C'était un bureau peu spacieux mais confortable. Un sous-main frappé du symbole du Magenmagot ornait le bureau, par ailleurs vide. Bones se laissa tomber sur son fauteuil, derrière le bureau, ce que Remus prit comme une invitation à s'asseoir sur la chaise qui lui faisait face.

- Pas trop secoué ? Interrogea Bones en guise d'entrée en matière.

Remus haussa les épaules en réprimant un frisson.

- J'ai vu plus sanglant mais c'est la première fois qu'un homme s'étouffe sous mes yeux.

- C'était un très beau geste, d'essayer de l'aider, commenta Bones en le scrutant.

Le jeune homme se força à ne pas se trémousser sur sa chaise. Le regard de son vis-à-vis le mettait mal à l'aise.

- Tu as conscience qu'on l'a assassiné pour l'empêcher de parler, n'est-ce pas ?

Il hocha la tête, hésita, puis avoua finalement :

- Je doutais de sa culpabilité. Si on l'a fait taire, c'est sans doute qu'il avait des choses à avouer pour sa défense.

Bones hocha la tête.

- En effet. La question est de savoir si on lui a fait avaler une potion destinée à le tuer si jamais il prononçait certains mots, ou si quelqu'un lui a jeté un sortilège dans la salle.

- On l'aurait vu, non ?

- Certains sorts sont parfaitement invisibles, en particulier lorsqu'on agit sur le métabolisme. J'ai un ami, à la Brigade magique. Je vais essayer d'obtenir les résultats de l'autopsie. En attendant, raconte ça à Maugrey. Il trouvera ça intéressant.

Remus brûlait d'envie de lui demander si c'était vrai que Maugrey ne faisait pas confiance au Magenmagot, mais il craignait que les murs du Niveau 2 n'aient des oreilles. Bones en avait sans doute déjà trop dit. D'ailleurs, il jetait des regards inquiets vers la porte.

- Les séances ne reprendront pas aujourd'hui, lança-t-il. Rentre chez toi.

- Je peux juste vous poser une question ?

Bones s'était déjà à moitié levé mais il se laissa retomber sur son fauteuil avec un soupir.

- Vas-y.

- Quand est-ce que les gens qui ont été jugés aujourd'hui ont été capturés ?

Son interlocuteur lui adressa un regard grave avant de répondre :

- Il y a plus d'un an.

Même si Remus si attendait, il se figea.

- Mais...

- A cause des accusations d'imperium, il est très dur de réussir à inculper quelqu'un. Repousser le jugement est la manière la plus sûre de s'assurer qu'ils ne gambaderont pas en liberté à nouveau.

- Où est-ce qu'ils vont, en attendant ?

- Ils restent un temps dans les prisons du Ministère puis ils sont transférés à Azkaban.

- Et s'il y a des innocents dans le lot ?

Le ton de Remus était trop sec mais il s'en fichait. S'il y avait bien une chose qu'il ne pouvait pas supporter, c'était l'injustice.

- Ceux pour lesquels on a vraiment très peu de preuves ne vont jamais à Azkaban, assura Bones. Nous faisons ce que nous pouvons.

Remus pencha la tête sur le côté, les yeux plissés.

- Quel est votre rôle, exactement ?

- Tu avais dit une question, releva-t-il, l'air amusé. Mon rôle, eh bien... Les Moldus m'appelleraient une taupe, je pense.

Cette réponse plongea Remus dans la perplexité la plus profonde, mais avant qu'il n'ait eu le temps d'approfondir la question, Bones se leva pour de bon et lui ouvrit la porte.

- Je ne te ferai pas l'affront de douter de tes capacités à retrouver le chemin, lança-t-il. Bon vent ! A une prochaine fois peut-être.

***

- Bon, Hansen tu prends ce secteur-là, Prewett celui-ci et...

- Arrête de m'appeler comme ça, on dirait que tu te parles à toi-même !

Gideon se redressa et tenta de toiser son frère – malheureusement, ils faisaient la même taille.

- Je ne peux pas t'appeler Fabian sinon les autres vont être vexés que je ne les appelle pas par leur prénom !

- Voilà une délicate attention de ta part, commenta James avec un sourire goguenard.

- Ferme-la, Potter. James. Machin ! Vous êtes insupportables ! On a une maison à retrouver, bon sang !

- Une maison ?

Tous se tournèrent vers Remus, qui venait d'entrer dans la cuisine du QG. Il avait l'air éprouvé. Peter et James échangèrent un regard soucieux.

- J'étais censé monter la garde chez Apollon Picott sauf qu'on n'arrive pas à mettre la main sur sa maison !

- Apollon Picott ? Releva Remus en se laissant tomber sur une chaise. Et comment ça « sa maison a disparu » ?

- C'était le concierge, avant Rusard, expliqua Peter après jeté un coup d'œil à Gideon, à nouveau penché sur sa carte. Il a entendu des bruits suspects autour de chez lui, du coup il a demandé quelqu'un à Dumbledore.

- Sauf que sa maison a disparu ! Beugla à nouveau Gideon.

Tous les Sorciers présents sursautèrent, sauf Fabian qui avait l'air aussi paniqué que son frère. James finit par demander :

- Vous le connaissez bien ?

- Gideon et moi avons passé tellement de temps en colle avec lui qu'on a fini par devenir amis, expliqua Fabian d'un ton nerveux. Ce serait bien qu'il n'ait pas disparu dans le néant.

- Assez bavardé ! Trancha Gideon.

Il donna un coup de baguette sur la carte qui se dupliqua en quatre exemplaires. Il prit la carte d'origine avant de tendre les autres à son frère, Ethel, James et Peter.

- Fabian, secteur 1, Hansen, le 2, Pettigrow, le 3, Potter, le 4, je prends le dernier.

Ils se levèrent mais Remus intervint une nouvelle fois :

- Comment pouvez-vous être sûrs que la maison est toujours dans le coin ?

- On ne peut pas déplacer un objet de cette masse sur grande distance, expliqua Gideon. Je suis allée voir Marlène qui a calculé le rayon d'action du sortilège pour un tel cas. On va chercher dans cette zone.

Les autres Sorciers quittèrent la cuisine mais James resta en retrait et posa sa main sur l'épaule de Remus, soucieux.

- Ça va ?

- Ouais. Je te raconterai plus tard.

- Lunard...

- Vas-y Cornedrue ! Je vais bien. Va retrouver la maison de Picott.

Après un dernier regard inquiet et une tape sur l'épaule de son ami, James sortit du manoir, sa carte à la main. Dix minutes plus tard, ils se trouvaient tous les cinq dans le Norfolk, à quelques kilomètres de la mer. Ils se séparèrent sans un mot et les habitants du village eurent droit au spectacle le plus étrange de leur vie : cinq personnes qui se déplaçaient méthodiquement dans la campagne, un bâton à la main et en marmonnant tout seul.

Ce fut finalement Peter qui mit la main sur la maison – ou plutôt qui se la prit de plein fouet. Il finit à moitié assommé, les fesses dans la tourbe mouillée. Bien qu'étourdi, il se redressa et tendit les bras devant lui. Ses mains rencontrèrent bien vite la surface dure d'un mur. Deux minutes plus tard, les quatre autres sorciers l'entouraient.

- Comment on fait réapparaître cette maison ? Interrogea Ethel, plus prolixe que jamais.

- Étant donné qu'on ne sait pas quel sort a été utilisé exactement, difficile de trouver le contre-sort, commenta Peter en se massant le front.

- On a la liste des sorts pour faire disparaître une maison, répliqua Gideon en sortant un papier de la poche de sa robe de sorcier. Malheureusement McKinnon n'a pas eu le temps de nous trouver les contre-sorts, un de ses gamins venait de renverser du jus d'orange partout. Hansen, je suis sûr que t'es un rat de bibliothèque ! T'as pas quelque chose à nous proposer ?

James pensait qu'Ethel allait le rembarrer en rougissant, mais elle se contenta de désigner James du pouce.

- C'est à Lily qu'il faut demander. Elle a toujours majoré en Sortilèges, non ?

Ravi, James ne laissa à personne l'occasion de caser un mot et s'exclama :

- Bonne idée ! Je vais la chercher, attendez-moi là !

Il transplana dans un craquement, passa au QG voir où se trouvait Lily et repartit aussitôt vers Cardiff. Il trouva la jeune fille occupée à discuter avec un clochard à qui elle avait apparemment donné son goûter. Il s'avança vers le banc sur lequel ils étaient assis et passa son bras devant le visage de Lily pour serrer la main de l'homme, un type entre deux âges dépenaillé. Tous les deux sursautèrent mais avant que Lily ne puisse s'étonner à voix haute, James lança :

- Salut, je m'appelle James ! Je suis le copain de Lily.

L'homme accepta la main tendue et se contenta d'un sobre « Caleb ».

- Qu'est-ce que tu fiches ici ? Interrogea finalement Lily alors qu'il lui attrapait par les mains pour la relever.

- Merci pour l'accueil, râla-t-il en secouant ses mains dans tous les sens alors que Caleb achevait de dévorer son pain au chocolat.

Pour faire taire ses jérémiades, Lily plaqua un baiser sur ses lèvres.

- Maintenant, dis-moi ce que tu fais là, exigea-t-elle sans tenir compte de son sourire idiot.

- On a besoin de toi. De ton génial cerveau.

- Et tu n'as pas dit que c'était toi le meilleur ?

Il lui adressa un regard faussement excédé et elle réprima un sourire.

- Je veux bien vous aider mais on a besoin de moi ici !

James haussa un sourcil perplexe.

- Oui, bon, ça n'a pas l'air très agité comme ça, mais... Arrête de me regarder comme ça !

- Lily, on a vraiment besoin de toi !

Il la supplia encore deux minutes avant qu'elle n'accepte de quitter son poste. Ils saluèrent joyeusement Caleb – en particulier James, qui mettait un point d'honneur depuis quelques jours à être heureux en toutes circonstances – et trouvèrent un endroit discret pour gagner le Norfolk. Mais alors que Lily allait faire un pas en avant pour pivoter sur elle-même, James l'attrapa par le poignet. Surprise, elle leva les yeux vers lui. Elle voulut demander ce qui lui arrivait mais il la prit de court en l'embrassant. Il la plaqua contre le mur décrépi de la ruelle déserte et elle s'agrippa à son pull. James s'écarta légèrement quelques instants plus tard pour murmurer, ses lèvres posées contre sa mâchoire :

- J'ai l'impression qu'on n'arrive plus jamais à être seuls...

- Alors tu t'es dit qu'une ruelle puante était une bonne solution ? Balbutia Lily, ses mains à présent posées à plat sur le torse de James.

- Hmmm...

Il frotta son nez contre son cou, gêné par son écharpe, puis s'éloigna, les yeux brillants.

- Ils nous attendent.

- Me dis pas ça comme si c'était moi qui les faisais attendre, protesta Lily, les joues encore rouges.

Il lui adressa un sourire amusé avant de lui tendre la main pour l'emmener dans le Norfolk.

- Vous en avez mis du temps ! Brailla Gideon en les voyant arriver.

Derrière lui, Fabian chuchota quelque chose à Peter qui gloussa derrière sa main. Lily grommela tandis qu'il réprimait un sourire.

- Forcément, il fallait que tous les Maraudeurs soient au courant ? Marmonna-t-elle.

- Fabian est un Maraudeur ?

Elle lui donna un coup de coude et il poussa un petit cri aigu en réponse. Tout le monde le fixa, stupéfait, alors que Lily se dirigeait vers Gideon avec un sourire satisfait. Elle lui arracha presque sa liste de sortilèges des mains pour se plonger dedans avec cet air de mégère que James lui connaissait bien : quiconque la dérangerait dans son travail mourrait aussitôt dans d'atroces souffrances.

- Potter... Pourquoi tu te marres tout seul ?

James sortit de ses pensées pour considérer Fabian qui le regardait comme s'il avait perdu la boule – Ethel semblait du même avis. Quant à Peter, il s'amusait bien.

- Je me disais que Lily était très douée pour atomiser les gens.

Les sourcils roux de Fabian se hissèrent jusqu'à une hauteur incroyable et James pouffa.

- T'es soûl, c'est ça ?

- Eh ! Protesta James, offusqué. Pourquoi est-ce que tout le monde me dit ça ? J'ai pas le droit d'être content ?

- Pas quand tu glousses comme un dément, non, rétorqua Fabian avec une moue dégoûtée.

James capta un sourire amusé d'Ethel et décida qu'il pouvait bien continuer à faire le bouffon si ça la faisait sourire.

- Une dinde démente, donc ? Si je glousse ?

- Je crois que le pire, c'est que ça n'a pas l'air de te déranger.

James prit un air entendu et se pencha vers le géant roux.

- Tu sais Fabian... j'adore les dindes.

Ethel explosa de rire, entraînant tous les autres avec elle par simple mimétisme. James avait beau rire, il ne perdait pas de vue le visage d'Ethel : les joues rouges, les cheveux en bataille, elle avait enfin perdu son aspect de poupée de cire. Sirius allait l'assassiner quand il apprendrait qu'il avait raté ça.

Un cri de triomphe les ramena tous à la réalité – et si ça n'avait pas réussi, la maison qui apparaissait peu à peu devant eux aurait sans doute suffit. Peter recula précipitamment pour éviter d'avoir les orteils coincés sous le pavillon en pierre qui semblait surgir de la baguette de Lily. Concentrée, ses cheveux roux coincés derrière ses oreilles, elle murmurait des mots inaudibles pour James. Gideon, planté à côté d'elle, arborait un air impressionné.

Enfin la maison fut entière. Lily chancela et serait sans doute tombée si Gideon n'avait pas été là. Il la rattrapa alors que James se précipitait vers elle. Pendant ce temps-là, Fabian se rua à l'intérieur. Lily assura qu'elle allait bien au moment où un cri leur parvint :

- Apollon est là ! Il va bien !

Gideon le rejoignit au pas de course, tellement pressé qu'il fit presque tomber Peter en lui rentrant dedans.

- James, arrête de me frapper, je ne suis pas dans les vapes !

- Je ne te frappe, je te tapote les joues.

- C'est exactement la même chose ! Lâche-moi, espèce de gros bouffon !

Il s'exécuta, non sans lui avoir volé un baiser. Elle le fusilla du regard tout en attachant ses cheveux en queue de cheval.

- Tu es insupportable.

- C'était très impressionnant, ce sort, répondit-il avec un sourire tranquille.

- Oh non ! Ne joue pas à ce petit jeu avec moi ! Ce n'est pas parce que tu me fais des compliments que je vais arrêter de te traiter de bouffon.

- Ma vie serait bien moins chouette si tu ne m'insultais pas, Lily d'amour.

- Oh, beurk ! Ne redis jamais ça.

- Eh ! Vous avez fini de roucouler, dehors ? Il se passe des trucs intéressants ici !

C'était Peter qui les hélait, penché par une fenêtre. Lily fila un petit coup de pied à James pour la forme avant d'entrer à son tour dans la maison, suivie par le jeune homme qui riait comme un tordu. Il cessa dès qu'il posa un pied à l'intérieur, peu désireux de manquer de respect à Apollon, qui portait très mal son nom.

C'était l'homme le plus laid que James ait jamais pu voir. Il ressemblait à un gobelin croisé avec un troll à cause de sa petite taille, de ses membres noueux et courtauds et de son crâne presque chauve. Il inspirait malgré tout le respect. Ses yeux bleus brillaient présentement de soulagement mais James y lisait aussi une gentillesse sans nom.

Les frères Prewett l'avaient installé dans un fauteuil qui avait sans doute été beau un jour et Ethel l'examinait pour vérifier qu'il n'avait rien de grave. Il semblait seulement sonné, après avoir passé presque dix heures pétrifié dans son salon. Il était en train de raconter son histoire d'une belle voix de ténor qui contrastait avec son physique. James n'écoutait que d'une oreille, occupé à observer le salon. Il n'y avait pas de trace de lutte, à part une lampe renversée. Ils avaient dû le prendre par surprise, le pétrifier puis faire disparaître la maison en la déplaçant. Mais pourquoi Picott ? Pourquoi l'avoir seulement pétrifié ? Pourquoi avoir mis la maison quinze mètres plus loin pour la laisser sans aucun piège autour ?

- Une diversion. Ou un essai, au choix.

James cessa de fixer la lampe brisée au sol pour tourner ses yeux vers Lily. Il hocha brièvement la tête tout en se demandant à quel moment elle avait commencé à lire en lui de la sorte.

- Tu avais ta tête de « je me pose des questions », expliqua-t-elle à voix basse face à son silence.

- Hmm. C'est presque terrifiant.

- Mais non. Alors, diversion ou essai ?

- Essai, répondit-il aussitôt sur le même ton que Lily. Et humiliation pour le plaisir d'humilier.

Ils reportèrent leur attention sur Picott, qui souriait à présent aux discours idiots des frères Prewett. Ethel avait sorti des fioles de la sacoche usée qui ne la quittait jamais et préparait une potion – une solution de force, sans doute. Quant à Peter, il avait disparu dans la pièce attenante, la cuisine à en juger par les sifflements de la bouilloire qui leur parvenaient.

- Des tas d'élèves devaient se payer sa tête, reprit-il d'une voix dégoulinante de mépris. Les Mangemorts ne sont souvent pas très malins.

- Et qu'est-ce qu'ils voudraient faire disparaître, ensuite ?

James secoua la tête, aussi perplexe qu'elle. Peter revint avec une théière, des tasses flottant derrière lui. Apollon lui adressa un sourire chaleureux et les frères Prewett eurent l'air soulagé. Ethel tendit un verre remplit d'une substance bleue et força Apollon à en boire le contenu avec un aplomb étonnant, avant que Peter ne lui tende une tasse de thé.

Il sentit la main de Lily glisser dans la sienne. Elle s'appuya contre son épaule, le visage pâle.

- Ça pourrait être normal, murmura-t-elle. On pourrait être en train de rendre visite à un ami.

- Ouais. On pourrait.

***

Le manoir était silencieux. Le groupe qui avait retrouvé la maison d'Apollon Picott avait dîné avec lui avant de rentrer, laissant Fabian chez lui pour s'assurer que personne ne s'en prendrait encore à lui. D'après ce qu'on avait raconté à Sirius, sa maison était toujours plantée au milieu de nulle part puisque même Marlène n'avait pas pu trouver l'antisort.

Sirius se trouvait dans la cuisine, les pieds posés sur la table. La seule fois où il s'était risqué à faire ça devant tout le monde, Margaret avait ensorcelé ses jambes pour qu'elles dansent la gigue. Il sirotait son verre de whisky, les yeux dans le vague. Lily lui aurait sans doute dit qu'il allait devenir alcoolique, mais c'était toujours mieux que le café – du moins à une heure pareille.

Un bruit de pas, presque inaudible, lui parvint. La troisième marche de l'escalier grinça et il se redressa en posant silencieusement son verre sur la table. Une silhouette élancée, aux longs cheveux détachés, se tenait dans l'encadrement de la porte. Ils se dévisagèrent quelques instants. La nouvelle venue fit soudain volte-face pour remonter mais Sirius ôta ses pieds de la table pour se lever et appela :

- Reste !

Ethel s'immobilisa, le dos tourné, puis se tourna doucement vers lui. Le silence régna à nouveau, mais elle le brisa finalement d'un « d'accord » qui arracha un sourire à Sirius.

- Tu veux boire quelque chose ?

- Un verre d'eau. S'il te plaît.

Il s'empressa de lui apporter ce qu'elle demandait et s'assit près d'elle. Un peu plus et leurs genoux se touchaient.

- Insomnie ? Interrogea-t-elle.

- Toujours.

- Je pourrais te donner une potion, tu sais.

- Lily a déjà essayé. En général, ça me donne juste la migraine.

Elle pencha légèrement la tête sur le côté mais Sirius ne pouvait déchiffrer son expression à la faible lueur de l'unique lampe à huile qu'il avait allumé. Il renonça pourtant à en allumer une seconde, persuadé qu'Ethel se refermerait s'il pouvait lire ses émotions sur son visage.

- Ce n'est pas normal.

- Je suis bizarre, rétorqua-t-il avec un sourire tordu.

Elle sourit à son tour et se pencha légèrement vers lui.

- Pas plus que moi.

- Quelle est ton excuse ?

C'était osé, il le savait. Elle était bien capable de s'enfuir sans rien ajouter. Mais au lieu de ça, elle répondit :

- Problèmes familiaux.

Surpris, il leva son verre comme s'il lui dédiait un toast.

- Bienvenue au club des paumés.

- Tu n'es pas un paumé, protesta-t-elle. Tu as les Maraudeurs.

- Tu as Alice.

Elle secoua la tête.

- Alice est mon amie, bien sûr, mais elle ne me comprend pas. Je ne vois pas comment elle pourrait.

Les doigts de Sirius se crispèrent sur son verre. Après ce qu'elle venait de lui avouer, cette phrase sonnait clairement comme une invitation. Ce n'était pas du flirt, mais une version plus sérieuse. Sirius n'était pas sûr de s'en tirer sans problème.

- Parce qu'elle a une famille aimante et un fiancé qui l'entourent ?

- Ouais. Parce qu'elle est... heureuse.

Sirius connaissait ça, bien sûr. Le premier sentiment qu'il avait ressenti envers James avait été la jalousie. Il se souvenait parfaitement de l'avoir vu sur le quai, tentant d'échapper à l'étreinte de sa mère pendant que son père lui souriait avec amusement et tendresse. Ensuite, il avait découvert que James était incroyablement sympathique alors même qu'il lui répondait assez sèchement. Puis ils avaient découvert qu'ils aimaient se moquer des mêmes personnes, et ça avait suffi. Pas très honorable, en y repensant, mais Sirius se consolait en songeant qu'ils savaient tous deux reconnaître les gens bien, même s'ils ne payaient pas de mine – comme Remus et Peter, par exemple.

- Tu ressasses trop tout ça.

- Comment tu peux dire ça ? Tu ne sais même pas de quoi il s'agit.

- Certes, mais je vois ce que tu fais. Tu t'isoles en espérant qu'en restant seule, ça t'évitera de souffrir.

Même s'il ne la voyait pas clairement, il perçut la tension dans tout son corps. Comme elle ne répondait pas, il enchaîna :

- J'y ai pensé, parfois. Quand mon frère m'a lâchement abandonné, par exemple. Et puis je suis retourné à Poudlard où James a balancé une idiotie dix fois plus grosse que lui et je n'ai pas pu m'isoler. Peut-être que ça va me faire souffrir un jour, s'il leur arrive quelque chose – aux Maraudeurs, je veux dire – mais je n'échangerais toutes ces années passées ensemble contre rien au monde.

- Je veux bien te croire, mais je n'y arrive pas. Je n'arrive pas à faire confiance aux autres.

- Tu me fais confiance, non ? Releva-t-il. Puisque tu me parles de tout ça.

Elle fit un geste et Sirius serra les dents, persuadé qu'elle allait se lever. Mais elle saisit seulement sa baguette, qu'elle avait posé sur la table en arrivant, et l'agita. Une deuxième lampe s'alluma et Sirius put enfin distinguer son visage. Elle cala une mèche blonde derrière son oreille sans que ses yeux ne quittent ceux de Sirius. Elle avait les joues rouges, mais pas comme quand elle rougissait. C'était plutôt une couleur naturelle, une couleur de vie, qui contrastait avec son habituel teint trop pâle. Sirius ne put s'empêcher de sourire.

- Quoi ? Questionna-t-elle en l'imitant.

Elle n'avait jamais eu l'air si normale, en pyjama et avec ce petit sourire à la fois espiègle et gêné.

- Tu me fais confiance, affirma-t-il. Je crois que c'est la meilleure nouvelle de la journée.

Elle se mordit l'intérieur de la joue et détourna le regard en portant son verre d'eau à ses lèvres. Quand elle le reposa, elle souriait toujours.

- Ça tient un peu du miracle, vu la façon dont tu m'as traitée à Pré-au-Lard.

Sirius ne se démonta pas et se pencha un peu plus vers elle.

- Ouais. Désolé. Mais...

- Tu n'as pas l'air désolé du tout.

- Non, parce que je suis bien trop content qu'on soit réconcilié. Bon sang, t'es pire que Lily, ça fait deux mois que tu m'adresses à peine la parole !

Sa main était posée juste à côté de la sienne. Sirius jeta un regard à leurs doigts tous proches, ce qu'Ethel ne manqua pas de remarquer. Cette fois, elle rougit mais ne bougea pas alors qu'elle répondait :

- Je ne savais pas si tu avais vraiment envie qu'on se parle. Et puis tu... Je ne fais pas ça, d'habitude. Je ne me lie pas avec les gens.

- Pourquoi moi ?

- Tu es tenace.

Il s'esclaffa et effleura ses doigts tout en se redressant pour s'enfoncer dans sa chaise. Elle frémit mais ne dit rien.

- Alice a été tenace aussi ?

- Ouais.

- Sauf que moi je te comprends.

Il se montrait présomptueux mais s'en fichait éperdument.

- Quand tu n'es pas odieux, oui.

- Je ne le serai plus, promit-il avec un sourire. Mais seulement si tu me jures que tu ne m'ignoreras pas demain.

Elle détourna le regard, gênée.

- Sirius...

Cette fois, il saisit sa main et la serra dans la sienne tout en se penchant à nouveau vers elle.

- Ethel, ne fais pas ça. Ne te ferme pas comme ça, je t'en prie. Tu as l'air... tu as l'air tellement plus heureuse en ce moment.

Ses yeux bleus rencontrèrent à nouveau les siens et Sirius repensa à une chose que Remus lui avait dite, des mois plus tôt : Ethel et lui avaient les mêmes yeux, ces prunelles qui oscillaient de la couleur de la glace à celle de l'océan.

- De toute façon si tu m'éjectes de ta vie je serai à nouveau imbuvable, prévint-il avec un sourire plein d'humour, qu'Ethel lui rendit sans hésiter.

- Très bien, céda-t-elle. Mais je ...

- Quoi ?

- Ça me fait peur, confia-t-elle à toute allure comme si elle espérait qu'il ne comprendrait pas ses paroles.

- Il n'y a pas de raison, assura-t-il en exerçant une nouvelle pression sur sa main.

Elle hocha la tête, jeta un coup d'œil à leurs mains liées puis se leva. Leurs mains se balancèrent un instant dans l'espace qui les séparait.

- Bonne nuit, Sirius. J'espère que tu trouveras le sommeil.

- Toi aussi.

- Et... merci.

- Tout le plaisir est pour moi, assura-t-il.

Ethel rougit violemment et s'empressa d'ôter sa main de la sienne. Sirius riait encore quand elle s'engagea dans les escaliers. Il n'avait pas manqué le sourire qui étirait ses lèvres.

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