Partie III - Chapitre 19
Chapitre 19
Lily déboula dans la chambre, ouvrit l'armoire à la volée et entreprit de fouiller dedans frénétiquement. Assis sur son lit, son t-shirt à la main, James lança :
- Je sais que la limite entre tes biens et les miens est assez floue mais je suis désolé de t'annoncer qu'il s'agit de ma chambre, et donc de mon armoire. Avec mes vêtements dedans.
- Je n'ai plus de chaussettes !
- Et donc tu voles les miennes ?
Elle ressortit la tête du meuble avec un cri de triomphe, une paire d'épaisses chaussettes noires à la main.
- Merci James !
- Ravi de m'être fait voler, commenta-t-il alors qu'elle quittait la pièce aussi brusquement qu'elle était arrivée.
Il devait avouer qu'il était assez déçu qu'elle n'ait même pas rougi. Il avait à peine fini de se faire cette réflexion qu'elle passa la tête par l'entrebâillement de la porte, le considéra un instant avec un petit sourire, puis disparut à nouveau. Ravi, James enfila son t-shirt, attrapa un pull qui traînait par terre et gagna le couloir dans le faible espoir d'intercepter la tornade Lily. Elle passa devant lui, du dentifrice plein la bouche, aussi décida-t-il d'attendre son prochain passage. Lorsqu'elle revint enfin, elle fonça tout droit sur lui, trop occupée à s'attacher les cheveux pour regarder où elle allait
- Mais qu'est-ce que tu fais sur mon chemin, sombre imbécile ? S'insurgea-t-elle alors qu'il enroulait un bras autour de sa taille pour l'empêcher de partir.
- Je te kidnappe, annonça-t-il joyeusement.
Sirius choisit ce moment pour passer dans le couloir et il les gratifia d'un regard peu amène :
- Si vous pouviez nous épargner ce spectacle dégoûtant dès le matin ce serait sympa.
Par pur esprit de contradiction, Lily lâcha son élastique à cheveux pour attraper le visage de James entre ses mains et l'embrasser passionnément. Il se garda bien de protester et en profita même pour l'attirer à l'intérieur de sa chambre. Mais avant qu'il n'ait pu pousser le vice plus loin, elle le repoussa, le visage rouge et les cheveux en bataille. James se racla la gorge avant d'avancer :
- C'était juste pour l'embêter, hein ?
- Désolée. C'est plus fort que moi. Mais c'était aussi pour ton joli minois.
- J'ai un joli minois ?
- Affreux. Alors, pourquoi tu m'as kidnappée ?
- Déjà, j'aimerais dire que c'est toi qui m'as poussé dans cette chambre en m'embrassant sauvagement...
- Ce n'est qu'à moitié vrai mais continue.
- Ensuite, je voulais te dire quelque chose qui n'a rien de marrant alors assieds-toi, arrête de me reluquer...
- Je ne te reluque pas !
- ... et ferme-la.
Elle le fusilla du regard en se laissant tomber sur le lit puis attendit qu'il s'exprime.
- Bon, j'imagine que tu pars en mission ? Commença-t-il en appuyant sa main à l'un des piliers du lit, le bras tendu.
- Bravo, Sherlock. J'attends juste que quelqu'un soit prêt à partir avec moi.
James n'eut pas besoin de lui demander pourquoi elle ne lui avait pas demandé de l'accompagner. La dernière fois qu'ils avaient effectué une mission ensemble, elle s'était terminée de façon dramatique. Se passer de lui était une manière comme une autre de prendre un nouveau départ dans cette guerre.
Comme il la fixait sans répondre, Lily agita sa main devant ses yeux. Il cilla puis lâcha le lit pour enfoncer ses mains dans ses poches.
- Écoute Lily... Je voulais te parler de Severus Rogue.
Elle se figea aussitôt et James vit ses yeux papillonner vers la porte.
- J'ai vu ce qu'il s'est passé à Trafalgar Square.
Un violent frisson l'agita mais elle n'ouvrit pas la bouche. En revanche, son visage perdit un peu de ses couleurs.
- Tu ne peux pas continuer à le protéger, Lily.
- Il m'a sauvé la vie, répondit-elle finalement d'un ton neutre, son regard farouche planté dans le sien. Il a arrêté le Mangemort qui allait me tuer.
James en était parfaitement conscient. Il avait suivi toute la scène, et il détestait Rogue parce que c'était lui qui aurait dû sauver Lily. Pas ce sale petit rat de Servilus.
- Je sais. Mais tu aurais dû essayer de l'arrêter ensuite. Tu l'as laissé filer.
Il maîtrisait sa voix mais il sentait la rancune bouillonner en lui.
- Il y a un an, poursuivit-il, tu m'as dit que tu allais arrêter de le protéger. Quand on a quitté Poudlard, tu es allée le voir pour lui dire adieu, bon sang !
- Il m'a sauvé la vie, James !
Le jeune homme prit une profonde inspiration pour se calmer puis reprit d'un ton neutre :
- Tu te rappelles, en novembre, quand je suis parti avec Frank et qu'on m'a jeté un Doloris ?
Lily hocha la tête, perdue.
- C'était Rogue.
Il n'avait pu s'en empêcher : il avait prononcé son nom avec toute la haine dont il était capable. Lily blêmit, les yeux écarquillés par la surprise.
- Comment...
- Il n'a pas retiré sa cagoule mais il m'a parlé. J'ai reconnu sa voix.
- Tu ne peux pas être sûr que...
- Lily ! Je le reconnaîtrais n'importe où et tu le sais très bien !
Les yeux de la jeune fille s'emplirent de larmes. Elle n'avait donc jamais cessé d'espérer en Rogue. Sans doute n'y arriverait-elle jamais. James pouvait difficilement lui en vouloir pour ça : sans cette faculté à croire que tout le monde pouvait évoluer pour le mieux, elle ne lui aurait jamais laissé sa chance.
Comme il restait silencieux, elle se leva et enroula ses bras autour de son torse pour se serrer contre lui. Après un moment d'hésitation, James lui rendit son étreinte.
- Je suis désolée pour ce qu'il t'a fait, souffla-t-elle. Et désolée pour ce que j'ai fait.
Elle s'écarta légèrement pour demander :
- Pourquoi est-ce que tu ne me l'as pas dit ?
- Je savais que ça te ferait du mal, répondit-il avec un haussement d'épaules.
- Il faut que tu arrêtes de me protéger, James.
- Je...
- Je suis sérieuse, coupa-t-elle. Tu ne seras pas toujours auprès de moi.
- Tu sais parfaitement te débrouiller sans moi.
- Mais visiblement, je ne sais pas évaluer les gens à leur juste valeur.
- Tu crois en eux, Lily. C'est différent.
- Et Yaxley ?
Les mains de James se crispèrent légèrement dans le bas de son dos alors qu'elle le considérait d'un air inquiet.
- Tu sauras comment réagir quand tu le verras, assura-t-il. Et puis tu ne seras pas seule.
- Franchement, James, je n'en sais rien.
- Maugrey pense que tout ira bien.
- Je suis restée calme pendant la bataille, souligna-t-elle, mais je ne sais pas ce qu'il en sera si je tombe nez à nez avec Yaxley.
Avant que James n'ait pu répondre, on frappa énergiquement à la porte.
- Cornedrue ? Evans est là ? On nous attend dans le Kent !
Ils sourirent tous les deux en reconnaissant Sirius et James la poussa vers la porte.
- Apparemment tu as trouvé quelqu'un pour t'accompagner. Vas-y, tout se passera bien.
Sa main toujours dans la sienne, Lily interrogea :
- Comment est-ce que tu peux en être si sûr ?
Il sourit.
- Parce que je te fais confiance.
Elle lui rendit un sourire incertain mais s'arrêta encore avant d'ouvrir la porte :
- James... je te promets que la prochaine fois que je verrai Rogue, il ne s'en sortira pas comme ça. Il n'a pas le droit de te faire du mal.
- Je sais. File !
***
Lily laissa son regard traîner sur la vitrine de la boutique devant elle. L'enseigne annonçait : « Aux meubles magiques ». C'était une boutique tout ce qu'il y avait de plus moldu, à la seule différence que le propriétaire était un Sorcier dont la mère était née-moldue. C'était largement suffisant pour que le pauvre homme se soit fait menacer.
- Il n'arrivera rien aujourd'hui, lança Sirius d'un ton nonchalant.
Il était avachi sur le banc qu'ils occupaient, dans le petit square faisant face au magasin. Ils apercevaient parfaitement le bâtiment grâce aux arbres dénudés.
- Pourquoi ça ?
- Tu n'as pas vu Trafalgar Square à la fin de la bataille, mais je t'assure qu'on était pas les seuls à terre. Et on a arrêté un grand nombre de Mangemorts. Ils ne vont pas se risquer de sitôt dehors.
- On le fait bien, remarqua Lily.
- Oui, et on est assis à découvert sur un banc. On a déjà vu plus motivé. Je t'assure, personne n'attaquera aujourd'hui.
Sans répondre, elle considéra un instant le jeune homme assis à ses côtés. Les yeux clos, il profitait du soleil qui réchauffait légèrement cette journée de janvier. Il était beau, bien sûr. Il l'avait toujours été. Pourtant, Lily n'avait jamais été attirée par lui. D'abord, parce qu'il était le meilleur ami de ce crétin de Potter. Plus tard, parce que c'était James qui l'attirait le plus. Même quand elle ne pouvait pas le supporter, elle ne pouvait s'empêcher de le trouver séduisant. Il n'avait pas la beauté parfaite de Sirius, mais un charme incroyable qui faisait que les deux garçons se disputaient la première place du jeune homme le plus couru de Poudlard.
A la beauté de Sirius s'ajoutait cette part de mystère dont il ne s'était jamais défait. La tranquille assurance avec laquelle il soutenait que les Mangemorts n'attaqueraient pas ce jour-là amena une nouvelle fois Lily à se poser des questions. Elle avait beau savoir qu'il détestait cela, elle demanda prudemment :
- Tu as encore des contacts avec ta famille ?
Il n'ouvrit même pas les yeux, mais Lily remarqua sans peine le pli amer qui s'était formé au coin de sa bouche.
- Si c'est notre conversation qui te fait penser ça, tu peux aller te faire foutre, Evans.
Elle ouvrit la bouche pour rétorquer sèchement mais se ravisa au dernier moment.
- Ouais, c'était notre conversation. Je me demandais juste ce que tu savais sur les Mangemorts.
- Le seul Mangemort que compte ma famille est ma cousine Bellatrix et je ne l'ai pas vue depuis des années, répondit vivement Sirius, en tournant la tête vers elle cette fois-ci. J'ai beau détester les pourritures qui me servent de parents, je t'assure qu'ils ne sont pas des Mangemorts.
Lily faillit évoquer Regulus mais un éclair blessé passa brièvement dans le regard du jeune homme. La culpabilité l'envahit aussitôt.
- Ouais, je... d'accord. Excuse-moi.
Il la considéra un instant en silence avant de se lever pour faire quelques pas agités devant leur banc.
- De tous les membres de l'Ordre, je pensais que tu serais la dernière à me poser ce genre de questions, asséna-t-il en donnant un coup de pied dans un caillou.
Il lui tournait le dos mais Lily percevait nettement la tension dans ses épaules. Elle ne se hasarda pas à le toucher et se contenta de balbutier à nouveau :
- Je suis désolée, Sirius. Je ne voulais pas... C'est juste qu'on voit des hommes encapuchonnés, et on ne sait rien d'eux et...
- Tu peux parler ! Rugit-il en pivotant vers elle, les cailloux crissant sous ses semelles. C'est toi qui as couvert ce répugnant déchet de Servilus ! Après ce qu'il a fait à James, Lily !
- Je l'ignorais ! Il me l'a dit seulement ce matin !
La stupéfaction céda vite la place à l'agacement sur le visage de Sirius, qui fourragea dans ses cheveux comme James le faisait si souvent.
- L'imbécile, marmonna-t-il. Il ferait n'importe quoi pour te protéger.
- C'est à la fois très mignon et très agaçant, lança-t-elle dans une vague tentative d'humour pour désamorcer son agacement contre elle.
Il l'ignora totalement pour se concentrer un instant sur le magasin, dont la porte venait de s'ouvrir. Une femme entre deux âges entra, vraisemblablement une Moldue. Sirius attendit quelques instants avant de demander :
- Pourquoi est-ce qu'il t'en a parlé ?
- Pour me dire que je devais arrêter de protéger Sev... Rogue.
- Et tu vas le faire ? Releva-t-il d'un ton dur.
- Il a torturé James ! S'écria-t-elle d'une voix légèrement tremblante. Qu'il me fasse du mal, très bien, mais pas à James.
- Il a toujours été notre ennemi, et ça ne t'a pas empêché de le protéger, alors que tu savais qu'il pouvait potentiellement blesser n'importe lequel de tes alliés !
- C'était mon meilleur ami, Sirius ! Je ne pouvais pas lui tourner le dos comme ça ! Et il m'a sauvé la vie, à Trafalgar Square.
- Et pour ce qu'on en sait, peut-être que c'est lui qui a tué Jeremiah ! On ne peut pas se permettre d'être charitable !
- Tu ne comprends pas ! Imagine... imagine un instant que l'un des Maraudeurs te trahisse : qu'est-ce que tu ferais ?
Sirius s'était figé à la seconde où cette proposition avait franchi les lèvres de Lily. Elle-même se dégoûtait d'avoir dit une chose pareille ; jamais rien de tel n'arriverait, c'était impossible. Un Maraudeur ne pouvait pas en trahir un autre. Il s'empressa d'ailleurs de protester, mais Lily insista. Finalement, il répondit du bout des lèvres :
- S'il devient un ennemi alors... je ne lui laisserai pas de seconde chance. Un ennemi est un ennemi, Lily. Peu importe s'il était ton meilleur ami, ou amoureux de toi.
- Hein ? Pourquoi est-ce que tu dis ça ? Tu es amoureux d'un des Maraudeurs ?
Il leva les yeux au ciel.
- Je t'en prie, Lily. On sait tous que Servilus était fou amoureux de toi.
Elle rougit violemment.
- N'importe quoi ! On était des amis d'enfance, pas des... pas...
Un sourire moqueur étira les lèvres de Sirius, dont la colère sembla s'apaiser un peu.
- Tu ne t'es jamais demandée pourquoi il détestait tellement James ?
- Il était jaloux de sa popularité, c'est tout, il... pourquoi est-ce que ça aurait été à cause de moi ? Je le détestais aussi !
Une moue perplexe suscitée par la façon dont Lily se voilait la face apparut sur le visage de Sirius, qui conclut :
- Tu en parleras avec Cornedrue. On verra bien ce qu'il en pense.
- Hors de question que je parle de ça avec lui !
- Oh allez, Lily ! C'est pas si gênant !
- De toute façon il n'y a rien à en dire. Severus n'était pas amoureux de moi.
- Bien. Alors tu vas pouvoir arrêter de le couvrir sans remord.
- Je t'ai déjà dit que je le ferai !
- Oui, et tu l'avais déjà dit l'an dernier.
Lily pinça les lèvres.
- James et toi en avaient longuement discuté, hein ?
- Tu n'imagines même pas.
- Il m'en veut tant que ça ?
- Il ne t'en voudrait pas même si tu assassinais son père sous ses yeux.
- Tu es obligé de dire des choses si horribles ?
- Tu n'as qu'à pas faire des choses si horribles.
- J'ai laissé filer mon ancien meilleur ami qui venait de me sauver la vie, bon sang !
- On appelle ça de la trahison, Lily !
- Alors pourquoi est-ce que tu ne m'arrêtes pas tout de suite ?
Pris au dépourvu, Sirius ne put que balbutier :
- Ce n'est pas... Tu n'as pas... Je te fais confiance !
- Eh bien voilà ; moi aussi je lui faisais toujours confiance, et quand il a attaqué ce Mangemort pour l'empêcher de me tuer, je n'ai pas vu un ennemi mais juste un ami qui me protégeait. Je sais qu'il ne me fera jamais de mal directement, comme tu sais très bien que je ne trahirai jamais l'Ordre.
- Mais...
- Je sais, il fera du mal aux autres. J'ai juste... Je ne sais pas, j'avais l'impression qu'il ne pourrait jamais faire une telle chose. Je sais, c'est complètement stupide comme idée, et maintenant je ne le laisserai plus faire du mal à quiconque si je peux l'en empêcher.
Sirius la considéra un instant en silence avant de hocher la tête.
- D'accord.
Lily déglutit avant de demander :
- Tu me pardonnes pour t'avoir parlé de ta famille ?
Il secoua la tête.
- Y a rien à pardonner, Lily. Je ne suis qu'un vieux clébard grincheux, c'est tout.
- J'ai le droit de te faire un câlin ?
- Beurk, non !
- Je suis presque sûre que je t'ai déjà fait un câlin, tu sais.
- Alors c'était sans doute sans mon consentement. Chez moi on appelle ça un viol.
Elle leva les yeux au ciel puis se leva à demi pour l'attraper par le poignet et l'obliger à s'asseoir à nouveau sur le banc.
- Tais-toi et surveille cette boutique.
- Il n'arrivera rien, Lily.
- Peut-être, mais on néglige complètement notre boulot depuis tout à l'heure. Alors maintenant qu'on a fini de s'engueuler, on va corriger ça.
- On ne s'engueulait pas, on mettait les choses au clair.
Elle lui donna un petit coup de coude tout en gardant les yeux rivés sur la boutique.
- Ouais, parce qu'il y a clairement une différence entre les deux.
- La différence, Evans, c'est que nous avons agi en adultes censés ! Triompha-t-il.
- Tu as douze ans d'âge mental, Black, n'essaie pas de me faire croire le contraire.
- Et toi quatre-vingt, riposta-t-il en s'avachissant à nouveau sur le banc.
Lily renchérit avec une autre idiotie alors que les clients entraient par intermittence dans la boutique des Meubles Magiques. Sirius avait raison : il n'y eut pas d'attaque, ce jour-là.
***
Maugrey traversa à toute allure les couloirs du premier étage du Ministère de la Magie, sans se soucier le moins du monde de déranger les quelques employés qui y travaillaient. A cet étage, les tapis étaient plus moelleux, la météo toujours au beau fixe, les vitres impeccables et les poignées de porte en or reluisantes. C'en était dégoûtant de luxe. Maugrey détestait cet endroit. Il préférait largement les boxes dépourvus d'intimité du Bureau des Aurors. Au moins, il n'avait pas peur de commettre un impair en mettant ses pieds sur son bureau ou en laissant une tasse de café à moitié remplie sur une étagère pendant trois mois. Au Bureau des Aurors, il pouvait être lui-même sans se soucier de maîtriser ses humeurs.
En l'occurrence, Alastor Maugrey se fichait complètement de la façon dont il allait être reçu. Minchum allait subir ses foudres, même s'il devait être démis de ses fonctions après ça. De toute façon, l'Ordre le garderait toujours en son sein. On avait besoin de lui.
Il parvint enfin au bureau du Ministre et serra les dents en voyant les deux Aurors postés devant les portes de chêne gravées aux armoiries du Ministère. C'était lui qui gérait les affectations des Aurors mais le Ministre avait un droit d'ingérence dans les affaires de tout le Ministère, y compris dans celles du Bureau des Aurors. Si ça n'avait tenu qu'à Maugrey, Minchum se serait défendu tout seul. De toute façon, jamais les Mangemorts ne mettraient un pied dans le Ministère. Et s'ils y parvenaient, alors les deux pauvres sentinelles du Ministre ne le protégeraient pas très longtemps.
Maugrey tendit la main vers la poignée dorée mais l'une de ses Aurors tendit le bras pour l'en empêcher.
- Le Ministre a demandé à ne pas être dérangé.
- T'es sa secrétaire maintenant, Glabe ? Aboya-t-il à la jeune femme.
- Non, mais...
- Alors ferme-la et monte la garde, c'est tout ce qu'on te demande ! A moins qu'on m'ait classé dans la catégorie personnes dangereuses ?
Ariana Glabe s'empressa de secouer la tête alors que son comparse, un dénommé Artem Bilbabus, restait totalement impassible. Artem était très doué à ce petit jeu, et c'était pour cette raison que Maugrey aurait préféré l'envoyer espionner des potentiels Mangemorts. C'était du pur gâchis de le voir faire le planton devant le bureau de Minchum.
- Bien, conclut-il avant d'ouvrir la porte sans frapper.
Minchum était avachi dans son fauteuil, un parchemin dans une main. Même si son front se plissait en une expression concentrée, Maugrey voyait bien que ses yeux étaient fixés dans le vide. D'ailleurs, il n'avait même pas remarqué son entrée.
- M. le Ministre, appela-t-il exagérément fort.
S'il avait pu, il aurait simplement hurlé « Minchum ! » mais il y avait certaines limites à ne pas franchir.
Minchum sursauta, fit ainsi tomber son parchemin sur lequel Maugrey n'aperçut aucun sceau officiel, puis fusilla du regard le chef des Aurors.
- Qu'est-ce que vous faites là, Maugrey ?
L'interpellé ne se formalisa pas de son ton sec. A vrai dire, c'était même un soulagement de l'entendre parler de la sorte, après des semaines passées à travailler avec une espèce de mollusque dépourvu d'énergie.
- Il faut qu'on discute.
Minchum pinça les lèvres et Maugrey perçut très bien la remarque qu'il ne formula pas : « M. le Ministre ». Il pouvait toujours courir pour qu'il se montre plus poli que nécessaire.
- J'ai demandé à ne pas être dérangé !
- Et moi j'ai demandé à pouvoir gérer mes effectifs comme je le souhaite et on ne m'a pas écouté non plus !
- Je suis le Ministre de la Magie, Maugrey ! Hurla-t-il en se redressant.
Son siège s'écrasa par terre dans un bruit de métal assourdissant mais aucun des deux hommes ne s'en soucia.
- Comment osez-vous faire irruption ainsi dans mon bureau et...
- Des hommes sont morts, Minchum ! A Trafalgar Square comme à Liverpool ! C'est votre faute !
Le Ministre blêmit, ses jointures blanchirent contre le bois patiné mais parfaitement entretenu de son immense bureau.
- Ce n'est pas... Je n'ai rien à voir...
- C'est vous qui avez demandé que tous les Aurors soient relevés de leur service ce soir-là alors même que j'étais contre cette idée, et vous le saviez très bien !
- Mais l'Ordre ? C'est vous qui me tannez sans cesse avec votre précieux Ordre du Phénix qui vide les caisses du Ministère et qui n'est même pas capable de nous protéger !
- Vous savez qui était chargé de garder l'entrepôt, Minchum ? Deux gosses !
- Ce n'est pas moi qui gère l'Ordre, Maugrey ! Il s'agit de négligence de votre part !
- On est en sous-nombre dans cette guerre et vous le savez très bien ! J'en ai plus qu'assez de voir le talent des Aurors gaspillé à faire le guet devant votre bureau ou votre résidence, surtout quand il n'y a plus personne à protéger !
Le visage de Minchum prit une délicate teinte verte et Maugrey songea qu'il était allé trop loin ; il n'avait pas maîtrisé ses mots.
- Vous avez raison, annonça Minchum d'un ton sec. Il n'y a plus personne à protéger là-bas parce que mon fils unique est mort et que ma femme vient de me demander le divorce.
Il ramassa le parchemin tombé sur la moquette pourpre pour le lancer à la figure de Maugrey. Celui-ci le rattrapa maladroitement, gêné de se retrouver pris dans les affaires personnelles du Ministre. Il détestait les affaires de famille. Pour se tirer de ce mauvais pas, il prit le ton le plus impersonnel possible pour lancer :
- Veuillez m'excuser. Mes mots ont dépassé ma pensée.
- Oh non, certainement pas Alastor. Vous pensez ce que vous venez de dire, pour l'excellente raison que c'est la vérité.
Minchum le considérait maintenant d'un œil dur, une rigueur acquise récemment au contact de la guerre et de la souffrance. C'était la première fois que Maugrey le voyait comme ça. L'Auror prit conscience que le silence s'épaississait, aussi se reprit-il.
- Vous m'en voyez désolé.
Son vis-à-vis resta parfaitement impassible, bien conscient qu'il s'agissait uniquement d'une formule d'usage.
- Qu'est-ce que vous attendez exactement de moi, Maugrey ? J'ai déjà renforcé les protections autour d'Azkaban et je vois difficilement ce que je pourrais faire d'autre. C'est vous qui menez les batailles, pas moi.
- Vous êtes le Ministre de la Magie ! C'est à vous de gérer cette crise, pas à moi, ni à Albus Dumbledore.
Minchum se laissa retomber dans son fauteuil, le visage enfoui entre ses mains. Maugrey reposa la lettre de la future ex-femme du Ministre comme si c'était un parchemin ensorcelé et attendit que son interlocuteur reprenne la parole. Sa colère semblait être retombée, mais Maugrey doutait que ce soit une bonne chose. Il n'avait aucune envie de se retrouver une nouvelle fois avec une loque sur les bras.
- Je ne peux rien faire, Alastor, dit-il d'une voix étouffée.
Au plus grand désappointement de Maugrey, il avait repris le ton traînant qui le caractérisait. C'était son ton d'homme du monde.
- Débrouillez-vous Minchum mais tout ce que je veux c'est qu'on me rende mes Aurors !
- Prenez-les, murmura-t-il. Vous avez raison, il n'y a plus rien à protéger. Emmenez Glabe et Bilbabus. Ils ont mieux à faire que rester là.
Maugrey considéra les piles de parchemins en attente de réponse qui s'entassaient partout dans le bureau, le visage défait du Ministre et l'emploi du temps surchargé qui était fixé au mur derrière le bureau. Dans un soupir, il déclara :
- Je vous laisse Glabe mais j'emmène Bilbabus.
- A quoi bon ?
- Ce serait dommage que des Mangemorts vous interrompent alors que vous répondez à tout ce monde.
- Je ne peux pas répondre à la moitié de ces demandes.
- Eh bien je vais demander à Miss Claudia de venir vous aider.
Claudia était une femme blonde et énergique que Maugrey appréciait. Elle était la secrétaire du Ministre depuis plus de quinze ans et avait donc vu défiler à ce poste plusieurs personnes. Son expérience faisait d'elle une assistance efficace et bien souvent indispensable.
- Pourquoi est-ce que vous faites ça, Alastor ? Vous détestez materner les gens.
- Je ne vous materne pas, je vous maintiens en vie, marmonna l'Auror avant de passer la tête par l'embrasure de la porte pour demander à Glabe d'aller quérir Claudia. Nous avons besoin de vous.
- Vous êtes bien le seul.
- Pas moi. Tous les Sorciers.
- Oh. Non, je ne pense pas.
- Bien sûr que si. Que vont-ils penser si vous démissionnez trois jours après le massacre de Trafalgar Square ? Ils vont penser qu'il n'y a plus aucun espoir si même leur Ministre a abandonné. Ce sera la panique.
- Ce ne sera plus mon affaire.
- Ce sera votre faute.
- Tant de choses sont déjà de ma faute... Vous l'avez dit vous-même.
- Eh bien rattrapez vos erreurs. Tout le monde fait des erreurs. L'Auror qui m'a formé est sans doute mort à cause de moi, et pourtant je suis toujours là.
- Vous êtes un roc, Maugrey.
- Et vous une chiffe molle.
Minchum leva vers lui son regard éteint. Il semblait à peine vexé. Toute la hargne dont il avait fait preuve au début de leur entretien s'était évanouie aussi brutalement qu'elle était venue. Il n'eut pas besoin de répondre car Claudia frappa à ce moment-là et entra sans attendre de réponse. Comme d'habitude, elle souriait de toutes ses dents. Le Ministre finit par détourner les yeux, incapable d'affronter la vérité que Maugrey venait de lui exposer. Son attention apparemment fixée sur un parchemin quelconque, il lança :
- Reprenez tous vos Aurors, Maugrey, faites-en ce que vous voulez.
L'Auror hocha la tête en réponse mais Minchum ne le vit pas. Il quitta la pièce sans attendre, peu satisfait de leur conversation. Minchum se laissait de plus en plus porter par les événements et Maugrey n'aimait pas ça du tout. Il semblait prêt à accepter toutes les propositions. Son inquiétude se renforça lorsqu'il croisa Barty Croupton dans le couloir qui menait au bureau. L'homme lui adressa un sourire qui ressemblait plutôt à un rictus et alla frapper à la porte du Ministre.
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