Bonus 3 : Requiem

Note du bêta : YOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOH C'EST NICO ET CAZOUE ET MOI ON EST DE RETOUUUUURSAujourd'hui on se retrouve pour un bonus sobrement appelé Requiem qui va égayer votre journée grâce à la joie, la gaieté, l'émerveillement que provoquent des obsèques. Niark.En tout cas c'est magnifique, c'est du Cazoue c'est du Lily et James et moi jai trop kiffé. Surtout harcelez bien Cazolie avec tout votre amour inconditionnel pour qu'elle nous écrive d'autres chapitres bonus ! EEEEEEEENJOYYYYY !

Note de moi : Bonjour tout le monde, j'espère que vous vous portez bien ! Bonne année à ceux qui n'auraient pas vu mon message de début janvier (oui, on est en janvier 2021, si vous lisez ça en 2053, BIENVENUE) Désolée pour cet OS pas méga marrant mais... C'était la suite logique de la fanfic, et quelque chose que je voulais écrire dans la fanfic au départ, avant de décider de conclure par manque de temps. Enfin bref, j'espère que ça vous plaira quand même ! Dites-moi tout :)

Ah et big up à Annabethfan, qu'on ne présente plus : le titre de la Revue des Deux mondes vient tout droit de sa fanfic sur Ilvermorny. Merci aussi pour le brainstorming sur le nom des Guérimages !  J'ai voulu m'incruster dans l'univers partagé haha

Requiem

Margaret referma la porte de la chambre de son patient avec un soupir. Elle était épuisée. Son stage à Sainte-Mangouste à sa sortie de Poudlard n'avait pas été de tout repos, mais c'était à présent bien pire. Elle devait travailler deux fois plus que les autres pour prouver sa valeur et passait ses nuits à apprendre le nom qu'on donnait aux plantes ici, aux Etats-Unis.

La jeune femme avait pu partir pour l'Amérique après quelques semaines passées en France. Grâce à l'entremise de Dumbledore, elle avait trouvé un poste d'assistante-guérimage dans l'hôpital sorcier du Missouri. En fait d'hôpital, c'était plutôt une clinique. Le Missouri n'accueillait que peu de Sorciers aussi le nombre de services était-il très réduit. Les Guérimages, l'équivalent américain des Médicomages, n'étaient qu'une dizaine. Ils se reposaient beaucoup sur les assistants, qui effectuaient toutes les basses besognes tandis que les Guérimages se chargeaient des tâches plus délicates. Margaret avait été accueillie en tant que stagiaire, étant donné qu'elle n'avait suivi qu'une formation accélérée de Médicomage à Sainte-Mangouste. En réalité, elle soupçonnait qu'on l'avait reléguée à ce poste car les Guérimages ne faisaient pas confiance à leurs confrères britanniques. On lui avait clairement fait comprendre qu'il n'était pas acquis qu'elle obtienne un poste durable à l'issue de son stage. Margaret travaillait donc d'arrache-pied pour montrer de quoi elle était capable.

Elle entra dans la salle de garde, heureusement vide, pour prendre un café. Ses collègues, alors même qu'elle était là depuis près de sept mois, se montraient toujours méfiants envers cette jeune Anglaise arrivée de nulle part. Les réfugiés britanniques qui fuyaient Voldemort étaient généralement mal vus aux Etats-Unis, où les habitants craignaient que leur arrivée n'amène la guerre chez eux. Les cicatrices qu'arboraient Margaret n'arrangeaient pas son cas. Ses collègues savaient bien que les seules cicatrices qu'on ne pouvait effacer étaient dues à la magie noire. Margaret songeait souvent que son passage par l'Ordre l'avait endurcie, sans quoi elle n'aurait jamais été capable de quitter tout ce qu'elle connaissait pour faire sa vie dans un milieu hostile. C'était les seuls moments où elle s'autorisait à penser à l'Ordre du Phénix. Pour échapper à la culpabilité d'avoir abandonné tout le monde, elle avait choisi d'oublier l'Angleterre. C'était d'autant plus facile que le Bureau des Aurors avait annoncé à sa famille qu'elle avait été tuée lors d'une mission. C'était, d'après Maugrey, le seul moyen d'assurer pleinement sa sécurité.

Les murs de la salle où elle se trouvait à présent étaient peints d'un jaune réconfortant qui rappelait à Margaret les couleurs de Poufsouffle. Bien que petite, elle était meublée de gros fauteuils confortables. Une table basse brinquebalante ainsi qu'un poêle sur lequel se trouvait toujours une cafetière complétaient l'ensemble. Margaret se servit une tasse de café tout en surveillant nerveusement l'heure sur la pendule accrochée au mur. Elle n'avait droit qu'à vingt minutes de pause. Afin de cesser de penser aux tâches qui l'attendaient, elle se pencha et attrapa sur la table le dernier numéro de la Revue du Nouveau Monde, le journal sorcier des Etats-Unis. Son cœur rata un battement lorsqu'elle lut le gros titre : « La légende de Harry Potter : qui est l'enfant qui a sauvé la Grande-Bretagne ? ». L'horreur des mois de guerre s'imposa soudain à elle alors qu'elle fixait la une du journal, incrédule.

Margaret avait conscience que Harry Potter était un patronyme répandu, mais elle doutait qu'il existe plusieurs enfants sorciers de ce nom. Sa tasse toujours à la main, elle tourna fébrilement les pages du journal pour atteindre l'article. Les yeux écarquillés, elle découvrit que Voldemort avait disparu dans la nuit du 31 octobre et que Harry Potter était impliqué. Habitée par un mélange de joie, d'excitation et d'angoisse, Margaret lisait l'article en diagonale, à la recherche des noms qui lui permettraient d'identifier Harry comme le fils de sa meilleure amie. Sa tasse s'écrasa au sol sans même qu'elle s'en rende compte lorsqu'elle vit enfin le nom de Lily, jeté entre deux lignes, comme insignifiant : « ... l'enfant de Lily et James Potter, à présent orphelin, a accompli un exploit hors du commun qui... ». Margaret fut incapable de finir de lire la phrase. Elle fixait ces quelques mots sans parvenir à accepter la réalité.

- « Orphelin » ? murmura-t-elle. C'est impossible...

Elle tourna la page, comme si cacher les lignes qui sous-entendaient la mort de Lily et James allait suffire à les ramener à la vie. Elle ne put retenir un sanglot lorsque ses yeux tombèrent sur une minuscule photo de leur mariage, accompagnée de seulement quelques mots : « Mariage de Lily et James Potter, juillet 1979. Nés en 1960, les deux jeunes parents sont morts pour protéger leur fils de celui que les Britanniques appellent Lord Voldemort. Un hommage national leur sera rendu le 7 novembre ». Il n'y avait rien d'autre sur le couple. Ces amis que Margaret avait tant aimés ne valaient, aux yeux des journalistes américains, qu'une demi-colonne.

Tout ce qu'elle avait fui la rattrapait de la pire des manières. Jamais elle n'avait imaginé qu'elle aurait des nouvelles de ses amis par les journaux, ni que ces nouvelles seraient si tragiques. Assise dans cette petite salle de garde au beau milieu du Missouri, elle réalisa que jamais elle ne pourrait laisser derrière elle les mois de guerre qu'elle avait vécus. Elle avait sous les yeux la preuve qu'ils la rattraperaient toujours. Elle ne pouvait pas ignorer les événements.

Elle se leva, s'aperçut enfin qu'elle avait lâché sa tasse et nettoya les dégâts, puis quitta la salle de garde. Elle devait obtenir un congé, et si on ne le lui accorderait pas, elle démissionnerait. Elle devait se rendre à l'enterrement de Lily et James.

***

Malgré la disparition de Voldemort, les portoloins directs entre la Grande-Bretagne et les Etats-Unis n'avaient toujours pas été rétablis. Margaret obtint de partir pour la France. L'officier chargé de l'immigration des Sorciers lui annonça qu'on ne la laisserait peut-être pas revenir, mais elle s'obstina dans son projet. Sous son regard inflexible, il lui tendit son billet pour le portoloin international New York-Paris. De là, elle trouva une place à la dernière minute pour Londres, où elle arriva le 6 novembre. Revenir à Londres alors qu'elle pensait avoir abandonné l'Angleterre lui fit un choc. Tout en parcourant les rues en direction du Chaudron Baveur, elle se rappelait l'angoisse qui l'étreignait chaque fois qu'elle patrouillait dans ces mêmes rues. Elle sentait bien que l'ambiance était différente. Les Moldus, bien qu'inconscients de la menace qui avait disparu, semblaient plus légers. La jeune femme surprit même quelques Sorciers visiblement enivrés qui parcouraient les rues du Londres moldu sans la moindre gêne. Toute cette allégresse la heurtait, elle qui était rentrée au pays pour enterrer ses amis. Elle avait du mal à réconcilier dans son esprit le Londres de la guerre et celui qu'elle voyait à présent. Il lui semblait que ce n'était pas onze mois mais toute une vie qui s'était écoulée depuis son départ.

Les journaux américains n'avaient donné que peu de détails sur les événements et elle s'interrogeait toujours. La situation avait-elle basculé brusquement ou bien le camp de Voldemort avait-il commencé à décliner depuis des mois ? Était-elle partie alors même que la situation s'améliorait ? Arrivée au Chaudron Baveur, elle prit une chambre et s'autorisa enfin à respirer. Ces lieux n'avaient pas changé, pas plus que Tom, fidèle derrière son comptoir. Elle puisa dans ces éléments permanents un peu de stabilité. Grâce au concours du barman, elle se procura tous les numéros de la Gazette du Sorcier des dernières semaines. Elle passa sa soirée et une partie de sa nuit à les éplucher. Elle finit ainsi par apprendre tous les deuils qui avaient frappé l'Ordre.

Assise sur le plancher de sa chambre, éclairée par une petite lampe à huile, elle n'essayait même plus d'arrêter les larmes qui coulaient le long de ses joues tandis qu'elle tournait les pages des journaux. Le tableau apocalyptique qui se dressait dans son esprit ne faisait que renforcer la culpabilité qu'elle ressentait depuis son départ. Elle songea à Marlène, jeune femme si brillante et charmante, aux frères Prewett qui avaient toujours prodigué leurs conseils aux jeunes recrues de l'Ordre, à la mystérieuse Dorcas qui n'eut droit qu'à une ligne dans la rubrique nécrologique. Elle avait l'impression de les avoir trahis en ayant continué à vivre sans même savoir qu'ils étaient morts. Les journaux les plus récents étaient les pires. Margaret apprit tout ce qu'on savait sur les événements de Godric's Hollow, c'est-à-dire peu de choses. Les articles sur la trahison de Sirius la rendirent presque physiquement malade. Tout lui semblait impossible. Elle qui avait regardé avec parfois un peu de jalousie l'amitié toujours plus grande entre Lily et Sirius ne pouvait envisager qu'il les ait trahis. Elle pensa à Remus, le dernier des Maraudeurs à avoir survécu au 31 octobre.

Contrairement aux journalistes américains, les britanniques se montrèrent bien plus prolixes sur Lily et James. Des pages entières leur étaient consacrés dans tous les numéros de la Gazette parus depuis le 1er novembre. On y racontait leur histoire d'amour mouvementée, leur palmarès à Poudlard, leur mariage très jeunes et leur engagement dans la guerre – sans pour autant faire mention de l'Ordre du Phénix. Ils étaient présentés comme des héros tragiques, dont l'histoire, romantique à souhait, séduisait les foules. Dans ces lignes, Margaret ne retrouvait rien de leur humour à tous deux, de l'amour qu'ils avaient éprouvé l'un pour l'autre, de leurs doutes qui rendaient leur courage plus grand encore. Lorsqu'elle referma le dernier numéro, elle songea qu'aucun journaliste n'avait su rendre justice aux personnes qu'ils avaient été. Quelque part, c'était un soulagement. Le souvenir de Lily et James restait la propriété de ceux qui les avaient côtoyés.

Elle s'endormit à force de larmes, en songeant qu'on n'était jamais prêt à enterrer ses amis.

***

Le village de Godric's Hollow était pris d'assaut par la foule de Sorciers venus assister à l'enterrement de Lily et James. Margaret se fondit dans foule, le cœur gros. Elle parvint à rejoindre la maison de Lily et James, où elle s'était rendue quelques fois avant son départ de l'Angleterre. Cependant, la vue des ruines lui fut vite insoutenable et elle quitta les lieux en trébuchant sur sa robe noire. Elle était arrivée avec une heure d'avance pour l'enterrement, qui devait avoir lieu dans la petite église du village. Margaret désespérait de pouvoir y entrer.

Accablée, elle rôdait devant l'édifice religieux lorsqu'une silhouette attira son attention. L'homme était planté face à l'église, immobile malgré la foule de Sorciers qui s'agitaient autour de lui. Margaret aurait reconnu ses cheveux châtains et ses épaules légèrement voûtées n'importe où. Elle renifla, s'approcha et appela doucement :

- Remus ?

Il se retourna d'un bloc et la dévisagea, les yeux écarquillés, la main sur sa baguette. Margaret ne s'offusqua pas de cette méfiance. Elle le trouva très amaigri, pâle, l'air maladif. Rien d'anormal, songea-t-elle, compte tenu de ce qu'il avait vécu ces derniers jours.

Les deux jeunes gens se dévisagèrent un instant en silence. Margaret savait que Remus ne ferait pas le premier pas, aussi s'avança-t-elle vers lui sans attendre d'invitation pour le serrer dans ses bras. A la force de son étreinte, Margaret mesura sa détresse. Ils restèrent un moment enlacés au milieu des passants, l'exilée et le survivant entourés de leurs fantômes.

Quand la jeune femme ouvrit les yeux, elle s'aperçut que plusieurs personnes les regardaient avec curiosité. Elle se détacha donc de Remus et lui lança :

- Viens, trouvons un endroit calme.

Il hocha la tête, toujours aussi silencieux. La première pensée de Margaret avait été de trouver un endroit isolé dans le village, mais en voyant la pâleur de son ami elle songea soudain au petit café qu'elle avait croisé un peu plus loin. Les Sorciers ne s'y intéressaient pas car il s'agissait d'un établissement moldu ; ils y seraient tranquilles pour se réchauffer grâce à un chocolat chaud. Remus la suivit sur les quelques mètres qui les séparaient de l'endroit sans poser de questions, ce qui serra le cœur de Margaret. Jamais elle ne l'avait vu si démuni. A la façon dont il s'était accroché à elle, elle avait senti à quel point il avait besoin d'un point de repère après avoir tout perdu.

Le café était situé dans une maison ancienne du village, qui rappelait douloureusement à Margaret celle des Potter. La salle de restaurant était petite et chaleureuse, réchauffée par un feu de cheminée qui pétillait dans un âtre décoré de toiles d'araignées, sorcières et citrouilles. Fort heureusement, il restait une table libre dans un coin de la pièce. Margaret et Remus s'y précipitèrent et la jeune femme se chargea de commander deux chocolats chauds au serveur qui se matérialisa presque immédiatement à leurs côtés. Remus lui adresse un faible sourire en entendant la commande, puis un silence gêné s'installa entre eux deux tandis qu'ils se dévisageaient, incapables de savoir quoi dire dans de telles circonstances. Margaret avait douloureusement conscience des conversations gaies et des rires des enfants qui s'élevaient vers les vieilles poutres de la maison.

Finalement, Remus brisa le silence d'une voix éraillée :

- Je ne pensais pas que tu viendrais.

Margaret secoua la tête en se mordant légèrement la lèvre inférieure.

- Comment est-ce que j'aurais pu rater ça ? J'ai organisé mon voyage dès que j'ai su.

- Ils t'ont laissée partir sans problème ?

- Pour quelques jours seulement, et il a fallu insister un peu.

Comme s'il cherchait désespérément à se changer les idées, il interrogea :

- Comment c'est, là-bas ?

Margaret chercha quelques secondes quelle réponse donner pour ne pas avoir l'air insensible. Sa première pensée fut « solitaire », mais elle avait bien conscience qu'elle avait délibérément choisi de quitter une bande d'amis. Elle songea ensuite à « difficile », puis se rappela que Remus était resté se battre, lui. Comme il attendait toujours une réponse, elle opta finalement pour une idée neutre :

- Différent. Les Sorciers, et même les Moldus, ne vivent pas du tout comme nous.

Il hocha la tête, mais Margaret voyait bien qu'il n'était pas réellement intéressé. Elle décida finalement de crever l'abcès :

- Mais je suis heureuse d'être ici, de ne pas te laisser seul pour... pour l'enterrement.

Prononcer ce mot lui serra la gorge mais elle parvint à contenir sa détresse alors que Remus fermait les yeux, comme sous le coup d'une douleur subite.

- Il n'y a plus que moi, murmura-t-il.

Au même moment, le serveur jovial déposa deux tasses sur la table. Margaret sursauta ; elle avait presque oublié où ils se trouvaient. Remus s'empressa de plonger les lèvres dans son chocolat chaud mais, contrairement à d'habitude, il ne sembla pas aller mieux lorsqu'il releva la tête vers elle.

- Alice et Frank doivent venir, mais je ne les ai pas encore vus, reprit-il d'une voix plus assurée que Margaret ne l'avait imaginée. Nous avons des places réservées à l'avant. On m'a ... On m'a demandé si je voulais dire un mot mais j'ai refusé. (Il hésita, et Margaret vit ses yeux s'emplirent de larmes). Ils savaient déjà.

Elle n'eut pas besoin de lui demander de qui il parlait. Elle ouvrit la bouche pour répondre mais Remus ne semblait plus pouvoir s'arrêter maintenant qu'il avait commencé à parler. Il trébuchait sur les mots, comme s'ils se précipitaient pour sortir de sa bouche, comme si les prononcer le plus vite possible lui permettrait de mettre la douleur derrière lui.

- J'ai hésité à venir, mais je... j'ai besoin de ça pour l'accepter, je crois. Tout semble si irréel, j'ai tout appris par les... par les journaux, je ne savais même pas... Black, il... Il aurait dû être là, il aurait dû voir ce qu'il a fait...

L'avalanche de mots s'interrompit aussi brusquement qu'elle avait commencé et Remus resta là, silencieux, ses mains crispées autour de sa tasse et la bouche entrouverte, une larme sur la joue.

- Je ne comprends pas comment il a pu faire ça, souffla Margaret. Ça me paraît impossible.

- Pourtant c'est vrai, répliqua Remus d'un ton dur en essuyant rageusement sa joue. C'est vrai.

- Je sais, soupira-t-elle. Je sais mais... ils étaient tellement fusionnels.

- L'amitié n'est pas éternelle.

Ces mots firent mal à Margaret, elle qui s'en voulait déjà d'avoir abandonné ses amis. Elle prit le temps de boire une gorgée de chocolat avant de demander d'une petite voix :

- Est-ce que vous m'en avez voulu, d'être partie ?

Ce n'est qu'à la fin de sa phrase qu'elle osa lever les yeux vers Remus. Il lui adressa un petit sourire triste.

- Bien sûr que non. Tu avais toutes les raisons du monde de partir.

- Même Lily ? insista-t-elle sans se soucier de sentir sa voix trembler.

- Elle était surtout triste. Et déçue de l'avoir appris par une simple lettre.

Margaret reposa bruyamment sa tasse sur la table pour s'essuyer les yeux.

- Je sais. Je n'arrête pas d'y penser depuis que... depuis que j'ai appris. J'aurais dû aller la voir, une dernière fois.

- Ca ne fait rien, dit-il doucement. Elle ne t'en voulait pas. Quand tout le monde est mort, on s'est dit que tu avais eu bien raison de partir.

Elle sursauta si fort à ces mots qu'un peu de chocolat se répandit sur la nappe à carreaux rouges et blancs. Elle ne s'était pas attendue à des mots si durs, qui qualifiaient sans doute les six derniers mois au cours desquels l'Ordre avait connu des pertes terribles. Remus fixait sa tasse sans la voir, les mâchoires crispées.

- Mais toi tu as survécu, souffla-t-elle.

- Est-ce que ça en vaut vraiment la peine ? marmonna-t-il.

- Remus, ne dis pas ça.

Il lui adressa un regard frondeur, qui ne dura qu'un instant. Il se renfonça ensuite dans son siège, les traits affaissés, et avala d'une traite son chocolat chaud. Dehors, la cloche de l'église sonnait l'heure.

- Il faut qu'on y aille, lança-t-il d'un ton neutre en se levant.

Margaret abandonna sa tasse à peine entamée, laissa l'argent sur la table et suivit Remus. Les Sorciers étaient agglutinés devant l'église, aux portes de laquelle des agents de la Brigade magique s'efforçaient de réguler les entrées. Sans s'embarrasser de politesse, Remus se fraya un passage à coup de coudes dans la foule, Margaret dans son sillage. La jeune femme, hébétée, était déconcertée par les bribes de conversation qui lui parvenaient ; tous ces gens étaient là pour le spectacle. Aucun ne connaissait Lily et James. Soudain, ils furent dans l'église : il avait suffi d'un signe de Remus aux agents, qui le connaissaient, pour qu'ils parviennent à l'intérieur. L'atmosphère était bien plus calme. Les signes religieux avaient été recouverts de draps noirs, et les personnes déjà assises – des officiels pour la plupart, chuchotaient dans un silence respectueux. Margaret s'empressa de détourner les yeux des supports, au bout de l'allée centrale, destinés à accueillir les cercueils des Potter. Remus regardait droit devant lui et marchait à grandes enjambées décidées vers l'avant de l'église. Il semblait avoir résolu que puisqu'il fallait y assister, il le ferait avec dignité. Il se glissa enfin sur le banc du premier rang, marqué d'un panneau « réservé », et Margaret s'assit près de lui. Ils avaient encore une dizaine de minutes avant le début de la cérémonie.

Oppressée par le décor, Margaret tenta de se changer les idées en demandant :

- Pourquoi une église ?

- Dumbledore voulait un endroit petit afin d'éviter un attroupement encore plus important que celui-ci, répondit-il dans un murmure. Il m'a aussi dit que c'était la tradition pour les Sorciers du village, qui partagent le cimetière avec les Moldus.

Margaret hocha la tête. La distraction avait été de courte durée. Alors que les rangs se remplissaient autour d'eux, elle réalisa soudain que quelqu'un manquait.

- Remus... Où est Harry ?

Un air malheureux remplaça le visage de marbre du jeune homme.

- Chez la sœur de Lily.

- Pétunia ?!

Margaret avait parlé bien plus haut que prévu, et plusieurs têtes se tournèrent vers eux. Elle n'y prêta pas attention, atterrée.

- Mais elle déteste la magie !

- Je sais. Dumbledore n'a rien voulu entendre. Il a déjà fallu insister pour qu'il me révèle où il se trouve ; peu de personnes le savent.

Margaret, qui s'était tournée vers Remus pour leur conversation, s'adossa à nouveau au banc inconfortable et reporta son attention vers l'avant. Déjà soufflée par cette nouvelle, elle crut mourir lorsqu'elle s'aperçut qu'un nouvel élément avait été apporté pendant leur discussion : une photo de Lily et James, prise le jour de leur mariage. Mains jointes devant Dumbledore, ils se souriaient de cette façon dont ils avaient le secret, comme s'ils étaient seuls au monde. C'était une photo magique mais on ne voyait que Dumbledore agiter sa baguette tandis qu'il nouait autour d'eux les liens du mariage. Lily et James étaient immobiles, les yeux fixés l'un sur l'autre. Le monde autour de Margaret se réduisit à cette photo et, lorsqu'on leur demanda de se lever, elle ne put s'empêcher de prendre la main de Remus dans la sienne, bien consciente que seule, elle n'y arriverait jamais.

***

Elle prêta à peine attention à la cérémonie, n'écouta pas un mot des discours officiels qui furent déblatérés au sujet de la bravoure des Potter, par des membres du Ministère de la magie qui n'avaient jamais entendu Lily insulter James après une blague idiote. A côté d'elle, Remus semblait changé en pierre ; seule sa main glacée serrant convulsivement la sienne attestait qu'il prêtait attention à ce qu'il se passait. Ni l'un ni l'autre ne bougèrent lorsqu'une procession partit vers le cimetière, guidée par huit hommes qui portaient sur leurs épaules les cercueils fermés de Lily et James Potter. Longtemps, Margaret et Remus restèrent dans l'église, assis sur leur banc inconfortable, épaule contre épaule. Ce n'est que lorsque le bruit de la foule à l'extérieur disparut que Margaret fit un mouvement pour se lever. Remus lui adressa un regard éperdu mais elle le tira par la main. Ils devaient le faire.

La nuit était en train de tomber et le cimetière était presque vide. Ca et là, des groupes de Sorciers discutaient encore mais, par respect pour les morts, ils s'étaient éloignés de la tombe. Margaret la repéra aussitôt. Sa couleur blanc immaculé tranchait parmi les pierres tombales plus anciennes. Elle était également couverte de fleurs. Dans la lueur du crépuscule, Remus et Margaret s'approchèrent, le cœur gros.

- « Le dernier ennemi qui sera vaincu, c'est la mort », murmura-t-elle.

A côté d'elle, Remus se laissa tomber sur le sol couvert de feuilles mortes et fondit en larmes. Margaret aurait voulu le réconforter mais elle en était incapable. Les yeux fixés sur le nom de celle qui avait été l'une de ses meilleures amies, elle prit soudain conscience qu'elle ne la verrait plus jamais. Un fugace instant, l'image de la porte de la chambre de Jenny s'imposa à elle, les monceaux de fleurs que chacun faisait apparaître devant après sa mort. Elle aurait voulu que Val soit là, mais Val aussi avait disparu, d'une façon qui lui paraissait toute aussi définitive.

Les quelques personnes qui étaient encore dans le cimetière le désertèrent lorsqu'ils entendirent les sanglots de Remus qui déchiraient la nuit. Le bruit de la grille du cimetière qui se referma en claquant ramena soudain Margaret à la réalité. Elle s'accroupit et prit Remus dans ses bras, sans chercher à prononcer le moindre mot. Face à la mort, ils étaient vains.

***

- Remus ? Oh...

Margaret venait de lever la tête vers Benjy Fenwick, qui se tenait près de la tombe, le visage en partie éclairé par la lueur des réverbères. Sa barbe était négligée, son teint pâle. Il fixait les deux jeunes gens assis devant la tombe sans tourner les yeux vers celle-ci. Margaret se rappela soudain son amitié inattendue avec Lily et se demanda ce qu'il ressentait. Toujours imperturbable, il n'avait jamais été du genre à s'appesantir sur les décès qui frappaient l'Ordre.

- Je ne savais pas que tu viendrais, commenta-t-il d'un ton égal en la dévisageant.

Elle haussa les épaules. Même si elle avait voulu émettre une réponse plus élaborée, elle en aurait été incapable. Tant pleurer l'avait vidée de ses forces. Benjy se pencha un peu pour regarder Remus, qu'elle enlaçait toujours. Ses larmes avaient fini par se tarir et il fixait la tombe blanche et ses inscriptions dorées, le visage hâve.

- Je voulais venir plus tôt, dit doucement Benjy à son intention, mais on a eu quelques soucis.

Margaret frissonna ; rien n'était terminé. La voix de Remu s'éleva alors, caverneuse :

- Pas grave. Ca ne change rien, de toute façon.

- C'est vrai, admit Benjy en se décidant enfin à faire face à la tombe, les mains dans les poches. Ca ne change rien.

Le silence régna quelques minutes, tandis qu'ils fixaient tous trois la pierre blanche sous laquelle reposaient leurs amis. Benjy soupira finalement et tendit la main à Margaret pour l'aider à se relever.

- Venez, vous avez assez traîné ici. Il faut être prudent, en ce moment.

Remus se laissa mettre debout, mais il restait tourné vers la tombe alors que Benjy s'engageait déjà vers la rue.

- Je ne peux pas partir, murmura-t-il.

- Tu l'as dit toi-même, répondit Margaret d'une voix éraillée. Ca ne change rien.

- Je... Je sais mais j'ai l'impression... Ici, j'ai l'impression d'être encore avec eux. Que si je pars... Si je pars, je les perdrai à nouveau.

- Tu reviendras, lui assura-t-elle en glissant son bras sous le sien, tandis que Benjy, depuis le portail du cimetière, leur faisait signe. Il faut y aller, Remus.

Il ne répondit rien mais se laissa traîner loin de la dernière demeure des Potter. Une fois dans la rue, il cligna plusieurs fois des yeux, comme surpris que la vie continue son cours. Benjy regardait autour de lui d'un air inquiet, la main au fond de sa poche où il serrait très certainement sa baguette.

- Est-ce que tu peux rentrer tout seul ? demanda-t-il à Remus. Je peux te faire transplaner.

- Moi aussi, proposa Margaret.

Remus semblait à peine les avoir entendus. En revanche, Benjy adressa un regard dur à la jeune femme.

- Non. Pour des raisons de sécurité, il vaut mieux que tu ne saches pas où il vit. On est tous recherchés par les Mangemorts, on ne peut pas prendre de risque.

- Mais je...

- Tu ne fais plus partie de l'Ordre, coupa-t-il. Nos secrets ne sont plus les tiens.

La sécheresse du ton de Benjy semblait avoir réveillé Remus, qui regardait à présent la jeune femme d'un air circonspect.

- Il a raison, dit-il doucement. De toute façon, tu repars demain, non ? Autant qu'on se sépare ici.

Margaret fut à nouveau prise d'une envie de pleurer. Tout lui glissait entre les doigts. Elle allait à nouveau protester, lorsqu'elle comprit qu'elle n'en avait pas le droit : c'était ce qu'elle avait voulu. Elle se mordit donc la lèvre inférieure, ferma un instant les yeux pour tenter de ravaler ses larmes puis planta son regard embué dans celui de Remus.

- Je suis désolée, balbutia-t-elle. J'aurais voulu... j'aurais voulu faire plus. J'aurais voulu être là pour toi.

Il prit une inspiration tremblotante et, sans crier gare, la serra farouchement contre lui. Le visage enfoui contre son écharpe, elle entendit à peine ses derniers mots :

- Tu étais là aujourd'hui. Adieu, Maggie.

Il la lâcha aussi brusquement qu'il l'avait enlacée et se détourna aussitôt pour partir à grands pas dans la direction opposée. Benjy se contenta de lui recommander la prudence avant de le suivre. Ils disparurent bien vite au détour d'une ruelle, tandis qu'autour de Margaret les rares passants se hâtaient de rentrer chez eux. Le silence tomba sur Godric's Hollow et sur la tombe blanche, ensevelie dans la nuit.

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