Le palais était calme. Hyunjin avait quitté sa chambre de bonne heure ce matin et de plutôt bonne humeur. Après la grosse colère de sa mère, cette dernière avait fini par s'apaiser en voyant que son fils n'avait pas commis d'impairs depuis qu'elle l'avait retrouvé au lit avec le fils du duc Yang. C'était ce qu'elle croyait. Elle n'avait pas eu vent de son escapade nocturne quelques jours auparavant, et il en était soulagé. Si elle l'apprenait, il allait encore passer un sale quart d'heure. Et si elle savait que le Lieutenant-colonel avait couché avec lui, elle n'en serait que plus furieuse. Elle s'en prendrait encore à lui, comme s'il était le seul à agir, alors que les hommes avec lesquels il s'amusait étaient toujours les premiers à l'observer comme un vulgaire morceau de viande. Il en profitait bien, de ces regards insistants et des sombres désirs qui les motivaient, mais ils étaient deux pour faire ces choses. Il ne forçait jamais personne à lui sauter dessus et à passer la nuit avec lui. Ils le faisaient car dans le fond, c'était tout ce qu'ils souhaitaient.

Il venait d'engloutir un délicieux petit déjeuner en compagnie d'une servante qu'il avait un peu séduit, parce qu'il s'ennuyait seul dans cette grande pièce sans personne à qui parler. Lilith était toujours présente, mais silencieuse. Elle lui avait dit avoir besoin de prendre des forces et du repos. Elle avait eu ce qu'elle voulait avec Changbin, son appétit avait été comblé avec un homme aussi fougueux que lui. Hyunjin avait vu une autre facette du militaire, une facette bien moins sage et propre, une facette plus bestiale, hors du contrôle et de la droiture que son statut lui imposait. Lilith l'avait remercié et s'était faite toute petite, comme si elle s'était endormie. Pour combien de temps ? Hyunjin savait qu'elle pouvait totalement disparaître pendant une ou deux journées, puis elle revenait en force, plus motivée que jamais. S'il ne disait pas non à un peu de répit, il ne fallait pas non plus qu'il perdure trop longtemps, lui aussi avait des envies à assouvir. Et surtout, il avait hâte qu'elle permette à Chan de tomber sous son charme.

Hyunjin quitta son siège et remercia la jeune femme qui l'avait servi. Il lui attrapa la main et la dirigea vers son visage. Il se pencha pour poser le nez sur sa peau, elle était douce, chaude, et elle sentait les fleurs. S'il avait eu un peu plus de temps devant lui, il n'aurait pas hésité à faire valser tout ce qui se trouvait sur la table pour la faire grimper au septième ciel. Il voyait qu'elle n'était pas indifférente à ses avances, elle aurait sans doute accepté sa proposition. Cependant, il avait d'autres plans pour cette matinée qui ne faisait que commencer. Il la salua et quitta la pièce pour s'engouffrer dans le corridor.

Il tendit l'oreille, il avait entendu des bruits de pas venir dans sa direction. Il se tourna et remarqua Jinyoung arriver, il était accompagné de Changbin. Quand il croisa le regard de celui-ci, une étrange chaleur se manifesta dans son ventre pour se propager dans tout son corps. Il déglutit et se figea, paralysé par cette sensation à la fois agréable et poignante. Il voulait partir, fuir, ne pas se retrouver face à son frère aîné, et en même temps il mourait d'envie de voir quelle serait la réaction du Lieutenant-colonel.

Sa curiosité mal placée refaisait surface, et c'était bien souvent ce qui pouvait le mettre dans de fâcheuses situations. Jinyoung ne le portait pas dans son cœur, c'était une certitude, et c'était réciproque. Peut-être qu'au plus profond de lui, il aimait cette haine qu'ils se vouaient mutuellement. Peut-être qu'il s'en nourrissait, que sans cette dernière, il perdait une part de lui-même. Elle l'avait aussi détruit de l'intérieur, elle avait consumé son cœur et son esprit, elle avait fait de lui qui il était aujourd'hui. Alors il l'aimait, d'un amour destructeur, il la choyait comme son enfant. Après tout, elle était née de lui et c'était tout ce qu'il avait pour se consoler.

Jinyoung arriva à son niveau et l'observa de haut, le menton légèrement relevé. Hyunjin soutint son regard.

— Qu'est-ce que tu fais là ?

— Je viens de prendre mon petit-déjeuner.

— Et donc tu trouves cela judicieux de traîner plutôt que d'aller étudier ?

— Je t'ai dit que je venais de prendre mon petit-déjeuner, je viens juste de sortir.

Jinyoung soupira et sa mâchoire se crispa. Hyunjin n'avait besoin de rien faire pour le mettre sur les nerfs, sa présence suffisait à l'énerver, et il n'avait jamais compris pourquoi il réagissait ainsi.

— Tu devrais te remuer au lieu de rester là.

— Ma vue te dérange tant que ça ? s'amusa Hyunjin.

— Oui. Estime-toi heureux que père et mère t'autorisent à vivre ici, au palais, alors que tu n'y mets pas du tien. Tu es un poids pour tout le monde, tu causes du tort aux autres avec ton attitude. Tu ne sers à rien à part à nous faire honte.

Hyunjin ne put s'empêcher de pouffer de rire. Toutes les occasions pour tenter de le blesser et de l'humilier étaient bonnes. Il n'avait pas besoin de lever le petit doigt, son frère semblait prendre beaucoup de plaisir à le maltraiter. Lui aussi se nourrissait de haine alors qu'il avait tout à portée de main. Il était le fils héritier, celui qui était mis sur un piédestal par leurs parents, celui qui reprendrait le trône, celui à qui il fallait se soumettre. Il avait tout. Pouvoir, richesse, des jeunes femmes venus de toutes les contrées à ses pieds et pourtant, il passait son temps à lui cracher dessus au lieu de simplement l'ignorer.

— Je ne t'ai pas offensé, pourquoi te comporter ainsi à mon égard ?

— Car je te déteste.

— Sache que je te déteste aussi, mais contrairement à toi, je ne me soucie pas de tes moindres faits et gestes. N'as-tu donc pas d'autres choses plus importantes à faire en tant que futur roi de ce pays ?

Il vit le visage de Jinyoung se métamorphoser en une expression de rage. Il ne pensait pas le mettre autant en colère en lui rappelant ses devoirs d'héritier. Il l'attrapa par le col de sa chemise, sa main s'abattit sur sa joue gauche, le revers sur sa joue droite. Changbin se jeta sur Jinyoung pour le séparer de son frère.

— Je te déteste, sale monstre ! Ta place est dans un bordel ! Ou plutôt en enfer !

— Jinyoung, calmez-vous s'il vous plaît !

Hyunjin restait impassible face à la scène qui se jouait devant, malgré son visage rouge et douloureux. Il se demandait pourquoi son frère aîné se mettait dans des états pareils juste en le voyant. Ça l'amusait et en même temps, ça l'intriguait.

— Je te hais ! Je te hais pour tout ce que tu dégages, ton attitude de catin désinvolte. Ta manière de séduire les hommes, même les plus respectables, pour les mettre dans ton lit. Tu me fais vomir.

— Je n'y peux rien si même les plus sérieux d'entre eux finissent par me sauter dessus.

Il lança un regard à Changbin avant de tourner les talons. Il s'en alla sous les insultes et les cris de son frère, il n'avait pas de temps à perdre avec une énième bagarre. Il avait l'habitude qu'il le traite de cette façon, mais l'agressivité et l'animosité à son égard ne faisait que grandir jour après jour, semaine après semaine. Hyunjin n'était peut-être pas l'enfant le plus sage et le plus discipliné, il n'était pas non plus un monstre comme son frère le prétendait. Il n'était seulement pas fait pour subir l'autorité et ce rôle de prince. Il afficha un sourire en continuant son chemin. Pas de larmes, pas de rancœur, pas de peine. Il traversa le palais et arriva face à une ouverture qui donnait accès aux jardins. Il avait une idée bien précise en tête, il y pensait depuis quelques jours maintenant, et il était enfin prêt.

Il descendit les marches en pierre pour s'engouffrer dans les allées luxuriantes. Il contempla les arbustes parfaitement taillés, les arbres aux feuillages colorés, les parterres de fleurs. Il s'arrêta quand il remarqua, à quelques mètres, une rangée de rosiers blancs. C'était parfait. Il venait de trouver le cadeau qu'il lui fallait. Il voulait aller voir Chan et se faire pardonner pour ce qu'il lui avait dit quand il était allé se confesser. Il était réellement désolé de s'être emporté de la sorte, il ne voulait pas le choquer avec de tels propos. Ce n'était pas lui. Quand il était en compagnie du prêtre, jamais il ne se comportait de cette manière. Il avait cogité, énormément, et il ne lui en voulait pas pour ce qu'il avait dit à son sujet.

Il arracha une rose et la porta à son nez. Le doux parfum emplit ses narines et sa tête pour la lui faire tourner. Il ferma les yeux et imagina le visage de celui qu'il aimait ; son expression si paisible, angélique, son sourire si réconfortant. Il saurait apprécier son présent, Hyunjin en était persuadé. Il saurait le pardonner pour ce qu'il avait dit, pour tout ce qu'il avait fait. Si Dieu lavait ses péchés, Chan était lui aussi capable de le faire.

Après quelques secondes de réflexion et de rêverie, Hyunjin retourna à l'intérieur. Il pressa le pas jusqu'à la chapelle, le coeur fou et l'esprit sens dessus dessous. Il avait hâte de revoir l'homme qu'il convoitait, de lui parler, de lui demander pardon, et même de le voir sourire d'une façon singulière. Il voulait entendre sa voix suave, se perdre dans ses yeux si profond, qu'il lui dise que tout irait bien. Il avait besoin de son approbation, plus que celle de personne. Il poussa la porte et son souffle se fit plus court, plus saccadé, il avait l'impression de suffoquer. Son désir pour le prêtre le rendait fébrile. Il salua quelques religieuses d'un petit signe de la tête, ces dernières se forcèrent à lui répondre avant de vite disparaître dans les salles adjacentes. Hyunjin n'en avait que faire ; elles pouvaient bien l'éviter et avoir peur de lui, il n'était pas là pour elles.

Il était là pour Chan.

Il avança à proximité de l'autel et il sursauta quand les portes du confessionnal s'ouvrirent. Il fronça les sourcils. Chaejin, en sortait, tout comme Chan. Pourquoi son autre frère était-il venu se confesser, lui qui était si gentil, si timide ? Il n'aurait jamais imaginé qu'il puisse un jour le croiser ici. Mais, dès qu'il remarqua sa présence, le jeune homme se défila sans même lui accorder plus d'attention. Peut-être n'était-il pas si parfait, finalement.

— Oh, bonjour Hyunjin.

Le visage de Chan s'était illuminé d'une joie qui lui était rare. Même s'il l'avait déjà vu sourire à de nombreuses reprises, il ne l'avait jamais vu aussi radieux. Il semblait épanoui, presque euphorique. Il se demandait si la cause de son état était la venue de Chaejin, ou la sienne. Il aimait croire qu'il était heureux de le voir lui plutôt que son frère, mais il craignait de se faire des illusions.

— Tout va bien ? demanda Chan, la tête légèrement penchée sur le côté.

— Oui ! Pardonnez-moi mon père, je suis un peu distrait.

Un petit rire retentit.

— Que me vaut votre visite ?

— Je… Hm…

Il humidifia ses lèvres avant de déglutir. La présence de Chan était tellement imposante qu'il se trouva incapable de parler. Il avait envie de lui crier son amour, de tout avouer, mais il ne pouvait décemment pas le faire. Il était seulement venu pour s'excuser et lui offrir une rose, il n'attendait rien de plus de cette entrevue, alors pourquoi se mettait-il des barrières ? Encore une fois, il ne se reconnaissait plus.

— Prenez votre temps Hyunjin.

La main de Chan se posa sur son épaule, le temps d'une seconde, et il crut défaillir. Du temps, il n'en avait pas. Il n'en avait plus. Cela faisait bien trop longtemps qu'il lui courait après, qu'il voulait qu'il s'intéresse à lui, plus que comme une brebis égarée. Il prit une grande inspiration et releva la tête, son regard s'ancra dans celui du prêtre.

— Je suis venu pour vous demander pardon.

Chan papillonna des cils.

— Pardon ? Pour quelle raison ?

— Pour mon comportement. Pour ce que je vous ai dit la dernière fois que je suis venu me confesser.

— Hyunjin, vous n'avez pas besoin de mon pardon, seul Dieu…

— J'insiste mon père, l'interrompit-il.

Il lui tendit la rose, Chan la considéra pendant quelques secondes qui semblèrent durer une éternité.

— Je l'ai cueillie pour vous. Je ne savais pas quoi vous offrir alors…

Un sourire étira les lèvres du prêtre et il hocha la tête.

— J'accepte votre présent. Mais je vous assure, vous n'aviez pas besoin de me demander pardon.

— Je m'en veux, cela me tourmente depuis des jours.

À nouveau, la main de Chan se cala sur son épaule. Il la malaxa lentement avant de remonter sur sa joue qu'il caressa. Un feu, plus puissant que jamais, envahit le corps de Hyunjin. Il dut s'empêcher de le regarder, fermer les yeux aussi fort que possible, pour ne pas totalement perdre pied. Le toucher du prêtre était à la fois brûlant et consolateur.

— Vos joues sont rouges, quelqu'un vous a fait du mal ?

Il ravala sa salive et murmura un « oui » à peine audible.

— Qui ?

La voix de Chan s'était glissée dans ses oreilles avec tellement de sensualité qu'il en frissonna. Il ignorait s'il se faisait des idées, ou s'il lui avait réellement parlé avec autant d'envie qu'il n'en avait pour lui, mais il trouvait cela exquis. Exquis et excitant.

— Jinyoung.

— Pourquoi ?

— Je n'en sais rien… soupira Hyunjin. J'étais simplement là, et il a commencé à me crier dessus, à me frapper.

— Il était seul ?

Il secoua la tête de gauche à droite, les doigts de Chan étaient restés plaqués contre sa joue.

— Il était avec le Lieutenant-colonel Seo.

— Hyunjin, ne vous préoccupez pas de lui, dit-il en intensifiant ses caresses.

— Il m'en veut, mais j'ignore pourquoi. Je le déteste pour me détester.

— Il vous en veut car il est jaloux. Il vous en veut car contrairement à vous, il est incapable d'assumer ses choix et ses actes.

Hyunjin rouvrit les yeux. Il voulut rétorquer, impossible. Ce que Chan venait de lui annoncer était insensé. Comment Jinyoung pouvait-il l'envier alors qu'il était le premier né, l'héritier de ce royaume, celui que leurs parents encensaient chaque jour qui passait ? À côté de lui, Hyunjin était un fardeau que personne n'avait envie de porter.

— Hyunjin, quoi que vous pensiez, soyez sûr d'une chose, vous êtes un jeune homme fort et courageux.

— Mon père…

Chan glissa la main dans la nuque du prince et se pencha vers lui. De ses lèvres pleines, il exerça une pression sur son front. Hyunjin resta immobile, sous le choc. C'était la toute première fois que l'homme avait un geste comme celui-ci envers lui. La première fois que sa bouche côtoyait sa peau. Et c'était délicieux. Cela n'avait rien à voir avec tous les baisers qu'il avait reçu, toutes les lèvres qui avaient parcouru son corps. Ces dernières appartenaient à l'homme qu'il aimait, et désormais, il l'avait dans la peau.

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▶️ Hello (◕ᴗ◕✿)
Le retour de Chan, avec une petite approche 🙄 peut-être que ça se précise entre Hyunjin et lui...

J'en profite pour vous partager le magnifique dessin de Lilith réalisé par Springieko ❤️ Merci beaucoup elle est vraiment parfaite ಥ‿ಥ

Je vous dis à Jeudi prochain pour la suite !