Chapitre 2 - Un drôle d'accueil
— Regarde, elle bouge, enfin !
— Calme-toi, on a bien dit qu'il ne fallait pas la brusquer, rappelle-toi qu'elle vient de...
— Eh oh ! Vous m'entendez là-dedans ?
Les paupières de Lilia papillonnèrent. Elle avait la sensation que son crâne avait été compressé et que son estomac avait dansé le rock toute la nuit. La dernière fois qu'elle s'était sentie aussi mal, c'était après avoir suivi Stéphanie dans des montagnes russes infernales en Espagne pour la troisième fois consécutive. Le dénouement fut le même : elle souleva son corps sur ses coudes tremblants et vomit son dîner.
— C'est pas vrai ! J'ai fait nettoyer la moquette y a moins de deux semaines !
L'estomac vide, Lilia se releva et découvrit un décor inconnu. Pendant un instant, elle crut qu'elle se trouvait dans un hôpital : la chambre qui l'accueillait était presque entièrement blanche. Des murs aux étagères, en passant par le bureau sur lequel cinq écrans aussi fins que des feuilles de carton affichaient des chiffres et diagrammes animés, tout était d'un blanc immaculé. Et puis elle remarqua le contenu de la bibliothèque au fond de la pièce : elle était remplie de figurines, de livres et de bandes dessinées. Elle fronça les sourcils et son regard s'arrêta finalement sur les deux hommes qui lui faisaient face et le dévisageaient comme s'ils se trouvaient en face de Beyoncé. Ces deux-là n'avaient rien d'infirmiers : les joues encore rondes de l'adolescence, ils ne devaient pas avoir plus de vingt ans et portaient tous les deux un jean et un t-shirt sombre. Le premier était pourvu d'un corps longiligne et de cheveux blonds presque blancs. Son comparse affichait une peau naturellement mate et des boucles noires mal coiffées qui tombaient en une masse informe jusqu'à ses épaules.
Lilia recula instinctivement, déboussolée, tout en essayant de comprendre ce qu'elle faisait dans cet endroit. Comment avait-elle atterri ici ? Elle se rappelait avoir reçu un message de rupture de Tom, être allée dans la salle de bain. Elle avait ensuite vu cette trace sur la glace et puis... Non, elle avait dû avoir une hallucination. Elle avait le souvenir d'être passée à travers le miroir. Bienvenue à Narnia ! Elle ferma violemment les paupières, persuadée d'être en plein délire, mais, quand elle les rouvrit, elle se trouvait toujours dans cette chambre inconnue. Le blondinet avait levé ses mains, paumes vers l'avant, comme si un animal craintif lui faisait face.
— Tout va bien, Lilia, on ne te veut aucun mal.
Elle sursauta à l'entente de son prénom. Ce gars la connaissait, pourtant elle était certaine de ne l'avoir jamais vu. Les deux visages poupons qui la surplombaient prirent soudain des airs de Chucky dans son esprit.
Des pervers. Ça devait être deux pervers qui l'avaient droguée et embarquée. Comment étaient-ils entrés dans son appartement ? Ils avaient dû l'observer, la traquer... Non, non, non, ça ne pouvait pas arriver ! Elle avait assez vu de documentaires sur Netflix pour connaître la suite : ils allaient la violer, peut-être même la torturer ou la démembrer avant de la balancer au fond d'un lac. Le sang quitta son visage. Les yeux exorbités de terreur, mais incapable du moindre son, elle ne pouvait s'empêcher d'ouvrir et de fermer la bouche comme une carpe sous cocaïne.
— Je crois que le voyage lui a grillé quelques neurones, lâcha le brun à bouclettes.
— Lilia, reprit l'autre, je sais que ça va te sembler dingue, mais écoute moi attentivement. Tu es en 2096, dans un futur potentiel. Nous t'avons fait venir ici parce que nous avons besoin de toi.
— Nous avons juste besoin que tu te reproduises.
— Bon sang, ferme-la ! Tu ne vois pas qu'elle est complètement paniquée ? Tu imagines si la première chose que tu découvrais après un trip temporel c'était ta sale tronche d'obsédé qui te parle de se reproduire ? Laisse-la respirer ! Lilia, tu veux un verre d'eau ?
Lilia continua de dévisager les deux hommes sans bouger. Des malades. Elle parcourut la pièce du regard. Les volets des deux fenêtres étaient baissés au trois quarts : impossible d'avoir la moindre indication de l'endroit où elle se trouvait. Le blond la fixait toujours, attendant une réponse de sa part. Que lui avait-il demandé, déjà ? Elle opina sans réussir à se le rappeler, priant pour n'avoir commis aucune erreur. Le jeune homme se leva, ce qui lui permit de jeter un nouveau regard autour d'elle. Elle remarqua une ouverture sur la gauche de la bibliothèque qui donnait sur un couloir. Elle se pencha légèrement. Pouvait-il s'agir de la porte d'entrée derrière ? Si elle arrivait à courir et à l'atteindre, peut-être que... Avant qu'elle puisse se décider, son ravisseur revint et lui tendit le verre rempli.
— Merci, dit-elle, docile.
Elle contempla le récipient avec pragmatisme : si elle le brisait, elle obtiendrait une arme acceptable.
— Pardon, reprit le blond. On ne s'est même pas présentés. Je m'appelle Gaëtan, et lui c'est Rodrigo, mais ne fait pas trop attention à lui.
— Ouais enfin, c'est chez moi et c'est sur mon sol qu'on a vomi.
— Lilia, continua Gaëtan en ignorant son ami, est-ce que tu as compris ce que je t'ai dit ? Que tu te trouves dans un futur potentiel ?
— Oui, répondit la jeune femme d'une voix tremblotante.
Elle aurait dit oui même s'il avait déclaré être la reine des neiges. Sa mère lui avait toujours appris à ne jamais contrarier les fous.
— Tu vois ! s'exclama Rodrigo. Pas besoin de la ménager. Alors écoute ma vieille, dans ce futur ce n'est pas joli, mais tu es la clé qui peut tout changer. Quand tu retourneras à ton époque à la fin de la journée, tu devras trouver un homme, n'importe lequel, et lui faire un enfant. Il faut que tu aies un enfant, d'accord ? C'est tout. Simple comme bonjour, des millions de mammifères font ça constamment.
Gaétan enfouit son visage entre ses mains et poussa un long soupir de lassitude.
— Qu'est-ce que tu as ? Je te dis qu'elle a pigé ! Hein, tu as pigé, Lilia ?
— Oui.
— Voilà ! Parfait, mission accomplie !
Gaétan se tourna vers son comparse et commença à l'insulter de tous les noms. Cette fois-ci, Lilia ne perdit pas une seconde. En un clin d'œil, elle se leva et s'élança vers l'entrée. Étonnamment, ses jambes la portèrent sans hésiter ; l'instinct de survie avait pris le pas sur la peur. Sans délicatesse, elle s'écrasa contre la porte, posa ses mains tremblantes contre la poignée et laissa échapper un petit gémissement de joie en découvrant qu'elle n'était pas verrouillée. Elle ignora les appels de ses ravisseurs derrière elle et, manquant de trébucher, elle aboutit sur le palier du troisième étage d'un immeuble dont le sol et les murs étaient tapissés d'une moquette vert bouteille. Sans s'attarder sur cette décoration d'un goût douteux, elle dévala les marches jusqu'au rez-de-chaussée et poussa la porte du bâtiment.
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