Le retour à la clairière
Le chemin qui menait à la clairière semblait s'étirer à l'infini, comme si chaque pas nous enfonçait un peu plus dans une autre réalité, un lieu que nous ne comprenions plus. La forêt autour de nous n'était plus la même. Les arbres, autrefois familiers, prenaient des formes inquiétantes, projetant des ombres grotesques sur le sentier. Le silence était total, à tel point que chaque respiration de Nina à côté de moi semblait un écho dans un monde vide. Le vent, qui d'ordinaire soufflait doucement entre les branches, s'était tu. L'air était lourd, étouffant, et chaque pas était plus difficile à faire que le précédent.
Je jetai un coup d'œil à Nina. Elle ne disait rien, et son visage, habituellement si expressif, était figé dans une concentration intense. Nous savions toutes les deux que revenir ici était une folie, mais nous n'avions plus le choix. La curiosité, le besoin de comprendre ce qui nous arrivait, étaient devenus plus forts que la peur. Le vieil homme à la librairie avait été clair : nous avions réveillé quelque chose, et ce quelque chose nous attendait.
Mon cœur battait plus vite à chaque pas, et une étrange chaleur montait en moi. Cette sensation ne m'avait pas quittée depuis le rituel. Ce n'était pas une simple chaleur extérieure. C'était plus profond, comme un feu qui couvait sous ma peau. Je ne pouvais pas l'expliquer, mais je savais que cela avait un lien avec ce que nous avions fait. Un lien que je n'étais pas encore prête à accepter.
Le silence qui nous entourait devenait de plus en plus oppressant. Même les oiseaux semblaient avoir déserté la forêt. C'était comme si la nature elle-même retenait son souffle, attendant de voir ce qui allait se passer.
« Luna, tu es sûre qu'on doit faire ça ? » demanda soudain Nina, brisant le silence pesant.
Je tournai la tête vers elle. Son visage était pâle, ses yeux brillants d'inquiétude. Elle avait toujours été celle qui fonçait tête baissée, sans se soucier des conséquences. Mais aujourd'hui, je voyais la peur dans son regard, une peur qu'elle essayait désespérément de dissimuler derrière une façade de bravoure.
« Je ne sais pas, » avouai-je, ma voix tremblante malgré moi. « Mais on ne peut pas faire marche arrière maintenant. »
Nina hocha lentement la tête, sans dire un mot de plus. Elle savait aussi bien que moi que quelque chose avait été déclenché la veille. Quelque chose que nous ne pouvions plus ignorer.
Nous continuâmes à avancer, et bientôt, la clairière apparut devant nous. Elle était baignée dans une lumière étrange, presque irréelle. Les arbres qui entouraient l'endroit semblaient plus hauts, plus sombres, leurs branches s'entremêlant pour former une sorte de barrière naturelle. C'était le même endroit où nous étions venues la veille, mais tout ici semblait différent. Comme si le simple fait d'être revenues ici avait changé l'atmosphère.
Je m'arrêtai un instant, prenant une profonde inspiration pour tenter de calmer les battements affolés de mon cœur. L'air autour de nous était lourd, presque étouffant, chargé d'une énergie que je ne pouvais pas définir. Mes mains tremblaient légèrement, et j'avais l'impression que mes jambes allaient céder sous moi à tout moment. Mais je savais que je devais avancer.
« Tu sens ça ? » murmura Nina, à côté de moi.
Je hochai la tête. Comment ne pas sentir cette tension ? C'était comme un poids invisible qui s'abattait sur nous, une force qui semblait nous envelopper, nous observer. C'était à la fois terrifiant et... étrangement familier. Comme si une part de moi savait exactement ce qui se passait, même si mon esprit refusait encore de l'accepter.
« On aurait jamais dû revenir, » souffla Nina, son regard fixant le cercle de pierres au centre de la clairière.
Je ne répondis pas. Peut-être qu'elle avait raison, mais il était trop tard pour reculer. Nous étions déjà trop impliquées.
Nous avançâmes lentement vers le centre de la clairière, là où nous avions fait le rituel la veille. Les pierres étaient toujours là, disposées en cercle parfait autour de la bougie noire éteinte. Le sol était étrangement humide, et l'odeur de terre mouillée se mêlait à celle de la cire fondue. Rien n'avait bougé, et pourtant, tout semblait différent.
Je m'accroupis près du cercle, observant la bougie. Des gouttes de cire noire avaient coulé le long des pierres, formant des formes sinistres sur le sol. Je tendis la main pour toucher l'une des pierres, mais avant que mes doigts ne l'atteignent, une sensation étrange me traversa, comme une décharge électrique.
Je retirai ma main brusquement, le souffle court. Ce n'était pas normal. Rien de tout cela n'était normal. Je le savais maintenant.
« Luna... qu'est-ce que tu fais ? » demanda Nina, sa voix tremblante.
Je ne savais pas ce que je faisais. Tout ce que je savais, c'était que je ne pouvais pas m'arrêter. Une force invisible, irrésistible, me poussait à avancer, à comprendre ce qui se passait ici.
Je me relevai lentement, mon regard attiré par quelque chose à la lisière de la clairière. Mon cœur manqua un battement. Il y avait une silhouette dans l'ombre des arbres, floue, indistincte, mais bien là. Elle ne bougeait pas. Elle nous observait.
« Luna... tu la vois ? » murmura Nina, sa voix à peine audible.
Je hochai la tête, incapable de détacher mon regard de cette silhouette. Elle semblait flotter dans l'air, comme si elle n'appartenait pas à ce monde. Elle était floue, presque translucide, et pourtant, je sentais sa présence avec une intensité qui me coupait le souffle.
Une part de moi savait que cette silhouette m'était familière. Je ne pouvais pas l'expliquer, mais je savais qu'elle était liée à moi, d'une manière ou d'une autre. C'était comme un souvenir enfoui, quelque chose que mon esprit avait oublié, mais que mon corps reconnaissait.
« On doit partir, » insista Nina, sa main se crispant sur mon bras.
Mais je ne pouvais pas partir. Quelque chose me retenait ici. Ce n'était pas seulement la curiosité ou la peur. C'était plus profond que ça. C'était comme si une part de moi savait que je devais rester, que je devais comprendre ce qui se passait.
Je fis un pas en avant, mes jambes tremblant légèrement sous l'effet de la tension qui montait en moi. Et soudain, tout changea.
Un éclair de lumière jaillit du centre du cercle de pierres, m'aveuglant pendant une fraction de seconde. Je sentis une vague de chaleur m'envahir, une chaleur qui venait de l'intérieur de mon corps, comme si quelque chose en moi venait de se réveiller.
Je tombai à genoux, mes mains s'enfonçant dans la terre humide. Mon corps tout entier vibrait sous l'intensité de cette énergie. C'était terrifiant, mais en même temps... étrangement familier. C'était comme si une force que je n'avais jamais connue, mais qui avait toujours été là, venait enfin de se libérer.
Je sentais cette chaleur couler dans mes veines, envahir chaque cellule de mon corps. Mon esprit semblait se brouiller sous l'effet de cette énergie, mais une part de moi savait exactement ce qui se passait. Cette force... elle m'appartenait. Elle avait toujours été là, enfouie profondément en moi, attendant d'être libérée.
Quand je rouvris les yeux, la lumière avait disparu, mais l'air autour de moi semblait encore chargé de cette énergie. Je me redressai lentement, mes jambes tremblantes, le cœur battant à tout rompre. Je me sentais différente. Plus forte. Plus consciente de ce qui m'entourait.
Nina s'approcha de moi, son visage marqué par la peur. « Luna... qu'est-ce qui vient de se passer ? »
Je pris une profonde inspiration, essayant de mettre des mots sur ce que je venais de vivre. « Je... je crois que je viens de comprendre. »
Nina fronça les sourcils, son regard oscillant entre la confusion et la terreur. « Comprendre quoi ? »
Je levai les yeux vers le cercle de pierres, où une faible lueur semblait encore émaner du sol. « Ce pouvoir. Ce qu'on a réveillé... il est lié à moi. D'une manière que je ne comprends pas encore, mais c'est en moi. »
Nina me fixait, ses yeux grands ouverts, cherchant des réponses que je n'avais pas encore. Elle s'attendait à ce que je lui dise ce qui venait de se passer, mais comment pouvais-je lui expliquer quelque chose que moi-même, je ne comprenais pas ? Tout ce que je savais, c'était que ce pouvoir, cette force que nous avions réveillée, n'était pas étrangère. Elle faisait partie de moi, d'une manière que je ne pouvais pas encore expliquer, mais que je ressentais avec une clarté effrayante.
« En toi ? » Nina secoua la tête, l'incrédulité se mêlant à la peur dans ses yeux. « Tu réalises à quel point c'est insensé, Luna ? Ce n'est pas toi. C'est cette chose... ce qu'on a réveillé. »
Je ne répondis pas tout de suite. Une partie de moi voulait lui donner raison. Après tout, comment une adolescente ordinaire, sans aucune connaissance du monde surnaturel, pouvait-elle soudain se retrouver liée à une force aussi puissante ? Et pourtant, chaque fibre de mon être me criait que c'était vrai. Ce pouvoir... il ne m'était pas étranger. C'était comme une clé qui venait d'ouvrir une porte longtemps fermée.
Je fermai les yeux un instant, essayant de rassembler mes pensées, de calmer mon souffle. La chaleur qui courait dans mes veines était toujours là, comme un feu couvant sous ma peau, prêt à éclater à tout moment. C'était à la fois terrifiant et... étrangement rassurant.
« Je ne sais pas comment te l'expliquer, » dis-je finalement, ma voix à peine audible. « Mais ce pouvoir... il fait partie de moi. Ce rituel n'a fait que libérer quelque chose qui était déjà là. »
Nina recula d'un pas, les yeux écarquillés. Elle ouvrit la bouche pour parler, mais aucun son ne sortit. Je pouvais voir l'incompréhension, le choc, et surtout la peur dans ses yeux. Elle n'avait jamais été confrontée à quelque chose d'aussi inexplicable, et moi non plus. Mais contrairement à elle, une part de moi commençait à accepter cette nouvelle réalité.
« Luna, ça n'a aucun sens. On ne connaît rien à la magie, aux rituels. On a juste suivi des instructions dans un vieux bouquin poussiéreux ! » Sa voix monta d'un cran, marquée par la panique. « Comment peux-tu dire que c'est lié à toi ? C'est cette chose qu'on a réveillée qui t'a envahie ! »
Je secouai la tête, refusant de céder à la peur qui montait en moi. « Non, Nina. Je le sens. C'est en moi depuis toujours. Je n'en avais juste pas conscience. » Je marquai une pause, mes pensées s'entrechoquant dans mon esprit. « Et je crois que ça a un lien avec ma famille. »
« Ta famille ? » Elle fronça les sourcils, encore plus perdue. « Qu'est-ce que ta famille a à voir là-dedans ? »
Je restai silencieuse un moment. Jusqu'ici, je n'avais jamais vraiment pensé à mes origines, à la possibilité que ma famille biologique puisse être liée à quelque chose de plus grand. J'avais été adoptée bébé, et mes parents adoptifs ne m'avaient jamais parlé de ma véritable lignée. Mais maintenant... tout semblait différent. Comme si ce pouvoir faisait partie de mon héritage, de quelque chose que je n'avais jamais connu, mais qui avait toujours attendu d'émerger.
« Je ne sais pas encore, » avouai-je, ma voix tremblant légèrement. « Mais je suis certaine que tout ça a un lien avec ma famille... avec qui je suis vraiment. »
Nina secoua la tête, comme si elle essayait de chasser cette idée absurde. « C'est... c'est trop bizarre. » Elle passa une main nerveuse dans ses cheveux, se retournant brièvement pour jeter un coup d'œil autour de nous, comme si elle s'attendait à voir quelque chose surgir des ombres.
Puis, soudain, la silhouette à la lisière de la clairière commença à bouger.
Je me figeai. Nina aussi. Elle s'approchait lentement, glissant à travers les arbres avec une grâce presque surnaturelle. Plus elle s'avançait, plus ses contours devenaient distincts, mais son visage restait invisible, comme s'il se fondait dans l'obscurité même de la forêt.
Mon cœur battait à tout rompre, mais cette fois, je ne sentais pas la peur m'envahir. C'était comme si j'avais su que cette rencontre devait arriver. Comme si elle était inévitable. Cette silhouette... elle était venue pour moi. Je ne pouvais pas l'expliquer, mais je le savais. Une certitude profonde s'était installée en moi.
Nina, en revanche, était paralysée par la peur. « Qu'est-ce que c'est ? Qu'est-ce qu'elle veut ? » chuchota-t-elle, son corps tremblant de plus en plus visiblement.
Je ne savais pas quoi répondre. Je ne savais pas ce qu'elle voulait, mais je savais que je devais le découvrir. C'était comme si chaque mouvement de cette silhouette était destiné à me montrer la voie, à me conduire vers quelque chose de plus grand, de plus ancien. Une vérité enfouie depuis longtemps.
Je fis un pas en avant, sentant mes muscles se tendre sous l'effet de l'énergie qui régnait dans l'air. Chaque souffle me semblait plus lourd, comme si l'atmosphère elle-même était chargée de cette force mystérieuse. La silhouette s'arrêta à quelques mètres de nous, et le temps sembla se figer. La lumière de la clairière vacillait légèrement, comme si même la nature hésitait à interférer dans ce moment.
« Luna, recule ! » siffla Nina, en me tirant le bras pour me ramener en arrière.
Mais je ne pouvais pas. Je ne pouvais pas fuir. Tout en moi me disait que c'était ici, maintenant, que tout devait se dérouler. Que je devais accepter cette vérité, aussi effrayante soit-elle.
Je pris une grande inspiration, mon cœur battant plus fort que jamais, et je tendis la main vers la silhouette. Ma main tremblait légèrement, mais une étrange assurance m'habitait, comme si ce geste avait été répété mille fois avant que je ne le fasse. C'était instinctif, inévitable.
La silhouette s'immobilisa complètement, puis une voix résonna dans ma tête. Une voix douce, presque apaisante, mais empreinte d'une gravité que je ne pouvais ignorer.
« Luna... tu es prête. »
Ces mots flottèrent dans l'air comme un écho, s'infiltrant dans chaque recoin de mon esprit. Je sentis une vague d'émotion m'envahir, une reconnaissance soudaine de ce que j'étais, ou du moins de ce que j'étais sur le point de devenir. C'était comme si chaque moment de ma vie avait mené à cet instant précis. Mais prête pour quoi ? C'était la question qui brûlait en moi.
Je n'eus pas le temps de répondre à cette voix intérieure. Une nouvelle vague d'énergie déferla sur moi, plus forte que la précédente. Je tombai à genoux, mes mains s'enfonçant dans la terre meuble. Mon corps entier semblait vibrer sous l'intensité de cette force, mais cette fois, je ne résistai pas. Je laissai cette énergie m'envahir, me remplir, comme si elle faisait partie de moi depuis toujours.
Je fermai les yeux, sentant la chaleur de cette force circuler dans mes veines, imprégner chaque parcelle de mon corps. C'était terrifiant, mais en même temps, incroyablement libérateur. Comme si j'étais enfin complète, comme si une pièce manquante de moi-même venait d'être retrouvée.
La voix résonna à nouveau, plus forte cette fois.
« Accepte qui tu es. »
Et alors, tout devint clair. Ce pouvoir, cette énergie... ils faisaient partie de moi depuis toujours. Je n'étais pas une simple fille ordinaire. J'étais bien plus que cela. Je faisais partie de quelque chose de plus grand, quelque chose de plus ancien que moi-même, que ma propre existence. Ce rituel n'avait fait que réveiller ce qui sommeillait en moi, libérant une force que je n'avais jamais soupçonnée.
Je rouvris les yeux, le souffle court, mais étrangement sereine. La silhouette devant moi avait disparu, mais l'écho de ses mots résonnait encore dans l'air autour de nous. Nina se tenait toujours à mes côtés, figée par l'horreur de ce qu'elle venait de voir.
Je me relevai lentement, mes jambes encore tremblantes sous l'effet de ce qui venait de se produire. Mais je me sentais différente. Je n'étais plus la même. Quelque chose en moi avait changé, quelque chose de profond, d'irréversible.
Nina posa une main sur mon épaule, sa voix à peine audible. « Qu'est-ce que tu as fait, Luna ? »
Je pris une profonde inspiration, sentant le poids de cette vérité m'envahir. « Je crois que j'ai fait une conneries »
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