Le poids du silence
Il y a des jours où le temps semble s'étirer à l'infini. Des jours où chaque seconde pèse comme une éternité, où chaque geste, chaque respiration, devient une épreuve. Aujourd'hui était l'un de ces jours. Encore un jour où le silence régnait, où je restais assise dans cette chambre, incapable de trouver la force de bouger.
Les murs de ma chambre étaient d'un blanc immaculé, si fades, si ternes. Ils n'avaient jamais vraiment changé, mais aujourd'hui, ils semblaient particulièrement oppressants. Ils étaient devenus mon univers, le cadre de cette vie suspendue entre passé et futur, sans présent véritable. Je les fixais, comme si, à force de les regarder, j'allais finir par découvrir quelque chose. Mais rien ne se passait. Il n'y avait rien à découvrir dans cette chambre, tout comme il n'y avait rien à découvrir dans ma vie, en ce moment.
Je soupirai, posant mes yeux sur mon carnet de croquis. Le cuir de sa couverture était usé, les coins effilochés par les années. C'était l'un des rares objets que je tenais encore en main, comme une sorte de lien fragile avec le passé. Mes parents adoptifs me l'avaient offert à l'époque où j'étais encore capable de rêver, où je pouvais passer des heures à dessiner des mondes imaginaires, des créatures fantastiques. À l'époque, tout semblait si simple. Mais maintenant, même le simple fait d'ouvrir ce carnet me semblait insurmontable. J'avais perdu toute envie de dessiner. À quoi bon dessiner des mondes imaginaires, alors que le monde réel semblait si vide, si sans espoir ?
Je pris le carnet dans mes mains, le tournant et le retournant, comme si j'espérais y trouver quelque chose qui pourrait me ramener à la vie. Mais il restait silencieux, tout comme moi.
Un soupir m'échappa alors que je levais les yeux vers la fenêtre. Les rideaux étaient tirés, ne laissant qu'une mince bande de lumière pénétrer dans la pièce. Cette lumière grise, terne, correspondait parfaitement à ce que je ressentais. Il semblait toujours faire gris ces derniers temps, comme si même le ciel refusait de m'offrir un peu de réconfort. La pluie menaçait de tomber, mais elle ne venait jamais. Juste cette attente, cette lourdeur dans l'air.
Je me surpris à repenser à mes parents . Cela faisait des mois qu'ils étaient partis, mais leur absence me pesait toujours autant. Il m'arrivait encore de penser qu'ils allaient passer la porte d'un moment à l'autre, me souriant, comme si rien de tout cela n'était jamais arrivé. Mais chaque fois que cette pensée me traversait l'esprit, la réalité me rattrapait. Ils étaient partis, et ils ne reviendraient jamais.
Je me sentais coupée du monde, comme si une barrière invisible s'était dressée entre moi et les autres. Mes tuteurs avaient fait de leur mieux, je le savais. Ils avaient essayé de me réconforter, de me soutenir, mais comment pouvaient-ils comprendre ce que je traversais ? Comment pouvaient-ils comprendre ce vide, cette perte ? J'étais seule dans ce deuil, tout comme j'étais seule dans cette chambre.
Je posai le carnet sur la table de chevet, sans même l'ouvrir. C'était inutile. Tout était inutile.
C'est à ce moment-là que la porte s'ouvrit brusquement, brisant le silence qui régnait dans la pièce. Je levai à peine les yeux, sachant déjà qui se tenait là. Il n'y avait qu'une seule personne capable d'entrer dans ma chambre avec autant d'énergie et sans frapper : Nina.
Nina, c'était tout ce que je n'étais pas. Elle débordait de vie, d'énergie, de lumière. Elle était comme un rayon de soleil dans cette existence terne. Même quand tout semblait aller mal, même quand le monde entier semblait s'effondrer, elle trouvait toujours une raison de sourire, toujours une façon de voir le bon côté des choses. Je ne savais pas comment elle faisait. Moi, je n'en étais plus capable.
« Allez, Lune, debout ! » lança-t-elle en tirant les rideaux d'un geste vif, inondant la pièce de lumière.
Je grimaçai, clignant des yeux sous cet assaut soudain. « Nina... sérieusement ? »
Elle me regarda, les mains sur les hanches, l'air résolu. « Oui, sérieusement ! Tu ne peux pas continuer comme ça. Rester enfermée dans cette chambre ne va pas t'aider, tu le sais. »
Je secouai la tête, me sentant encore plus fatiguée rien qu'à l'idée de devoir me lever. « Je suis fatiguée, Nina. Je n'ai pas envie de bouger. Pas aujourd'hui. »
Nina croisa les bras, me fixant avec cet air déterminé qui ne présageait rien de bon. « Justement. C'est parce que tu es fatiguée que tu dois bouger. Tu ne peux pas continuer comme ça. Tu ne peux pas continuer à rester là, à te morfondre. »
Je soupirai, posant mes mains sur mes genoux. « Nina, je t'en prie. Laisse-moi tranquille. »
Elle s'approcha et s'assit à côté de moi sur le lit, son poids faisant légèrement craquer le matelas. Elle resta silencieuse un instant, comme si elle cherchait les bons mots. Puis elle se tourna vers moi, un sourire doux sur les lèvres. « Écoute, je sais que c'est dur. Je sais que tu traverses un moment difficile. Mais je suis là. Je ne vais pas te laisser tomber. »
Je baissai les yeux, ne sachant pas quoi répondre. Nina avait toujours été là pour moi, depuis que nous étions petites. Elle était mon pilier, mon ancre dans ce monde qui semblait de plus en plus instable. Mais aujourd'hui, même sa présence semblait insuffisante pour combler le vide que je ressentais.
« J'ai une idée, » reprit-elle, brisant à nouveau le silence. Je levai un sourcil, intriguée malgré moi. « On va sortir. Juste toi et moi. Une soirée entre filles, comme avant. Qu'est-ce que tu en dis ? »
Je secouai la tête, exaspérée. « Nina, je ne suis pas d'humeur. »
« Justement ! » s'exclama-t-elle. « C'est pour ça qu'on doit le faire. Je te promets, ça te fera du bien. »
Je restai silencieuse, pesant le pour et le contre. Je savais que Nina n'abandonnerait pas. Quand elle avait une idée en tête, il était impossible de la faire changer d'avis. Et puis, au fond, qu'est-ce que j'avais à perdre ? Peut-être qu'elle avait raison. Peut-être qu'une soirée avec elle pourrait m'aider, ne serait-ce qu'un peu.
« D'accord, » dis-je finalement, en levant les mains en signe de reddition. « Mais à une condition. Rien de trop bizarre. Pas de trucs effrayants, d'accord ? »
Elle éclata de rire, son sourire s'élargissant encore plus. « Promis ! Juste toi et moi, une bougie, et quelques mots magiques. »
La soirée tomba plus vite que je ne l'aurais cru. Nina s'était chargée de tout organiser, comme toujours. Il y avait quelque chose de presque rassurant dans son efficacité à toute épreuve. Quand elle prenait les choses en main, je pouvais presque oublier, ne serait-ce qu'un instant, que le monde autour de moi s'effritait.
J'étais là, dans le salon, à la regarder virevolter autour de la pièce, préparant ce qu'elle appelait "notre soirée mystique". Elle avait déniché une vieille bougie noire et un mélange d'herbes sèches, dont elle me disait connaître les propriétés magiques. Tout cela me paraissait à la fois absurde et fascinant. Comment Nina parvenait-elle à garder cette énergie, cette joie de vivre, même dans des moments aussi sombres ? Moi, j'étais là, figée, à peine capable de participer.
« Allez, arrête de me regarder comme ça, tu vas voir, ça va être fun ! » s'exclama-t-elle en plaçant la bougie au centre de la table.
Je me contentai de hocher la tête, un sourire à peine perceptible aux lèvres. Nina savait comment créer une ambiance. Même si je n'y croyais pas vraiment, quelque part au fond de moi, je me disais que cette soirée pourrait peut-être me faire du bien. Ou au moins, me distraire de mes pensées incessantes.
Nous sortîmes finalement de la maison pour nous rendre à notre "repaire secret". C'était une petite clairière située en bordure de la ville, un endroit que nous avions découvert il y a des années. À l'époque, cet endroit avait une aura magique pour nous, comme si c'était un lieu hors du temps, où nous pouvions être nous-mêmes sans que personne ne nous juge. Aujourd'hui, la clairière semblait encore plus mystérieuse, baignée dans la lumière argentée de la pleine lune.
Le vent soufflait doucement à travers les arbres, créant une sorte de musique naturelle qui semblait amplifier l'étrangeté de la situation. Je frissonnai légèrement, plus à cause de l'atmosphère que du froid. Quelque chose dans l'air me mettait mal à l'aise, mais je n'arrivais pas à dire quoi. Peut-être que ce n'était que mon imagination. Ou peut-être que c'était le début de quelque chose de plus grand.
Nina, comme à son habitude, ne sembla pas du tout perturbée par l'ambiance. Elle commença à disposer les pierres qu'elle avait apportées en cercle autour de la bougie, formant un motif précis qui semblait presque... ancien.
« Où as-tu trouvé ce bouquin, déjà ? » demandai-je, essayant de donner l'air détachée, mais en vérité légèrement curieuse.
Nina sourit, sans cesser de préparer son "rituel". « Dans une vieille librairie que j'ai découverte l'autre jour. Le propriétaire m'a dit que ce livre contenait des rituels ancestraux. Mais je suis certaine que c'est juste pour faire joli. C'est pas comme si c'était réel, hein. »
Je haussai les épaules, essayant de masquer la légère appréhension qui commençait à grandir en moi. « Ouais... c'est sûrement ça. »
Nina termina enfin ses préparatifs et alluma la bougie, dont la flamme vacilla légèrement dans l'air nocturne. Elle s'assit ensuite en tailleur à côté de moi, le sourire aux lèvres.
« Prête pour le grand moment ? »
Je pris une profonde inspiration avant de hocher la tête. « Aussi prête que je puisse l'être. »
Nous nous assîmes en silence autour de la bougie, ses faibles lueurs dansant sur nos visages. Pendant un instant, tout semblait calme. Trop calme, en fait. L'atmosphère, si paisible quelques instants auparavant, semblait maintenant chargée d'une tension palpable. Mon cœur se mit à battre un peu plus vite sans que je ne sache vraiment pourquoi. Une part de moi se demandait si nous n'allions pas trop loin avec ce "jeu".
Nina sortit un vieux papier de sa poche, sur lequel elle avait recopié des phrases provenant du livre. Elle jeta un dernier regard vers moi, un sourire rassurant aux lèvres, avant de commencer à réciter les mots inscrits sur le papier. Sa voix était douce, presque apaisante, mais les mots qu'elle prononçait avaient quelque chose d'inquiétant. Ils étaient dans une langue que je ne reconnaissais pas, une langue qui semblait à la fois ancienne et étrangère. Je n'aimais pas ça. Pas du tout.
Mais je ne dis rien. Je me contentai de l'observer, écoutant chaque mot qu'elle murmurait dans l'air nocturne.
Et puis, quelque chose changea.
Au début, c'était à peine perceptible. Un léger frisson parcourut l'air, comme une brise inattendue. Mais très vite, ce frisson devint un vent. Un vent étrange, qui ne soufflait pas de manière naturelle. Il tourbillonnait autour de nous, soulevant des feuilles mortes du sol, les faisant danser en cercles autour du cercle de pierres que Nina avait tracé.
Mon cœur s'emballa. Je jetai un coup d'œil à Nina, m'attendant à la voir aussi perturbée que moi. Mais elle semblait totalement concentrée sur sa récitation, comme si elle ne se rendait pas compte de ce qui se passait autour de nous.
Je tentai de me calmer. Ce n'était sûrement rien, juste une coïncidence. Le vent était imprévisible dans cette région, après tout. Mais quelque chose, au fond de moi, me disait que ce n'était pas qu'une simple coïncidence.
C'est alors que je le vis. Juste au coin de mon œil. Un éclat. Une lumière soudaine, fugace, mais intense. Je me retournai brusquement, cherchant des yeux ce qui avait pu produire cet éclat. Mais il n'y avait rien. Rien d'autre que l'obscurité de la forêt qui nous entourait.
Le vent continua de souffler autour de nous, de plus en plus fort. Je sentis mes muscles se tendre, chaque fibre de mon être me criant de fuir, de quitter cet endroit. Mais quelque chose me retenait, m'empêchait de bouger. Était-ce la curiosité ? La peur ? Je ne savais pas.
Nina, elle, termina enfin son incantation et leva les yeux vers moi, un sourire satisfait sur les lèvres. « Et voilà, c'était simple, non ? »
Je la fixai, incapable de prononcer le moindre mot. Mon regard se posa brièvement sur la bougie, dont la flamme vacillait toujours, malgré le vent qui soufflait autour de nous. C'était impossible. Cette flamme aurait dû s'éteindre depuis longtemps. Mais elle restait là, dansante, hypnotique.
« Luna ? » La voix de Nina me ramena à la réalité. Elle fronça les sourcils en me voyant si silencieuse. « Ça va ? »
Je pris une profonde inspiration, tentant de calmer les battements frénétiques de mon cœur. « Oui... oui, ça va. »
Mais la vérité, c'était que rien n'allait. Quelque chose s'était passé cette nuit-là. Quelque chose que je ne pouvais pas expliquer. Mais je savais, au fond de moi, que plus rien ne serait jamais pareil.
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