Le Poids du Sacrifice


Depuis que j'avais découvert ces sorts dans le grimoire, ils hantaient mes pensées jour et nuit. Chaque ligne gravée sur ces pages anciennes semblait peser de plus en plus lourd sur mes épaules. Chaque mot semblait s'incruster dans ma chair, me rappelant l'ampleur du fardeau que je portais. Le premier sort était simple dans sa cruauté : un sort de destruction, conçu pour anéantir Gabriel, pour mettre un terme définitif à la menace qu'il représentait. Si je lançais ce sort, il mourrait. Ce serait la fin de cette guerre, du moins en apparence.

Mais c'était l'autre sort qui refusait de me laisser en paix, qui me hantait comme une ombre menaçante. Celui qui pourrait dissocier Gabriel du démon auquel il était lié, qui pourrait le libérer du pacte maudit qu'il avait scellé avec les ténèbres. Ce sort, lui, demandait bien plus qu'une simple incantation. Ce n'était pas seulement ma magie qui était en jeu. C'était ma vie elle-même. Un sacrifice ultime. Une part de moi serait définitivement perdue dans ce sort. Je savais que l'utiliser pourrait me tuer.

Je n'étais pas prête à mourir. Je ne voulais pas mourir. La simple pensée de quitter ce monde, de quitter ceux que j'aimais, me terrifiait. Pourtant, l'idée de tuer Gabriel me déchirait d'une manière insupportable. Si j'utilisais ce premier sort, je pourrais le détruire, en finir avec lui sans me mettre en danger. Mais... et si c'était possible de le sauver ? Et si, au lieu de détruire ce qu'il était devenu, je pouvais libérer l'homme qu'il avait été autrefois ? Lui offrir une seconde chance, rétablir une forme de justice ? Comment pourrais-je vivre avec moi-même si je ne faisais même pas cette tentative ?

Je connaissais la souffrance. Je savais ce que c'était que de perdre, de sentir un gouffre s'ouvrir sous vos pieds à cause d'une mort que vous ne pouvez éviter. Cette douleur me collait à la peau. Alors, comment pourrais-je infliger cette même souffrance à d'autres ? À Gwenaëlle, à Matthieu... à moi-même ? Et surtout, à Nina.

Nina. Son visage revenait sans cesse dans mon esprit. Cette douceur dans ses yeux, cette affection presque palpable qu'elle portait pour moi, ce lien qui nous unissait. Elle était ma lumière, celle qui me ramenait toujours à la surface quand mes pensées devenaient trop sombres, quand je me perdais dans cette obscurité grandissante qui me menaçait. Comment pourrais-je l'abandonner à cette douleur ? Si je mourais en tentant de sauver Gabriel, je la laisserais seule, brisée. Je connaissais trop bien cette douleur. Je refusais de la lui imposer.

Ce dilemme me consumait. Il me grignotait de l'intérieur, me dévorant peu à peu. J'étais piégée, incapable de trouver une issue qui ne me déchire pas complètement. D'un côté, il y avait l'urgence de protéger ceux que j'aimais, de mettre un terme à cette guerre. De l'autre, il y avait l'idée que Gabriel pouvait encore être sauvé, qu'il méritait peut-être une seconde chance, tout comme moi. Chaque option semblait plus insupportable que l'autre, et je ne trouvais aucune issue satisfaisante.

Je marchais lentement dans la clairière, mes pas lourds, mes pensées en ébullition. Ma respiration était lente, mais chaque inspiration semblait enflammer l'incendie qui brûlait en moi. Le vent frais du soir me caressait le visage, mais même cette brise apaisante ne pouvait calmer la tempête intérieure qui menaçait de me submerger. Chaque pas que je faisais me rapprochait d'une confrontation inévitable, une confrontation que je redoutais autant que je la désirais.

Je savais que Matthieu m'attendait quelque part dans l'obscurité de cette nuit. Il savait que j'hésitais. Il savait que je luttais, perdue dans cette décision qui me déchirait. Depuis plusieurs jours, il n'avait cessé de me pousser, de me convaincre de ce qu'il pensait être le bon choix : tuer Gabriel, purement et simplement. Pour lui, il n'y avait pas de débat. Pas de rédemption possible pour quelqu'un qui avait choisi les ténèbres comme Gabriel l'avait fait. Il n'y avait qu'une seule issue : la mort.

Mais moi... moi, je n'étais pas si sûre. Comment pouvais-je me résoudre à une solution aussi définitive, aussi brutale ? Gabriel avait autrefois été quelqu'un de bon, quelqu'un de proche de Gwenaëlle. Avait-il vraiment disparu dans les ténèbres, ou restait-il une part de cet homme quelque part en lui ? Une part qui méritait d'être sauvée ?

Le doute me dévorait. Et avec ce doute venait la peur. Peur de faire le mauvais choix. Peur de tuer quelqu'un qui pouvait être sauvé. Peur de me sacrifier pour quelqu'un qui ne le méritait peut-être pas. Et par-dessus tout, peur de perdre Nina, de la laisser seule dans ce monde, avec cette douleur, cette perte qui la briserait.

Mes pas ralentirent alors que je voyais Matthieu émerger de l'obscurité, debout sous les lourdes branches d'un chêne imposant. Il se tenait là, immobile, comme une silhouette spectrale, ses traits tendus et marqués par des années de lutte, de secrets et de pertes. Il semblait m'attendre depuis des heures, figé dans un calme étrange. Dès que je fus assez proche pour croiser son regard, je sentis toute la tension accumulée dans mon corps se contracter. Ses yeux perçants étaient fixés sur moi, pénétrants, comme s'il pouvait lire à travers moi, déchiffrant chacune de mes hésitations, chacune de mes peurs. Il n'avait même pas besoin de parler, car son regard disait tout : il attendait. Il attendait une réponse.

Cette confrontation, nous l'avions évitée pendant des jours, mais je savais qu'elle était inévitable. Matthieu, toujours pragmatique, ne m'aurait pas laissé tergiverser éternellement. Il voulait que je prenne une décision, et il ne partirait pas tant que je ne l'aurais pas fait. Pourtant, cette décision me semblait un gouffre insurmontable. Comme si, peu importe le choix que je ferais, il n'y aurait que des ruines à la clé.

Mon cœur s'emballa, martelant dans ma poitrine, et je sentis mon estomac se nouer douloureusement. Mes mains, que je serrais inconsciemment, étaient moites. Chaque pas que je faisais vers lui semblait résonner comme un compte à rebours, un écho sinistre qui me conduisait droit vers une décision que je n'étais pas prête à prendre. Le vent, autrefois léger et rafraîchissant, me parut soudain glacial, mordant ma peau alors que je m'approchais.

Matthieu savait. Il savait ce que je ressentais, il savait ce qui me tiraillait, sans même que j'aie besoin de le dire. Il connaissait les doutes qui me rongeaient, cette bataille intérieure que je menais depuis des jours. Mais il n'était pas là pour m'apporter du réconfort. Ce n'était pas ce dont il était capable, et je ne m'attendais pas à ce qu'il le fasse. Il n'était pas là pour m'offrir du temps supplémentaire ou de la compréhension. Il était là pour me pousser à choisir. À trancher, de manière définitive, entre deux chemins qui me déchiraient.

La vie ou la mort. La justice ou la rédemption. Mon salut ou le sacrifice. Chaque option me conduisait quelque part où je ne voulais pas aller, vers une perte inévitable.

Je m'arrêtai à quelques pas de lui, comme si une barrière invisible me retenait de m'approcher davantage. Mes yeux hésitèrent à croiser les siens. Je sentais la chaleur monter à mes joues, non pas à cause de la proximité, mais parce que l'ampleur de ce que j'avais à dire m'accablait.

Matthieu se tenait droit, ses bras croisés sur sa poitrine, le visage tendu sous l'effet de l'urgence. Je pouvais voir les années de fatigue gravées sur ses traits, la marque des nombreuses batailles qu'il avait dû mener dans l'ombre, pour protéger notre famille, pour me protéger. Il était résolu, et je savais qu'il ne changerait pas d'avis. Il était convaincu que la seule issue pour nous tous était la mort de Gabriel. Mais il ne comprenait pas, ou refusait de comprendre, à quel point cette solution me paraissait insoutenable.

"Luna, nous devons parler, "dit-il d'une voix basse, mais pleine de gravité.

Sa voix résonna comme un coup de tonnerre dans l'air calme de la nuit. C'était une simple phrase, mais elle portait tout le poids de ce que nous évitions de nous dire depuis des jours. Mon souffle devint plus court, et mon cœur s'accéléra encore. J'avais évité cette discussion trop longtemps, mais à cet instant, il n'y avait plus de fuite possible.

Je pris une profonde inspiration, le froid s'infiltrant dans mes poumons comme pour me rappeler la dure réalité de cette situation. Il était temps de plonger dans ce qui nous obsédait tous les deux, dans ce dilemme qui me déchirait et dont Matthieu semblait si sûr.

"Je connais les deux sorts, Matthieu, "murmurai-je finalement, ma voix brisée par le poids des mots que j'allais prononcer. "Je n'arrivais même pas à le regarder en face. Mon regard glissa vers le sol, comme si cette simple vérité m'écrasait. — Je sais que l'un d'eux peut tuer Gabriel... mais l'autre... celui qui pourrait le dissocier du démon... il pourrait me tuer."

Ces mots, lourds et brutaux, semblaient flotter entre nous, comme une menace silencieuse. C'était la première fois que je les disais à haute voix, et cela rendait le tout plus réel, plus terrifiant. Je sentis mon ventre se tordre à cette pensée. L'idée de sacrifier ma vie pour sauver Gabriel me hantait depuis que j'avais découvert le sort, mais maintenant, dire à voix haute ce sacrifice potentiel... cela me frappait de plein fouet.

Matthieu fronça les sourcils. Son visage, déjà marqué par la fatigue, se crispa sous l'effet de l'inquiétude. Ses yeux se durcirent, et pour la première fois depuis longtemps, je vis une émotion brute traverser son regard. Il resta silencieux pendant un instant, ses pensées semblant s'entrechoquer dans son esprit.

" Luna, il n'y a pas d'autre solution que de le détruire," dit-il finalement, sa voix ferme, presque tranchante. "Gabriel est une menace pour toi, pour Nina, pour tout le monde. Nous ne pouvons pas risquer ta vie dans une tentative de rédemption pour quelqu'un qui a déjà choisi son chemin."

Chaque mot qu'il prononçait frappait comme une lame aiguisée. Il ne comprenait pas, ou peut-être qu'il refusait de comprendre. Pour lui, tout était simple, binaire. Gabriel avait fait son choix, il avait sombré dans les ténèbres. Il n'y avait pas de rédemption possible. Mais pour moi... les choses étaient bien plus compliquées. Je ne pouvais pas simplement appuyer sur un interrupteur et me dire que la mort de Gabriel réglerait tout. Il y avait en lui une part d'humanité que je ne pouvais ignorer, un éclat de lumière que je sentais, même si cela me semblait impossible.

" Mais je ne suis pas prête à le tuer, Matthieu, "rétorquai-je, ma voix tremblante, une vague d'émotion montant en moi." Il y a encore une chance de le sauver, de briser son lien avec les ténèbres. Si je peux le faire, je dois essayer. Je refuse de croire qu'il n'y a aucune autre option."

Matthieu serra la mâchoire, son visage se durcissant. Je pouvais voir qu'il luttait pour ne pas éclater. Sa patience était à bout, mais il tentait, tant bien que mal, de garder son calme.

" Luna, crois-moi, je comprends ton désir de sauver des vies, même celle de Gabriel. Mais il est allé trop loin. Il n'y a plus rien à sauver en lui. Et toi... toi, tu n'as pas à payer le prix de sa chute".

Je déglutis, sentant une vague de tristesse m'envahir. Chaque mot de Matthieu semblait s'enfoncer plus profondément dans mon esprit, mais je savais qu'il ne pouvait pas comprendre pleinement ce que je ressentais. Il avait ses raisons, sa propre souffrance, sa propre tragédie. Sa famille avait été détruite par Gabriel. Ses proches, des êtres qu'il avait aimés, arrachés par cet homme qui était devenu une ombre dévastatrice de ce qu'il avait été. Pour Matthieu, la mort de Gabriel était la seule réponse logique, la seule façon de clore ce chapitre sanglant. Mais moi... je ne pouvais pas me résoudre à cette solution aussi froide, aussi brutale. Quelque chose au fond de moi me poussait à croire qu'il y avait une autre voie, une voie qui éviterait de reproduire ce cycle de destruction.

La mort de Gabriel ne réglerait rien. Cela ne ramènerait pas ceux que nous avions perdus. Cela ne guérirait pas les blessures profondes laissées par cette guerre invisible. Si je pouvais l'éviter, si je pouvais trouver une autre voie pour le sauver, alors je devais au moins essayer. Ne rien tenter me semblait être un abandon.

"Je ne peux pas, "murmurai-je, ma voix à peine plus qu'un souffle, chargée de tout le poids de mes incertitudes. "Je ne peux pas choisir cette voie, Matthieu."

Je levai les yeux vers lui, cherchant dans son regard une compréhension que je craignais ne jamais trouver. Son visage restait ferme, marqué par des années de lutte et de désillusion. Mais je continuai, la voix tremblante.

"Tu ne sais pas ce que ça ferait à Nina si je disparaissais. Je ne peux pas la laisser vivre cette douleur. Elle a déjà tant souffert, elle a déjà tant perdu. Et moi... je sais ce que c'est de perdre ceux qu'on aime. Je refuse de lui faire subir ça. Pas après tout ce qu'on a traversé."

Mon cœur battait à tout rompre alors que mes mots se répercutaient dans l'air glacé de la nuit. Mes pensées étaient lourdes, mais claires à cet instant. J'avais vu la douleur dans les yeux de Nina, j'avais ressenti la peur qu'elle cachait derrière son sourire courageux. Perdre quelqu'un, encore une fois, serait un coup dont elle ne pourrait peut-être jamais se relever. Et je savais que si je me sacrifiais pour sauver Gabriel, ce serait comme une condamnation pour ceux que j'aimais.

Mes paroles semblaient suspendues dans l'air, retombant avec une gravité qui alourdissait encore l'atmosphère. Matthieu, de son côté, resta silencieux pendant plusieurs secondes. Il me fixait, mais quelque chose dans son regard avait changé. L'inflexibilité que je lui connaissais si bien semblait vaciller, et je vis une brève lueur de compréhension passer dans ses yeux. Il ne répondit rien d'abord, me laissant dans le silence de cette nuit oppressante.

Finalement, il prit une profonde inspiration, et sa voix, quand elle revint, était plus grave, mais empreinte d'une tristesse que je ne lui connaissais pas.

"Tu penses pouvoir sauver Gabriel. Je comprends, Luna, vraiment. Mais à quel prix ? Si tu meurs pour lui... crois-tu que cela réparera quoi que ce soit ? Penses-tu que Nina, que nous pourrions supporter cette perte ?"

Ses mots me frappèrent en plein cœur. C'était exactement ce que je craignais, cette vérité que je n'osais pas regarder en face. Me sacrifier pour sauver Gabriel me semblait être une option noble, un moyen de rédemption, une façon d'arrêter la spirale de haine. Mais ce sacrifice briserait ceux qui m'aimaient, ceux qui avaient toujours été là pour moi. Nina, Matthieu, Gwenaëlle. Chacun d'eux portait en lui des blessures profondes, des cicatrices que je ne voulais pas aggraver.

Et Nina... Elle était ma lumière. Elle était celle qui me ramenait à la réalité quand la magie, les ténèbres, tout le reste devenait trop lourd. Si je partais, si je la laissais, cette douleur la dévorerait, tout comme elle m'avait presque engloutie quand j'avais perdu mes propres parents. L'idée de lui infliger cela était insupportable.

Matthieu s'avança doucement vers moi, brisant la distance qui nous séparait. Il posa une main ferme mais réconfortante sur mon épaule, un geste rare venant de lui. Je pouvais sentir la chaleur de sa paume à travers le froid mordant de la nuit. Son regard était toujours grave, mais derrière cette dureté, il y avait quelque chose de plus doux, de plus humain.

"Je ne veux pas que tu meures," Luna, dit-il doucement. "Personne ne le veut. Mais Gabriel... il doit être arrêté, une fois pour toutes. Si tu choisis de te battre, fais-le en gardant en tête que ta vie vaut bien plus que de tenter de racheter la sienne."

Je sentis mes yeux se remplir de larmes que je ne laissais pas couler. Matthieu avait raison, et pourtant... tout en moi luttait contre cette évidence. Chaque fibre de mon être voulait trouver une solution, une autre voie. Mais je savais, au fond de moi, que cette confrontation serait inévitable. Je ne pouvais pas éviter Gabriel indéfiniment. Le choix, quel qu'il soit, devait être fait. Et ce choix, je le savais maintenant, serait aussi déchirant que définitif.

Je fermai les yeux un instant, essayant de contenir la tempête d'émotions qui grondait en moi. Mes pensées tourbillonnaient, mais je savais que le moment approchait, le moment où je devrais choisir. Ce dilemme, qui me torturait depuis des jours, revenait avec une intensité nouvelle. Le poids de cette décision me terrifiait, mais il n'y avait plus de temps. Matthieu avait raison sur un point : je devais prendre une décision, et je devais la prendre vite.

Je rouvris les yeux, et la nuit me sembla encore plus sombre, encore plus froide. Le moment de choisir approchait, inéluctable, et je savais que ce choix allait tout changer.

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