Le Poids de la Haine

Le soleil était à présent haut dans le ciel, mais la lumière éclatante ne parvenait pas à réchauffer la colère glaciale qui montait en moi. Après les révélations du grimoire, je ne voyais plus qu'une seule issue : la vengeance. Gabriel devait payer. Il avait détruit ma famille, probablement les deux familles que j'avais connues, et il menaçait tout ce que j'avais encore. L'idée me consumait. Chaque pensée, chaque battement de mon cœur était empli de rage.

Je restais assise à la table, le grimoire ouvert devant moi, mes mains tremblant de fureur. Les mots gravés sur ses pages anciennes semblaient pulser, presque vivants sous mes doigts. Un frisson désagréable parcourut ma colonne vertébrale, mais je ne bougeai pas. La colère en moi grandissait, me consumant peu à peu. Je pouvais sentir cette chaleur bouillonnante monter dans ma poitrine, chaque respiration devenant plus lourde, plus profonde, comme si elle s'alimentait de ce feu intérieur.

Nina dormait encore sur le canapé, son souffle paisible contrastant avec la tempête qui se déchaînait en moi. Elle ignorait tout de ce tourment, de cette rage brûlante qui envahissait mon esprit. Mes pensées tourbillonnaient, se bousculaient, se mélangeaient, incapables de se fixer sur autre chose que sur Gabriel, sur ce qu'il avait fait à ma famille. Cette obsession grossissait, m'écrasant sous son poids.

Puis, peu à peu, je sentis quelque chose changer dans la pièce. Une énergie sourde, sombre, commençait à se manifester autour de moi, comme si ma colère avait éveillé une force cachée, quelque chose de profondément enraciné en moi. L'air autour de moi semblait s'épaissir, devenir presque palpable, chaque inspiration devenant une lutte contre cette oppression invisible. Les ombres, qui jusque-là restaient immobiles sous la douce lumière du matin, commencèrent à s'allonger, à se tordre, comme si elles réagissaient à mes émotions. Elles dansaient sur les murs, formant des formes mouvantes et malsaines, des silhouettes sans visage qui semblaient m'appeler.

Les battements de mon cœur résonnaient dans mes oreilles, plus forts à chaque seconde, synchronisés avec les pulsations du grimoire ouvert devant moi. Chaque ligne, chaque mot inscrit sur ses pages semblait briller d'une lumière ténue, attirant mon regard. J'étais captivée, envoûtée par ce pouvoir qui me tendait les bras.

Je pouvais entendre les mots du grimoire résonner dans ma tête, d'abord comme un murmure lointain, puis de plus en plus fort, jusqu'à ce qu'ils deviennent une sorte de chant obsédant, en boucle. Ils emplissaient mon esprit, évinçant tout le reste. Cœur de l'Ancienne Lignée, réveille-toi et trace le chemin de la vengeance.

Ces mots s'accrochaient à moi, se bousculaient dans mon esprit, écrasants. Ils m'appelaient, me tentaient, comme une solution parfaite à toute cette douleur que je portais en moi. Tout ce que je devais faire, c'était céder à cette tentation, laisser la magie en moi s'éveiller pleinement. Je pouvais sentir cette énergie brûlante, dévastatrice, s'accumuler dans ma poitrine, prête à éclater à tout moment. Elle cherchait une issue, une façon de s'échapper, de me libérer de cette rage refoulée.

Ma respiration devint plus irrégulière, mes mains se crispèrent autour des bords du grimoire, mes jointures devenant blanches sous l'effort. La magie en moi réagissait, réclamant vengeance. Je sentais son appel dans chaque fibre de mon être, chaque battement de mon cœur. C'était comme si tout mon corps se préparait à exploser, à libérer cette puissance qui ne demandait qu'à se déchaîner.

La sensation de chaleur envahit mes veines, un feu liquide, brûlant tout sur son passage. C'était enivrant, terrifiant. Je savais que si je continuais, si je laissais cette énergie éclater, il n'y aurait peut-être pas de retour en arrière. Mais à cet instant, la douleur que j'éprouvais était si vive, si écrasante, que l'idée d'un chemin de vengeance me semblait être la seule voie possible. Une solution rapide, une échappatoire à toute cette souffrance.

La pièce, autour de moi, réagissait à ma perte de contrôle. Les objets tremblaient légèrement, comme secoués par une force invisible. Les ombres prenaient de l'ampleur, devenant presque des entités à part entière, menaçant de m'envelopper dans leur noirceur. Et malgré cette terreur qui grandissait en moi, une part de moi-même voulait céder, voulait laisser cette rage tout détruire sur son passage.

Je pouvais tout faire éclater.

Un souffle de vent glacial traversa la pièce, faisant vibrer les volets. Je fermai les yeux, laissant la colère monter, prête à laisser cette puissance éclater. Mais à cet instant, quelque chose d'inattendu se produisit. La température chuta brutalement, et un bruit sourd résonna autour de moi. Les ombres cessèrent de danser ; elles semblaient maintenant se condenser, se rapprocher de moi comme une menace palpable.

Je ne comprenais pas ce qui se passait. J'avais l'impression de perdre le contrôle. Mes pensées devenaient plus sombres, plus violentes, et les objets autour de moi commencèrent à bouger d'eux-mêmes. Une tasse se renversa sur la table, une chaise grinça, et une lumière vacilla. Quelque chose en moi s'était éveillé... quelque chose de dangereux.

Soudain, une voix familière retentit dans la pièce.

"Luna, arrête immédiatement."

Je me retournai brusquement, mon cœur battant à tout rompre. Gwenaëlle était là, debout près de la porte, ses yeux fixés sur moi avec une intensité que je n'avais jamais vue auparavant. Elle s'avança lentement, sa silhouette imposante dans la lumière vacillante de la pièce. Tout en elle respirait la puissance, la sagesse... et l'urgence.

"Que fais-tu ?" demanda-t-elle d'une voix calme mais sévère. "Tu laisses ta colère te contrôler, et elle est en train de t'attirer vers quelque chose de bien plus dangereux que Gabriel."

Je clignai des yeux, réalisant soudain que l'énergie sombre qui m'entourait était de mon fait. Tout était sorti de moi, de cette rage qui brûlait sans cesse. Mes mains tremblaient, et je pouvais encore sentir cette force malfaisante qui menaçait de m'engloutir.

"Je... je veux qu'il paye," murmurai-je d'une voix brisée. "Il a tué mes parents, biologiques et adoptifs. Il mérite de souffrir autant que moi. Je ne peux pas laisser ça passer."

Gwenaëlle secoua doucement la tête et s'approcha de moi, posant une main rassurante sur mon épaule. "Je comprends ta douleur, Luna. Mais la vengeance n'est pas la solution. Regarde autour de toi." Elle fit un geste vers la pièce, où les ombres se tordaient encore, prêtes à dévorer tout sur leur passage. "Cette magie que tu invoques... elle ne te servira pas. Elle ne fera que te détruire."

Je regardai autour de moi, réalisant soudain l'ampleur du chaos que j'avais provoqué. Les ombres qui s'étaient formées semblaient vivantes, prêtes à frapper. L'énergie dans la pièce était devenue lourde et malsaine, un reflet de ma propre âme tourmentée.

"Mais... je veux juste que justice soit faite," protestai-je, ma voix tremblant.

Gwenaëlle se pencha légèrement vers moi, son regard doux mais ferme. "La justice et la vengeance ne sont pas la même chose. Ce que tu ressens en ce moment, cette haine, cette rage... si tu continues à la nourrir, elle te mènera exactement là où Gabriel veut te voir. Il veut que tu t'embrases de l'intérieur, que tu succombes à cette soif de revanche. Il a pris assez de choses à ta famille, ne lui laisse pas prendre ton âme."

Ses paroles tombèrent comme une douche froide. Elle avait raison. En me laissant guider par cette colère, je donnais à Gabriel exactement ce qu'il voulait : un moyen de me contrôler, de me détourner de ce que j'étais réellement. Une part de moi voulait toujours se venger, mais une autre réalisait à quel point cela pouvait me détruire.

Gwenaëlle s'agenouilla devant moi, posant ses deux mains sur les miennes. "La colère peut être une arme puissante, mais seulement si elle est contrôlée. Si tu la laisses te consommer, tu perdras tout. Tu es plus forte que cette rage. Tu dois l'accepter, mais ne la laisse pas te définir."

Je pris une profonde inspiration, tentant de calmer les battements frénétiques de mon cœur. Autour de moi, les ombres commencèrent à se dissiper, comme si la lumière avait enfin trouvé un chemin à travers la brume noire.

Gwenaëlle se redressa, son regard plein de compréhension. "Nous avons beaucoup de travail à faire pour te préparer à ce qui arrive. Mais la première leçon que tu dois apprendre, c'est que la vengeance ne t'apportera pas ce que tu cherches."

Je hochai doucement la tête, luttant contre les larmes qui menaçaient de couler. "Je ne sais pas comment... je ne sais pas comment laisser ça derrière moi."

Gwenaëlle sourit doucement. "Tu n'as pas à l'abandonner, Luna. La douleur, la perte, tout cela fait partie de toi. Mais tu dois l'utiliser différemment. Apprends à transformer cette colère en force, pas en destruction."

Je sentis une vague d'apaisement me traverser. C'était difficile, presque impossible à envisager, mais Gwenaëlle avait raison. La vengeance n'était pas la solution. Elle ne ferait que m'emmener plus profondément dans les ténèbres, là où Gabriel m'attendait.

Nina, réveillée par la voix de Gwenaëlle, se redressa sur le canapé, ses yeux encore embués de sommeil. "Qu'est-ce qui se passe ?" demanda-t-elle, confuse.

Gwenaëlle tourna la tête vers elle et sourit doucement. "Il est temps de commencer l'entraînement. Gabriel approche, et Luna doit être prête. Mais elle ne peut pas se battre avec haine dans son cœur."

Nina se réveilla, les yeux clignotant doucement sous la lumière du matin, encore endormie. Elle se redressa sur le canapé, étirant ses bras avant de se frotter les yeux. Sa voix, encore ensommeillée, perça le silence qui venait de s'installer après l'intervention de Gwenaëlle.

"Qu'est-ce qui se passe ?" demanda-t-elle, confuse, en regardant successivement Gwenaëlle et moi.

Je restai silencieuse, incapable de formuler une réponse immédiate. La présence de Gwenaëlle dans la pièce et l'ombre de ma colère qui flottait encore dans l'air rendaient l'atmosphère étrange, presque lourde. Mon esprit était encore encombré par ce qui venait de se produire, et je ne savais pas comment expliquer ce que j'avais failli déclencher. Comment pouvais-je avouer à Nina que j'avais perdu le contrôle ? Que j'avais laissé ma rage me guider jusqu'à ce que Gwenaëlle intervienne pour m'empêcher de commettre l'irréparable ?

Nina fronça les sourcils en me voyant hésiter. Elle connaissait cet air sur mon visage, ce silence qui voulait dire que quelque chose n'allait pas. Elle se leva doucement et s'approcha de moi, son regard toujours inquiet.

"Luna... dis-moi ce qui se passe," insista-t-elle, sa voix plus ferme. "Je peux voir que quelque chose ne va pas. Ne me laisse pas dans le noir."

Je pris une profonde inspiration, mais la honte me clouait au silence. Comment pouvais-je lui expliquer que ma colère avait failli me consumer au point de libérer des forces que je ne comprenais pas ? Que ma rage avait rendu l'air lourd, presque maléfique ?

Nina posa sa main sur mon bras, un geste doux mais insistant. "Luna, tu n'es pas seule. Dis-moi. Je suis là."

Je baissai les yeux, le poids de sa confiance en moi amplifiant ma culpabilité. Mais je savais que je ne pouvais plus rester silencieuse. Elle méritait de savoir, même si cela signifiait lui montrer une partie de moi que j'avais espéré garder cachée.

"J'ai... j'ai failli perdre le contrôle," avouai-je enfin d'une voix tremblante. "La colère... elle m'a envahie. Je voulais tellement me venger de Gabriel, le faire payer pour tout ce qu'il a fait à mes parents, à ma famille... Je n'ai pas réalisé que cette rage déclenchait quelque chose d'autre, quelque chose de sombre."

Les yeux de Nina s'écarquillèrent, mais elle resta silencieuse, m'encourageant à continuer.

"Je... j'ai failli invoquer quelque chose. Une force malfaisante. Je ne pouvais plus penser à autre chose qu'à la vengeance, et les ombres... elles ont commencé à bouger, à se rapprocher. Je ne pouvais plus m'arrêter." Ma voix se brisa, mon cœur battant à tout rompre. "C'est Gwenaëlle qui m'a arrêtée. Si elle n'était pas intervenue, je ne sais pas ce qui se serait passé."

Nina resta figée un instant, son regard passant de moi à Gwenaëlle, comme si elle essayait de comprendre l'ampleur de ce que je venais de dire. Puis elle prit une grande inspiration et se rapprocha de moi.

"Tu... tu étais en colère, Luna. C'est normal avec tout ce que tu as traversé," dit-elle doucement. 

Ses paroles me frappèrent en plein cœur. Elle avait raison, mais j'avais pourtant l'impression de m'être isolée dans cette rage. Je serrai ses mains dans les miennes, reconnaissante de sa présence et de son soutien.

Gwenaëlle s'avança alors, sa voix grave résonnant dans la pièce. "Luna a une grande force en elle, mais cette force est dangereuse si elle n'est pas contrôlée. Elle doit apprendre à canaliser cette colère, cette douleur. Sinon, elle risque de se détruire elle-même avant même d'affronter Gabriel."

Nina hocha la tête, toujours calme, bien qu'une lueur d'inquiétude brillait dans ses yeux. "Alors, on fera ce qu'il faut pour l'aider à maîtriser ça. Je serai là à chaque étape."

Je regardai Nina, profondément touchée. Elle ne reculait jamais, peu importe la gravité de la situation. Et même si une part de moi avait encore honte de ce qui venait de se passer, je savais que je n'étais pas seule. Gwenaëlle et Nina étaient là, et avec elles, je pouvais affronter les ténèbres à venir.

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