Le retour depuis la bibliothèque fut un silence lourd, presque suffocant. Même le vent semblait avoir pris une teinte sinistre, comme s'il portait avec lui des présages que ni Nina ni moi n'osions prononcer à voix haute. Nous avions découvert des fragments de vérité sur Gwenaëlle, cette sorcière mystérieuse qui semblait être la clé de tout ce qui se passait autour de moi. Mais malgré tout, une question brûlait encore dans mon esprit : comment pouvais-je la trouver, et surtout, comment pouvais-je espérer maîtriser une magie qui m'échappait déjà ?

« Tu crois vraiment qu'elle peut nous aider ? » demanda Nina soudain, rompant le silence avec sa question posée d'une voix douce mais incertaine.

Je pris une inspiration profonde, le froid de la soirée s'insinuant dans mes poumons. « Je l'espère. Je... je n'ai pas d'autre option, Nina. Si je n'apprends pas à contrôler cette magie, je vais finir par me blesser... ou blesser quelqu'un d'autre. »

Nina marcha en silence à mes côtés pendant quelques secondes, puis posa une main rassurante sur mon bras. « On la trouvera. Tu n'es pas seule dans tout ça. »

Je lui jetai un regard reconnaissant. Ses mots m'apportaient un peu de réconfort, mais au fond de moi, une tempête faisait rage. Depuis que ce grimoire était entré dans ma vie, tout semblait avoir basculé. Je sentais cette énergie en moi, cette magie qui ne demandait qu'à être libérée, mais chaque tentative me rapprochait un peu plus du danger.

De retour à l'appartement, la tension ne fit que s'intensifier. Le silence à l'intérieur était pesant, presque oppressant, comme si l'air lui-même s'était chargé d'une atmosphère lourde de secrets et de mystères. Je ne pouvais m'empêcher de jeter un coup d'œil rapide autour de moi, m'attendant presque à voir une ombre surgir des coins sombres. Mais tout était calme. Étrangement calme.

« Il faut qu'on fasse quelque chose, » murmura Nina en fermant la porte derrière nous, son regard se posant immédiatement sur le grimoire toujours posé sur la table. « On ne peut pas rester ici à attendre que les réponses viennent à nous. »

Je hochai lentement la tête, le poids de l'urgence pesant sur mes épaules, consciente que le temps nous échappait. Les forces obscures mentionnées dans le grimoire semblaient se rapprocher à chaque instant, comme une ombre invisible qui rôdait, tapie tout autour de moi, prête à bondir au moindre faux pas. Mais que pouvais-je faire de plus ? Chaque tentative pour saisir l'essence de cette magie ne m'avait laissée que plus tremblante, plus inquiète qu'auparavant.

Les mains fébriles, je tirai le grimoire de la commode, le soulevant avec précaution comme s'il renfermait un secret dangereux. Mes doigts glissèrent doucement sur sa couverture de cuir, usée par le passage du temps, mais encore pleine de mystères et de promesses périlleuses. Je m'assis à la table, prenant une inspiration pour calmer mes nerfs, et Nina s'installa en face de moi. Elle ne me quittait pas des yeux, suivant chacun de mes gestes avec une intensité silencieuse, prête à partager cette charge que le destin semblait nous imposer.

« Alors, tu vas l'ouvrir ? » demanda-t-elle, son ton hésitant. Elle n'était pas sûre de vouloir entendre la réponse, mais elle savait que nous n'avions pas le choix.

Je pris une profonde inspiration, cherchant un semblant de calme en moi. « Je dois continuer à lire. Il y a sûrement quelque chose sur Gwenaëlle, ou sur la façon de la contacter. Elle est notre seule chance. »

Je tournai lentement les pages du grimoire, chaque mot ancien semblant murmurer des secrets à peine audibles. Les incantations étaient nombreuses, certaines écrites dans des langues que je ne comprenais pas, mais qui résonnaient étrangement en moi. Je continuais à feuilleter, cherchant un indice, une piste.

« Luna... » La voix de Nina était douce, mais inquiète. « Et si tu essayais un sort de protection ? Juste pour te sentir en sécurité. Pour qu'on sache à quoi on a affaire. »

Je levai les yeux vers elle, hésitante. « Tu penses que c'est une bonne idée ?  »

Elle hocha la tête, ses traits tendus mais déterminés. « Oui, je le pense. Tu ne peux pas te permettre d'avoir peur de ta magie. Si tu veux trouver Gwenaëlle, tu dois apprendre à l'utiliser, même si c'est juste un tout petit peu. »

Je soupirai, sentant le poids de ses mots. Elle avait raison. La peur me paralysait, mais rester passive ne m'aiderait pas à maîtriser cette force en moi. J'avais vu ce que la magie pouvait faire, et même si elle m'effrayait, je devais apprendre à la contrôler. Peut-être qu'un simple sort de protection serait un bon début.

Je feuilletai à nouveau le grimoire, cherchant un sort suffisamment simple pour que je puisse le réaliser sans risquer de tout faire exploser. Je tombai enfin sur une incantation de protection, décrite comme une barrière énergétique destinée à repousser les menaces. Le rituel nécessitait des objets relativement simples : du sel, des bougies et un objet personnel pour canaliser l'énergie. Je pouvais tout rassembler ici, dans l'appartement.

Nina s'empressa de m'aider à préparer le rituel, plaçant des bougies blanches en cercle autour de moi pendant que je traçais une ligne de sel sur le sol, délimitant l'espace sacré. Mon cœur battait à tout rompre dans ma poitrine. Je ne savais pas à quoi m'attendre, mais je savais que c'était un moment crucial. Si je ne pouvais pas réussir ce sort simple, comment pourrais-je espérer affronter ce qui venait ?

Une fois les préparatifs terminés, je sortis de ma boîte à bijoux un collier ancien, un souvenir de ma mère adoptive. C'était un lien avec mon passé, un objet qui avait toujours eu pour moi une signification protectrice. Ce serait l'objet personnel qui me permettrait de concentrer mon énergie.

Je m'agenouillai au centre du cercle, les bougies émettant une lueur vacillante autour de moi. Nina se tenait non loin, prête à intervenir si quelque chose tournait mal. Son regard était plein d'encouragement, mais aussi de crainte. Je savais qu'elle avait peur, autant que moi, de ce que cette magie pouvait déclencher.

Je pris une grande inspiration, fermant les yeux pour me concentrer. Les mots inscrits dans le grimoire étaient en ancien breton, une langue que je n'avais jamais apprise, mais qui semblait couler naturellement sur ma langue. Comme si, quelque part en moi, cette langue avait toujours été là, prête à être révélée.

« Luna, fais attention, » murmura Nina, sa voix pleine de sollicitude. « Tu n'es pas seule. Je suis là. »

Je hochai légèrement la tête et commençai à réciter l'incantation. À mesure que les mots s'échappaient de mes lèvres, je sentis l'air dans la pièce changer. Une brise légère se leva, presque imperceptible au début, mais suffisamment présente pour faire vaciller les flammes des bougies. Le sel autour de moi sembla scintiller, absorbant l'énergie que je libérais. Je pouvais la sentir monter, cette énergie douce et rassurante, entourant mon corps d'une chaleur bienveillante.

Nina écarquilla les yeux. « Luna... je crois que ça marche. »

Je continuai à murmurer les mots, sentant la barrière se renforcer autour de moi. C'était enivrant, grisant même. Pour la première fois depuis que ce cauchemar avait commencé, je me sentais en contrôle. La magie n'était plus une force sauvage et imprévisible, elle était mienne, je la guidais, je la façonnais.

Mais alors que je prononçais les derniers mots du sort, quelque chose changea.

L'énergie qui m'entourait devint plus dense, plus lourde. Ce qui avait commencé comme une douce chaleur se transforma en une force brute, violente. Les bougies vacillèrent dangereusement, puis s'éteignirent toutes d'un coup, plongeant la pièce dans une obscurité totale. Une bourrasque glaciale s'éleva soudain, soufflant violemment à travers la pièce et renversant les objets sur son passage.

« Luna ! » cria Nina, la panique dans sa voix.

Je tentai de répondre, mais la magie était devenue incontrôlable. Elle me déchirait, une énergie sauvage et indomptable qui refusait de m'obéir. Mon cœur battait à tout rompre, et je sentis la peur monter en moi comme une vague dévastatrice. J'avais libéré quelque chose que je ne pouvais plus arrêter.

Les objets volaient autour de moi, mes cheveux étaient tirés en arrière par la violence de la tempête magique que j'avais involontairement déclenchée. J'essayai de reprendre le contrôle, de calmer cette force déchaînée, mais c'était trop tard. J'étais dépassée.

« Luna, fais quelque chose ! » hurla Nina, sa voix à peine audible dans le tumulte qui envahissait la pièce.

Mon esprit était envahi par la panique, chaque battement de mon cœur résonnait comme un tambour assourdissant dans mes oreilles. Le vent tourbillonnait autour de moi, mes cheveux fouettant mon visage, tandis que les objets de la pièce s'écrasaient contre les murs. J'essayai de respirer, de me calmer, mais la magie ne répondait plus à ma volonté. Elle était devenue une entité propre, une force sauvage que j'avais involontairement libérée.

« Je... je vais y arriver, » murmurai-je, mais mes mots n'étaient qu'un faible souffle dans le chaos.

Je sentis une vague de terreur monter en moi. C'était comme si une autre présence était là, quelque chose de sombre et d'ancien qui se nourrissait de ma peur. Cette énergie, cette magie que j'avais appelée, n'était plus sous mon contrôle. Elle me consommait, me dévorait.

Je fis un effort pour me concentrer, pour retrouver la formule du sort dans mon esprit. La panique menaçait de tout effacer, mais au fond de moi, je savais que si je ne faisais rien, je pourrais blesser Nina, ou pire.

Je serrai les poings et recommençai à murmurer les mots de l'incantation, cette fois avec plus de force, tentant de canaliser la tempête d'énergie qui m'entourait. Mes lèvres tremblaient tandis que je prononçais chaque syllabe, mais je ne pouvais pas abandonner.

Petit à petit, le vent commença à faiblir. La pression dans l'air diminua, et la pièce retrouva lentement un calme relatif. Les objets qui volaient se déposèrent doucement au sol. La tension magique s'évapora, comme si elle n'avait jamais été là.

Je m'effondrai à genoux, haletante, les larmes aux yeux. Mon corps entier tremblait, vidé par l'effort que cela avait demandé. Tout s'était calmé, mais j'avais frôlé le désastre. Mon souffle était saccadé, mon esprit encore embrouillé par ce que je venais de vivre.

Nina s'approcha rapidement de moi, ses yeux écarquillés de terreur. Elle s'agenouilla à mes côtés, posant une main tremblante sur mon épaule.

« Luna... tu es blessée ? »

Je secouai faiblement la tête, incapable de prononcer un mot. J'étais épuisée, mais physiquement indemne. Pourtant, mentalement, je me sentais brisée. Je venais de réaliser à quel point cette magie était dangereuse, à quel point elle pouvait m'échapper en un instant.

« C'était... horrible, » murmura Nina, visiblement secouée. « Mais tu as réussi à reprendre le contrôle. C'est l'essentiel, non ? »

Je regardai autour de moi, le désordre total qui régnait dans la pièce, les objets renversés, les bougies éteintes, la fine couche de sel éparpillée partout. Mon cœur se serra. J'avais réussi à éviter le pire, mais à quel prix ? J'avais goûté à une puissance que je ne pouvais pas dominer. Et si je n'avais pas été capable de reprendre le contrôle ? Qu'aurait-il pu arriver à Nina, à moi-même ?

« Je... je ne suis pas prête, » dis-je d'une voix brisée, les larmes coulant silencieusement sur mes joues. « Cette magie est trop puissante pour moi. »

Nina resserra son étreinte sur mon épaule. « Tu as réussi à l'arrêter. C'est déjà énorme, Luna. Oui, ça a été intense, mais tu t'en es sortie. »

Je secouai la tête, refusant d'accepter ses paroles rassurantes. « Non. J'ai failli tout perdre. Je pensais que je pouvais la contrôler, mais elle m'a presque détruite. »

Nina resta silencieuse un instant, me laissant pleurer, mes larmes tombant sur mes mains tremblantes. « On a besoin d'aide, » dit-elle enfin. « Tu ne peux pas apprendre à gérer ça toute seule. On doit trouver Gwenaëlle. C'est la seule qui pourra t'aider. »

Ces mots résonnèrent en moi comme une vérité cruelle mais nécessaire. Je ne pouvais pas continuer ainsi. Ce grimoire, ces pouvoirs, tout cela m'échappait, et sans aide, je risquais de me perdre entièrement dans cette magie. Gwenaëlle était la clé. Je n'avais plus le choix.

Je me redressai lentement, encore faible, mais déterminée. « Tu as raison, » dis-je, la voix rauque. « Je dois la trouver et ne pas utiliser la magie avant de l'avoir trouver  »

Nina hocha la tête, l'ombre de la peur encore visible dans ses yeux, mais sa détermination brillait tout autant. « On va la trouver. Je suis avec toi, quoi qu'il arrive. »

Je la remerciai d'un sourire fragile, mais sincère. Elle m'avait toujours soutenue, et en cet instant, je ne pouvais imaginer affronter tout cela sans elle. Pourtant, au fond de moi, une angoisse persistante me rongeait. Chaque fois que j'essayais de puiser dans cette magie, je risquais de la perdre, de nous perdre toutes les deux.

Nous passâmes le reste de la soirée à ranger le chaos que j'avais involontairement provoqué. Le silence entre nous était lourd, mais pas inconfortable. C'était un silence rempli de compréhension, d'épuisement partagé. Nous savions toutes les deux que cette tentative avait échoué, mais nous savions aussi qu'il s'agissait d'un premier pas vers quelque chose de plus grand.

Alors que je remettais le grimoire à sa place sur la table, une pensée me frappa : et si Gwenaëlle ne pouvait pas m'aider ? Et si cette magie était tout simplement trop puissante pour être maîtrisée ? Mais je n'avais pas le luxe de m'attarder sur ces doutes. Il fallait agir. Nous devions trouver cette sorcière, et rapidement.

Tard dans la nuit, alors que nous nous apprêtions à dormir, Nina me regarda, allongée sur le canapé près de moi. « On commence où pour la trouver, tu crois ? »

Je fermai les yeux, essayant de repousser le désespoir qui menaçait de m'envahir. « Je ne sais pas, mais demain, on retourne à la bibliothèque. Il y a peut-être d'autres indices. Il faut qu'on fasse quelque chose. »

Nina soupira, mais elle acquiesça, comme si elle acceptait cette quête incertaine. « D'accord. On la trouvera, Luna. »

Mais alors que je fermais les yeux, épuisée par les événements de la journée, un frisson me parcourut. Cette magie, ces forces obscures, tout cela semblait déjà si près. Si nous ne faisions rien rapidement, je sentais que le temps allait nous manquer.