L'Éveil de la Flamme


Le silence dans la maison était trompeur, lourd d'une tension invisible mais palpable, comme si l'ombre de Gabriel, bien qu'absente, s'attardait encore dans chaque coin obscur, prête à ressurgir. Mon souffle était saccadé, chaque inspiration brûlait comme si l'air lui-même refusait de se calmer. Mes mains tremblaient alors que je serrais Nina contre moi, désespérée de lui offrir une ancre dans cette mer de peur et d'incertitude.

Ses yeux, gonflés de larmes silencieuses, étaient clos, mais je sentais encore la chaleur de ses joues humides contre ma peau. Son corps entier vibrait, tremblait de cette peur, de cette terreur qui l'avait envahie et qui ne s'effacerait pas si facilement. Je pouvais sentir les battements rapides de son cœur sous ma main, comme un oiseau affolé cherchant à s'échapper de sa cage. Chaque pulsation intensifiait la douleur sourde dans ma poitrine, cette culpabilité qui m'écrasait un peu plus avec chaque seconde qui passait.

J'essayais de la bercer, mes mouvements lents et maladroits, comme si mon corps savait quoi faire alors que mon esprit se perdait dans un tourbillon de doutes. Que pouvais-je lui dire ? Comment pouvais-je promettre que tout irait bien, alors que je sentais dans mes tripes que le pire était encore à venir ? Je n'avais même pas réussi à la protéger ce soir. Gabriel avait franchi une limite, et tout ce que je voyais devant moi était un gouffre, un précipice dont je ne connaissais pas la profondeur. Comment l'arrêter ? Comment empêcher l'inévitable quand je peinais déjà à contenir ma propre magie ?

La lumière pâle de la lune filtrait à travers les rideaux, créant des ombres dansantes et inquiétantes autour de nous. Elles semblaient se mouvoir à leur propre rythme, comme si elles étaient conscientes de notre présence. À chaque respiration, je pouvais sentir ma magie crépiter sous ma peau, une énergie indomptée qui ne demandait qu'à éclater. Quelques minutes plus tôt, j'avais failli. Encore une fois, j'avais presque laissé cette rage, cette force incontrôlable, prendre le dessus. Le souvenir de la voix de Gabriel, sifflante et empoisonnée, tournait dans mon esprit comme une litanie morbide.

« Chaque fois que tu succombes à cette rage... tu te rapproches un peu plus de moi. »

Les mots de Gabriel s'accrochaient à mon esprit, venimeux, comme des chaînes invisibles serrant mon cœur, m'entraînant dans une spirale d'angoisse. Il savait, oui, il savait exactement où frapper pour que le doute s'insinue en moi, pour que je me sente faible, impuissante. Il exploitait mes failles, mes vulnérabilités, avec une précision cruelle. Mon corps tout entier se raidit alors que je fermais les yeux, essayant de repousser ces pensées sombres, cette ombre qui menaçait de tout engloutir. Mais c'était si difficile... La peur de devenir comme lui me rongeait.

Mon estomac se noua violemment. Et si c'était vrai ? Si chaque fois que je faisais appel à cette magie brute, incontrôlable, je perdais un peu de moi-même pour devenir un peu plus comme lui ? Cette question me terrifiait. Gabriel plantait ses mots comme des épines, semant le doute avec une telle habileté qu'il devenait difficile de discerner la réalité de la manipulation. Ses paroles persistaient, grondant dans mon esprit comme un écho oppressant.

Et puis, un mouvement léger. Une vibration presque imperceptible. Nina, toujours blottie contre moi, trembla. Elle était là, dans mes bras, vulnérable, cherchant refuge, cherchant une force que je n'étais plus certaine de posséder. Mes bras se resserrèrent autour d'elle, mes mains cherchant désespérément à la protéger de cette terreur omniprésente, de ce poids écrasant qui pesait sur nous deux. Je plongeai mon regard sur son visage pâle, ses traits tirés par l'angoisse. Un sentiment de culpabilité foudroyant me traversa.

Comment avais-je pu la laisser en arriver là ? Comment avais-je pu échouer si lamentablement à la protéger ? Les réponses me fuyaient, et chaque pensée qui me venait me plongeait un peu plus dans le désespoir. Ses tremblements reflétaient ceux que je sentais à l'intérieur, cette bataille intérieure entre la peur de perdre le contrôle et la nécessité de rester forte. Je sentais mon propre cœur battre plus fort, chaque pulsation résonnant dans mes tempes, pesante, implacable. Il fallait que je sois forte, que je m'accroche pour elle, pour nous. Il n'y avait plus de place pour l'hésitation. Pas maintenant.

Et puis, d'une voix faible, brisée par l'épuisement, Nina murmura :

"Luna..."

Ce simple mot, à peine un souffle, résonna dans l'air comme un cri étouffé. Mon cœur se serra. Je baissai les yeux, cherchant son regard, encore trouble, embué de larmes. Voir cette fragilité dans ses yeux, ce miroir de mes propres peurs, me transperça. Sa voix cassée, si rauque, si désespérée, réveilla en moi une douleur que je n'avais jamais connue. C'était comme si, pour la première fois, quelqu'un d'autre parlait ma langue de douleur, de doute, de terreur.

J'étais à la croisée des chemins, face à mes propres démons, face à la possibilité de devenir comme Gabriel ou de sombrer dans l'échec total. Mais plus que tout, j'étais face à cette âme que j'aimais plus que tout, qui comptait sur moi. Je devais faire taire la peur, maîtriser cette rage, et la protéger, coûte que coûte.

" Je suis désolée...," répétais-je, ma voix presque étouffée par la boule de culpabilité qui me nouait la gorge. Mes yeux brûlaient, mais aucune larme ne parvenait à couler, figées par l'épuisement, par la peur. Je suis tellement désolée... Je n'aurais jamais dû te mêler à tout ça. Gabriel n'aurait jamais dû te faire de mal.

Chaque mot, prononcé dans un souffle, pesait une tonne. Comme si, en m'excusant, je cherchais à alléger ce poids écrasant sur ma poitrine, cette sensation d'avoir failli à ma promesse de la protéger. Mais rien ne semblait suffisant. Comment expliquer que c'était moi qui l'avais précipitée dans cette noirceur ? Que c'était mon existence, mes pouvoirs, qui l'avaient exposée à Gabriel, à ses ténèbres ? Les remords me dévoraient de l'intérieur, me laissant un goût amer au fond de la gorge.

" Ne dis pas ça..." répondit-elle, d'une voix faible, mais empreinte d'une douceur qui me surprit. Sa main chercha la mienne, ses doigts fins et tremblants vinrent effleurer ma peau avec une tendresse qui me bouleversa. Ce n'est pas ta faute, Luna. Rien de tout cela n'est ta faute.

Mais au fond, je savais que même si elle essayait de me rassurer, même si elle y mettait toute son énergie, il y avait cette incertitude dans sa voix. Cette hésitation, ce doute. Son souffle court, son corps encore secoué par des frissons nerveux, tout en elle trahissait la peur qu'elle tentait de cacher. Je pouvais presque sentir la lutte intérieure qu'elle menait pour garder le contrôle, pour ne pas laisser l'angoisse prendre le dessus. Et pourtant, elle me regardait avec des yeux pleins de tendresse. Pleins de cette foi qu'elle avait toujours eue en moi, même à ce moment où je n'avais plus foi en moi-même.

Son regard me déchira. Une douleur vive, insoutenable. Comment pouvait-elle encore me regarder ainsi ? Comment pouvait-elle encore avoir confiance en moi après tout ce que je lui avais fait traverser ?

" Si je n'avais pas été là, il ne t'aurait jamais attaquée," murmurai-je, la gorge serrée, chaque mot pesant d'une amertume douloureuse. "Il te cible à cause de moi, à cause de ce que je représente pour lui..."

Mes lèvres tremblèrent légèrement, et je sentis mon souffle se couper, comme si l'air lui-même se refusait à mes poumons. Un nœud douloureux se formait dans ma poitrine, serrant autour de mon cœur. L'idée, aussi simple qu'horrible, que Gabriel ait pu faire du mal à Nina à cause de moi, à cause de ma seule existence, était un poison qui se répandait lentement dans mon corps. Il envenimait mes pensées, alourdissait chaque respiration, m'étouffait presque.

Le silence qui suivit mes paroles était palpable, presque tangible. Il flottait dans l'air, lourd et oppressant, comme une chape de plomb entre nous. J'osais à peine lever les yeux vers Nina, la peur de voir la souffrance dans son regard me paralysait. Mais alors que l'atmosphère devenait insoutenable, ce fut sa voix, douce mais ferme, qui brisa ce silence avec une force inattendue. Chaque mot qu'elle prononça me frappa de plein fouet, me faisant vaciller intérieurement.

" Non, Luna," dit-elle d'une voix claire, mais chargée d'émotion." Il te cible, toi. Pas moi. Parce que tu es une menace pour lui. Il le sait, il le sent. Et il fait tout ce qu'il peut pour te briser avant que tu ne réalises à quel point tu es puissante."

Je restai figée, comme si ses mots s'étaient infiltrés dans mon esprit, transperçant les défenses que j'avais construites autour de moi. Mes pensées tourbillonnaient, et je sentais le poids de ses paroles se poser sur mes épaules, m'enveloppant d'une nouvelle réalité à laquelle je n'étais pas prête à faire face. Une menace ? Moi ? Ces mots avaient déjà effleuré mes oreilles, murmures inquiets de Matthieu, avertissements graves de Gwenaëlle, mais jamais ils n'avaient résonné avec autant de force qu'en cet instant précis, prononcés par Nina, celle que je voulais protéger plus que tout.

Je plongeai mon regard dans le sien, cherchant à comprendre, à trouver une lueur de doute, mais il n'y avait que de la certitude. Elle croyait en moi, en ma force, même après tout ce qu'elle avait traversé, même après avoir affronté Gabriel et subi sa cruauté. C'était incompréhensible, impensable, qu'après avoir vu l'étendue de sa puissance destructrice, elle puisse encore avoir foi en moi, alors que moi-même, je doutais de ce que j'étais capable de faire.

" Nina... "balbutiai-je, encore sous le choc de ses paroles.

Mais elle n'avait pas fini, ses yeux brillaient d'une détermination que je ne pouvais pas ignorer, et sa voix, bien que douce, portait une vérité que je ne pouvais plus fuir.

"Gabriel sait ce que tu représentes, Luna. Tu es la seule chose qui peut l'empêcher de parvenir à ses fins. Il a peur de toi, et il essaiera tout pour te faire douter, pour te faire tomber. Mais tu ne peux pas le laisser gagner. Pas maintenant."

Mon corps tout entier semblait vibrer sous l'impact de ses mots. C'était elle, Nina, la personne que j'aimais et que je voulais protéger à tout prix, qui croyait en ma force plus que je ne le pouvais moi-même. Son regard, chargé de tant d'émotions, perça les murs que j'avais érigés autour de mon cœur. Comment, après tout ce qu'elle avait enduré, pouvait-elle encore avoir cette foi en moi ?

Je laissai le silence s'étirer encore un moment, mes pensées s'entrechoquant, tandis que je réalisais la vérité dans ses mots. Gabriel ne m'attaquait pas juste par cruauté, ni même par hasard. Il avait senti quelque chose en moi, quelque chose que je refusais encore d'accepter. Et cette chose, cette puissance latente, pourrait être la clé pour le vaincre.

Le poids de cette responsabilité me submergea. Mais au milieu de cette tempête intérieure, il y avait Nina, son regard toujours ancré dans le mien, une ancre dans ce tourbillon d'incertitudes.

Je pouvais voir cette conviction dans ses yeux, malgré la peur qui y brillait encore. Elle croyait en moi, même lorsque moi-même je doutais. Et c'est cette croyance, cette foi inébranlable, qui raviva une flamme en moi, une lueur de détermination que je pensais éteinte. Je ne pouvais pas la laisser tomber. Je ne pouvais pas laisser Gabriel gagner. Pas après tout ce que nous avions enduré.

Je pris une grande inspiration, profonde, sentant l'air remplir mes poumons avec une nouvelle clarté. Mon cœur battait encore fort, résonnant dans mes tempes, mais il n'était plus uniquement alimenté par la peur. Il y avait autre chose. Un besoin de protéger, de combattre, de ne plus fuir. Gabriel devenait de plus en plus audacieux, et si je continuais à hésiter, à me laisser submerger par mes propres démons, il allait nous détruire. Cette confrontation avec lui n'était que la première d'une longue série, je le savais maintenant. Il ne s'arrêterait pas tant qu'il ne m'aurait pas brisée. Mais je n'allais pas lui en donner l'occasion.

Je tournai mon regard vers Nina, encore blottie contre moi. Mes doigts se resserrèrent instinctivement autour de sa main, comme pour la garder ancrée, comme pour la protéger une fois de plus. Mais cette fois, c'était différent. Cette fois, c'était elle qui m'avait donné la force.

"Il est temps de mettre fin à tout ça, "murmurai-je, presque pour moi-même." Gabriel a trop joué avec nous."

Nina, malgré sa fatigue évidente, hocha doucement la tête, son regard brillant d'une lueur nouvelle. Elle se redressa légèrement, me fixant avec cette même détermination que je sentais naître en moi.

" Qu'allons-nous faire ?" demanda-t-elle, sa voix, bien que faible, portait un écho de courage.

Je me redressai à mon tour, plus droite, plus déterminée. Je lui tendis la main, l'invitant à se lever avec moi. Ce moment marquait le début de notre lutte. Nous ne serions plus des victimes.

" Nous allons le trouver, et nous allons l'arrêter," déclarai-je, chaque mot rempli d'une force que je ne pensais plus posséder.

Je n'avais pas encore toutes les réponses. Je ne savais pas exactement comment nous allions y parvenir. Mais ce que je savais, c'est que l'heure n'était plus à l'hésitation. Gabriel avait franchi une ligne, et cette fois, c'était à moi de fixer les règles. Il ne pouvait plus me manipuler. Il ne pouvait plus nous manipuler.

La lumière de la lune baignait la pièce, jetant des ombres autour de nous, comme des témoins silencieux de ce serment que je me faisais. L'obscurité n'avait plus le même pouvoir sur moi. Elle était là, oui, mais je pouvais sentir cette lueur, cette force intérieure, qui s'éveillait. Celle que Gabriel cherchait désespérément à étouffer.

Je posai mon regard sur Nina une dernière fois. Son visage était encore marqué par l'angoisse de la nuit, mais il y avait aussi quelque chose de nouveau dans ses traits. Un calme fragile, un espoir renaissant. Elle me faisait confiance. Elle croyait que je pouvais la sauver.

Et je n'allais plus jamais la décevoir. Ensemble, nous allions affronter l'ombre. Ensemble, nous allions triompher.

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