Gabriel se révèle
La fête des moissons était tout ce dont Nina et moi avions besoin. Le bruit, les lumières, les rires. Tout cela formait une bulle de joie presque irréelle, un contraste frappant avec les ténèbres qui semblaient avoir envahi nos vies depuis des jours. Le manège de la soirée s'était transformé en une évasion bienvenue, une parenthèse lumineuse loin de la magie, loin de Gabriel.
« Allez, on fait celui la ! » s'exclama Nina, me tirant par le bras vers un stand de tir à l'arc où des peluches géantes pendaient en guise de prix.
Je souriais malgré moi, incapable de résister à son enthousiasme contagieux. Nous venions déjà de faire plusieurs jeux, allant des machines à pince aux stands de tir. Nina s'était découvert un talent insoupçonné pour les fléchettes, remportant facilement une peluche rose qu'elle m'avait offerte avec un sourire triomphant.
« Tu es plus douée que moi pour ça, » admis-je en la regardant attraper un arc, ses yeux brillants de détermination.
« C'est tout dans le poignet, » répondit-elle avec un clin d'œil. Elle tira une flèche qui frôla la cible. Pas tout à fait un coup parfait, mais son sourire ne faiblit pas. « Bon, peut-être que je dois encore travailler sur la technique. »
Je ris doucement, l'atmosphère détendue de la fête effaçant peu à peu les angoisses de ces derniers jours. C'était comme si, pendant quelques heures, tout ce qui comptait était ici et maintenant, entre les lumières colorées et la musique joyeuse qui résonnait dans les airs.
Après avoir fait quelques autres stands, nous décidâmes de nous promener dans l'allée principale, où des stands de nourriture dégageaient des arômes alléchants. Nina me tendit une barbe à papa qu'elle avait achetée, son visage rayonnant sous les lumières des guirlandes suspendues.
« Prends-en un peu. Ça fait des années que je n'en ai pas mangé, » dit-elle avec un sourire d'enfant.
Je mordis dans la barbe à papa sucrée, et pendant un instant, je retrouvai une sensation d'insouciance que je n'avais pas ressentie depuis longtemps. Nous marchâmes ainsi, bras dessus bras dessous, riant et discutant de tout et de rien, comme si le monde extérieur n'existait plus. C'était exactement ce dont j'avais besoin. Une pause. Une respiration.
Mais malgré l'ambiance festive, il y avait toujours cette ombre, tapie au fond de ma conscience. Chaque éclat de rire, chaque instant de bonheur semblait assombri par la pensée que cela ne durerait pas. Que bientôt, la réalité nous rattraperait. Gabriel ne nous laisserait jamais tranquilles, et ce n'était qu'une question de temps avant qu'il revienne.
Nina dut lire cette inquiétude dans mes yeux, car elle s'arrêta soudainement et me prit la main, son expression devenant plus sérieuse.
« Hey, tout va bien. Ce soir, on se détend, d'accord ? Oublie Gabriel, oublie la magie, juste pour quelques heures. On mérite ça. »
Je la regardai un instant, touchée par ses mots. Elle avait raison. Je ne pouvais pas laisser la peur de ce qui nous attendait gâcher ce moment de répit. Je hochai la tête, serrant doucement sa main en retour.
« Tu as raison. Ce soir, on oublie tout ça. »
Elle sourit, et nous continuâmes à marcher, profitant de la fête jusqu'à ce que la fatigue commence à se faire sentir.De retour chez nous, la chaleur réconfortante de l'appartement contrastait avec l'air frais de la nuit. Après les rires et l'excitation de la fête, le silence qui nous entourait paraissait presque écrasant. Nina s'était effondrée sur le canapé, épuisée, et je la couvris doucement d'une couverture avant de m'installer près de la fenêtre.
J'observai les lumières lointaines de la ville, me laissant bercer par le calme de la nuit. Mais au fond de moi, je savais que la tranquillité ne durerait pas. Même pendant la fête, je n'avais pu m'empêcher de sentir cette ombre peser sur nous. Gabriel n'était jamais loin, et chaque instant de bonheur semblait teinté de la menace qu'il représentait.
Je tentai de me convaincre que j'avais besoin de repos, que l'épuisement de ces derniers jours pesait sur moi. Mais mon corps refusait de me laisser succomber au sommeil. Le souvenir de l'attaque sur Nina revenait en boucle dans mon esprit, son cri de terreur, son corps secoué par une force invisible. Malgré ma protection, je savais que Gabriel n'en avait pas fini avec nous.
Après un long moment à fixer la fenêtre, j'abandonnai toute tentative de trouver le sommeil et me laissai glisser dans mon lit. Les couvertures étaient lourdes, comme si elles reflétaient le poids qui pesait sur mes épaules depuis des jours. Je fermai les yeux, tentant de chasser les images et les pensées qui me hantaient, mais elles revenaient sans cesse.
Finalement, l'épuisement finit par avoir raison de moi, et je plongeai dans un sommeil trouble.
Je ne sais pas exactement quand le sommeil m'emporta, mais dès que mes yeux se fermèrent, je me retrouvai projetée dans un paysage étrange, à la fois familier et déroutant. Je me tenais dans la clairière, celle où tout avait commencé. Le vent soufflait doucement, faisant bruisser les feuilles des arbres. La lune, haute dans le ciel, diffusait une lueur argentée qui donnait à tout un aspect irréel. Mais malgré cette tranquillité apparente, quelque chose n'allait pas. L'air était lourd, chargé d'une tension que je ne pouvais ignorer.
Je regardai autour de moi, cherchant un signe de ce qui n'allait pas. Mon instinct me criait que je n'étais pas seule. Et alors, je l'entendis.
« Luna... »
Cette voix, froide et traînante, fit écho dans l'air, me glaçant le sang. Elle me rappela immédiatement la nuit où Nina avait été attaquée. La même voix, les mêmes ténèbres.
Je me retournai brusquement, mon cœur battant à tout rompre, et c'est alors que je le vis. Gabriel. Il semblait se matérialiser directement des ombres, sa silhouette se découpant lentement du noir environnant, comme une entité surnaturelle qui prenait forme devant mes yeux. Ses traits étaient plus nets que je ne l'avais jamais vus, comme si, à travers ce rêve, il se révélait à moi.
« Tu te souviens de moi, n'est-ce pas ? » dit-il d'une voix doucereuse, un sourire tordu étirant ses lèvres. « Bien sûr que tu te souviens. Après tout, nous sommes liés. »
Mon souffle se coupa. Je sentis mes jambes se figer sur place, comme si mon corps refusait de répondre à mes commandes. Gabriel continuait de s'approcher, ses pas silencieux mais chargés de menace. Il semblait flotter plus qu'il ne marchait, comme une ombre mouvante, prête à me happer.
« Nous ne sommes pas liés, » murmurai-je avec une voix tremblante, mon regard planté dans le sien. « Je ne suis rien comme toi. »
Gabriel sourit, un sourire glacial et moqueur, qui fit naître un frisson d'horreur en moi. « Oh, mais tu te trompes. » Il secoua la tête, son ton empreint de pitié. « Tu es bien plus proche de moi que tu ne veux l'admettre. Regarde-toi. Tu es terrifiée par ta propre magie, tu doutes de toi-même à chaque instant. Tu luttes, mais tu sais que tu perds. »
Ses mots me frappèrent comme des coups de poignard. Il savait. Il connaissait mes pensées les plus intimes, mes peurs les plus profondes. Comment pouvait-il lire en moi de cette façon ? Mon esprit tourbillonnait, cherchant une échappatoire, une réponse. Mais tout ce que je pouvais faire, c'était reculer, un pas après l'autre, alors qu'il s'approchait toujours.
« Je ne suis pas comme toi, » répétai-je, ma voix plus faible, presque désespérée.
Gabriel rit doucement, un son qui me fit frissonner jusqu'à la moelle. « Tu continues de mentir à toi-même, Luna. Mais ce n'est qu'une question de temps avant que tu acceptes la vérité. Tu as peur de ta magie, mais elle est en toi. Elle coule dans ton sang. Tu ne pourras jamais la fuir. »
Je déglutis, sentant la terreur grandir en moi. Chaque mot qu'il prononçait semblait résonner avec une vérité effrayante. Depuis le début, je luttais contre ma propre magie, contre cette part de moi que je refusais d'accepter. Et il le savait. Il jouait sur cette faiblesse, exploitant mes doutes, mes craintes.
« Tu penses vraiment pouvoir protéger ceux que tu aimes sans accepter ta vraie nature ? » Sa voix devint plus douce, presque tentante. « Tu sens cette puissance en toi, n'est-ce pas ? Elle est là, juste sous la surface. Imagine ce que tu pourrais accomplir si tu la laissais enfin éclater. »
Je restai silencieuse, incapable de trouver les mots pour répondre. Une part de moi savait qu'il avait raison. Je pouvais sentir cette force en moi, cette énergie brute, prête à jaillir. Mais elle me terrifiait. J'avais vu ce qu'elle pouvait faire lorsque je perdais le contrôle. Je ne pouvais pas risquer de devenir comme lui.
Gabriel s'approcha encore, jusqu'à être juste devant moi. Son visage était proche du mien, et ses yeux brillaient d'une lueur malveillante. « Laisse-moi t'aider, Luna. Laisse-moi te montrer ce que tu peux accomplir. Ensemble, nous pourrions tout changer. »
Ses paroles étaient comme du venin. Chaque syllabe s'insinuait dans mon esprit, cherchant à briser mes défenses. Pendant un instant, un instant fugace, je fus tentée. Tentée de voir ce que ce pouvoir pouvait m'apporter. Tentée d'accepter son offre. Mais alors que cette tentation grandissait en moi, l'image de Nina traversa mon esprit. Je la vis, souriante, me soutenant malgré tout, me faisant confiance.
Non. Je ne pouvais pas trahir cette confiance. Je ne pouvais pas devenir ce que Gabriel voulait que je sois.
Je serrai les poings, rassemblant le peu de courage qui me restait. « Non, » dis-je d'une voix ferme, malgré la peur qui me tordait les entrailles. « Je ne suis pas comme toi. Je ne te suivrai pas. »
Le sourire de Gabriel s'effaça, ses traits se durcirent. « Tu fais une grave erreur, Luna. Et tu le regretteras. »
L'atmosphère changea instantanément. L'air devint glacial, presque suffocant. Les ombres autour de nous se refermèrent, s'allongeant, comme des tentacules cherchant à m'envelopper. Mon souffle devint court, et la panique monta en moi, mais avant que je ne puisse réagir, tout devint noir.
Je me réveillai en sursaut, le souffle court, haletante comme si je venais de courir une longue distance. Mon cœur battait à tout rompre dans ma poitrine, si fort que j'avais l'impression qu'il allait s'échapper. Le silence de la chambre était oppressant, contrastant violemment avec l'intensité du rêve dont je venais de sortir. Pendant un instant, je restai allongée, figée, mes yeux grands ouverts dans l'obscurité. J'essayais de distinguer quelque chose, n'importe quoi, mais tout semblait flou, comme si les ombres dans la pièce dansaient encore autour de moi.
Mon corps était tendu, chaque muscle crispé sous l'effet de la peur qui m'avait envahie dans le rêve. Gabriel. Son visage, son sourire cruel, ses paroles empoisonnées, tout semblait encore là, imprimé dans mon esprit avec une clarté terrifiante. Je sentais son ombre planer sur moi, comme si même réveillée, il était encore là, caché dans les recoins les plus sombres de la chambre, attendant le bon moment pour frapper à nouveau.
Je portai une main tremblante à mon front, sentant la fine couche de sueur froide qui s'y était formée. Mon corps entier frissonnait, non pas à cause du froid, mais à cause de l'angoisse qui ne cessait de croître en moi. Je tentai de réguler ma respiration, de reprendre le contrôle, mais l'image de Gabriel ne cessait de me hanter. Sa voix résonnait encore dans mes oreilles, ces promesses de pouvoir, ces murmures tentants qui me faisaient douter de tout ce que je pensais savoir.
Je fermai les yeux un instant, essayant de calmer les battements frénétiques de mon cœur, mais chaque fois que je les fermais, je le revoyais. Lui, avec ses yeux brillants de malveillance, ses paroles doucereuses mais dangereuses. Le sentiment de sa présence était encore si fort, si palpable que j'eus un instant l'impression que ce n'était pas un rêve. Que Gabriel avait réellement été là, à quelques centimètres de moi, essayant de s'infiltrer dans mes pensées, dans mon âme.
Je me levai lentement, presque mécaniquement, mes jambes encore tremblantes sous le poids de l'angoisse. Chaque pas que je faisais semblait être une lutte contre moi-même, contre cette peur qui me retenait. Je me dirigeai vers la fenêtre, comme pour m'assurer que tout cela n'était qu'un cauchemar. Mais même là, au bord de la fenêtre, regardant le monde extérieur plongé dans l'obscurité tranquille de la nuit, je ne pouvais pas me détacher de cette sensation qu'il était toujours là, quelque part, observant.
Je posai une main sur le rebord de la fenêtre, le froid du verre contre ma paume me ramenant un instant à la réalité. Je regardai dehors, fixant les lumières lointaines des réverbères, essayant de trouver du réconfort dans cette vue familière. Mais rien n'y faisait. Ce sentiment d'oppression, cette peur sourde, persistait. Il avait laissé une empreinte, une marque invisible, mais bien présente, qui ne me quittait pas.
Je savais, au fond de moi, que ce n'était pas seulement un cauchemar. Gabriel venait de me montrer à quel point il était proche. Son pouvoir s'étendait bien au-delà de mes rêves, et il avait réussi à s'infiltrer dans mes pensées les plus profondes. J'avais résisté, mais la tentation avait été réelle. Et c'était cela qui me terrifiait le plus.
Il avait vu à l'intérieur de moi, dans ces parties de moi-même que je n'osais même pas affronter. Pire encore, il m'avait montré que, malgré ma résistance, une part de moi était tentée par ce qu'il avait à offrir. Ce pouvoir, cette force brute qu'il m'avait fait miroiter... une part de moi avait voulu l'accepter. Et cette simple idée me glaçait d'effroi.
Je pris une grande inspiration, sentant mes poumons se remplir d'air, mais l'oppression ne me quittait pas. Gabriel n'était pas seulement une menace extérieure. Il avait réussi à pénétrer dans mes pensées, dans mes peurs, et à manipuler mes doutes. Et maintenant, même réveillée, je sentais cette lutte intérieure grandir en moi. Il ne s'agissait plus seulement de l'affronter, mais de résister à cette part de moi qui était attirée par la puissance qu'il promettait.
Je laissai ma main glisser le long du rebord de la fenêtre, mes doigts crispés contre le bois froid. La nuit, calme et silencieuse dehors, semblait me narguer. Comme si l'univers entier restait indifférent à la tempête qui faisait rage en moi. Gabriel était proche. Et il reviendrait. Je savais que ce n'était qu'une question de temps avant qu'il ne frappe à nouveau, cette fois, peut-être, plus fort. Mais maintenant, je devais aussi me préparer à la bataille intérieure. La bataille contre moi-même.
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