Scène ajoutée 1

NDA

Dans le cadre de la réécriture de LCA j'ai écrit de nouvelles scènes inédites que je vais ajouter petit à petit au récit. Celle si est la première et elle va entre la scène 16 et 17 du premier jet.

Bonne lecture !

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Kenza

Levi n'a pas pu venir me chercher aujourd'hui.

Si j'en crois le message qu'il m'a envoyé, il a eu un empêchement de dernière minute et m'a dit qu'on se verrait sur le plateau pour la scène qu'on joue aujourd'hui.

Ça voulait dire deux heures en plus de libre puisque je ne serais pas obligé d'y aller à l'heure où les poules se lèvent comme il a l'habitude de venir me chercher.

Il ne comprend pas que je ne peux pas juste me présenter sur le plateau et attendre que la costumière et la maquilleuse finissent avec moi comme lui.

Moi, je dois me lisser les cheveux ici, parce que la coiffeuse a une fois commenté que me les lisser était un travail épuisant à cause de mon volume de cheveux « hors norme » et de mes boucles naturelles frisant l'afro. Apparemment, elle n'a pas été formée pour traiter mon type de cheveux.

Moi je dois me maquiller ici parce que la maquilleuse arrive toujours à se tromper de teinte, un jour trop pâle, un jour trop foncé. Sa technique tend à faire ressortir des traits de la beauté européenne, mais ça clash avec mon visage qui ne l'est pas. Elle m'affine toujours beaucoup le nez, ce que je comprends comme un message qu'elle n'apprécie pas mon nez nord-africain, elle abuse du fard à joues et m'a dit que mes sourcils étaient trop épais.

Je consacre pas moins de trois heures à me préparer avant chaque tournage pour que le carnage ne soit pas trop important une fois dans les loges.

Mais si j'expliquais ça à Levi, il trouverait un moyen de me rire au nez et de me rappeler que c'est parce que je n'ai pas ma place parmi eux, sur le plateau du tournage d'un film où le staff avait été engagé pour coiffer et maquiller une blonde aux yeux bleus à la peau tels des pétales de rose.

Alors je me fais violence. Je me lève trois heures trop tôt parce que je préfère la privation de sommeil à ses railleries et sa méchanceté et parce que je ne veux pas être un poids pour mon équipe.

Mais surtout parce qu'une part de moi a toujours l'impression que je n'ai pas encore mérité mon rôle, pas à leurs yeux en tout cas.

Je quitte donc mon appartement avec un petit retard sur le programme que je me suis fait à la dernière minute. J'arrive aux studios de ma production une petite heure plus tard à cause des lourds bouchons de Los Angeles.

Je salue tout le staff qui semble bientôt prêt à filmer la scène d'aujourd'hui. Quand je viens avec Levi, on les trouve en train de se commencer l'installation, certaines boites ne sont pas encore déchargées. Si on peut les aider sans risquer de nous blesser, on leur donne un coup de main.

C'est une habitude que j'ai prise auprès de Levi. Il donne toujours un coup de main quand il arrive. Ça fait qu'il est apprécié de beaucoup. Rien à avoir avec l'image du Levi dépeint par les paparazzi qu'il traite comme des chiens.

Rien à avoir avec son comportement avec moi.

Ce qui me laisse conclure que moi, il ne m'estime pas du tout. Ce n'était pas un mystère, il est si... vocal au sujet de son aversion pour moi et je la lui retourne volontiers. Moi non plus je ne l'aime pas du tout, mais j'aurais tout de même souhaité qu'il fasse preuve avec moi du même professionnalisme dont il fait preuve pour les autres.

Je le trouve quittant sa station de maquillage, déjà vêtu d'un costume des vêtements de tous les jours du richissime Henry Hilton. Dès qu'il me remarque, son regard s'assombrit.

Oh oh...

— Bon-

— Tu es en retard, claque-t-il.

Ok...

— J'ai seulement 15 minutes de retard.

— « Seulement » ? « Seulement » tu dis ? Tu crois que tu peux te permettre d'arriver en retard ?

— Non, mais ça arrive les imprévus. Il y avait des bouchons.

— Les bouchons ? C'est ça ton excuse pour ton manque de professionnalisme.

Manque de professionnalisme?! Je viens de passer des heures à me taper le boulot de la coiffeuse et la maquilleuse pour les accommoder!

Mais je ne dis rien. Je me tais à ce sujet et au lieu de ça, je lui retourne son hostilité.

— Écoute, tout le monde n'est pas comme toi. Je sais que tu mènes une vie si fade que tu n'as rien de mieux à faire que de fixer les murs trop blancs de chez toi ou venir faire partie du décor en avance ici, mais moi j'ai mieux à faire.

L'agacement traverse ses iris sévères tel un éclair dans un ciel orageux.

— Tu crois que je viens en avance pour faire partie du décor ?

— Ou juste pour me faire chier, oui !

Les membres du staff se tournent vers nous en sentant la dispute naissante. Certains commencent à échanger des messes basses.

Levi soupire, me saisit brutalement le bras et me traîne jusqu'à notre roulotte qu'il ferme avant de me plaquer contre la porte.

— Aie !

Au lieu de s'excuser, il s'approche de moi et me surplombe de manière menaçante. Je tente de reculer, mais réalise que je suis déjà acculée.

— On t'a sélectionnée pour un rôle pour lequel tu n'aurais même pas dû auditionner et ça t'est déjà monté à la tête ? Tu te prends pour une star, c'est ça ? Une diva qui peut se permet de faire poiroter les autres en arrivant un quart d'heure en retard et donner une performance passable ?!

— Je ne me prends pas pour une diva !

— Qu'est-ce qui explique tes retards alors ?! Si tu me dis les bouchons...

Je le fixe, respirant trop fort à cause de la colère pour élaborer une défense contre son accusation.

— Ça ne servirait à rien que je te le dise. Tu ne comprendrais pas.

— Essaie.

Je baisse le regard, cherchant le courage de lui avouer ce que je garde pour moi depuis le début du tournage.

— Je dois me coiffer et me maquiller en avance parce que la coiffeuse ne sait pas comment gérer mes cheveux et la maquilleuse a clairement horreur de ma complexion.

Il me dévisage, l'air de réaliser que je suis déjà coiffée et maquillée. Sa colère le quitte l'instant de quelques secondes.

— Quoi ?

Je croise les bras, me sentant vulnérable maintenant que je lui ai dit ça et je combats mes larmes de frustration.

— Dans ce cas, tu les fais renvoyer et tu demandes qu'on engage des employées compétentes, faut tout t'expliquer ou quoi ?

— « Faut tout t'expliquer ou quoi ? » parce que tu penses que virer deux membres qui font partie intégrale de l'équipe ne ferait pas de moi la diva prétentieuse que tu m'accuses d'être ? Tu crois que je peux me permettre de me mettre à dos les autres comme toi ?! Non, Levi, je ne suis pas comme toi. Je ne suis pas privilégiée moi ; mère n'est pas une icône du cinéma comme la tienne, mon père ne contrôle pas l'industrie comme le tien, je ne joue pas depuis que je sais marcher comme toi. Si j'ai mauvaise réputation c'en est fini de moi !

Il ouvre la bouche pour répliquer quelque chose, sans doute quelque chose qui aurait été blessant, mais en voyant mes premières larmes, il se ravise.

Levi me tasse et ouvre la porte de la roulotte pour en sortir, mais avant de s'éclipser, il se tourne vers moi.

— Pour info, mon privilège ne vient pas qu'avec de bons côtés. Même si je ne risque pas le chômage comme toi, moi je suis toujours à la limite d'être le nepo baby sans talent qui ne doit sa carrière qu'à ses parents influents. Mais tu sais ce que je fais moi pour y pallier ?

Je secoue la tête.

— Je redouble d'efforts, pour leur prouver à tous que je ne suis pas ici à cause du privilège, mais du travail. Mais ça ne suffit jamais. Même quand je joue bien, on me dit que c'est dans mes gênes à cause de ma mère et que je fais ça depuis toujours alors c'est facile. Mon talent ne suffit même pas à m'obtenir du mérite, certains me méprisent même pour ça. Alors je viens plus tôt, pour leur montrer que je sais faire preuve de professionnalisme, j'aide le staff pour leur montrer que je ne me repose pas sur mes lauriers. Si tu crois que ménager des incompétents qui n'ont jamais mis le quart des efforts que tu mets t'épargnera la critique et le jugement, tu te goures totalement.

Il marque une pause durant laquelle il finit d'imprimer son sermon de son regard strict. Je baisse les yeux, me sentant mal d'avoir dit qu'il venait d'avance simplement parce que sa vie était fade. Lui et moi avons le même problème, même si c'est deux faces d'une même pièce. Lui et moi ne cessons d'essayer de leur prouver que nous méritons notre place.

— Le-

Il claque la porte et s'en va avant que je n'aie pu m'excuser.

Ok là c'est sûr, il va encore plus me détester.

Je prends un moment pour reprendre mes esprits et me hâte pour retourner sur le plateau.

L'armurier est déjà présent et prépare la scène à venir. Je vais retrouver Levi et Aiden qui joue Thomas pour une répétition de dernière minute afin de corriger quelques détails. Après quoi, Aiden nous laisse.

Je me retrouve de nouveau seule avec Levi. Son regard glacial descend sur ma personne, gorgé d'animosité. Un frisson me parcourt.

— Ne me ridiculise pas, dit-il aussi méprisant que d'habitude.

Je lui fais un doigt d'honneur alors qu'il va se faire expliquer les détails de la scène par l'armurier engagé pour la superviser.

Je déteste quand il me dit ça. Il insinue clairement que mon jeu n'est pas à la hauteur, du moins il n'est pas assez bon pour lui. Il ne considère pas que j'ai ma place ici, avec lui.

Même si je ne lui fais pas le plaisir de lui montrer combien ce commentaire qu'il m'intime avant chaque prise, et ce depuis notre audition ensemble me touche, ses mots me blessent quand même.

Et s'il avait raison ?

Je veux dire... je suis bonne. Je le sais. Je travaille si fort pour atteindre la perfection. Mais quand on est une fille comme moi, quand on n'est pas née dans le milieu, quand on n'a pas de famille influente dans l'industrie et surtout quand on n'est pas blanche, il faut travailler deux fois plus pour récolter deux fois moins que les acteurs comme Levi ou Adèle.

Être bonne ne suffit pas, il faut que je sois phénoménale. Il faut que je les force tous à me respecter par mon talent et mon professionnalisme.

Il faut que je force Levi à me respecter.

Alors je n'aurai pas le droit à l'erreur pour cette scène. Elle est sans équivoque la scène la plus dramatique du film. Elle est très technique. C'est le genre de scènes qui fait gagner des oscars.

Et je compte bien profiter de cette scène pour asseoir ma domination sur tout le plateau et leur rappeler à tous que j'ai ma place parmi eux.

Moi je vais voir les ingénieurs des effets spéciaux qui me posent un sang rempli de faux sang en colorant rouge. Ils m'expliquent que quand la détonation du postiche qui servira d'arme se fera entendre, ils feront éclater le sac à distance.

— Nous n'avons qu'une autre robe identique à celle que tu portes et on la réserve pour une autre scène, alors on n'a pas le droit à l'erreur, m'explique l'un d'entre eux.

Je hoche ma tête.

Je dois jouer comme si ma vie en dépendait.

Lorsque les préparatifs pour la scène sont finis, les acteurs qui y figurent sont appelés à se placer dans le décor. Levi, Aiden qui joue Thomas, le rival d'Henry et moi nous positionnons dans l'attente du signal.

Une membre du staff annonce la scène que nous allons tourner avant de fermer la claquette devant la caméra qui nous filme déjà.

— ACTION ! crache le mégaphone d'Hannah.

Nous jouons la scène.

Thomas qui est le meilleur ami d'enfance d'Alice a toujours été amoureux d'elle et elle partageait cette attirance. Et n'eut été la rencontre fortuite entre l'héroïne et le bel héritier des Hilton, les deux amis d'enfance aurait sûrement vu leur amitié évoluer vers des sentiments, une vie commune, un mariage et une famille.

Alors quand, désillusionnée suite à l'humiliation publique que lui a fait subir la mère d'Henry, Alice réalise qu'elle n'a pas sa place dans son monde et qu'elle ne pourra jamais être avec Henry, elle retourne naturellement vers son amour d'enfance.

De retour de son voyage en Europe, Henry apprend pour les fiançailles de Thomas et Alice et il en perd la tête de jalousie. Il se rend chez elle pour lui demander des explications.

— Ouvre cette porte Alice !

— Rentre chez toi Henry ! Nous deux c'est fini...

Il continue à s'acharner, refusant de mettre un terme à leur histoire.

— Non ! Je parlerai à ma famille ! Ils comprendront ! Ils comprendront que je t'aime !

— C'est inutile, sangloté-je dans le rôle d'Alice. Ta mère a raison, c'était une erreur.

Je m'applique à montrer le déchirement d'Alice entre l'amour et la raison à travers mes expressions, mes gestes, l'angoisse que je dégage.

— Mais Alice... je t'aime.

Je suis un peu déstabilisé lorsque Henry dit cela, car même si c'est le personnage, il demeure que c'est Levi qui lui prête son visage et sa voix. Je n'ai jamais entendu Levi parler comme ça, avec tant de douceur et de tendresse. Ça me chamboule tellement que je joue mieux le bouleversement d'Alice que je ne l'aurais fait si je n'avais pas entendu sa voix me dire : « Je t'aime. »

Alice s'approche de la porte et colle son front et sa main contre celle-ci. On croirait qu'elle cherche à passer au travers, pour rejoindre les bras d'Henry sans ouvrir la porte et regretter sa faiblesse. Selon le script, Levi est de l'autre de la porte dans la même position, car Henry aussi voudrait tant retrouver sa dulcinée.

— Elle t'a dit de t'en aller, se fait entendre la voix de Thomas qu'Alice tentait de cacher, par peur de la réaction d'Henry en les voyant ensemble chez elle.

Et comme elle le redoutait, la colère d'Henry prend le dessus. Elle tente de tempérer, mais à côté d'elle, Thomas ne cesse de provoquer son rival de l'autre côté de la porte. Porte qu'Henry fini par défoncer avant d'entrer, une arme à la main.

Les deux hommes se disputent, de nouveau Thomas insulte Henry et lui rappelle qu'il ne pourra jamais avoir Alice. Un éclair de rage traverse le regard du jeune Hilton.

— Henry, non ! crie Alice qui a compris rien qu'en voyant son visage son intention d'aller de l'avant avec sa menace.

Henry aveuglé par la rage lève le bras et vise en direction de Thomas. Alice se jette devant Thomas pour dissuader Henry d'aller de l'avant, mais bien trop tard. Le doigt d'Henry a déjà appuyé sur la gâchette et pendant une fraction de seconde qui semble être une éternité, il regarde la balle voyager jusqu'au ventre d'Alice.


Levi

Kenza joue à merveille la réception de balle. Son corps recule sous la force de la balle, elle pousse un cri qui, si je me souviens bien n'était pas dans le script, mais qui aurait dû y être tant il ajoute du réalisme et elle s'écroule au sol. Quelques secondes de suspense s'écoulent avant qu'Hannah ne crie :

— COUPEZ ! C'était parfait ! Parfait ! Kenza, excellente improvisation j'en ai eu des frissons ! On passe à la prochaine scène dans trente secondes. Les angles sont bons ?

— Oui ! crie un membre du staff.

Je sors de mon rôle et Aiden aussi. Mais Kenza, elle, demeure au sol à geindre, déjà prête pour la prochaine scène ; celle où Henry accoure vers elle pour constater l'erreur qu'il a commise. Une employée annonce la scène et ferme la claquette devant la caméra.

— ACTION ! crie Hannah.

Je retourne dans le rôle d'Henry. Il baisse le bras en voyant que c'est Alice qui a été touchée et demeure immobile et choqué pendant quelques secondes.

— Alice... non...

Henry laisse tomber l'arme et court vers le corps en souffrance d'Alice. Henry s'abaisse pour la prendre dans ses bras. Une angoisse que je trouve un peu exagérée est maître de lui, si bien qu'il arrive à peine à la tenir. Il l'appelle, demande déjà pardon, crie pour ordonner à Thomas d'aller chercher de l'aide.

Ce dernier encore secoué hoche la tête et part en courant pour aller appeler du secours, laissant les protagonistes ensemble. Alice en voyant la crainte sur le visage de Henry lève difficilement le bras pour prendre le visage de son bien aimé dans sa si douce main.

— Pourquoi... pourquoi as-tu fait ça ?

— Parce que je t'aime trop pour te laisser gâcher ta vie à cause de moi, répond Alice.

Les forces la quittent peu à peu alors que son sang se répand sur sa robe blanche. Son bras retombe le long de son corps inerte et elle commence à perdre connaissance.

— Non, non, non ! Alice... ouvre les yeux.

Elle les ouvre quelques secondes, mais la mort s'efforce à la tirer vers elle.

— Alice !

Comme elle ne bouge pas, Henry comprend qu'elle est en train de succomber à sa blessure. Terrifié à l'idée de la perdre, il retire sa veste en hâte pour la presser sur la plaie d'Alice dans l'espoir d'arrêter l'hémorragie le temps que Thomas revienne avec du secours.

Seulement, au moment de coller mon costume contre flan de Kenza où se trouve la poche de sang que les ingénieurs des effets spéciaux devaient faire exploser au moment du tir, je constate qu'elle est encore intacte.

Je fronce les sourcils.

Il n'est pas rare que les effets spéciaux aient des défaillances pendant le tournage dû à un blocage mécanique ou simplement un souci de communication avec la télécommande. Cela nous oblige parfois à refaire des scènes plusieurs fois.

Je suis sur le point de me tourner pour avertir l'équipe qu'on va devoir refaire la scène quand je réalise que la robe que Kenza porte est quand même imbibée de faux sang.

Je regarde de plus près et soulève la portion tachée de sa robe pour voir une réelle plaie d'où s'écoule tout le sang que j'avais pris pour les effets spéciaux.

Son vrai sang.

— Kenza... ?

Elle demeure dans le rôle d'Alice, inconsciente. Mais selon le script elle est censée vaciller entre vie et trépas, là elle ne bouge pas du tout.

Elle ne joue pas du tout.

Je tourne la tête vers l'arme censée être chargée à blanc par l'armurier dont je me suis servi pour cette scène et l'effroi me saisit.

Qu'est-ce que j'ai fait?

— Coupé, soufflé-je ne réalisant pas encore ce qui vient de se produire.

Mais Hannah n'annonce pas la fin de la scène. J'ouvre la bouche pour me répéter un peu plus fort, mais mon cœur bat trop vite, ma gorge se referme sur elle-même et mes mains se mettent à trembler.

Il devient difficile de respirer, mais je trouve la force de forcer les mots hors de ma trachée.

— Coupé ! Arrêtez tout, y'a quelque chose qui va pas... Kenza est...

Ma gorge se serre de nouveau

— Orh Levi, la scène était parfaite, râle Hannah. Continuez, sinon on va être obligé de reprendre depuis le déb-

Je me tourne vers la caméra et vers l'équipe, en colère.

— J'AI DIT COUPÉ !!! KENZA EST BLESSÉE !!!

Il y a un instant d'incompréhension, Hannah se redresse sur sa chaise.

— Quoi ?

— LA BALLE !!! C'ÉTAIT UNE VRAIE !!!

Hannah descend de sa chaise et cours jusqu'au décor où elle constate que je dis la vérité.

— Eh merde. U-une ambulance...

Le personnel semble toujours léthargique, n'y croyant pas encore tout à fait.

— APPELEZ UNE AMBULANCE BORDEL !!! commande Hannah, provocant le sursaut de tous.

Mieux vaut tard que jamais, mais après ce qui me semble une éternité, les gens comprennent alors la gravité de la situation et s'affairent. Hannah tombe sur ses genoux et tente de réveiller Kenza, sans succès.

Elle a déjà perdu énormément de sang avec tout le temps qui s'est écoulé avant que je remarque que ce n'était pas les effets spéciaux.

— Putain !

Elle se lève et va arracher le téléphone des mains de la stagiaire qui avait laissé la panique prendre le dessus et oublié l'adresse du studio. Elle donne des informations claires à la répartitrice et la supplie de dépêcher les secours ici au plus vite.

Elle revient vers nous, vers moi qui suis à présent inerte comme Kenza, tétanisé.

— Hmm... oui... avec un pistolet, dit-elle à la répartitrice à l'autre bout du fil. C'était censé être un postiche chargé à blanc, mais je crois l'armurier a fait une erreur. Au niveau du bas ventre, sur le côté droit. Oui, elle saigne beaucoup. Hmm... d'accord, Levi.

Sa voix me semble si lointaine. Le regard fixe vers le visage trop pâle de Kenza, je suis complètement dissocié de la réalité. J'entends Hannah m'appeler encore et encore, mais les battements erratiques de mon cœur enterrent sa voix.

Je lui ai tiré dessus.

J'ai tiré sur Kenza.

Je lève enfin les yeux vers Hannah en hyperventilant. Elle bloque quelques secondes quand elle voit combien je suis affecté par les événements.

— Levi, j'ai vraiment besoin que tu m'aides à ralentir l'hémorragie le temps que les secours arrivent.

— Je... je peux pas...

Je lui est tiré dessus et elle est en train de mourir... S'il elle meurt se sera ma faute. J'aurai échoué. Je l'aurai tuée.

— Hé, Levi, c'est comme dans le script ok ? Si tu n'y arrives pas, il faut qu'Henry le fasse.

Henry?

Mes yeux redescendent vers Kenza et je fais ce qui est le plus naturel chez moi, ce que je fais depuis l'enfance.

Jouer.

Je me fond dans la peau d'Henry, et imagine que Kenza est de nouveau Alice. C'est le seul moyen que je trouve de ne pas céder à la panique. Je reprend la pièce de mon costume et applique une force de pression au niveau de l'ouverture dans son ventre.

— Merci Levi, me dit Hannah avant de se lever.

Quand elle m'appelle par mon prénom, je suis forcé de sortir de mon rôle, de me rappeler que ce n'est pas Alice, mais Kenza qui est blessée et inconsciente au sol.

Ma Kenza.

C'est plus fort que moi, je la soulève et la tiens contre moi.

— Kenza ! Kenza !

Son visage demeure figé et si pâle, pourquoi est-elle si pâle ?!

Je sens de nouveau l'énorme boule qui m'a paralysé lorsque j'ai réalisé que je lui avais vraiment tiré dessus m'étouffer alors que mes larmes s'écrasent sur son visage qui a perdu de ses si belles couleurs.

— Kenza... pour l'amour du ciel, ouvre les yeux...

Je sais que c'est vain. Mes supplications ne changeront rien à son état, mais je crois que je vais moi-même mourir si je ne m'assure pas qu'elle s'en sortira.

— Je t'en conjure... reste avec moi...

Alors que je la serre toujours plus fort, je la sens bouger et j'entends une plainte faible émaner d'elle. Je la regarde et constate qu'elle a les yeux faiblement ouverts.

— Levi..., prononce-t-elle.

Mon cœur trépigne.

— KENZA !!

À ce moment précis, les secours entrent dans la pièce. Deux ambulanciers, civière en main, nous approchent. En premier lieu, ils vérifient l'état de la plaie de Kenza pour déterminer s'ils doivent intervenir sur place ou prendre le risque de la déplacer jusqu'à l'hôpital.

Kenza qui a regagné conscience lâche quelques plaintes de douleur et transpire beaucoup. Chacun de ses pleurs me lacère l'âme et j'ai l'impression de ressentir sa douleur au centuple. Je la serre de nouveau et caresse ses longs cheveux dans l'espoir de lui apporter du réconfort.

Quand mes yeux croisent la piscine de miel que sont les siens, je veux lui dire combien je suis content qu'elle ait ouvert les yeux, combien j'ai eu peur, lui supplier de tenir bon, lui dire que c'est bientôt fini, mais tout ce que je lui demande c'est :

— Pourquoi... pourquoi tu as continué à jouer ?

Elle grimace avant de me regarder.

— Je ne voulais pas te ridiculiser...

Mes forces me quittent, mes épaules s'affaissent sous le poids de la culpabilité quand je me rappelle ce que je lui ai dit avant chacune de nos scènes, le mépris dont j'ai fait preuve alors que je savais elle ne me ridiculiserait jamais.

Elle est la meilleure actrice avec laquelle j'ai pu travailler.

— Oh Kenza...

L'ambulancier me regarde ensuite.

— C'est vous qui avez ralenti l'hémorragie ? me demande-t-elle.

Je hoche la tête. Elle regarde mes mains tremblantes et m'offre un sourire rassurant.

— Vous avez fait du très bon travail. On se charge d'elle maintenant...

Ça me prend un moment avant de comprendre qu'elle me demande de lui confier Kenza. Je n'avait pas fait attention à combien je la tenais fort contre moi. Hésitant, je relâche ma prise pour la leur laisser.

Sans tarder, son partenaire et elle la soulèvent sur la civière et se dirigent vers la sortie.

Maintenant que Kenza n'est plus là, je remarque comme je suis taché de son sang. Il est sur mon costume, sur mon visage et sur mes mains comme pour me rappeler que je suis l'auteur de ce drame.

Si elle ne survit pas, c'est moi qui aurai son sang sur les mains.

— Je lui ai tiré dessus. J'ai failli la tuer... c'est de ma faute.

Hannah apparaît dans mon champ de vision et me prend dans ses bras, mais je suis trop assommé pour lui rendre son étreinte.

— Non Levi, ce n'est pas de ta faute. Tu ne pouvais pas savoir que l'arme était chargée. Ça arrive des accidents de tournage.

J'entends bien ce qu'elle me dit, je sais que c'est vrai. C'est déjà arrivé plusieurs fois même, qu'une arme chargée se retrouve par erreur sur le tournage. Une réalisatrice avait même été tuée de cette façon il y a quatre ans. Mais ma rationalité m'a quitté lorsque j'ai vu le sang de Kenza et je n'arrive pas à me défaire du remords.

De ne pas avoir fait attention à sa blessure.

De ne pas avoir compris qu'elle ne feignait pas la douleur.

De l'avoir narguée comme je le fais toujours pour la rabaisser.

Alors qu'Hannah me fait effectuer des exercices de respiration pour me sortir de mon état de choc, elle aperçoit l'armurier passer en périphérie. Le courroux ravage ses yeux et elle se lève pour aller le confronter.

— Les balles devaient être à blanc, que s'est-il passé ?

Il semble lui aussi perdu. Puis il va à sa station, vérifie son équipement et tient un fusil portant une étiquette verte dans sa main. Son visage devient livide.

— Je me suis trompé de pistolet.

Le visage d'Hannah se décompose. Elle s'approche du poste de l'armurier et prend l'arme qu'elle examine. Je m'approche également et vois que l'arme qu'on aurait dû utiliser est étiquetée comme ayant été inspectée. L'autre ne l'était pas quand il me l'a donnée.

Je le regarde, contenant ma rage, car je sais qu'il a fait une erreur.

— C'est pas possible, s'énerve Hannah. On vous a engagé exprès pour éviter ce type d'accident. Ça aurait pu encore plus mal tourner s'il avait mal visé et que la balle s'était logée ailleurs !

— Je sais, je sais ! répond l'armurier qui n'affiche ni l'angoisse ni le remords, il semble même agacé qu'on lui reproche sa bévue. Mais vous savez comme moi qu'un accident est si vite arrivé. Pas besoin d'en faire un plat, ce n'était rien de grave, elle va s'en sortir. De toute façon, vous êtes couvert par l'assurance, vous n'avez pas à vous en fai-

Mon poing va heurter sa mâchoire avec une telle puissance qu'il perd l'équilibre et tombe au sol.

Tout le staff présent hoquète, sous le choc. Je prends une des armes non étiquetées dans sa mallette et m'accroupis avant de lui saisir la nuque et insérer le canon dans sa bouche.

— Levi ! Qu'est-ce que tu fais ? panique Hannah.

L'armurier tente de se défaire de ma prise, de s'éloigner de moi, l'air terrifié, mais resserre ma poigne autour de sa trachée, prêt à lui briser la nuque.

— L'assurance ? Vous faites une erreur qui va peut-être coûter la vie d'une femme et vous vous souciez de si l'assurance va couvrir vos fesses ?

Sa respiration accélère et les larmes lui monte aux yeux, mais cela ne me dissuade pas de ce que je m'apprête à faire. Je ne suis que colère noire, une rage dévorante coule dans mes veines et j'ai le profond désir que son sang lave celui de Kenza sur mes mains.

— Moi aussi je suis couvert par l'assurance non ? Un accident est si vite arrivé, non ? dis-je d'une voix froide en retirant le cran de sûreté.

— Levi, arrête ça tout de suite, m'ordonne Hannah.

Je fixe cette ordure d'incapable, pesant le pour et le contre de laisser cours à mon fantasme. Une odeur acre m'indique qu'il vient de s'uriner dessus.

Dégueulasse.

Je retire le canon de sa bouche et me redresse. Je le regarde de haut avant de lui dire :

— Attendez-vous à une poursuite de ma part. Derrière les barreaux vous ne ferez plus ce genre d'erreur.

Il hoche vigoureusement la tête, pensant que c'est tout ce que je lui réserve.

— Et je vais garder cette arme non inspectée. Priez fort pour que ma petite amie s'en sorte comme vous l'avez dit, parce que le cas contraire...

Je me penche, mon visage à quelques centimètres du sien.

— Je reviendrai vous trouver et aucune assurance ne vous protégera de ce que je vous ferai alors.

Je lui tourne le dos et me dirige vers la sortie. Les employés présents s'écartent tous de mon chemin, de peur de subir mes foudres. Je sors du bâtiment, l'impression étouffer et une fois dehors, je me penche et me mets à dégueuler au sol en repensant à tout ce sang.

Tout son sang.

Le soleil cruel et sans pitié me frappe, la chaleur m'accable et empire ma nausée.

Kenza...

Je me reprend en main et me dirige vers le stationnement où j'entre dans ma voiture avant de foncer vers l'hôpital où a été conduite Kenza.

J'y arrive une quinzaine de minutes plus tard, mais le trajet m'a sembler durer des heures, car alors que je conduisant je me repassais le moment où j'ai tiré dans la tête.

À l'accueil, je demande à savoir l'état dans lequel se trouve Kenza. On me dit qu'elle est au bloc opératoire pour se faire retirer les éclats de balle. Comme je suis officiellement son petit ami, on me donne un accès à cette zone restreinte.

Je me retrouve dans un long couloir sombre et silencieux où deux bancs se trouvent de part et d'autre. Une porte menant au bloc se trouve au bout de celui-ci. Je m'y assois et patiente en tapant nerveusement de la jambe droite. Puis, enfin, le chirurgien qui s'est chargé d'elle sort pour me dire qu'elle va bien et qu'elle se réveillera bientôt.

Je le remercie et sors de la zone d'attente. Je sors de l'hôpital pour prendre l'air. J'en profite pour appeler Hannah et lui partager la bonne nouvelle. Je songe également à contacter la famille de Kenza ou ses colocs pour leur dire qu'elle est à l'hôpital, mais je me rends compte que je n'ai aucun de leur contact.

Je ne les connais même pas.

Je n'ai jamais rien voulu savoir d'eux, je n'ai jamais rien voulu savoir d'elle.

Et j'ai failli la tuer...

Je regarde mes mains, mes bras et mon costume où son sang a à présent séché. Mes jambes flanchent, je m'assois sur le trottoir bordant l'allée menant au débarcadère des ambulances et fonds en larmes en réalisant que Kenza s'en est sortie.

Le cauchemar est enfin fini.

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