Scène 31
𝕊𝕔è𝕟𝕖 𝟛𝟙 : 𝕃𝕦𝕞𝕚è𝕣𝕖𝕤, 𝕔𝕒𝕞é𝕣𝕒, 𝕒𝕔𝕥𝕚𝕠𝕟 !
Levi
Elle sera là.
— Neumann.
Je vais la revoir.
— von Neumann...
Je suis partagé entre l'impatience de la revoir après tout ce temps et l'envie de prendre mes jambes à mon cou. Comment vais-je réagir quand mes yeux se poseront sur elle ? Quand j'entendrai sa voix... quand je sentirai son parfum aux notes orientales ?
— Monsieur von Neumann !
— Quoi ?! craché-je, forcé de quitter mes pensés par la femme qui se tient en face de moi.
Elle a un mouvement de recul vis-à-vis de mon agressivité.
— J'ai besoin de votre consentement pour vous installer le micro.
— Oh... allez-y, dis-je en déboutonnant le haut de ma chemise.
Alors que ses doigts froids et légèrement tremblants se posent sur ma peau pendant qu'elle accroche le micro au tissu de ma chemise, je retourne à mes songes.
Ces songes qui m'ont gardé éveillé la nuit entière. Je n'ai cessé de me retourner dans mon lit en me rejouant la journée d'aujourd'hui. Je me voyais l'aborder, lui parler pour la première fois depuis qu'elle a complètement coupé les ponts avec moi.
Pour la première fois depuis quatre mois.
Heureusement que la maquilleuse a dissimulé mon déficit de sommeil en vue de l'émission que nous allons tourner, Hannah, Kenza et moi. J'ai croisé Hannah plutôt, elle aussi était en train de se faire maquiller. Le présentateur de l'émission est même passé nous saluer.
Seule Kenza ne s'est pas encore pointée. Apparemment, son agente a appelé pour prévenir de son retard, car elle sortira du plateau du nouveau film qu'elle est en train de tourner.
En retard comme toujours.
Si ça en avait été autrement, j'aurais été déçu. Au moins, cela n'a pas changé. Rien que l'attendre comme je le fais depuis que je suis arrivé sur le plateau me rend nostalgique des heures que j'ai passées à l'attendre en bas de son immeuble ou lors de nos.
Je souris à ma réflexion dans le miroir.
— Bonsoir, je suis Kenza Belbachir, pardon pour mon retard.
J'entends sa voix avant de la voir arriver dans les loges telle une tempête. Mon cœur qui a reconnu sa propriétaire trépigne si intensément que ça en ait douloureux.
Mais quel exquis supplice !
Je la vois finalement apparaître derrière moi, à travers la glace, n'osant même pas me retourner de peur qu'elle ne soit que le fruit de mon imagination, comme toutes les fois où je l'ai hallucinée depuis notre séparation.
La première chose que je remarque est ses longs cheveux, lissés et attachés dans une haute queue de cheval qui se meut avec le moindre de ses mouvements, comme un cobra envoûté. La tension de sa coiffure tire sur les traits de son visage, l'illuminant. Ses épais sourcils tracés et ces cils volumineux donnent du caractère à son visage et accentuent son regard ardent. Elle est vêtue de simples pantalons jean et d'une blouse rose chair qui va si bien avec son teint basané. Des bijoux en or qui font ressortir ses yeux viennent la sublimer, à défaut de lui faire de l'ombre.
Elle est tellement plus belle que dans mon souvenir... comment est-ce possible ?
Nos regards se croisent finalement dans la glace et elle perd le sourire. Je cesse de respirer les quelques secondes où nous nous fixons sans rien dire. Mais la surprise laisse place à cette indifférence qui m'a achevé il y a quelques mois. Elle rompt le contact visuel, tourne la tête et va s'asseoir en face d'un autre miroir, sur une chaise avec son nom.
Elle m'a ignoré.
Je me sens mourir de nouveau. J'ignore pourquoi. Bien évidemment que dans tous les scénarios de nos retrouvailles, il y avait celui-ci. Celui où elle ne fonce pas vers moi pour se jeter dans mes bras, celui où je ne la serre pas contre moi, celui où elle m'en veut encore pour ma trahison. Même que j'aurais préféré ça, sa colère, ses insultes, sa haine, n'importe quoi d'elle.
Pas son indifférence, pas son silence. Pas après n'avoir eu que ça depuis qu'elle m'a largué le soir de l'avant-première de Outsider.
Le lendemain, je découvrais qu'elle avait officiellement annoncé la fission de notre couple. Toutes les photos où nous posions ensemble avaient disparu de ses réseaux sociaux. Elle a d'abord cessé de me suivre, puis elle m'a carrément bloqué de partout.
Contrairement aux autres fois, elle ne m'a pas débloqué pour me demander un service ou juste m'emmerder.
Et comme peu de temps après la sortie du film en salle, elle a décroché un des rôles pour lesquels elle avait auditionné, son deuxième choix, elle a été quasi absente de la promotion d'Outsider.
Alors ça fait maintenant quatre mois que nous n'avons pas échangé un mot, un regard.
Je t'en pris... un seul regard...
On vient me chercher pour me conduire vers le plateau. Je jette un regard dans sa direction pour imprimer une dernière fois son visage dans ma mémoire, de peur que ce soit la dernière fois que je la verrai.
Je suis le membre du staff dans un couloir qui me semble plus sombre que quand je l'ai emprunté au moment d'entrer dans les loges. En fait d'un coup tout est plus sombre, plus fade depuis que Kenza a ébloui des yeux de sa seule apparition.
J'arrive sur le plateau en quelques secondes. Le public y est déjà installé, ainsi que le présentateur censé nous interviewer. L'équipe de tournage s'adonne aux derniers préparatifs avant de passer en direct.
Je repère Hannah qui a pris place à la table en forme de cercle. Quelques chroniqueurs qui animent l'émission en compagnie de Miles, le présentateur, discutent entre eux, le plan en main. Je vais prendre place près d'Hannah.
— Henry !
Je souris. Elle aime m'appeler ainsi pour se moquer du fait qu'au départ j'ai refusé de jouer dans ce film malgré ses supplications. Elle se lève et je l'enlace promptement.
— Tu as vu ta Alice ?
— Oui, je l'ai vu... qui ne l'a pas vue.
C'est elle qui a refusé de me voir.
Elle ricane avant de m'examiner, l'air triste.
Tout le monde est au courant de notre séparation. Bien que personne n'en connaisse la raison. Kenza a choisi de ne pas révéler que j'ai failli causer l'échec du film, un échec qui nous aurait coûté des millions de dollars, si nous n'étions pas sortis ensemble pour détourner l'attention du public de ses origines. Si elle leur avait dit, je ne serais pas ici, car ça aurait ruiné ma carrière.
Je lui en suis reconnaissant même si je sais que je l'aurais mérité.
— Tu devrais essayer de lui parler après l'émission.
— Seulement si elle veut... je n'ai pas envie de m'imposer.
Hannah hoche la tête.
— Oh... la voilà.
Elle se rassoit à ma droite et je me tourne pour voir Kenza monter sur la chaise haute à ma gauche. Elle se penche pour regarder derrière moi comme si jetait un obstacle.
— Bonsoir Hannah !
— Bonsoir Kenza ! Tu es ravissante !
— Merci ! Nous étions en train de filmer la scène d'un mariage. J'ai demandé de garder le maquillage.
— Excellent choix.
Après leur bref échange, Kenza pivote sur sa chaise pour regarder droit devant elle, scanner la pièce, lire le déroulé de l'entrevue sur la table en face d'elle.
Elle regarde tout sauf moi.
Je n'ai pas le temps de me morfondre que le décompte qui annonce le début de l'émission ainsi que je jingle résonnent. Le présentateur se met à parler face caméra, il introduit ses chroniqueurs habituels ainsi que les invités de ce soir, la réalisatrice d'Outsider qui a battu des records au box-office et les acteurs qui y ont eu le rôle principal.
Comme c'est une émission de fait divers, il commence par échanger avec ses chroniqueurs sur des faits divers, deux d'entre eux présentent des segments avec lesquels nous interagissons de temps en temps. Puis vient le moment d'entrer dans le vif du sujet. Notre film.
— Outsider... je crois que c'est un de mes livres préférés. Je me souviens l'avoir étudié à l'université, commence le présentateur. C'est un livre reconnu pour être difficile à imaginer, beaucoup ont une perception différente des décors et des scènes. Mademoiselle Izidor, comment êtes-vous parvenue à créer un Outsider, qui à en juger par la critique, fait l'unanimité ?
— Cet aspect a été un réel défi oui. Mais l'équipe a tous mis en ma disposition pour que je produise quelque chose de bon. Nous avons en amont fait beaucoup de recherche sur le livre, sur l'auteur, sur l'époque, mais nous avons aussi analysé toutes les analyses faites sur le livre par des doctorants en littérature, mais également le public pour en faire ressortir les points qui faisaient l'unanimité.
— Je n'imagine pas le travail que ça a été. Ce qui est d'autant plus impressionnant, c'est sur même s'il faut l'unanimité, il reste très original et surprenant.
— La production m'a accordé énormément de liberté sur la réalisation et je leur suis reconnaissante pour leur confiance. Pour moi, c'était important que ce soit plus qu'une représentation d'une vieille œuvre, il fallait que ça parle aux gens d'aujourd'hui. Alors j'y ai mis beaucoup d'éléments neufs, mais celui dont je suis la plus fière, c'est la sélection de Kenza pour le rôle d'Alice.
— Parlons-en de cette Kenza Belbachir qui il y a deux ans encore était inconnue du public et qui est devenue une sensation. Kenza, votre performance dans le rôle d'Alice était époustouflante, ce rôle était vraiment fait pour vous. Pourtant il me semble qu'au départ ce n'était pas l'avis général.
— En effet, ça a d'ailleurs été très médiatisé. Le fait que je jouais Alice à qui je ne corresponds pas physiquement n'avait pas plu il y a deux ans. Mais grâce à la vision et l'entêtement d'Hannah, j'ai gardé le rôle et je me suis donné à fond pour prouver à tous que ce rôle je le méritais plus que quiconque.
Je suis agréablement surpris par sa réponse. Elle est à l'aise, totalement dans son élément. Lors des premières entrevues qu'on a faites ensemble, elle était souvent angoissée et mal à l'aise, elle exprimait se sentir de trop. On dirait que le succès du film lui a redonné confiance en elle.
Admiratif, je la regarde répondre aux questions, rire et plaisanter avec les chroniqueurs. Quand on s'adresse à moi, je lâche une réponse rapide avant de reporter mon attention vers l'étoile de la pièce.
— Vous pouvez être fière de vous ! D'ailleurs félicitations à tous les trois pour vos nominations aux Oscars annoncées la semaine dernière. Nous rappelons que vous figurez dans les catégories meilleure actrice, meilleur acteur, meilleure réalisatrice et meilleure bande-son. Quatre nominations, ce n'est pas rien et nous vous souhaitons de toutes les remporter !
Nous le remercions avant de leur délivrer des anecdotes, des secrets de tournage et même notre propre avis sur le film.
— Je ne sais pas pour vous, commence l'une des chroniqueurs, mais moi la scène où Alice découvre la trahison d'Henry m'a achevée.
— Oh oui ! s'exclame un autre chroniqueur. Je ne suis pas du genre à pleurer devant un film, mais là j'ai pleuré plus que mon mari.
Les chroniqueurs éclatent de rire, bientôt rejoints par le public et nous autres.
— La scénariste a fait un travail extraordinaire pour amener cette révélation, explique Hannah. Le but étant que l'auditeur tombe amoureux d'Henry et surtout de leur couple... apprendre ce qu'il a fait à Alice est non seulement triste, mais c'est un choc.
— La peine d'Alice couplée à la performance de Kenza m'a arraché le cœur ! renchérit la chroniqueuse.
Je commence à me sentir mal à l'aise qu'ils parlent de trahison quand je repense à ce que moi j'ai fait à Kenza.
— Et vous comment ça a été de jouer une scène aussi intense ?
— Ça a été éprouvant. J'avais l'impression que c'est moi qu'on avait trahie... personnellement, je n'aurais pas pardonné Henry, répond Kenza.
— Ah non ?
— Non. Je sais qu'on peut faire des erreurs mais ce qu'il a fait à Alice est allé beaucoup trop loin pour que ce soit une simple erreur. Elle a tout perdu par sa faute. Son père est mort à cause d'Henry. Ça a été dur de lui pardonner dans la peau d'Alice alors que je ne l'aurais jamais fait.
Je serre ma feuille, car je sais qu'elle s'adresse à moi en quelque sorte.
— Intéressant... et vous Levi ?
Les regards et les caméras se braquent sur moi, dans l'attente d'une réponse.
— Je...
Je jette un coup d'œil en direction de Kenza qui contrairement à toute la salle s'efforce à ne pas me regarder.
Pourquoi refuse-t-elle de me regarder ?
— Je trouve que Kenza est cruelle dans son jugement du personnage d'Henry.
Pour la première fois, elle se tourne vers moi, offensée. Ce n'est pas optimal, mais c'est mieux que rien. Alors je poursuis.
— Henry a certes commis des gestes irrépréhensibles et lui a menti des mois durant, mais il ne l'a pas fait de manière désintéressée. Il a un poids énorme qui repose sur lui, il est l'héritier des Hilton, mal aimé de son père, c'était sa seule chance de faire ses preuves.
— Donc ça valait la peine qu'il anéantisse le travail de dizaines de personnes pour se faire aimer par papa ? intervient Kenza. Et Alice alors ? Elle compte pour du beurre ?
Je soupire.
— Ils venaient à peine de se rencontrer, Alice a beau être jolie, ça ne suffit pas à interrompre un projet de cette envergure. Henry avait une pression bien plus importante que ses sentiments pour elle, une partie de l'économie de la région reposait sur ce projet.
Les autres sur le plateau nous regardent nous disputer sur cet élément de l'histoire sans oser intervenir.
— Dans ce cas pourquoi n'a-t-il pas gardé cette manière de penser jusqu'au bout ? Puisque ses sentiments pour elle ne valaient pas qu'il arrête la machine en marche, s'il voulait autant plaire aux siens, pourquoi n'a-t-il pas épousé celle qui lui était promise ? Pourquoi rester auprès d'Alice et faire semblant de l'aider à ralentir le projet dont il était l'investigateur ?
— Il l'aimait.
— Non il la manipulait. Il lui a menti.
— S'il ne lui a pas dit la vérité, c'est parce qu'il avait peur de la blesser. Il lui a menti par amour.
— Par pur sadisme, tu veux dire.
Je secoue la tête.
— Tu te trompes... il ne lui voulait pas de mal.
— Il lui en a quand même fait. Il a quand même gâché sa vie. La moindre des choses c'était de lui foutre la paix et de ne plus jamais chercher à la revoir. Le mieux, ça aurait été qu'il n'entre jamais dans sa vie, ce parasite.
Ses mots lacèrent mon cœur et ma peau, la brûlure est plus douloureuse que tout ce que j'ai pu ressentir. L'irritation voyage jusqu'à ma bouche qui s'ouvre pour lui dire :
— Il n'a pas gâché sa vie. Alice et son père étaient de pauvres libraires. Le père d'Alice lui cachait les finances justement pour qu'elle ne découvre pas qu'ils étaient en faillite. Si Henry n'était pas entré dans sa vie, Alice serait encore la pauvre et insignifiante artiste ratée qu'elle était au début de l'histoire.
Le silence se fait sur le plateau suivi de quelques onomatopées d'indignation. La colère s'envole du visage de Kenza qui se décompose alors que des larmes roulent le long de ses joues.
Eh merde...
— Espèce d'enfoirée...
— Kenza- je parlais d'Alice pas de toi.
— Va te faire voir !
Elle se lève, retire son oreillette et son micro avant de les jeter sur moi et de quitter le plateau en furie et en larmes.
Kenza
Quelle sombre connard !
Assise sur la banquette arrière de mon Uber, j'essuie mes larmes de frustration et de colère avec les mouchoirs de la boîte que m'a tendue mon galant chauffeur quand je suis entrée dans son véhicule en sanglot.
Je savais que c'était une mauvaise idée de participer à une entrevue où il serait présent. J'ai supplié Bea de trouver une excuse comme elle l'a fait pour tous les autres événements où nous devions être à deux.
« J'ai été compréhensive avec toi parce que vous veniez de vous séparer, mais là Kenza ça ne peut plus durer. Vous êtes les premiers rôles, normalement vous devriez toujours apparaître ensemble. Ce n'est vraiment pas professionnel de ta part, c'est mal perçu. Tu iras à cette entrevue et tu seras civile avec lui. Ce n'est que quelques heures. Tout ira bien. »
Tout ira bien, mon cul, ça a été un total fiasco.
Mon téléphone n'arrête pas de sonner depuis que j'ai quitté le studio. C'est Beatrice qui m'appelle et qui m'écrit pour me demander ce qu'il s'est passé. Elle qui craignait que mon absence ne soit pas professionnelle, mon départ en plein tournage a dû lui faire s'arracher les cheveux.
Ça lui apprendra à me forcer à voir Levi.
Je renifle pour la énième fois. J'ai pourtant tout fait pour que tout se passe bien. Je l'ai sciemment ignoré, je suis resté pro... je croyais que ma douleur s'était résorbée après des mois loin de lui mais...
Le voir me fait toujours aussi mal. Tout chez lui m'insupporte mais je crois que ce qui m'énerve le plus, c'est la manière dont mon corps a réagi à sa proximité. Les battements de mon cœur, si fort qu'on aurait cru qu'il cherchait à se que Levi l'entende, la chair de poule qui a recouvert ma peau quand je me suis assise près de lui. J'ai même senti ma poitrine pousser contre mon chemisier.
Putain...
Tout mon être le désir, et au lieu de me le faire oublier, la distance à n'a rendu mon désir que plus intense. Pourtant je sais qu'il n'est pas bon pour moi. Je sais tout le mal qu'il est capable de me faire si je le laisse avoir accès à moi.
— Mademoiselle ?
— Hm ?
— Nous sommes arrivés, m'informe le chauffeur Uber.
Je jette un coup d'œil vers mon appartement. J'y ai passé presque tout mon temps ces quatre derniers mois, vautrée dans mon lit à me vider de mes larmes pendant que mon cœur saignait.
L'idée de retourner à ma solitude m'afflige. Je songe à aller chez Amar, mais me rappelle que je ne peux pas me pointer chez elle chaque fois que ma séparation avec Levi me fait trop mal. Elle est mariée et attend un enfant, elle a tellement plus à gérer que mes peines de cœur.
Ça me manque tellement la vie en colocation, d'avoir toujours quelqu'un à qui se confier. Il suffisait que j'ouvre une porte et si Amar n'était pas là, il y avait Israe.
Israe... elle me manque tellement.
— Mademoiselle ?
— Je peux faire une nouvelle course ?
— Je ne contrôle pas le système de répartition des courses. Vous pouvez essayer.
Je fouille dans mon sac à main et sors quatre billets de cent dollars.
— Laisser tomber le système. Vous pourrez garder l'argent.
Il écarquille les yeux et ne se fait pas piger pour prendre l'argent.
— Où voulez-vous aller ?
Je lui indique la nouvelle adresse d'Israe et il m'y conduit en une demi-heure. Je descends du véhicule et le remercie. Puis, je me tourne vers l'immeuble où vit Israe selon les dernières informations que m'a données Amar. J'entre dans l'édifice et me rends jusqu'à son étage, jusque devant sa porte où je cogne à quelques reprises. Sans réponse.
Soit elle n'est pas là, soit elle ne veut pas me voir...
Dans les deux cas, je décide de faire demi-tour. C'est stupide de ma part d'être venue ici après l'avoir mis à la porte de chez moi.
— Oh... Kenza ?
Je me tourne pour la voir marcher vers moi, des sacs d'épicerie en main.
— Qu'est-ce que tu fais là ?
— Je...
Comme elle semble avoir de la difficulté à passer la clé dans la serrure de sa porte, je l'aide en prenant les sacs qui alourdissent sa main droite. Elle ouvre la porte et nous y entrons toutes les deux. Silencieuse, je la regarde ranger ses courses. J'en profite pour observer son nouvel appartement. Il est charmant et accueillant. Il est même très classe. Pas le genre d'endroit qu'on aurait pu s'offrir quand on était étudiantes, même à trois, alors seule...
— Je te sers du thé ?
— Oh- tu n'es pas obligé.
— Mais si ! Tu es mon invitée.
Sa bienveillance ne fait qu'augmenter ma culpabilité. Elle m'invite à m'asseoir au salon alors qu'elle chauffe le thé qui bientôt parfume tout l'habitacle. Alors que je la regarde dresser la table du salon avec du thé et des biscuits, je ne peux m'empêcher de lui demander :
— Pourquoi ?
— Quoi ? demande-t-elle en faisant couler le thé dans ma tasse.
— Pourquoi es-tu aussi gentille avec moi après ce que je t'ai fait ?
Elle arrête ce qu'elle fait quelques secondes pour reprendre comme si de rien n'était, sans répondre. Le silence est pesant, presque autant que ma culpabilité. Pour le combler, je vais droit au but.
— À propos de la fuite dans les médias, maintenant je sais qui est le responsable-
— C'est Levi.
— Oui c'est- attends... comment tu sais ?
— Je l'ai déduit.
— Comment ça déduit ?
— Après que tu m'aies mise à la porte...
Elle laisse sa phrase en suspens et me zieute pour bien appuyer sur cette partie.
— Il m'a contactée. Il s'est excusé pour ta réaction, mais dans sa manière de parler j'avais l'impression qu'il s'excusait pour quelque chose qu'il avait fait. Comme si le fait que j'étais sans domicile était sa faute et non la tienne. Mes soupçons se sont confirmés quand il m'a aidée à trouver cet appartement qu'il a payé de sa poche pendant les mois qui ont suivi, le temps que ma situation se stabilise.
Il a fait ça ?
Maintenant qu'elle le dit, il est vrai que le comportement de Levi a changé après cette soirée. Même s'il est demeuré l'abrasif personnage qu'il est, il a commencé à se montrer plus avenant avec moi. Il a même tenté une fois de me convaincre de laisser Israe revenir vivre chez nous.
Proposition que j'ai aussitôt rejetée, sans me pencher sur la raison de son intérêt pour la situation d'une fille qu'il a rencontré une seule fois dans sa vie.
— Mais... mais pourquoi tu ne me l'as pas dit ?
— Ne le prends pas mal, mais pendant cette période tu étais la dernière personne que je voulais voir.
Je baisse la tête, regrettant ma question. Je l'ai mise à la porte, sans préavis, je lui ai donné à peine deux heures pour prendre ses affaires et foutre le camp, sans me soucier de son sort. Il est normal qu'elle ne voulait plus rien avoir affaire avec moi.
— Je suis tellement désolée de ne pas t'avoir crue... je-
— Tu n'aurais pas pu deviner.
— Oui, mais j'aurais dû te croire. Tu ne m'aurais jamais fait quelque chose comme ça. Je t'ai accusée à tort alors que lui je ne l'ai même pas soupçonné.
— Tu ne m'as pas accusée à tort, Kenza. Peut-être que ce n'est pas moi qui suis allée voir les médias, mais j'ai quand même brisé ma promesse et ta confiance en révélant le secret à une tierce personne. La vérité c'est que ça aurait très bien pu être elle. Je suis désolée.
— S'il te plaît, ne t'excuse pas... c'est à moi de m'excuser pour tout. C'est vrai que tu as fait une erreur, mais j'ai mal réagi. Quand j'ai vu Amar blessée, j'étais si en colère ! Ça a aveuglé mon jugement. Je suis désolée.
Nous nous fixons longuement avant de pouffer de rire. Voyant que si nous poursuivons cette compétition de qui est la plus désolée, nous n'en finirons plus.
— Maintenant, Amar est parti... l'appart est tellement grand qu'on s'y sent triplement seule.
— WoW, tu as des problèmes de riche maintenant.
Je ricane et la regarde plus sérieusement.
— Israe, si tu veux revenir, tu es la bienvenue. C'est chez toi...
Elle semble pensive, mais secoue la tête.
— Honnêtement, je n'ai pas envie de retourner vivre avec toi.
Oh non...
En voyant ma mine abattue, elle s'empresse de préciser.
— Ce n'est pas toi le problème. Je ne t'en veux pas... c'est juste que... je ne veux plus être actrice.
— Quoi ?! Comment ça ? Depuis quand ?
Elle lève les épaules.
— Depuis longtemps déjà. Probablement même avant que tu n'emménages avec moi et Amar il y a trois ans. C'était mon rêve, mais je n'y suis jamais parvenue. J'étais sur le point d'abandonner et de poursuivre mes autres passions, mais tu es arrivée, les étoiles dans les yeux, pleine d'espoir et tellement déterminée...
Elle prend une gorgée de thé chaud.
— Je me suis dit que si tu étais autant déterminée alors je me devais d'essayer encore. J'ai continué uniquement parce que tu m'encourageais à le faire. Mais je détestais jouer. Et pour être franche, ton succès là où je n'ai jamais réussi m'a fait encore plus détester la comédie. Quand j'ai quitté l'appartement, pour la première fois je n'ai pas ressenti de culpabilité à l'idée de ne plus courir après les auditions. J'ai appliqué pour des métiers que mon diplôme d'infirmière me permettrait d'avoir et j'aime beaucoup ce que je fais. Si je retourne vivre chez toi... je vivrai encore avec la culpabilité de ne pas être toi. Tu comprends ?
Les larmes me montent aux yeux quand elle me dévoile cela. Elle est restée juste pour moi alors qu'elle ne voulait plus être actrice ?
— Oh, Israe...
Je la prends dans mes bras et recommence à m'excuser. Elle me rassure en me disant qu'au moins elle aura poursuivi son rêve jusqu'au bout, mais que la gloire n'est pas à la portée de tous. Elle me raconte sa vie des derniers mois, des anecdotes sur son travail et moi je lui parle un peu du lancement du film et de ma séparation avec Levi.
Nous visionnons même le film ensemble... ce qui me force à voir Levi encore, mais avec Israe, l'image du couple fictif que nous formions me fait moins mal.
Je rentre chez quelques heures plus tard, le cœur léger, soulagée d'avoir obtenu de pardon d'Israe.
Et Levi alors, méritera-t-il un jour le mien ?
Coupé !
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