Scène 30
𝕊𝕔è𝕟𝕖 𝟛𝟘 : 𝕃𝕦𝕞𝕚è𝕣𝕖𝕤, 𝕔𝕒𝕞é𝕣𝕒, 𝕒𝕔𝕥𝕚𝕠𝕟 !
Kenza
De longues secondes de silence nous enveloppent, mais il est extérieur. Dans mon être c'est la cacophonie, une dissonance qui abreuve ma confusion et ma crainte d'avoir bien entendu ce que j'ai entendu.
Dans un vain espoir que ce soit le cas, que la réponse sera différente, j'ouvre la bouche.
— Quoi ...?
Levi soupire et ferme les yeux, comme si la vision de l'effet que son aveu a sur moi, celle de la trahison, est plus qu'il ne peut encaisser. Encore confuse, et espérant que c'est un mauvais rêve ou une encore plus mauvaise blague, je pose ma main sur la sienne, pour qu'il me regarde et comprenne que sa plaisanterie ne m'amuse pas du tout. Mais il ne me regarde toujours pas, même Blake fuit mon regard quand je cherche le signe d'un canular sur son visage.
Ma cage thoracique s'effondre sur elle-même et conscrit mes organes internes, déjà des picotements se répandent sur la surface de mes yeux, l'air que j'inspire laisse derrière lui une odeur de fumée.
Mais je refuse toujours d'accepter que je brûle et que c'est lui qui vient de m'immoler.
— Levi, c'est pas drôle. Je sais que ce n'est pas toi, tu n'aurais jamais fait ça...
Sa mâchoire se serre et il secoue la tête, refusant l'innocence que je me tue à lui accorder. Mon rythme cardiaque devient si intense que je sens ma poitrine au bord de l'implosion. Mes talons hauts m'apparaissent vertigineux tant j'ai du mal à maintenir mon équilibre.
— Tu n'es pas comme ça... hein ? C'est Israe qui-
Il finit par me regarder dans les yeux pour planter un dernier pieu dans mon cœur sans même prononcer mot.
— C'était moi, Kenza. Israe n'a rien fait.
— N-Non... tu... étais avec moi- on... on l'a appris ensemble...
Il secoue de nouveau la tête, chacun des mouvements ayant l'effet d'une gifle.
— J'avais contacté les médias anonymement avant de venir chez toi. Je leur ai dit que tu jouerais Alice dans un film tiré du livre Outsider. J'ai aussi révélé avoir le rôle d'Henry pour que ce soit moins évident. Je suis venue chez toi pour te demander de renoncer parce que je savais que tu allais bientôt avoir une bonne raison de le faire, mais aussi pour que tu ne me suspectes pas. C'est moi qui ai tout orchestré... et j'ai fait semblant de l'apprendre avec toi.
Mes yeux me brûlent alors qu'un épais mur de larmes s'y forme. D'un coup, sa main autour de mon poignet me donne la nausée, tout comme sa silhouette, sa présence. Je me défais de lui et recule un peu, titubant à cause du vertige. Il dit quelque chose, j'entends sa voix, mais une assourdissante tonalité couvre l'essentiel de son propos et le sol qui tangue sous mes pieds.
Il m'a menti.
Il m'a sabotée.
Il est contre moi.
Ma dispute avec Israe me revient en mémoire ; la manière dont elle pleurait et jurait de n'y être pour rien, la détresse dans sa voix alors qu'elle m'implorait de ne pas la mettre à la porte parce qu'elle n'avait nulle part où aller. Je revois mon ancien appartement saccagé, Amar couverte de sang, terrorisée. Je repense à la peur qui m'a habité depuis, celle qu'on s'en prenne à elle, à moi, à ceux que j'aime.
Mais surtout, je me rappelle la manière dont il m'avait tenue ce soir-là. De ses mots doux me consolant, me rassurant. Du sentiment de sécurité qui m'avait envahi, lovée dans ses bras, agrippée à lui comme à une bouée de sauvetage.
Tout ça pour apprendre que c'est lui qui m'a jetée aux requins.
Le choc laisse place à une rage démesurée. Quand je le vois tenter de me toucher, je le repousse violemment,
— NE ME TOUCHE PAS !
Les gens autour cessent de converser et regardent dans notre direction. Je respire lourdement, les poings serrés et les ongles creusant ma paume pour éviter de causer un scandale ici, à cette soirée parfaite.
Puis je réalise que cette soirée n'a rien de parfaite. Elle l'était pour moi uniquement parce que j'étais avec Levi, pour célébrer la sortie de notre film et le début de notre histoire, la vraie. Mais tout est faux.
Même lui. Je le croyais différent, mais il est aussi toxique que les autres.
— Comment t'as pu ? Comment t'as pu me faire ça ? Me cacher ça ? Me mentir comme ça ?
Affligé de ce qui ressemble au remords, Levi ne trouve rien à me dire. Il y a 5 minutes, j'aurais pu croire comme il le prétend qu'il s'en veut, mais à présent armée de la vérité, je réalise et réponds à mes propres questions :
— Je suis tombée amoureuse d'un putain de comédien...
— Ken-
Je fais volte-face et quitte la salle de réception sans le laisser en placer une. Je fonce en direction du vestiaire, impatiente de quitter cet endroit bourré de faux-culs à l'éthique plus que défaillante. J'entends Levi venir à ma poursuite, mais je ne me presse pas pour autant. J'arrive au vestiaire, retire mes talons et récupère mon sac. Pendant ce temps, Levi essaie de me parler, il s'excuse, tente de réparer l'irréparable.
— S'il te plaît... dis quelque chose, finit-il par dire quand je ne lui accorde aucune attention.
Je me tourne alors pour lui faire face, le visage fermé à double tour comme mon cœur, je lui demande :
— Pourquoi ? tremble ma voix.
— Kenza...
— Pourquoi ? Qu'est-ce que je t'ai fait pour mériter ça ? Hein ?
Il baisse ses bras avec lesquels il m'a bloqué la sortie.
— Rien... tu ne m'avais rien fait.
— Alors pourquoi ?
Il garde le silence. Au fond, je sais pourquoi, alors je réponds à sa place.
— Hm ? Quoi, tu t'es dit que je ne recevais pas assez de haine au quotidien, il fallait que tout internet m'en fasse baver, c'est ça ? Il fallait qu'on me harcèle, il fallait que des suprémacistes trouvent mon adresse, m'envoient des menaces de mort et s'introduisent chez moi, c'est ça ?! C'est ça que tu voulais, non ?
— Tu sais que c'est faux.
— Non, tout ce que je sais c'est que tu m'as jetée en pâture au public !
Il baisse le regard. Lui qui a passé son temps à me regarder de haut, comme si je parasitais sa vie ne parviens à présent plus à ne serait-ce que me regarder droit dans les yeux. Je lâche un rire nerveux.
— Est-ce que tu réalises au moins à quel point c'est vicieux ? À quel point c'est raciste ?
Là, il lève la tête, outré.
— Quoi ?! Non, je n'ai jamais rien dit ou fait de raciste-
— Mais tu savais que d'autres le feraient ! C'est précisément pour ça que tu l'as fait ; pour qu'il s'en prenne à moi à ta place ! Tu as instrumentalisé le racisme des autres contre moi, C'EST RACISTE, LEVI !! m'époumoné-je.
Il ouvre la bouche pour protester, mais se ravise avant de passer sa main dans ses cheveux.
— Pardon... je ne savais pas que ça irait jusque-là...
— Oh Levi... pas à moi. Des racistes j'en ai croisé une tonne dans ma vie. Je ne leur en veux pas parce que je sais qu'ils le sont par pure ignorance ou par peur, sans même réaliser combien ça fait du mal aux autres. Mais toi... tu savais pertinemment combien ça me ferait mal. Tu es célèbre depuis toujours, tu connais les extrêmes dont est capable le public. Tu connais le harcèlement, les menaces de mort, la violation de l'intimité et tu me connais moi ! Tu es pire qu'eux.
Il secoue la tête.
— Kenza... je suis vraiment désolé... ok, c'est vrai, au fond je savais que ça allait te blesser, et c'est ce que je voulais... j'étais ignorant moi aussi, avant de vraiment te connaître, avant de t'aimer. Mais depuis cette nuit qu'on a passé ensemble... je sais que je t'aime, jamais je ne ferais ça, jamais je ne te ferais du mal...
Il est sérieux là ?
— Non mais tu t'entends ? « Je t'ai bouffé la chatte et tu me plais bien finalement alors je ne vais plus te tourmenter. » Tu n'avais pas le droit de me traiter comme ça juste parce que tu ne m'aimais pas !
— Tu as raison, tu as raison ! tente-t-il de tempérer. J'ai été une énorme enflure et je m'en veux énormément. Crois-moi.
— Te croire ? Après que tu m'aies menti pendant des mois ? Au nom de quoi ?
J'ignore ce qui m'énerve le plus, quand il s'excuse ou quand il me fixe comme ça, en silence, l'air abattu. Comme si c'était lui la victime de son jeu sadique. L'amertume se répand dans mes veines, coule dans ma salive alors que je ravale mes larmes.
— Rassure-moi, c'était drôle au moins ? De me pourrir la vie. C'était amusant de me laisser t'affectionner alors que toi tu jouais un rôle ? Est-ce que c'était difficile de faire semblant que je suis une personne qui mérite ta considération ?
— S'il te plaît, Kenza ne dit pas ça... J'ai tout fait pour essayer de réparer mon erreur... mais c'était trop tard... pardon, j'étais amoureux d'Adèle et-
— Donc c'est pour Adèle que tu m'as gâché la vie ?! Eh bien j'espère qu'elle en valait la peine parce que maintenant qu'on en a officiellement terminé avec ce film, peu importe ce truc qu'il y avait entre nous, c'est fini.
J'avale difficilement ma salive après lui avoir dit ça. Dans ces yeux, je lis la supplication de revenir sur ma décision, mais il ne fait que fermer les yeux et hocher la tête.
— Je comprends.
Mon cœur se brise en morceaux quand je réalise que c'est vraiment fini. Quand des larmes apparaissent sur ses yeux je me sens faiblir, mais la raison m'empêche de le prendre dans mes bras, car ce n'est pas lui qui saigne mais moi.
C'est lui qui tient le couteau, et ce depuis le début.
— Pousse-toi, je veux rentrer chez moi.
— À cette heure ? Laisse-moi te déposer.
Je lui lance un regard assassin et il se rend compte de son erreur, que s'il est dangereux pour moi d'être seule dehors c'est à cause de lui. Il se décale pour me laisser sortir. Après avoir fait quelques pas, je me tourne vers lui. Aussitôt, je vois l'éclat de l'espoir traverser ses yeux, alors je tire un plaisir infâme à l'anéantir.
— C'est pour ça que personne ne t'aime.
Je fais demi-tour et sors de cette pièce où j'étouffe.
Levi
— C'est pour ça que personne ne t'aime.
Je peux presque entendre la lame de sa phrase perforer mon cœur déjà paralysé par la douleur après qu'elle ait dit que nous deux c'est fini.
Sans la moindre considération pour moi, elle tourne le dos, sors, descend les marches du tapis rouge pieds nus et s'élance vers la limousine avec laquelle nous sommes arrivés.
Figé à la regarder s'éloigner de moi au pas de course, comme si elle craignait que je lui fasse plus de mal, rejouant notre dispute, notre séparation et sa fuite dans ma tête, c'est plusieurs minutes après le départ de la voiture que je reprends mes esprits.
« Personne ne t'aime. »
Je suppose qu'elle cherchait à me blesser en disant cela, sans savoir que rien de ce qu'elle pourrait me dire de blessant ne me ferait aussi mal que de la voir pleurer par ma faute. Rien ne me fera aussi mal que quand elle m'a dit « Tu es pire que les autres. » et « Peu importe ce qu'il y avait entre nous, c'est fini. »
Je suis sur le point de m'écrouler et de fondre en larme quand je sens une main sur mon épaule. Je me tourne pour trouver Blake derrière moi. Quand il voit le regard que je lui lance, il retire sa main de sur mon épaule.
— Je suis désolé... je ne sais pas ce qui m'a pris de lui dire ça.
Qu'est-ce qui m'a pris de lui faire ça ?
Je ne trouve rien à répondre, trop concentré à retenir mes larmes parce qu'il est hors de question que cet enfoiré me voit pleurer. Je cherche la force de lui en vouloir, de me jeter sur lui et lui faire regretter ce qu'il a causé ce soir.
Mais Blake n'a rien causé. Ce n'est pas lui qui a trahi Kenza, ce n'est pas lui qui a fait de sa vie un enfer, il ne lui a pas menti en la regardant droit dans les yeux, en lui disant qu'il l'aime, en lui faisant l'amour. En fait, il a été le plus honnête de nous deux.
Tout est de ma faute.
Je croyais aider Adèle... en m'en prenant à une personne que je savais vulnérable. Elle a raison, je suis pire qu'Adèle, Blake et tous les autres réunis, parce qu'eux au moins, ils ne font pas des coups de putes aux plus faibles. Moi je l'ai fait.
Et ça vient de me coûter la femme de ma vie.
Coupé !
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